Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

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Yuimen
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Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Yuimen » ven. 29 déc. 2017 12:47

Couvent des Sœurs du Saint Livre.
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Le couvent des Sœurs du Saint Livre est un lieu de réclusion volontaire, ouvert aux femmes de tout rang et de tout passé (en hommage aux Seshats). On y adore les écrits de Zewen et des Seshats tandis que les sœurs dédient leur vie à la contemplation et à l'étude du grand œuvre.

Les ecclésiastiques, qui font vœu de vivre de ce que leur offre le destin, pratiquent l'ascèse et vivent en quasi-autarcie. Elles prient ensemble au lever et au coucher, dans la petite chapelle où la mère du couvent dispense des sermons. Elles cultivent également la terre aussi bien pour le grain que le raisin, qui n'a d'ailleurs rien à envier à celui de Beauclair. Elles pratiquent les arts divinatoires plus ou moins bien et les dispensent aux voyageurs.

La culture et les arts ont également leur place, car les nonnes sont les garantes du savoir, de l'histoire et des prophéties. Elles pratiquent l’enluminure ainsi que la peinture sacrée et le travail des matériaux vivants, tels que la poterie ou l'ébénisterie.

Pacifistes et offrant le droit d'asile, elles ont su cultiver avec la seigneurie locale un lien d'indifférence, elles passent pour des folles illuminées même si certains grands noms n'hésitent pas dans le secret à faire appel à leur prédiction. Le couvent évolue de manière chaotique, seul comme à la manière du reste du clergé, la seule différence est leur sédentarité. La révérende mère aurait des relations avec le grand praticien mais, là encore, rien n'est prouvé.

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Haple Mitrium
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 13:04

(((Dans les épisodes précédents...:
1: Haple est bannie d'Anorfain pour avoir tuée sa mère à l'enterrement de son père et se retrouve à l'Est des Duchés où elle est remise entre les mains d'une personne de confiance par un Fujonien dénommé Bharf (PNJ).

2: Ceux-ci pensent que son arrivée dans le duché des montagnes la place en grand danger, et que certaines personnes sont à sa recherche. Haple prend donc la route en compagnie de sa chaperone pour trouver refuge ailleurs, mais une rencontre avec des Djinns Marids sera fatale à la montagnarde et Haple se retrouvera de nouveau livrée à elle-même.

3: Suite à un rêve étrange dans lequel elle voit le sacrifice d'un agneau par son berger qui l'offre à un loup, Haple repère les traces d'un voyageur et les suit jusqu'à la grotte des affaires. Elle y rencontre un commercant de retour à Beauclair et décide de se joindre à lui pour le voyage. Un mystérieux voyageur se joint cependant à eux, M. Pulchinel, dont la sinistre réputation n'augure rien de bon.

4: Se faisant passer pour une jeune humaine ordinaire des montagnes, Haple traverse les Duchés et se découvre une aptitude à la tromperie qui n'a d'égale que sa maitrise naissante du fluide tellurique. M. Pulchinel l'espionne et découvrant son identité d'elfe et de magicienne lui propose un marché : si elle accepte de lui montrer l'étendue de ses capacités il ne dévoilera pas sa supercherie. Perplexe et méfiante, l'adolescente en bourgeon n'a cependant pas d'autre choix que d'obtempérer... au grand intérêt de l'inquiétant personnage. Parvenus à Beauclair, Haple leur fait la malle et disparaît dans les ruelles. Toutefois, elle y est bientôt arrêtée par M. Pulchinel. Cette fois, il est accompagnée d'une géomancienne à laquelle il défère, une certaine Nétone (PNJ), et d'une voix dans les ombres qui le terrifie, celle de la mystérieuse Nacota. S'en suit un combat déséquilibré entre l'elfe munie de sa seule rage d'adolescente indomptable et la magicienne qui commande à la terre elle-même. Et, finalement domptée, Haple se voit appliquer sur la bouche et le nez un chiffon empreint d'un éther... avant de sombrer dans une sombre et Douce Féérie.)))




