(((Dans les épisodes précédents...:
1:
Haple est bannie d'Anorfain pour avoir, sous le coup de la colère, tué sa mère à l'enterrement de son père et se retrouve à l'Est des Duchés..
2: Ses compagnons de voyage pensent que son arrivée dans le duché des montagnes la place en grand danger, et que certaines personnes sont à sa recherche.
3 et 4: Haple, en chemin vers Beauclair, recontre un voyageur inquiétant, M. Pulchinel, qui la conduit dans une embuscade menée par deux puissantes magiciennes , les Soeurs
Nétone et
Nacota (
PNJ). Celles-ci capturent l'adolescente et lui font perdre connaissance en l'intoxiquant à la Douce Féérie.
5 : Haple se réveille au Couvent des Soeurs du Saint Livre avec un mal de crâne carabiné et aucun souvenir de comment elle est arrivé là: Quid des évènements à Beauclair! La Soeur Nétone lui révèle que Nacota et elle croient avoir découvert en l'adolescente une "Elue" et qu'elle l'ont conduite au couvent pour sa protection. Leur suspectant des intentions plus sombres, Haple prend la décision audacieuse de joindre les rangs des religieuses pour les espionner.
6 et 7: Haple découvre que les Soeurs Nétone et Nacota l'ont bel et bien enlevée contre son gré et qu'elles mènent des expériences suspectes à l'insu de leur soeur aînée, la Révérende-Mère
Ninïoton (
PNJ). Elle convainc donc celle-ci (dans l'ignorance) de l'envoyer en mission loin de sa protection, à l'extérieur du Couvent, où elle espère que ces dernières se révèleront au grand jour. C'est ainsi que Haple rejoint le rang des Collecteuses, ces Soeurs qui sillonent le monde à la recherche de commodités utiles au Couvent.
8: Aux côtés de la la Soeur
Hermance (
PNJ), Haple revient victorieuse de sa première mission à plusieurs égards. D'une part, elle troc les ressources rapportées contre des herbes toxiques... qu'elle projète d'utiliser contre ses ennemies. D'autre part, après une scène traumatisante mêlant Eros et Thanatos au travers d'un combat contre M.Pulchinel lubrique et une harpie sadique, Haple découvre que les expériences des Soeurs Nétone et Nacota ont couté la vie à de nombreux enfants enlevés par leurs soins et retrouvés malmenés par les éléments. Sera-t-elle la prochaine?
)))
Les élus courent les rues.
Poussiéreuses. Ampoulées. Endolories… L’elfe blanche contemplait ses mains malmenées par les travaux de rénovation. Elle s’était levée aux aurores pour qu’on ne la vît pas plier aux attentes de ses consœurs. Peine perdue … elle le savait : aussitôt celles-ci (
Vieilles peaux !) auraient-elles remarqué que le mur de l’écurie était réparé sauraient-elles que leur plus jeune recrue avait enfin cédé à leurs pressions incessantes. Certes, c’est elle qui l’avait endommagé lors de son combat avec Hermance... (
Certes…) Mais n’empêche que… (
voilà quoi…)
De mauvaise foi, elle l’était certainement. De mauvaise humeur, elle allait le devenir, songea-t-elle en apercevant l’humaine en question approcher. Voilà deux heures qu’elle besognait dans le calme et son ancienne tortionnaire devenue… (
moins tortionnaire ?) … presque aussi complice qu’un Bouloum enamouré (
presque) l’interpella bruyamment :
-
Je savais que je vous trouverais ici, Sœur Haple. Alors vous avez fini par faire ce qu’on vous dit ? la chambra-t-elle gentiment.
Pour toute réponse, Haple détourna son regard de la nouvelle arrivante pour le porter sur la tâche qui lui restait à accomplir. Elle avait débarrassé les alentours des débris et replacé les rondins qui n’avaient pas trop bougé. D’autres, en revanche, s’étaient déchaussés du mur et gisaient au sol là où ils étaient tombés. Comment la structure tenait-elle encore malgré le mur ainsi fragilisé ? Elle n’était pas architecte. Ni une charpentière musculeuse… Trop lourds, ils avaient arrêté Haple dans sa besogne clandestine.
-
Un coup de main ? lui offrit la montagnarde.
-
Vraiment ? s’étonna l’elfe.
Hermance secoua la tête avec amusement.
-
Vraiment. Et quand je t’ai dit à la mine que je te prêterai mes services jusqu’à ce que ma dette soit payée, je le pensais… « vraiment ».
Haple commençait à y croire. Elle réfléchit un instant et lui renvoya son tutoiement avec une boutade qui dissimulait une question importante à ses yeux :
-
Et cette « dette » que tu me dois ne saurait se limiter à de quelconques tâches manuelles… ?
-
Allez, attrape ce bout, l’invita-t-elle avec amusement en se plaçant à l’extrémité opposée du rondin le plus accessible.
