Les Fermes du Royaume de Darhàm

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Yuimen
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Les Fermes du Royaume de Darhàm

Message par Yuimen » lun. 16 juil. 2018 20:14

Les fermes du Royaume de Darhàm


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Malgré la propension du Royaume à s'enrichir par les pillages et la piraterie, il reste quelques agriculteurs fournissant un minimum de production à la région. Les fermiers sont répartis en petits hameaux pour lesquels les brigands et pillards sont une menace courante, sinon quotidienne. La culture de céréales est peu répandue, en particulier dans les coins encore plutôt boisés – et parce qu'un mouton, contrairement à un épi de blé, ça peut fuir avec son propriétaire en cas de danger. “Ferme” reste donc un nom assez loin de la réalité, pour des individus vivant parfois tout autant de la chasse ou de la cueillette que d'une exploitation organisée des terres.
La plus vaste communauté de fermiers se situe au sud de la ville, vivant principalement d'élevages, de vergers, de petits potagers et de pêche lorsqu'ils sont proches du fleuve. Une autre part importante s'est trouvé une place autour de l'ancienne prison de Darkhàm, préférant la proximité de la mer - et profitant de terres fertilisées par divers affrontements du temps où la prison était encore en activité.
Attention toutefois, car certaines fermes semblant encore habitées servent parfois de repaire à des groupes de mercenaires, et par ailleurs, les vrais agriculteurs eux-mêmes ne sont pas forcément contre l'attaque d'une caravane peu protégée qui passerait à côté de leur village.

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Silmeria
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Re: Les Fermes du Royaume de Darhàm

Message par Silmeria » jeu. 29 août 2019 00:42

Qui ici n'a jamais été mis en garde avant de s'aventurer en forêt ? Il est vrai que ces endroits majestueux abritent toute sorte de danger, le premier serait de s'y perdre et c'est bien le plus fréquent. Ensuite viennent les bêtes sauvages, qu'elles soient sous la forme d'un sanglier blessé qui décide de charger ou bien d'un nid de frelons ou encore du Royal canidé qui arpente seul ou en meute les bois et leurs orées. Il y a déjà fort longtemps, les paysans et bûcherons balisèrent les bords des forêts afin que l'on puisse s'y repérer même de façon rudimentaire. Dans certaines forêts on y construisit même des abris et des cabanons pour se protéger des vents et de la pluie. C'est là que notre histoire commence, dans une pitoyable baraque de bois humide pouvant contenir à peine cinq personnes. Elle était construite au pied d'un chêne centenaire et d'un cours d'eau, l'endroit idéal pour s'y arrêter le temps de reprendre des forces avant de continuer sa route puisqu'elle était en bordure de chemin.

Une véritable trombe d'eau tombait sans discontinuer depuis des heures, les nuages si lourds et menaçants avaient déjà depuis longtemps obscurcis le ciel mais à en juger l'obscurité profonde et compacte qui chassait la pénombre, la nuit venait de tomber. Hors de la cabane il y avait un chariot de marchand tiré par deux ânes et une large bâche protégeait ce que la remorque contenait. Tandis qu'à l'intérieur de la cabane...

" Alors ça, j'en reviens toujours pas. " Disait le solide marchand, les mains à la ceinture, le visage satisfait d'être à l'abris par un temps pareil. " Avoir trouvé cet endroit, c'était quand même un sacré coup de veine ! Mieux vaut rester au sec que d'faire la route par un temps de crotte pareil, et j'pèse mes mots. Il pleut tellement que j'ai cru voir deux poissons passer à côté de moi !" Il riait de bon coeur et envoya une grande tape sur le dos de son fils avant de s'approcher d'une jeune femme, assise dans l'ombre qui coiffait ses cheveux mouillés de ses doigts.
" Vous êtes sûre que vous n'êtes pas du coin ? " Lança-t-il.

