Message
par Silmeria » jeu. 29 août 2019 00:42
Qui ici n'a jamais été mis en garde avant de s'aventurer en forêt ? Il est vrai que ces endroits majestueux abritent toute sorte de danger, le premier serait de s'y perdre et c'est bien le plus fréquent. Ensuite viennent les bêtes sauvages, qu'elles soient sous la forme d'un sanglier blessé qui décide de charger ou bien d'un nid de frelons ou encore du Royal canidé qui arpente seul ou en meute les bois et leurs orées. Il y a déjà fort longtemps, les paysans et bûcherons balisèrent les bords des forêts afin que l'on puisse s'y repérer même de façon rudimentaire. Dans certaines forêts on y construisit même des abris et des cabanons pour se protéger des vents et de la pluie. C'est là que notre histoire commence, dans une pitoyable baraque de bois humide pouvant contenir à peine cinq personnes. Elle était construite au pied d'un chêne centenaire et d'un cours d'eau, l'endroit idéal pour s'y arrêter le temps de reprendre des forces avant de continuer sa route puisqu'elle était en bordure de chemin.
Une véritable trombe d'eau tombait sans discontinuer depuis des heures, les nuages si lourds et menaçants avaient déjà depuis longtemps obscurcis le ciel mais à en juger l'obscurité profonde et compacte qui chassait la pénombre, la nuit venait de tomber. Hors de la cabane il y avait un chariot de marchand tiré par deux ânes et une large bâche protégeait ce que la remorque contenait. Tandis qu'à l'intérieur de la cabane...
" Alors ça, j'en reviens toujours pas. " Disait le solide marchand, les mains à la ceinture, le visage satisfait d'être à l'abris par un temps pareil. " Avoir trouvé cet endroit, c'était quand même un sacré coup de veine ! Mieux vaut rester au sec que d'faire la route par un temps de crotte pareil, et j'pèse mes mots. Il pleut tellement que j'ai cru voir deux poissons passer à côté de moi !" Il riait de bon coeur et envoya une grande tape sur le dos de son fils avant de s'approcher d'une jeune femme, assise dans l'ombre qui coiffait ses cheveux mouillés de ses doigts.
" Vous êtes sûre que vous n'êtes pas du coin ? " Lança-t-il.
La femme leva ses yeux violets vers lui, la fatigue venait de la faire légèrement loucher et elle savourait le fait d'être assise confortablement. " Non, comme je vous le disais, je ne suis que de passage, je ne pense pas rester bien longtemps. "
En réalité, la jeune femme, vous l'avez déjà compris, c'était Hrist, Tueuse pour Xenair, le Général d'Oaxaca, Instructrice pour Omyre, appelée par les assassins Ombre Noire en raison de ses pouvoirs funestes. Ce brave marchand et son fils avaient accueilli sur leur chariot un véritable fléau vivant en pensant faire là une bonne action. L'humanité ma chère ! L'humanité c'est bien là ce qui nous différencie des monstres qui vivent non loin. Ah j'allais pas laisser une femme toute seule sur ces routes, il y traînes de ces fous peu recommandables... Avait-il terminé tout bas. Son fils, un jeune homme maigrichon si on le comparait à son père entassait du bois et des brindilles pour allumer un feu dans le cercle de pierre placé au milieu du cabanon.
" Et oui, l'humanité... " Répétait-il en sortant de sa besace quelques légumes, trois petites cailles décapitées et quelques morceaux de viande séchée emballés dans un linge gras. " Comme ces bonnes âmes qui ont laissé du bois sec à l'intérieur, tout le monde le laisse dehors mais il serait trempé. Hein fils, garde ça en tête !"