Au prix de longs et pénibles efforts, les deux religieuses-aux-manches-retroussées remontèrent le mur (
maudit) bout d’ bois après (
maudit) bout d’ bois ! Lorsqu’enfin elles sentirent le dernier trouver son point d’ancrage, un sentiment de victoire les gagna toutes deux. De soulagement partagé aussi, songea Haple en observant la brune s’éponger le front d’un revers de main terreuse. C’est alors que celle-ci fit un pas en arrière pour mieux contempler leur œuvre et… bascula de travers.
Haple n’eut pas le temps de se contrôler. Avant qu’elle ne puisse reprendre son geste, elle avait lui avait tendu la main pour tenter de la rattraper. Instinctivement. Sans raison. Alors qu’il était tellement plus satisfaisant de la voir s’étaler de tout son long. Cette camaraderie monacale commençait à affecter son individualisme farouche. Il faudrait y faire attention… Et a propos de faire attention, l’humaine avait aussi à y gagner :
-
Qu’est-ce que… ?! maugréa la distraite avec une grimace vers ses pieds.
-
Tu as trébuché sur une faille dans le sol… Creusée par la chute des rondins.
La suite de sa réponse l’elfe l’avait ajoutée d’une voix distraite. Car une idée saugrenue avait fait irruption dans sa tête. (
Une faille terrestre…) La curieuse géomancienne en elle se demandait si elle ne pouvait pas trouver un moyen de déformer ainsi le sol à sa guise. Faire trébucher un adversaire en combat pourrait s’avérer utile pour le mettre à mal. Ou … plus probablement pour le retarder pendant qu’elle s’enfuit. (
Un point de détail). Haple se voyait déjà ouvrir le sol en deux et y précipiter une foule de doyennes aussi poussiéreuses et ennuyeuses que les livres qu’elles chérissaient tant !
Cette vision enchanteresse s’évapora soudainement. Non pas que Hermance l’interrompit, trop préoccupée qu’elle était encore à maudire Yuimen, mais Haple détecta un mouvement au loin. (
Là !) Entre les arbres. Juste derrière la lisière du bois, à cent mètres d’elles. Deux silhouettes ô combien familières : l’une, petite et ronde, ne pouvait être que la Sœur Nétone et l’autre, élancée et plus sombre que l’ombre du sous-bois, trahissait sa sœur biologique, Nacota, marchant à ses côtés… dans le secret le plus manifeste. Il ne lui en fallut pas plus.
Poussant Hermance contre le mur d’un mouvement aussi souple que discret, elle lui intima de rester dans l’ombre de l’écurie et de se taire. L’autre, interloquée, la questionna du regard. D’un geste de la tête Haple lui répondit : l’humaine, chasseuse aguerrie, repéra immédiatement le gibier qui avait retenu l’attention de sa voisine aux noires idées.
-
Haple… Haple, reprit-elle en chuchotant à l’insistance de son interlocutrice,
je sais que tu crois que…
-
Je ne t’ai rien demandé, la coupa sec l’adolescente revêche.
-
Mais… on n’est pas sûres que…
-
Justement… reste ici si ça te chante.
Haple avait coupé court à cette conversation stérile qu’elles avaient déjà eu sur le chemin du retour de la mine. Hermance n’arrivait pas à croire que sa révérée Sœur Nacota avait pu employer ce déviant de Pulchinel, a fortiori pour « escorter » des enfants. La victime d’enlèvement qu’elle avait été n’avait pas jugé prudent de lui transmettre les informations incriminantes que celui-ci lui avait confié sur son lit de mort. L’inébranlable respect de Hermance pour ces sœurs de malheur la confortait dans sa décision : le visage agité de Hermance donnait tout l’air d’être aux prises avec un dilemme de loyautés contradictoires… Peu lui importait. Et elle n’avait pas le temps d’attendre que l’humaine se décide.
Le moment opportun était venu et elle le saisit : sans un regard en arrière, elle s’élança à découvert. Les deux cibles de sa curiosité étaient passées derrière les gradins de pierre et ceux-ci la cacheraient à leurs yeux tandis qu’elle traverserait le pré herbeux qui l’en séparait. D’un pas rapide et silencieux, elle avala la distance avant que ses esprits ne la rattrapent. Que feraient les deux magiciennes, si elles l’apercevaient en train de les espionner ?! (
Rien… pas devant témoin en tout cas) Mais l’espionne improvisée ne souhaitait pas en arriver là car cela aurait signifié la fin de son enquête. Elle ralentit donc le pas en s’approchant des gradins pour maitriser son souffle.
C’est alors qu’elle fût rattrapée par… son odeur ! (
…) La puberté ne lui faisait pas de cadeau. Et ça n’allait pas en s’améliorant. A défaut de l’entendre s’approcher, les Sœurs risquaient de sentir son délicat fumet de pâté de canard à l’ail – une spécialité ducale qui convenait mieux aux papilles gustatives qu’à leurs homologues olfactives… Que n’aurait-elle pas pétrifié ses aisselles !... Heureusement, songea l’elfe aux traitresses hormones, le vent du matin soufflait des sommets vers la vallée en survolant le bois puis les gradins jusqu’au couvent. Elle était donc en aval et son honneur aussi bien que sa discrétion resteraient intacts.