La femme leva ses yeux violets vers lui, la fatigue venait de la faire légèrement loucher et elle savourait le fait d'être assise confortablement. " Non, comme je vous le disais, je ne suis que de passage, je ne pense pas rester bien longtemps. "

En réalité, la jeune femme, vous l'avez déjà compris, c'était Hrist, Tueuse pour Xenair, le Général d'Oaxaca, Instructrice pour Omyre, appelée par les assassins Ombre Noire en raison de ses pouvoirs funestes. Ce brave marchand et son fils avaient accueilli sur leur chariot un véritable fléau vivant en pensant faire là une bonne action. L'humanité ma chère ! L'humanité c'est bien là ce qui nous différencie des monstres qui vivent non loin. Ah j'allais pas laisser une femme toute seule sur ces routes, il y traînes de ces fous peu recommandables... Avait-il terminé tout bas. Son fils, un jeune homme maigrichon si on le comparait à son père entassait du bois et des brindilles pour allumer un feu dans le cercle de pierre placé au milieu du cabanon.
" Et oui, l'humanité... " Répétait-il en sortant de sa besace quelques légumes, trois petites cailles décapitées et quelques morceaux de viande séchée emballés dans un linge gras. " Comme ces bonnes âmes qui ont laissé du bois sec à l'intérieur, tout le monde le laisse dehors mais il serait trempé. Hein fils, garde ça en tête !"

Son fils poussa un soupir amusé et envoya un caustique : " On a du bois dans le chariot, assez de quoi faire un feu Père, ça aurait suffit pour la nuit. "
" Ca pour sûr !" Tonna-t-il. " Tu as raison fils, on laissera quelques bûches pour le prochain bougre qui viendra ici transit de froid s'abriter de la pluie. "

Le fils gratta à plusieurs reprise le silex, les étincelles tombèrent sur les brindilles qui ne tardaient pas à fumer avant de prendre feu, une timide langue de flamme qui venait lécher les bûches avant que bientôt, la cabane soit totalement éclairée. Hrist n'était plus dans l'ombre, elle se redressait doucement, la lumière chassait sa torpeur et bien qu'elle s'affaissait de fatigue, son dos lui rappelait les efforts et les privations passées. Si elle était ici, avec deux hommes en train de se protéger de l'averse, ce n'était pas un hasard, elle en avait reçu l'ordre, et pas de n'importe qui. Edmond de la Maison Noire d'Omyre, une véritable petite saloperie qu'elle méprisait mais il avait le bras très long à Omyre et tenait en laisse de nombreux assassins et soldats qui pouvaient se montrer dangereux pour sa Caste et ses Murènes, Hrist ne voulait en aucun cas une guerre entre les Murènes et la Maison Noire, d'autant plus que cette dernière était appuyée par de nombreux Généraux pour l'effort de guerre qu'ils fournissaient, à savoir esclaves, armes, minerai, espionnage... Cette vermine lui avait donné une mission tordue, celle d'escorter un Garzok à Omyre pour y être traduit devant un tribunal exceptionnel, normalement on ne se souciait pas trop de ce genre de choses, on exécutait le coupable immédiatement sans rendre l'affaire publique, aussi Hrist se doutait qu'il devait bien s'agir de quelque chose d'exemplaire, d'exceptionnel même. Edmond avait ajouté qu'elle serait escortée d'un mercenaire qui ne lui était pas inconnu non plus. Ensuite il avait ordonné qu'elle se rende ici même, dans la vieille cabane sous le chêne centenaire et qu'elle attende la nuit tombée... Alors elle attendait. Pensive, silencieuse.

" Tenez, c'est comment déjà votre prénom ? Sasmiria ? Sasmira ? " dit-il en lui tendant une caille.
" Sasmira. "
" Ah, je m'en souvenais bien. C'est juste que c'est pas courant comme prénom par ce coin. Allez, épluchez donc ça, si chacun s'y met, ça ira plus vite. "

Le père s'appelait Turd et son fils Ralf, ils étaient penchés silencieusement à parer les légumes, retirant les cosses et raclant les impuretés de la lame de leur couteau de poche. Un outil fréquent chez les marchands, le couteau ouvragé, celui de Ralf était sobre, on devinait du bois de daim, blanc de bosselé. Celui de Turd était plus rustique, un bon bois de séquoia indestructible, mais ancien, il suffisait de regarder la lame noire et usée pour s'en apercevoir. Hrist tira elle aussi une lame, la moins ouvragée qu'elle avait mais qui portait le délicieux nom de " Tueuse de Mage " au manche en argent et onyx, une longue lame brillante et fine. Les deux hommes s'arrêtèrent de travailler et on pouvait lire à leur visage de nombreuses questions.
" Et bien, je n'ai pas vu une aussi belle lame depuis longtemps, on dirait la dague d'une Reine ! Regarde fils, regarde ! Comme elle brille, on a l'air de quoi nous, avec nos canifs ridicules. D'où vous sortez un trésor pareil ? "
" C'est vrai qu'elle fait plus dague que couteau, tu utilises ça tous les jours pour préparer ton souper ? " Demandait-il admiratif.

