Ivoire, olive, carmin
L'obscurité n'empêche pas la lame tirée de luire sous la lueur blafarde de l'astre lunaire. Concentrée, Eteslë se focalise sur son adversaire. Son souffle se fait plus profond, ses muscles se tendent alors que ses jambes fléchissent légèrement. Elle se met en garde, une paume tournée vers son opposant, moyen efficace de jauger la distance les séparant sans avoir à observer en détail les alentours. Son autre main se ferme, se positionne près de son flanc, son buste légèrement tourné pour que ses jambes puissent lui servir à se déplacer aisément dans n'importe quelle direction au moindre signe d'agression. Le Garzok, lui, se contente de pointer son épaisse lame vers elle. Elle semble lourde et bien peu tranchante, mais Eteslë n'est pas dupe, coupante ou non, un coup de cette arme et elle se brise un os sur-le-champ.
Les deux combattants s'observent. Pas le moindre mouvement si ce n'est le léger soulèvement de leur torse à chaque inspiration. Soudainement, poussant un cri guttural, le Garzok se rue d'un bon en avant, sa lame soulevée au dessus de sa tête. Il l'abat violemment sur Eteslë qui bondit sur la droite, l'évitant avant de dépasser son adversaire qui doit se retourner en dérapant, laissant le temps à la jeune femme de reprendre ses distances. Elle a sous estimé la vitesse de son ennemi et, si ses réflexes lui ont permis d'éviter son attaque, elle se doit d'être plus vigilante. Il revient à la charge, en hurlant toujours comme un forcené. Souplement, elle s'efface, se baissant en prenant appui sur ses mains lorsqu'il assène un large coup de tranche de sa lame. Porté par son élan, il ne peut que subir la riposte de la jeune femme. Son genou percute avec force et fracas les côtes du Garzok qui grogne de douleur. Il donne un coup dans la direction de la jeune femme qui a déjà repris ses distances.
Eteslë ne peut retenir une grimace après ce coup. Le bougre à les os solides et, malgré la violence du coup, elle n'est pas certaine de lui avoir ne serait-ce que fêlé une côte. Comprenant qu'elle n'a aucune chance en y allant à demi, elle prend l'initiative cette fois, et fonce sur le garzok passablement surpris par cette jeune femme qui lui fonce dessus alors qu'il est bien plus fort et grand qu'elle. Prenant son arme à deux mains, il bondit, quittant littéralement le sol pour sauter sur Eteslë qui ne ralentit pas. La lame tranche une nouvelle fois dans le vide et Eteslë en profite pour frapper le bras du Garzok de son talon. L'impact est rude, mais la poigne du garzok sur sa cheville lui fait comprendre qu'il l'a volontairement laissé faire. Violemment, le garzok tire sur la jambe de la jeune femme et, imprimant une rotation, l'envoie valdinguer quelques mètres plus loin où elle s'écrase et roule. Le souffle court, le corps douloureux, elle peine à remettre ses idées en place alors qu'une douleur sourde lui comprime la poitrine et qu'une autre lui vrille la tête. Elle ne sent rien de cassé et se relève rapidement, mais l'impact l'a sonné et sa tête lui semble plus lourde que jamais auparavant.
- Faible... fragile... comme toutes les peaux-glabres.
Crachant un glaviot de sang, la jeune femme fixe le Garzok qui s'approche. Elle essuie le coin de sa bouche d'un revers de manche et se remet en position, sous le regard moqueur du peau-verte. Mais c'est son sourire à elle qui semble davantage affecter son adversaire. Elle sait, Eteslë, qu'elle risque sa peau pour rien, mais le sang qui bout dans ses veines, à ce moment précis, lui donne simplement envie de continuer, de lui taper sur la gueule jusqu'à ce qu'il, ou elle, ne le puisse plus. Elle avait oublié, ces derniers temps à Dahràm, à quel point elle aimait ça. Le frisson, l'excitation de se savoir en danger, la sueur qui coule le long de ses tempe, son palpitant qui semble battre le rythme des tambours qui accompagnent le grand spectacle d'un combat à mort. Tout ça, elle l'avait laissé de côté, mais il revient à la charge, la galvanise, élargit son sourire alors qu'une goutte de sang perle au coin de ses lèvres. Elle se sent vivante, elle se sent elle-même et, seule certitude de son passé, elle sait que son ancienne elle était pareille. Une combattante, une qui cogne et brise, qui gagne et survit, qui vainc et tue. Ce qu'elle va faire ce soir. Elle va tuer ce Garzok qui lui fonce dessus, sans le moindre doute, sans le moindre remord, sans la moindre pitié et avec une certaine délectation.