Haple, le retour

Un rideau de cils noirs s’ouvrit sur un mur en lambris … et se ferma aussitôt. (Où suis-je ?) Seul une lenteur d’esprit inhabituelle lui répondit : (pas au meilleur de ma forme). Un sentiment d’urgence la saisit malgré la torpeur de son esprit groggy : elle avait été droguée ?! De manière fragmentée, comme à chaque battement de son cœur agité, lui revenait en mémoire le souvenir de sa traversée des Montagnes. Elle avait embarqué à bord de la charrette d’un drapier au côté d’un travailleur saisonnier du nom de M. Pulchinel. La route avait été longue et éprouvante sous le soleil de Septembre, et elle se souvenait de son soulagement à la vue des toits de tuiles de Beauclair coiffant les vallons aux pailles séchées et aux raisins murs. Mais ensuite… rien. Ensuite… elle était ici, dans un lit…

(Encore que ce soit beaucoup dire, un lit). Elle était allongée dans ses vêtements encore encroutés par la poussière du voyage sur une surface dure et inconfortable. Son dos lui faisait mal par endroits et ça la démangeait de pivoter sur son flanc, histoire de libérer la pression que son propre poids exerçait sur ses muscles endoloris. Mais la prudence lui intima de ne rien en faire : mieux valait ne pas montrer qu’elle était réveillée tant que la situation lui échappait. Alors, avec la lenteur d’une longue et profonde inspiration, elle entre-ouvrit les yeux à nouveau.

Ce n’était pas un mur qu’elle avait aperçu à travers les brumes du sommeil. Mais un plafond, naturellement. Un plafond fait de larges planches de bois brun clair dont la taille grossière laissait paraître des nœuds d’un marron foncé inesthétique… Autant de détails qui ne lui apprenaient guère plus qu’elle ne se trouvaient ni dans une geôle, ni dans un palais !

Haple ne distinguait cependant guère plus de son environnement. À travers ses paupières mi-closes, les bords de son champ de vision étaient flous, et elle avait beau tourner ses yeux dans leur orbite à se donner le tournis, elle ne percevait rien de plus que des ombres informes qui auraient aussi bien pu être des plantes d’intérieur qu’un assassin armé jusqu’aux dents.

Fermant les yeux à nouveau, elle pivota sur le flanc avec un marmonnement incohérent, tel qu’elle s’imaginait qu’une personne endormie l’aurait fait, dans l’idée de rouvrir les yeux quelques minutes plus tard pour examiner subrepticement ce qui se trouvait de ce côté de la pièce… Malheureusement, l’ingénue n’avait pas encore l’expérience de la vie conjugale, et sa comédie ne prit pas, car à peine eut elle bougé qu’une voix s’éleva :

- Ha, te voilà réveillée
***

Haple frémit. La voix était douce et chaleureuse. Et pourtant, la peur la paralysa, si bien qu’elle ne parvint qu’à ouvrir ses yeux pour découvrir qui avait parlé. Au moins, l’adrénaline sembla-t-elle dissiper le brouillard qui pesait sur son esprit. Face à elle, à quatre-vingt-dix degrés, se tenait assise une vieille dame aux cheveux blancs, à la peau parcheminée et aux traits tirés sur un visage émacié. Elle portait un modeste surcot vert pâle pardessus une simple cotte blanche si fine qu’elle laissait voir ses membres décharnés. Mais, en contraste avec cette apparence délabrée, une étincelle d’intelligence brillait dans ses yeux jaunis et un sourire bienveillant rehaussait ses lèvres affaissées.

L’humaine inclina la tête de côté pour se mettre dans le même sens que l’enfant alitée avant de s’adresser de nouveau à elle :

- Hé bien mon enfant, tu comptes rester ainsi à m’observer toute la journée ? Je suis sûre qu’on peut te trouver quelque chose de plus intéressant à faire.

Alors qu’elle souriait d’un air encourageant, la vieille dame posa l’ouvrage de broderie qui avait dû l’occuper jusqu’à présent et se leva avec peine, s’appuyant lourdement sur les bras de son fauteuil en bois.

C’est à ce moment que Haple reprit contrôle de son corps. Ou plutôt, que son corps se reprit de lui-même, reculant vivement vers le bord du lit opposé lorsque l’inconnue tendit une main osseuse à sa rencontre. Celle-ci s’arrêta cependant aussitôt que la frayeur de l’enfant se fit évidente.

- Ne t’inquiète pas petite. Je ne mords pas. Tu es en sécurité ici. C’est fini.

Haple ne comprenait pas. Qui était cette inconnue… ? Que lui voulait-elle… ? Et comment diable était-elle arrivée en ce lieu ? Et sa perplexité devait se lire sur son visage, car son interlocutrice s’apprêtait à lui apporter de nouvelles paroles de réconfort lorsque Haple la devança avec une question brusque et impérieuse :

- Où suis-je ?! Je veux dire… quel est cet endroit, s’il vous plaît ? répéta-t-elle plus poliment. Et… qui êtes-vous exactement ?