" Et bien, non, je n'ai pas de couteau sur moi, j'ai cette dague, elle me vient de mon père. Tu vois, les petites inscriptions sur la lame ? C'est une langue inconnue, de l'Angélique. C'est mon Père qui l'a inventée, il disait que pour écrire des mots d'amour à ma mère, il ne fallait pas employer la langue des hommes mais une langue unique, faite pour elle, en son honneur. Regarde là si tu veux. " Disait-elle en tendant la lame au Ralf qui s'empressa de la regarder sous toutes les coutures.
" Ton père a écrit une langue entière pour ta mère ? "
" Incroyable, il n'y a que les Elfes ou les Nains pour une telle prouesse. "
" Oui.. Mais toutes les histoires ne se terminent pas toujours bien. Elle dit Ni avec, ni sans toi. Cette lame, mon père y a mis une certaine somme, et lorsqu'elle fut enfin forgée et que mon père voulait la lui offrir, on apprit que ma mère était malade. Quelque chose de grave, alors quand elle est morte... "
" Je suis désolé ma fille... " Dit-il tout bas.
" Mon père n'a jamais supporté, il était fou d'avoir mis tant d'argent pour ça alors que ce qu'il avait de plus précieux, sournoisement, lui était enlevé par la maladie. Alors il a quitté le foyer, s'en est allé sur les routes pour se repentir. C'est pour ça que j'arpente moi aussi les sentiers et la poussières, pour lui dire de ne pas s'en vouloir, qu'il s'est infligé ça seul et que seul lui peut se guérir. Il m'a offert la lame avant de disparaître, il venait d'y faire graver ces mots en Angélique. "

Un silence se posa, après l'avoir admirée à son tour, Turd rendit la lame à Hrist avec un sourire plein de compassion.
" Elle est morte de quelle maladie ta mère ? " Risqua Ralf avant de prendre une grande tape sur l'arrière du crâne par son père qui le reprit immédiatement.
" Mais c'est pas possible d'être aussi con ! Ma parole, tu t'es vraiment décidé à me faire vomir ! Un peu de pudeur ! De la pudeur Crénom, tu t'entends des fois ? Rha je suis désolé ma fille, des fois je me demande qui lui a refilé ses manières de cochon, à force de fréquenter les tavernes ça ! "

Hrist prit la main du jeune homme dans la sienne et le rassura :
" Ne t'en fais pas, j'ai entendu bien pire. Mais parlons de choses plus joyeuses. Et mangeons, merci vraiment pour les vivres, ça me change du ragoût d'épeautre qu'on sert dans les tavernes. "

Ils mangèrent silencieusement. Le fracas de la pluie dissimulait les bruits de quenottes sur les os de caille qu'ils mangeaient avec les doigts dans la chaleur du feu devenue abrutissante. Ensuite, le ventre plein de fèves, carotte et de caille, ils s'étaient tous les trois adossés et grignotaient de la viande séchée. Un peu plus tard, Turd jouait de la flûte tandis que Ralf parlait à Hrist de ses rêves de devenir marchand comme son père.
" Tu sais, j'aime bien la vie sur les routes, on y rencontre des gens exceptionnels des fois, comme toi d'ailleurs, mais il y a aussi des risques, il y a les bandits, on entend souvent parler d'histoire de marchands tués sur les routes, ça fait froid dans le dos tu sais. Un jour, un ami de mon père, puisse-t-il reposer en paix, a cassé l'essieu de son chariot par un temps comme celui-ci, en plein chemin au milieu de la nuit ! Au matin il était retrouvé mort égorgé par des malandrins et son chariot dépouillé !"
" D'où l'envie d'avoir ta propre boutique ? Ne plus arpenter les routes... Rester dans ton chez-toi, avec ta famille ? "
" C'est ça, avoir les clients qui viennent te voir, ils viennent à toi, plus besoin d'aller à eux ! "

Ralf sursauta lorsque la porte s'ouvrit avec fracas, un homme encapuchonné entra sans attendre, il poussa du pied les affaires éparpillées ça et là. Turd failli bien se lever pour lui faire regretter son geste mais deux autres entrèrent immédiatement. Un homme vêtu d'une tenue de cuir, une épaisse veste trempée, un grand chapeau maintenait fermement un solide Garzok qu'il accompagna à terre pour l'allonger.