Son fils poussa un soupir amusé et envoya un caustique : " On a du bois dans le chariot, assez de quoi faire un feu Père, ça aurait suffit pour la nuit. "
" Ca pour sûr !" Tonna-t-il. " Tu as raison fils, on laissera quelques bûches pour le prochain bougre qui viendra ici transit de froid s'abriter de la pluie. "
Le fils gratta à plusieurs reprise le silex, les étincelles tombèrent sur les brindilles qui ne tardaient pas à fumer avant de prendre feu, une timide langue de flamme qui venait lécher les bûches avant que bientôt, la cabane soit totalement éclairée. Hrist n'était plus dans l'ombre, elle se redressait doucement, la lumière chassait sa torpeur et bien qu'elle s'affaissait de fatigue, son dos lui rappelait les efforts et les privations passées. Si elle était ici, avec deux hommes en train de se protéger de l'averse, ce n'était pas un hasard, elle en avait reçu l'ordre, et pas de n'importe qui. Edmond de la Maison Noire d'Omyre, une véritable petite saloperie qu'elle méprisait mais il avait le bras très long à Omyre et tenait en laisse de nombreux assassins et soldats qui pouvaient se montrer dangereux pour sa Caste et ses Murènes, Hrist ne voulait en aucun cas une guerre entre les Murènes et la Maison Noire, d'autant plus que cette dernière était appuyée par de nombreux Généraux pour l'effort de guerre qu'ils fournissaient, à savoir esclaves, armes, minerai, espionnage... Cette vermine lui avait donné une mission tordue, celle d'escorter un Garzok à Omyre pour y être traduit devant un tribunal exceptionnel, normalement on ne se souciait pas trop de ce genre de choses, on exécutait le coupable immédiatement sans rendre l'affaire publique, aussi Hrist se doutait qu'il devait bien s'agir de quelque chose d'exemplaire, d'exceptionnel même. Edmond avait ajouté qu'elle serait escortée d'un mercenaire qui ne lui était pas inconnu non plus. Ensuite il avait ordonné qu'elle se rende ici même, dans la vieille cabane sous le chêne centenaire et qu'elle attende la nuit tombée... Alors elle attendait. Pensive, silencieuse.
" Tenez, c'est comment déjà votre prénom ? Sasmiria ? Sasmira ? " dit-il en lui tendant une caille.
" Sasmira. "
" Ah, je m'en souvenais bien. C'est juste que c'est pas courant comme prénom par ce coin. Allez, épluchez donc ça, si chacun s'y met, ça ira plus vite. "
Le père s'appelait Turd et son fils Ralf, ils étaient penchés silencieusement à parer les légumes, retirant les cosses et raclant les impuretés de la lame de leur couteau de poche. Un outil fréquent chez les marchands, le couteau ouvragé, celui de Ralf était sobre, on devinait du bois de daim, blanc de bosselé. Celui de Turd était plus rustique, un bon bois de séquoia indestructible, mais ancien, il suffisait de regarder la lame noire et usée pour s'en apercevoir. Hrist tira elle aussi une lame, la moins ouvragée qu'elle avait mais qui portait le délicieux nom de " Tueuse de Mage " au manche en argent et onyx, une longue lame brillante et fine. Les deux hommes s'arrêtèrent de travailler et on pouvait lire à leur visage de nombreuses questions.
" Et bien, je n'ai pas vu une aussi belle lame depuis longtemps, on dirait la dague d'une Reine ! Regarde fils, regarde ! Comme elle brille, on a l'air de quoi nous, avec nos canifs ridicules. D'où vous sortez un trésor pareil ? "
" C'est vrai qu'elle fait plus dague que couteau, tu utilises ça tous les jours pour préparer ton souper ? " Demandait-il admiratif.
" Et bien, non, je n'ai pas de couteau sur moi, j'ai cette dague, elle me vient de mon père. Tu vois, les petites inscriptions sur la lame ? C'est une langue inconnue, de l'Angélique. C'est mon Père qui l'a inventée, il disait que pour écrire des mots d'amour à ma mère, il ne fallait pas employer la langue des hommes mais une langue unique, faite pour elle, en son honneur. Regarde là si tu veux. " Disait-elle en tendant la lame au Ralf qui s'empressa de la regarder sous toutes les coutures.
" Ton père a écrit une langue entière pour ta mère ? "
" Incroyable, il n'y a que les Elfes ou les Nains pour une telle prouesse. "
" Oui.. Mais toutes les histoires ne se terminent pas toujours bien. Elle dit Ni avec, ni sans toi. Cette lame, mon père y a mis une certaine somme, et lorsqu'elle fut enfin forgée et que mon père voulait la lui offrir, on apprit que ma mère était malade. Quelque chose de grave, alors quand elle est morte... "
" Je suis désolé ma fille... " Dit-il tout bas.
" Mon père n'a jamais supporté, il était fou d'avoir mis tant d'argent pour ça alors que ce qu'il avait de plus précieux, sournoisement, lui était enlevé par la maladie. Alors il a quitté le foyer, s'en est allé sur les routes pour se repentir. C'est pour ça que j'arpente moi aussi les sentiers et la poussières, pour lui dire de ne pas s'en vouloir, qu'il s'est infligé ça seul et que seul lui peut se guérir. Il m'a offert la lame avant de disparaître, il venait d'y faire graver ces mots en Angélique. "
Un silence se posa, après l'avoir admirée à son tour, Turd rendit la lame à Hrist avec un sourire plein de compassion.