Ne faisant apparemment aucun cas de la défiance de l’enfant, évidente dans le ton de sa voix malgré la politesse artificielle qu’elle pouvait affecter, l’autre lui répondit simplement :

- Je m’appelle Rosemonde. Nous sommes au Couvent des Sœurs du Saint-Livre.

***

Aucune des deux ne prit la parole pendant quelques minutes. Elles se contentaient de se regarder, la plus jeune jaugeant son aînée du regard, tandis que celle-ci gardait un visage serein. Dans le silence qui gagna la pièce, Haple commençait à entendre la respiration calme et profonde de la Sœur. Ainsi que, la légère pression irrégulière du vent sur la fenêtre et le lointain gazouillis d’oiseaux que l’enfant chercha des yeux lorsqu’elle jugea qu’aucun danger imminent ne la menaçait.

Elle ne distinguait pas grand-chose à travers la vitre. Un cep de vigne bloquait la vue avec ses branches grimpantes au feuillu aussi dense que les grappes de raisins qui en pendaient lourdement. (Beauclair… ?). Elle ne semblait pas avoir été transportée sur une longue distance. Et elle était au rez-de-chaussée… ce qui signifiait peut-être qu’on n’envisageait pas qu’elle chercherait à prendre la poudre d’escampette par la fenêtre… C’était une observation potentiellement rassurante.

Haple reporta son attention vers l’humaine qui semblait attendre patiemment que l’enfant partage d’elle-même le cours de ses pensées. Celle-ci n’aurait jamais songé qu’une telle stratégie aurait pu être aussi efficace pour faire parler un interlocuteur récalcitrant… Ladite Rosemonde, avec sa courte natte blanche et sa modeste tenue, commençait à lui faire l’effet d’une sage, d’une « Ancienne » aurait-elle dit si le concept existait chez les humains…

C’est donc avec une voix posée, sans être respectueuse ou amicale pour autant – non ! – mais d’une voix absence de toute hostilité que Haple lui demanda, droite au but :

- Qu’est-ce que je fais ici. Je ne me souviens pas d’être arrivée ici… précisa-t-elle avant de poursuivre sa pensée : Que me voulez-vous ?

L’humaine laissa passer quelque seconde avant de répondre, afin peut-être de laisser le silence reprendre ses droits dans la pièce et de s’assurer que l’enfant serait pleinement réceptive à sa réponse :

- J’aimerais te conduire aux cuisines. Pour que tu te restaures. Est-ce que ça te convient ?

Haple ne put qu’acquiescer. D’une part, la tranquillité à toute épreuve de l’humaine l’avait désarmée. D’autre part… elle avait l’estomac dans les talons. (Alors en attendant d’y voir plus clair…) Ainsi donc, elle opina du chef et se remit sur pieds. L’espace d’un instant, la chambre disparut à ses yeux et le sol sembla se dérober sous ses pieds. (vraiment pas en forme…). L’humaine avait de toute évidence remarquer ce moment de flottement et, soucieuse, venait à son encontre. Mais Haple, souhaitant aussi bien maintenir une distance prudente avec l’autre que de suggérer une force et solidité qu’elle n’était pas sûr de posséder en ce moment, prit sur elle et se dirigea vers la porte de la chambre.

D’une main prudente, elle tendit une main vers la poignée, et… au froid contact du pommeau métallique, la porte s’ouvrit. L’elfe était presque surprise de ne pas avoir été enfermée… Comme quoi, Haple n’accordait plus sa confiance aussi légèrement que l’enfant qu’elle était encore quelques semaines auparavant. Et sur ses gardes elle resterait… jusqu’à ce qu’elle y voie plus clair.

- Tu es songeuse, on dirait. Tu dois te demander ce que tu fais ici ? hasarda la Sœur Rosemonde.

Haple tourna vivement la tête par-dessus l’épaule et planta son regard dans les yeux affables de la nonne. Elle se payait sa tête ?

- Evidemment ! C’est ce que je vous ai demandé avant que vous ne trivialisiez la situation en m’offrant de pourvoir à ma subsistance. Non pas que je ne sustenterais pas volontiers ma faim, mais j’aimerais encore davantage savoir où j’ai mis les pieds.