Ralf se plaça devant Hrist, armé de son canif prêt à la défendre mais son père, plus prudent sans doute, mis sa main sur la sienne et lui fit baisser la garde. Hrist n'était pas inquiète, elle avait reconnu les hommes et dans sa tête venait d'éclater une envie furieuse de meurtre... Edmond de la Maison Noire était l'homme encapuchonné, l'homme au chapeau et à la tenue de cuir qui jurait déjà elle le reconnu sans aucun mal, le Capitaine Von Klaash, en charge de la Caste des Murènes de Darhàm, elle n'en revenait pas du coup tordu d'Edmond qui lui mettait bien en avant sa domination en glissant un de ses bras droits comme simple " Mercenaire " quant à l'orque blessé qui était allongé au sol... Gram. Son ancien acolyte qui l'avait aidé à s'échapper il y a bien longtemps, ils étaient depuis le temps devenus amis, frères d'armes si on en croyait le terme de Gram. C'était donc lui, l'orque qu'il fallait juger à Omyre. Edmond avait choisi là deux êtres chers pour une mission d'escorte ingrate pour la torturer.

" Non de nom, enfin ! A cause de cette putain de pluie on a pris du retard, sans ce bouseux qui jouait du pipeau on aurait presque pu passer à côté de vous ! Ah foutre de foutre, une vraie douche ! "
" Vous êtes des bandits ? On a rien, tout est dans le chariot mais je vous en prie, ne nous faites pas de mal ! "
" Ils ne nous feront rien... Enfin, pas à moi, ça c'est sûr. " Dit-elle en avançant vers Gram, elle se pencha vers lui et observa. Il portait une armure de fer mais sous le rembourrage on distinguait de nombreuses tâches brunes, du sang. Il avait les yeux fatigués, le teint pâle et le front perlé de sueur.
" Je suis désolé Hrist... Ils l'ont torturé. Je dois le ramener à Omyre, c'est pour ça qu'on est là. "

Hrist passa doucement sa main sur le front de Gram, il était brûlant.
" Vous faites erreur ! Elle s'appelle Sas..."
" Je sais, je sais mon garçon, Sasmira, Silmeria, Selena ou encore Saperlipopette, c'est un faux nom qu'elle t'a donné. "

Turd baissa les yeux en répétant doucement " Hrist... " Comme si peu à peu, il réalisait qui il venait de rencontrer quelques heures plus tôt. Il se secoua la tête avant de la prendre dans ses mains, se voyant déjà vidé de tout espoir.
" Nous voilà au complet... Je suis sûr que vous êtes impatients de fêter vos retrouvailles temporaires, n'est-ce pas ? Hrist ? Von Klaash et notre traître Garzok. Il aura un peu de mal à marcher, mes hommes l'ont un peu interrogé. Mais dans ma grande bonté, il a gardé son armure ! Du panache ! De la grandeur ! " Clamait Edmond sur un ton presque cérémoniel. Derrière lui, Turd commençait à pleurer tandis que Ralf ne semblait toujours pas comprendre ce qui se passait.
" Tu parles, l'armure c'est surtout pour cacher que vous lui avez troué le ventre à ce pauvre gars... Et comme il est recherché par toutes les milices du coin, il fallait rester discret. On doit se présenter comme accompagnant d'un chevalier venu pour jouter... Je sais pas d'où il a sorti ça, mais jusqu'à présent ça marche, sauf qu'ils l'ont tellement torturé qu'il tient plus à cheval, on est vraiment arrivés au bon moment."