" Elle est morte de quelle maladie ta mère ? " Risqua Ralf avant de prendre une grande tape sur l'arrière du crâne par son père qui le reprit immédiatement.
" Mais c'est pas possible d'être aussi con ! Ma parole, tu t'es vraiment décidé à me faire vomir ! Un peu de pudeur ! De la pudeur Crénom, tu t'entends des fois ? Rha je suis désolé ma fille, des fois je me demande qui lui a refilé ses manières de cochon, à force de fréquenter les tavernes ça ! "
Hrist prit la main du jeune homme dans la sienne et le rassura :
" Ne t'en fais pas, j'ai entendu bien pire. Mais parlons de choses plus joyeuses. Et mangeons, merci vraiment pour les vivres, ça me change du ragoût d'épeautre qu'on sert dans les tavernes. "
Ils mangèrent silencieusement. Le fracas de la pluie dissimulait les bruits de quenottes sur les os de caille qu'ils mangeaient avec les doigts dans la chaleur du feu devenue abrutissante. Ensuite, le ventre plein de fèves, carotte et de caille, ils s'étaient tous les trois adossés et grignotaient de la viande séchée. Un peu plus tard, Turd jouait de la flûte tandis que Ralf parlait à Hrist de ses rêves de devenir marchand comme son père.
" Tu sais, j'aime bien la vie sur les routes, on y rencontre des gens exceptionnels des fois, comme toi d'ailleurs, mais il y a aussi des risques, il y a les bandits, on entend souvent parler d'histoire de marchands tués sur les routes, ça fait froid dans le dos tu sais. Un jour, un ami de mon père, puisse-t-il reposer en paix, a cassé l'essieu de son chariot par un temps comme celui-ci, en plein chemin au milieu de la nuit ! Au matin il était retrouvé mort égorgé par des malandrins et son chariot dépouillé !"
" D'où l'envie d'avoir ta propre boutique ? Ne plus arpenter les routes... Rester dans ton chez-toi, avec ta famille ? "
" C'est ça, avoir les clients qui viennent te voir, ils viennent à toi, plus besoin d'aller à eux ! "
Ralf sursauta lorsque la porte s'ouvrit avec fracas, un homme encapuchonné entra sans attendre, il poussa du pied les affaires éparpillées ça et là. Turd failli bien se lever pour lui faire regretter son geste mais deux autres entrèrent immédiatement. Un homme vêtu d'une tenue de cuir, une épaisse veste trempée, un grand chapeau maintenait fermement un solide Garzok qu'il accompagna à terre pour l'allonger.
Ralf se plaça devant Hrist, armé de son canif prêt à la défendre mais son père, plus prudent sans doute, mis sa main sur la sienne et lui fit baisser la garde. Hrist n'était pas inquiète, elle avait reconnu les hommes et dans sa tête venait d'éclater une envie furieuse de meurtre... Edmond de la Maison Noire était l'homme encapuchonné, l'homme au chapeau et à la tenue de cuir qui jurait déjà elle le reconnu sans aucun mal, le Capitaine Von Klaash, en charge de la Caste des Murènes de Darhàm, elle n'en revenait pas du coup tordu d'Edmond qui lui mettait bien en avant sa domination en glissant un de ses bras droits comme simple " Mercenaire " quant à l'orque blessé qui était allongé au sol... Gram. Son ancien acolyte qui l'avait aidé à s'échapper il y a bien longtemps, ils étaient depuis le temps devenus amis, frères d'armes si on en croyait le terme de Gram. C'était donc lui, l'orque qu'il fallait juger à Omyre. Edmond avait choisi là deux êtres chers pour une mission d'escorte ingrate pour la torturer.
" Non de nom, enfin ! A cause de cette putain de pluie on a pris du retard, sans ce bouseux qui jouait du pipeau on aurait presque pu passer à côté de vous ! Ah foutre de foutre, une vraie douche ! "
" Vous êtes des bandits ? On a rien, tout est dans le chariot mais je vous en prie, ne nous faites pas de mal ! "
" Ils ne nous feront rien... Enfin, pas à moi, ça c'est sûr. " Dit-elle en avançant vers Gram, elle se pencha vers lui et observa. Il portait une armure de fer mais sous le rembourrage on distinguait de nombreuses tâches brunes, du sang. Il avait les yeux fatigués, le teint pâle et le front perlé de sueur.