La vieille dame haussa les sourcils en entendant parler la petite… Visiblement, elle ne s’attendait pas à l’entendre s’exprimer aussi précieusement. Elle avait après tout l’air d’une gueuse récupérée sur le bord du chemin. Elle s’abstint cependant de tout commentaire, respectant une certaine distance pudique, et lui fit signe d’avancer dans le couloir avant de lui emboîter le pas et de fermer la porte derrière elles.

Il y avait quelque chose dans ce calme extrême qui rassurait et agaçait tout à la fois la jeune elfe. L’humaine faisait encore une fois preuve de ce quelque chose qui caractérisait pourtant plutôt ses congénères Hinïons, d’ordinaire : une retenue de l’esprit et du cœur. Et ce rappel de son enfance l’irritait du fait de la nostalgie qu’il suscitait… elle ne voulait pas regarder en arrière. Alors, comme si elle voulait se distancier de son passé en s’éloignant physiquement de cette femme, Haple s’avança dans le couloir en marchant aussi vite que ses petites jambes le permettaient.

>>>Suite : 2/8
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Haple Mitrium
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 13:12

Premiers pas au couvent

Sous ses pieds nus, le bois lisse. Grincements de plancher et pas étouffés, bruissements de tissu et cheveux battants… Haple fendait le silence des couloirs lambrissés avec la fougue d’une adolescente renfrognée.

Derrière elle, Sœur Rosemonde la suivait avec peine. A aucun moment cependant, celle-ci ne rappela la jeune fille à l’ordre. Peut-être savait-elle qu’il faudrait bien qu’elle arrête sa marche aveugle tôt ou tard ? Et effectivement, quelques tournants et corridors plus loin, Haple fit halte.

Devant elle, une bifurcation. Droite ou gauche, la question l’avait tirée de sa course en avant. Campée sur ses pieds, Haple leva les yeux et regarda pour la première fois le nouveau décor qui l’entourait.

Sur les murs de bois, dans la pénombre des couloirs, pendaient à intervalles réguliers des peintures aux couleurs désunies et aux motifs cryptiques. Non pas que les scènes représentées étaient abstraites jugeait Haple à première vue, mais si les ouvrages de ce type qu’elle avait connus en Anorfain racontaient généralement une histoire linéaire qui pouvait être lue comme un livre imagé, ces peintures-là montraient des scènes fragmentaires, sans queue ni tête, et sans rapport apparent les unes avec les autres…

Rosemonde l’avait rejointe sans dire mot. Dans un premier temps, celle-ci regarda d’un air agacé la tête brune de l’elfe ombrageuse avant de finalement suivre son regard vers le tableau qui trônait élégamment en bout de ce long couloir qu’elles avaient parcouru.

Celui-ci en particulier s’étendait du plancher jusqu’au plafond et représentait une gigantesque tablette d’argile sur laquelle aurait été partiellement gravés, ici et là, sans ordre apparent ni orientation ou échelle commune, différents visages humanoïdes et animaux. Certains avaient été dotés d’un corps, d’autre non – ou seulement en partie … Haple remarqua même avec étonnement que certains tenaient entre leurs mains tantôt un livre ouvert tantôt une tablette, illustrés eux-mêmes de silhouettes bipèdes, comme s’ils les donnaient à voir aussi bien aux autres personnages qui peuplaient la peinture ainsi qu’aux observateurs de cet œuvre hors-norme.

Quelle surprenante vision !... L’état de stupeur dans lequel elle s’était réveillée semblait la rattraper. Il y avait même quelque chose de vertigineux dans cette mise en abîme de myriades de visages inconnus. Mais peut-être n’étaient-ils inconnus que de la jeune et inculte adolescente qu’elle était… Haple tourna la tête vers son aîné humaine qui était à présent plongée dans une contemplation sereine. Mais sa bouche ne trouva pas les mots et resta bêtement ouverte, laissant échouées sur les rives de son esprit dérouté les questions informes que cet étrange ouvrage suscitait : (qu’est-ce qu… qui sont … à quoi… ?)