" Je ne suis là que pour m'assurer que personne ne manque à l'appel. Ah, et je suis désolé pour vos compagnons, mais je ne tolère aucun témoin. Débarrasse t'en. "
" Tu parles, tu voulais surtout pas rater ça, espèce de petite merde. Tu dois bien jubiler. "

Hrist quant à elle préféra se concentrer sur les témoins, elle n'éprouvait pas de remords, la Tueuse de Mage tirée hors du fourreau, elle approcha Ralf qui avait gardé son canif.
" Tu sais... J'ai peut-être un peu menti, je n'ai jamais vraiment connu mes parents alors cette belle histoire d'Angélique... C'était faux, mais je vais te donner la véritable version, regarde un peu. " D'un geste rapide, elle envoya sa lame dans le sternum de Ralf avant même qu'il ne puisse utiliser son canif.

Il poussa un grand hoquet de douleur et de stupéfaction, et fit tomber sa tête sur l'épaule de Hrist qui lui dit à l'oreille.
" Il y a trois inscription, la première c'est Boîte à viande, et si j'enfonce un peu, on arrive à Boîte à âme, parce que si je retire la lame maintenant, elle a provoqué tellement de dégâts en toi que l'âme est touchée et qu'elle a assez de place pour s'échapper de la plaie... Et tu veux savoir ce que dit la dernière inscription ? Boîte à Dieu..." Et elle enfonça la lame jusqu'à la garde. Ivre de rage et de désespoir, son père tenta de se jeter sur elle comme animé d'une force soudaine mais Von Klaash l'en empêcha, il lui envoya un coup de poing dans le ventre et lui saisit le col pour le mettre à terre, une fois là, il lui enfonça la tête dans le foyer et la retint en lui écrasant l'arrière du crâne avec sa botte. Turd cria pendant quelques secondes, gesticula tant que bientôt, la poussière se mêlait à l'odeur âcre et épaisse de la chair qui brûle. Ralf était mort, sa tête toujours sur son épaule, mais Hrist avait eu assez de cadavres entre les mains pour en reconnaître un. Lorsqu'ils se tournèrent, Edmond avait disparu. Ils se retrouvaient donc tous les trois, en silence autour des deux corps sans vie.

" Bon... Et bien, on prend la route maintenant ou bien on dort un peu ? "
La petite plume de la Mort.

Alors, j'ai établi ma couche dans les charniers,
Au milieu des cercueils,
Où la Mort Noire tient le registre des trophées qu'elle a conquis.


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Silmeria
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Re: Les Fermes du Royaume de Darhàm

Message par Silmeria » lun. 9 sept. 2019 19:19

Le feu mourait lentement, Hrist observait les braises faiblir et la noirceur s'installer. Allongé à côté d'elle dormait profondément Von Klaash, il remuait de temps à autre dans l'atmosphère chargée de ses relents. Lorsque la chaleur se faisait trop faible, Hrist glissa une nouvelle bûche sur le lit de braise et la regarda doucement fumer avant de faire apparaître de longues flammes jaunes qui venaient lécher le bois en dégageant une douce lumière, la chaleur ne tardait pas à faire fumer ses vêtements, elle qui avait extirpé les cadavres hors de la cahute pour les dissimuler sous les fougères à l'extérieur. La pluie avait détrempé sa tenue mais elle cacherait aussi les traces et sous un tel temps de chien, personne n'aurait envie de s'attarder à fouiner dans le coin.

Perdue dans ses songes, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil, elle fixait les flammes et se remémorait le passé, comment avec Gram elle avait pu échapper aux chasseurs d'Orques à Lehber, comment il l'avait conduite jusqu'à Xenair pour la première fois et leur vengeance face aux hommes de Kendra Kâr, comment ils avaient pu orchestrer la capture de leur commandant et le jeu vicieux de la torture qui s'en suivit... C'était de vieux souvenirs qu'on se remémorait les soirs de nostalgie, comme un vieux livre couvert de poussière qu'on aime feuilleter de temps à autre parce que l'on souvient combien la première lecture était agréable. C'était une autre époque.

Hrist caressait machinalement la pointe de sa lame, comme à chaque fois qu'elle restait rêveuse, elle n'entendit pas le premier hoquet de Gram. Le second en revanche, elle l'entendit, c'était le même bruit que faisait certaines personnes lorsqu'elles se faisaient poignarder, un mélange de souffle et de soupir interrompu par une douleur si vive qu'elle arrête le corps le temps d'un instant, comme si tous les nerfs se mettaient d'accord sur ce qui venait de se passer avant de savoir comment réagir. Gram cracha une gerbe de sang, il n'en fallait pas plus pour alarmer immédiatement la femme qui s'approcha de lui, essayant de mieux distinguer ce qui se passait dans la pénombre. Il était allongé sur le dos, toujours enveloppé dans une armure épaisse, ses traits étaient crispés et il tentait de tousser, à son front, la sueur perlait et coulait. Le tour de cou de tissus qui séparait sa peau et le métal de l'armure quant à lui était trempé de sueur et de sang.