Il est presque sur elle lorsqu'elle agit. Elle bondit en avant puis, d'un coup de pied au sol, se jette sur la gauche, passe sous le bras armé du Garzok. Elle bande ses muscles, inspire et, violemment frappe son avant bras, deux fois. Le craquement qu'elle entend au deuxième coup la fait sourire plus largement, dévoilant ses dents au Garzok médusé par cette jeune femme qui vient de soudainement lui donner une sueur froide. Un violent coup de poing dans l'estomac la repousse en arrière et lui fait cracher de nouveau du sang, mais elle se redresse, le souffle court, les yeux brillant d'une excitation sauvage et malsaine. Le Garzok, lui, semble hésiter, bien plus méfiant qu'auparavant. Elle se jette à nouveau sur lui et il recule, abandonnant son arme trop lourde pour son bras blessé. La jeune femme se précipite vers lui et le heurte en lui envoyant ses deux talons dans le ventre. Les deux adversaires s'écroulent au sol, mais se relèvent bien vite avant de finalement se ruer l'un sur l'autre. Fou de rage, le Garzok semble soudainement déchaîné, mais cela le rend imprécis et un coup de poing qui aurait dû sonner le glas de la jeune femme ne fait qu'à peine l'effleurer alors qu'elle passe sa garde et, d'un habile coup du talon de sa main, frappe violemment la mâchoire de son opposant. Sous l'impact, une des dents proéminente se brise et le Garzok ouvre la bouche en un cri de douleur alors que la jeune femme, bandant ses muscles, l’entraîne au sol.
Le nuage de poussière soulevé par la chute du colosse s'étale autour d'eux alors que les premiers coups de poings frappent le Garzok désormais au sol. Il réplique, mais son bras cassé l’empêche d'être efficace et la jeune femme a tôt fait de suffisamment le frapper pour que ses gestes soient lents et hasardeux. Finalement, les mains endolories et rougies du sang de son adversaire dont le visage méconnaissable n'est qu'une bouillie sanguinolente qui respire avec difficulté, Eteslë s'arrête, reprend son souffle un instant. Instant que le Garzok choisit pour la saisir à la gorge. Le feu de la colère qui s'allume dans les yeux de la jeune femme lui font, pendant une seconde, perdre tout contrôle et, avec rage, elle attrape la dent brisée et l'enfonce dans l’œil de son ennemi qui la lâche aussitôt en hurlant. D'un bond, elle est debout et, faisant fi des hurlements de l'être gisant au sol, lève sa jambe avant de l'abattre sur l’œil déjà crevé. La dent s'enfonce profondément dans le crâne du vaincu qui, après un dernier tressautement, cesse définitivement de bouger. Reprenant ses esprits après une longue inspiration, Eteslë le fouille avant de l'abandonner là, à la merci des charognards.
Claudiquant jusqu'à ses affaires, elle reprend la route en vitesse, sans s'attarder davantage sur le combat qui vient d'avoir lieu. Elle marche et, alors que l'adrénaline redescend, que l'excitation laisse place aux sensations, elle crache à nouveau du sang. Elle s'évertue à marcher, mais la douleur se fait de plus en plus vive jusqu'à ce que, n'en pouvant plus, elle s'affaisse sur le bord de la route, respirant avec peine. Elle se tâte, s'assure que rien n'est cassé, mais se sent bien trop faible pour continuer à marcher ainsi. Elle rampe plus qu'elle n'avance en bordure de la route, s'enroule dans son manteau et sa couverture et, transie de fatigue et de froid, tiraillée par la douleur lancinante qu'elle ressent dans son corps et dans ses muscles trop sollicités, elle se recroqueville, calme son cœur, vide son esprit et finit, à quelques heure à peine de l'aube, par s'endormir à nouveau.