- Mon travail te plaît ? interrogea la Sœur Rosemonde, ses yeux amusés se baissant sur la plus jeune.
- Votre… c’est de vous cette… ce… cette peinture ? acheva Haple, interdite.
- Des couleurs au panneau de bois en passant par le pinceau en poil de Gakhaï, oui. Ainsi que certaines de celles que nous avons passées en marchant. Ou plutôt, ajouta-t-elle en haussant un sourcil réprobateur, que j’ai passées en marchant et que tu as dépassées en courant…

Le silence tomba avant que Rosemonde reprit d’une voix plus neutre :

- Nous n’avons guère de contact avec l’extérieur, et nos rares possessions sont le fruit de notre labeur. Si nous désirons quelque chose ici, il nous faut travailler dur pour l’obtenir. Heureusement, nous disposons d’ateliers dédié à la production des matériels de bases tels que les plantes tinctoriales, les fixateurs, les vernis. Nous gardons quelques animaux aussi dont nous tirons d’autre ressources : les poils et plumes pour les pinceaux notamment même s’ils ne valent pas ce qu’on peut trouver dans la nature. Et bien sur, la forêt environnante nous fournit tous le bois dont nous avons besoin comme support ou encadrement.
- Ne pourriez-vous pas faire commerce de vos tableaux pour acheter tout cela? Ils ont quelque chose de … curieux. Je veux dire, se reprit Haple, sentant qu’il pouvait y avoir dans ce qualificatif quelque chose de péjoratif qu’elle ne souhaitait pas y mettre, ce genre de d’oeuvre attirerait les amateurs de… ce genre de choses.

Rosemonde ria de bon cœur. La petite ne faisait que s’enfoncer !... Mais après tout, comment aurait-elle pu savoir quoi que ce soit des collectionneurs excentriques, du monde de l’art, et autres constructions sociales propres aux élites humaines ? Elle qui n’avait connu que la simplicité des marges anorfines et la vie de grand chemin… Et l’humaine ne lui en tint pas rigueur à en juger par la bonhomie de sa réponse :

- Je ne crois pas que « ce genre de choses » ne parle à grand monde à part quelques-unes d’entre nous. Les Sœurs du Couvent, j’entends. Et à toi aussi dans une certaine mesure, il semblerait. Et quand bien même il y aurait un marché pour notre artisanat, le but de nos artisanes n’est pas de faire de l’argent. Le temps passé avec le pinceau ou la plume nous sert surtout à méditer sur les leçons du Livre.

La Sœur avait mis dans ce dernier mot une certaine révérence, sans pour autant sonner obséquieuse ou fanatique, et cela interpella Haple qui l’invita à développer :

- Le Livre ?
- Le Livre du Temps. La Tablette du Destin. Le Grimoire Runique. Le Recueil des Noms. Les Tomes des Seshat…

Sous cette avalanche de formules mystiques, l’Hinionne dut prendre un air ahuri, car la religieuse s’interrompit dans sa liste.

- Eh bien, tu m’as reproché de « trivialiser » tes questions, ironisa-t-elle en reprenant les mots de l’adolescente, et je ne voudrais pas t’être condescendante.

Haple perçut instantanément qu’il y avait dans cette réplique autant d’humour que de moralisation. La vieille femme lui reprochait à demi-mots son emportement et lui démontrait que de monter sur ses grands chevaux ne disposeraient pas les gens en sa faveur. Il était cependant hors de question pour la jeune fille de faire preuve d’humilité, et celle-ci se renferma dans son mutisme têtu sous le regard de la Sœur qui soupira :

- Allez, suis-moi, je te dirais ce que tu veux entendre en marchant jusqu’aux cuisines. C’est par là, indiqua-t-elle en prenant le couloir de gauche.

L’ombre d’un instant, Haple hésita. Elle ne savait toujours pas ce qu’elle faisait dans cet endroit. Mais les réponses qu’elle cherchait semblait être retenue entre les lèvres sèches de cette « Ancienne » en qui son cœur lui disait qu’elle pouvait avoir confiance. Pour l’instant, elle la suivrait donc … et aviserait ensuite.
***
- Tu dois te demander ce que représente les personnages du tableau? demanda de manière rhétorique la Sœur Rosemonde qui marchait en avant. Ce sont les noms du Livre. Tout un chacun aussi bien que les rares d’entre nous qui sommes prédestinées à accomplir la volonté de Zewen. A-tu déjà entendu parler de Zewen ?
- Oui, Zewen, répondit hâtivement Haple en rattrapant son aînée, le Dieu qui au commencement du monde naquit de la fusion des fluides. Il a conscientisé les autres dieux, et les fluides les ont façonnés, un dieu pour chaque fluide élémentaire, récita la jeune fille qui se remémorait les enseignements de feu Roche la montagnarde.