" Merde. Von Klaash, lève toi et aide moi. " Elle essuyait du bout des doigts le sang qui coulait de sa bouche et caressa doucement son front de sa main. " Il est brûlant. Lève-toi ! " Avait-elle criée, sa voix dérivant dans les aiguë trahissait une inquiétude grandissante pour son compagnon d'arme.

" Je crois, je crois qu'il ne peut pas respirer. L'armure l'écrase, il faut la retirer." Alors qu'elle s'apprêtait à utiliser la lame pour couper les sangles de cuir sur le côté afin de séparer les deux pièces de métal qui écrasait sa poitrine de Garzok, Von Klaash lui retint la main et dit tout bas :
" Attend, si tu fais ça on ne pourra plus lui enfiler l'armure et je te rappelle qu'il est recherché ! Sa tête est mise à prix par les milices."
" C'est des conneries ! On doit le ramener à Omyre rien que ça serait suffisant pour nous octroyer de quoi le laisser passer. "
" Edmond est complètement tordu je te signale ! Il l'a fait mettre à prix partout, tu ne croyais quand même pas qu'il allait nous faciliter la tâche. Ecoute moi bien ma petite, je sais que ça n'a aucun sens de nous filer une mission d'la sorte pour ensuite essayer de nous carrer son os jusqu'au trognon mais... "

Hrist n'écoutait plus, la lame avait tranché les lanières de cuir et elle s'empressa de desserrer l'armure.
"... Explique moi comment on va le balader maintenant que tout le putain de monde voit que c'est un putain d'Garzok ! Merde mais c'est pas Dieu possible des bonnes femmes pareil ! "

Gram poussa un long soupir et cracha de nombreux glaires de sang noir à mesure qu'il toussait et reprenait peu à peu son souffle, l'air semblait lui brûler les poumons et la gorge, Hrist quant à elle, observait pétrifiée l'étendue des dégâts gravés à jamais sur son poitrail. La tunique blanche qui séparait l'armure du corps était brune de sang et les énormes points noir marquaient l'emplacement des blessures, et la tunique en était parsemée.

Hrist ouvrit les paupières de Gram, toujours inconscient, il n'avait pas prononcé un seul mot depuis que Von Klaash l'avait déposé et Hrist commençait à s'inquiéter à mesure qu'elle observait l'étendue des dégâts. Ses yeux étaient injectés de sang et sa pupille ne réagissait pas à la lueur des flammes. Il était sombré dans une profonde inconscience certainement engendrée par les blessures non soignées.

" On le glissera sur la charrette des marchands, tu m'étonnes qu'il ne puisse pas monter à cheval, c'est incompréhensible qu'il soit encore en vie." Disait-elle en ouvrant la tunique de lin avec délicatesse, comme si elle découvrait le corps de son amant.
" C'est une force de la nature, un vrai roc... " Disait-il tout bas.

" La roche ne saigne pas... " Pesta Hrist en voyant peu à peu la profondeur des blessures. Il y avait de profondes entailles en travers des côtes, la peau portait les stigmates de blessures antérieures et on pouvait constater que le bourreau s'était amusé à rouvrir les anciennes blessures de guerre, on avait joué de la lame, du tison et des pinces sur son corps, et bien qu'il avait résisté par le passé à de nombreuses entailles, il se trouvait tellement affaibli que maintenant, il n'était plus que l'ombre de lui même, on n'aurait jamais deviné en le voyant ainsi étendu qu'il s'agissait là d'un guerrier Garzok de renom dont on dit qu'il avait interrompu à lui tout seul une charge de fantassins à grand renfort de hache de guerre. Aujourd'hui, il agonisait dans une cabane perdue dans les bois sous une pluie diluvienne. Le teint livide et terriblement faible, il ne pouvait presque plus trouver la force de gémir.