" Je suis désolé Hrist... Ils l'ont torturé. Je dois le ramener à Omyre, c'est pour ça qu'on est là. "
Hrist passa doucement sa main sur le front de Gram, il était brûlant.
" Vous faites erreur ! Elle s'appelle Sas..."
" Je sais, je sais mon garçon, Sasmira, Silmeria, Selena ou encore Saperlipopette, c'est un faux nom qu'elle t'a donné. "
Turd baissa les yeux en répétant doucement " Hrist... " Comme si peu à peu, il réalisait qui il venait de rencontrer quelques heures plus tôt. Il se secoua la tête avant de la prendre dans ses mains, se voyant déjà vidé de tout espoir.
" Nous voilà au complet... Je suis sûr que vous êtes impatients de fêter vos retrouvailles temporaires, n'est-ce pas ? Hrist ? Von Klaash et notre traître Garzok. Il aura un peu de mal à marcher, mes hommes l'ont un peu interrogé. Mais dans ma grande bonté, il a gardé son armure ! Du panache ! De la grandeur ! " Clamait Edmond sur un ton presque cérémoniel. Derrière lui, Turd commençait à pleurer tandis que Ralf ne semblait toujours pas comprendre ce qui se passait.
" Tu parles, l'armure c'est surtout pour cacher que vous lui avez troué le ventre à ce pauvre gars... Et comme il est recherché par toutes les milices du coin, il fallait rester discret. On doit se présenter comme accompagnant d'un chevalier venu pour jouter... Je sais pas d'où il a sorti ça, mais jusqu'à présent ça marche, sauf qu'ils l'ont tellement torturé qu'il tient plus à cheval, on est vraiment arrivés au bon moment."
" Je ne suis là que pour m'assurer que personne ne manque à l'appel. Ah, et je suis désolé pour vos compagnons, mais je ne tolère aucun témoin. Débarrasse t'en. "
" Tu parles, tu voulais surtout pas rater ça, espèce de petite merde. Tu dois bien jubiler. "
Hrist quant à elle préféra se concentrer sur les témoins, elle n'éprouvait pas de remords, la Tueuse de Mage tirée hors du fourreau, elle approcha Ralf qui avait gardé son canif.
" Tu sais... J'ai peut-être un peu menti, je n'ai jamais vraiment connu mes parents alors cette belle histoire d'Angélique... C'était faux, mais je vais te donner la véritable version, regarde un peu. " D'un geste rapide, elle envoya sa lame dans le sternum de Ralf avant même qu'il ne puisse utiliser son canif.
Il poussa un grand hoquet de douleur et de stupéfaction, et fit tomber sa tête sur l'épaule de Hrist qui lui dit à l'oreille.
" Il y a trois inscription, la première c'est Boîte à viande, et si j'enfonce un peu, on arrive à Boîte à âme, parce que si je retire la lame maintenant, elle a provoqué tellement de dégâts en toi que l'âme est touchée et qu'elle a assez de place pour s'échapper de la plaie... Et tu veux savoir ce que dit la dernière inscription ? Boîte à Dieu..." Et elle enfonça la lame jusqu'à la garde. Ivre de rage et de désespoir, son père tenta de se jeter sur elle comme animé d'une force soudaine mais Von Klaash l'en empêcha, il lui envoya un coup de poing dans le ventre et lui saisit le col pour le mettre à terre, une fois là, il lui enfonça la tête dans le foyer et la retint en lui écrasant l'arrière du crâne avec sa botte. Turd cria pendant quelques secondes, gesticula tant que bientôt, la poussière se mêlait à l'odeur âcre et épaisse de la chair qui brûle. Ralf était mort, sa tête toujours sur son épaule, mais Hrist avait eu assez de cadavres entre les mains pour en reconnaître un. Lorsqu'ils se tournèrent, Edmond avait disparu. Ils se retrouvaient donc tous les trois, en silence autour des deux corps sans vie.
" Bon... Et bien, on prend la route maintenant ou bien on dort un peu ? "
La petite plume de la Mort.
Alors, j'ai établi ma couche dans les charniers,
Au milieu des cercueils,
Où la Mort Noire tient le registre des trophées qu'elle a conquis.