Rosemonde tiqua à l’écoute de cet exposé à la fois juste et articulé.

- Tu en connais un rayon pour une elfe d’Anorfain. Le dieu du temps et du destin est peu connu dans les contrées humaines, et n’a pour ainsi dire qu’une existence théorique pour ceux de ton espèce sur qui le temps n’a guère de prise. Où en as-tu tant appris au sujet de Zewen ?

Les lèvres de Haple restèrent résolument cousues. Roche et Bharf le Fujonien l’avaient avertie que certains tenteraient de mettre la main sur elle et il s’agissait probablement de ces Sœurs au vu des circonstances de son arrivée dans leur Couvent… Alors tant qu’elle ne savait pas de quoi il retournait, ce que ses anciens guides représentaient aux yeux de ces religieuses, et ce que celles-ci voulaient d’elle, la jeune fille ne divulguerait rien qui puisse leur en apprendre davantage à son sujet.

Face à ce mutisme qui traduisait un renouveau de l’esprit rebelle de l’enfant, Rosemonde se contenta de sourire pour elle-même avant de poursuivre comme si de rien n’était :

- Comme tu le dis si bien, les fluides réalisent la volonté de Zewen. Les fluides que les mages manipulent, mais aussi les fluides qui animent chaque chose de notre monde, y compris les humains et autres espèces dotés de conscience. Du moins, c’est ce que nous prêchons, nous autres adeptes du culte zewenite.

Sur ces mots, Rosemonde s’arrêta, songeuse, avant de reprendre :

- Du moins… c’est ce que je crois à titre personnel, devrais-je dire. Car il y a autant de doctrines qu’il y a de cultistes, aussi bien parmi les sédentaires que nous sommes, qu’au sein du clergé itinérant. Ce qui revient à dire, commenta-t-elle avec un sourire entendu, qu’il n’y a aucune doctrine.

Le silence avide de l’enfant appelait son aînée à poursuivre ses réflexions. Celle-ci la prit cependant à contre-pied :

- Nous sommes arrivées. Après toi, Haple.

Toute ouïe qu’elle avait été au discours de la religieuse, celle-ci n’avait pas prêté attention au couloir qu’elle venait de parcourir. Sur leur gauche, une porte entre-ouverte… et l’odeur d’un mijoté de légumes chatouillant si délicieusement les narines électrisées de la petite que celle-ci, pour la première fois depuis son arrivée dans le couvent, ne songea même pas à se rebiffer.

>>>Suite : 3/8
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 13:17

Malaises

D’un pas confiant, poussant de tout son poids le lourd battant en bois de la porte entrouverte, Haple pénétra dans les cuisines du couvent. A peine eut-elle pénétré dans la pièce, qu’elle s’arrêta cependant. Un irrépressible malaise l’avait soudain déstabilisée. Non pas ce sentiment de méfiance qui l’avait habitée depuis son réveil en ce lieu inconnu. Mais une embardée nauséeuse bien plus bassement corporelle. Et Haple aurait assurément perdu pied, si ca n’avait été pour la main serviable de Rosemonde qui lui saisit le bras sous l’aisselle pour la conduire à une chaise avant que le vertige ne lui coupe les jambes.

- Attention, assied toi, l’enjoignit la vieille femme avant de lui porter une main au front d’un air soucieux.

Ce fut tout juste si Haple perçu la fine et sèche peau de cette paume ridée au travers du tourbillons de sensations contradictoires qui l’assaillaient. (Une de trop) Et Haple s’écarta de la main bienveillante de la sœur d’un vague recul de la tête qui lui porta le cœur au bord des lèvres.

- Tu n’as pas de fièvre, diagnostiqua simplement Rosemonde.

Non. Elle avait envie de vomir… (et faim)… Et le plafond bas de la pièce l’oppressait. Ainsi que l’air chauffé par deux grands âtres grossièrement taillés dans l’unique mur de pierre de la pièce où bouillonnaient paresseusement deux marmites accrochées à d’épaisses crémaillères en fonte. Et pourtant un froid indistinct, faible mais profond comme s’il émanait de l’intérieur, semblait plonger ses membres dans une léthargie pesante… (moite) Haple se passa une main molle sur la nuque, pensant y trouver ses fins cheveux collés par la transpiration ou l’humidité ambiante… mais ses sens la trompaient. Son bras retomba lourdement ; elle était déboussolée.