" Von Klaash, approche moi une flamme, je veux voir ça de plus près. Regarde, sous le sternum, qu'est ce que c'est ? "

Bien que la plupart des entailles n'était pas lavées et proche de s'infecter d'avoir passé si longtemps non soigné et enfermé dans une armure, Hrist remarquait une boule noire sous la peau, cela ne ressemblait à une infection ni à une poche de pus, c'était comme si le bourreau avait intentionnellement oublié quelque chose dans son corps.

Le Capitaine approcha une branche enflammée et l'approcha assez près pour que Hrist puisse enquêter, après avoir tâté du bout du doigt sans reconnaître la cause de cette boule, Hrist décida d'entailler, de toutes façons, il n'était plus à ça près... Elle coupa de façon nette, l'odeur de la sueur et de l'infection en cours était presque insoutenable, mais ce que renfermait cet étrange tératome restait pour elle une énigme. Du bout de la lame, elle parvint à en retirer quelques feuilles noircies et gluantes.
" Une feuille ? Non, une plante, aquatique à en juger les nervures, on ne voit pas de tige, tout est couvert de membrane... Je ne la reconnais pas celle-ci, ça te dit quelque chose toi ? "
Il secoua la tête, approchant un peu plus la flamme pour permettre à Hrist de nettoyer plus facilement la blessure.

Hrist avait d'excellentes connaissances en matière d'herboristerie mais cette plante ou algue ne lui évoquait rien à l'instant, mais l'odeur doucereuse que l'on devinait sous l'âcreté de la moisissure laissait entendre que c'était proche d'un opiacé. Odeur qu'elle avait connu dans les hospices de guerre, le genre de parfum entêtant et acide qui laissait un souvenir très particulier. " Ils ont laissé ça... Je ne sais pas encore de quoi il s'agit mais ça a infusé dans son corps, sans doute assez longtemps pour le mettre mal, il pouvait marcher lorsque tu n'as vu la première fois ? "

Von Klaash se releva et dit tout amèrement :
" Je... Il semblait fatigué et ne disait rien, mais il marchait ça pour sûr. Il tenait à cheval et on a fait une bonne distance... "

Hrist observait la lame brillante dans la noirceur, le sang brun restait maculer le fil d'argent, il lui prenait une envie de lui lever le bras gauche et d'enfoncer la lame dans l'aisselle pour qu'elle aille mordre le coeur, la fameuse Boîte à Dieu qui l'enverrait trouver la paix. Elle haïssait cette idée de devoir le trimbaler comme un vulgaire gibier de potence jusqu'à sa destination finale; lui était son ami, son compagnon d'arme. Était-ce là le prix à payer pour éviter une guerre entre Edmond et les Murènes ? Est-ce que ça en valait la peine ? Si elle avait réussi à tuer Edmond de la maison noire lors de la première tentative, tout serait différent mais celui-ci avait trop de contacts qui tenaient encore à lui, il avait les doigts dans de nombreuses sales petites affaires et les yeux dans trop de choses compromettantes pour de nombreuses personnes qui ne pouvaient pas se payer le luxe de faire autrement que de suivre sa volonté, il tenait beaucoup de monde à la gorge et Hrist était une de ces personnes... Elle le savait et voulait ardemment trouver une solution pour rester de nouveau libre, libre de faire ce qu'elle voulait et libre surtout de ne pas mettre ses Murènes en danger.

" Le tuer ici serait la meilleure chose à faire... Mais on paierait ça tellement cher. On devrait le conduire à la Morne Plaine, j'ai envoyé Lydia se charger du développement des Murènes à Darhàm, elle pourra nous aider, on n'ira pas à Omyre avec lui dans cet état, mais à Darhàm, c'est plus probable... "

" Et s'il meurt en chemin et qu'on échoue à le conduire à Omyre ? " Sa voix tonna comme un avertissement, lourd de conséquences, le ton de sa voix était étonnamment las et grave.
" Et bien, j'imagine qu'on se fera un petit combat à mort, rien que toi et moi, le gagnant remporte le navire et en profite pour partir, loin et vite de préférence. "
La petite plume de la Mort.

Alors, j'ai établi ma couche dans les charniers,
Au milieu des cercueils,
Où la Mort Noire tient le registre des trophées qu'elle a conquis.


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