Intimant à son cœur de faire silence dans sa poitrine, elle tendit une oreille pointue vers les arbres tandis qu’elle montait les marches en pierre. (
Pas encore) Elle grimpa encore quelques marches puis longea une rangée pour se rapprocher du bord vers lequel les deux humaines s’étaient dirigées. Elles y étaient ! Son ouïe elfique perçut enfin leur trace sonore, bien que faible et déformée par la distance et l’obstacle que constituait l’angle des gradins.
-
…naissance …culeuse…
Elle s’allongea à plat ventre et se rapprocha aussi proche du bord que son courage le lui permit.
-
…miracles…. Aussi… quelques… ténébreux.
De cette hauteur, elle serait difficile à apercevoir si jamais les humaines regardaient dans sa direction, se rassura-t-elle. Et elle avança encore d’un mètre.
-
Et tu y crois toi ?
C’était la sinistre Nacota qui avait posé la question.
-
Que son frère soit celui dont la prophétie annonce la venue… c’est une hypothèse comme une autre, répondit Nétone de sa voix monocorde avant de poursuivre son raisonnement.
On peut raisonnablement supposer qu’elle ne ment pas sur les aptitudes fluidiques du petit. On s’en apercevrait aussitôt ; ce serait stupide.
-
Ce qu’elle n’est pas, en effet. Tu penses qu’elle est au courant de l’objet de notre quête… ?
-
Non, je pense qu’elle cherche juste des renseignements sur le destin auquel l’appelle ses fluides d’ombre auprès de spécialistes du Livre. Ce ne serait pas la première fois.
-
Mais tu penses tout de même qu’il pourrait être l’élu ?
-
Il a l’âge attendu.
-
Tout comme l’elfe, répliqua Nacota avec une amertume qui transparaissait jusqu’aux oreilles lointaines de l’intéressée.
Son cœur manqua un battement.
-
Tout comme l’elfe, confirma la géomancienne.
Il reste encore à la tester.
-
D’une pierre de coups… ? hasarda avidement sa sœur.
-
Non. Je ne veux pas d’interférence.
La réponse était plate mais sans appel.
-
Néné ! s’impatienta l’autre...
C’est ton domaine mais il faudra bien un jour que…
-
C’est mon domaine, en effet, coupa court la benjamine avant de réitérer et d’ajouter, imperturbable :
je ne veux pas d’interférence, ni de violence.
Haple peupla le silence qui suivit d’une image mentale de la cadette faisant une moue déçue…
-
Ça fausserait les résultats.
(
Bah voilà). Ce cynisme sinistre était en cohérence avec le personnage qu’elle avait appris à connaître en l’« observant », c’est-à-dire plus souvent que non en l’espionnant.
-
A ta guise, concéda Nacota d’une voix tendue.
Occupe-toi de la fille et je m’occupe de faire autoriser le convoi par Nini. On ne peut pas faire attendre la vicomtesse. Avec ses ressources et son influence, elle peut nous être utile de plus d’une manière.
-
Comment comptes-tu vendre l’idée à Nini ?
-
En lui suggérant que c’est pour… une mission de collecte… qu’elle peut nous coller une collecteuse entre les pattes si ça lui chante. Comme si on en avait besoin, précisa-t-elle avec un dédain qui sembla passer au-dessus de la tête de sa sœur, toujours aussi pragmatique.
Sœur Hermance, par exemple. Elle m’a à la bonne.
-
Ça peut marcher.
-
Ça marchera. Tu partiras demain. Rentrons. Je dois encore répondre à sa missive.
Haple manqua de sursauter lorsque des bruits de pas étouffés lui indiquèrent que l’une des intrigantes s’était remise en mouvement.
-
Nana.
L’autre s’arrêta net, à la limite du champ de vision de l’espionne, laissant à celle-ci le soin de se reculer silencieusement pour rester hors de vue.
-
Je n’aurai pas le temps d’ici demain de tester Sœur Haple, informa la géomancienne d’une voix neutre et dépassionnée.
« Sœur Haple » ne put réprimer un sourire amusé malgré les circonstances. Elle imaginait très bien le profond agacement que devait susciter ce style de communication prosaïque, certes factuel mais ô combien frustrant pour une exaltée comme Nacota. Pour toute réponse, elle n’entendit qu’un furieux froissement de tissu qui s’éloignait. Suivi du rythme régulier de pas qui partaient dans la direction du couvent. Suivi… d’un silence peuplé du gazouillis des passereaux qui reprenaient leurs droits dans le bois voisin. Et d’une pensée dans sa tête aussi :
(
J’en serai de cette excursion !)
>>>Suite : 2/14