Tentant de contenir le tournis qui lui embrumait l’esprit – une tâche difficile avec les quelques cuisinières qui arpentaient la petite pièce en valsant en tous sens pour s’éviter les unes les autres ainsi que les coins de tables, tabourets et autres obstacles de la cuisine – Haple posa ses mains sur le bord de la table devant elle et concentra son regard hagard sur le visage tranquille de la Sœur Rosemonde qui revenait vers elle avec une tasse à la main.

La doyenne tira une chaise et s’assit à côté de l’enfant, posant d’un même geste la tasse sur la table. D’un œil circonspect, Haple observa sa voisine alors que celle-ci sortait d’une poche de ses robes une sorte de pilulier rectangulaire qui, une fois ouvert, s’avéra contenir un assortiment d’herbes séchées, d’écorces râpées, et de boutons de fleurs fanées. Rosemonde porta son attention sur le compartiment le plus large et en racla le fond de son index osseux afin de rassembler les restes de brindilles et poussière herbeuse. Non sans un pincement de lèvres, comme avec regret, elle en préleva la quasi-totalité, guère plus qu’une pincée, et la versa dans la tasse en terre cuite qui séparait l’humaine de l’elfe.

Malgré son présent état d’égarement, Haple comprit aussitôt qu’il s’agissait d’un remède médicinal destiné à soigner sa soudaine faiblesse. La plupart des brindilles tombèrent au fond, ne laissant que les plus légères flotter en surface au milieu d’îlots instables de poussières vertes se faisant et se défaisant au gré des lents courants qui agitaient l’eau chaude. Alors qu’elle devinait plus qu’elle ne voyait les volutes émeraudes s’étirer gracieusement et se déposer délicatement sur le sombre fond du récipient d’argile, Haple songeait (médicament ou poison… ? Non, pas devant tant de témoins… et pourquoi aurait-elle attendu… non)

- Bois. C’est assez infusé. Ça ne fera que devenir plus amer si tu attends, conseilla Rosemonde.

Sans un mot, Haple obtempéra. D’un geste timide de la main, l’enfant fit glisser la tasse sur le bois vernis jusqu’à ce que les vapeurs, effectivement amères, du breuvage ne lui parviennent au nez. Son estomac protesta aussitôt. L’odeur était celle de la sève résineuse et aurait en temps normal évoqué à l’esprit de l’Anorfaine les forêts de conifères de sa bourgade natale avec leur ombre rafraichissante et leur tapis d’aiguilles molletonné. Dans l’état qu’elle était cependant… (de l’eau croupie). Alors, à contrecœur, Haple se pinça le nez d’une main et de l’autre porta le bord de la tasse à ses lèvres.

Les dents serrées pour retenir les brindilles flottantes, Haple ingurgita alors par gorgées successives la majeure partie de la potion. Une entreprise qui lui sembla durer une éternité – les regards encourageants de la Sœur répondant patiemment aux grimaces répétées de l’enfant. Au grand étonnement de celle-ci, ni la tasse ni la décoction n’étaient particulièrement chaudes. La sœur avait du avoir la présence d’esprit de tiédir l’eau bouillante avec le contenu du baquet de cuisine. Et cette attention la rassura : ses forces et sa mémoire lui faisaient défaut, son esprit était égaré et sa vie peut-être même menacée… (Mais, la vieille humaine se soucie de mon confort).

Alors qu’elle tentait d’imaginer une histoire de vie à Rosemonde, l’observant se lever avec la raideur de l’âge pour aller glaner de sa démarche prudente ici une mie de pain entamée, là un beurrier en céramique, Haple sentait se défaire l’emprise du malaise qui avait plombé son esprit. La tisane faisait son effet, et rapidement. Rosemonde avait-elle été une guérisseuse avant d’atterrir au couvent, voyageant de forêts en villages à la recherche de remèdes aussi bien que de malades sur qui les tester ? Ses connaissances se limitaient-elles aux simples médicinales, ou bien versait-elle aussi dans la science des poisons que l’enfant jugeait naïvement être d’une utilité supérieure ?

L’enfant hinione n’avait pas systématiquement de déférence ni de défiance envers ses ainés : elle respectait ceux qui lui offraient des opportunités et s’opposait à ceux qui tentait sottement de lui imposer leur volonté. Et Haple ne pouvait s’empêcher de se demander si la nonne ne pourrait pas devenir, sinon une alliée dans cet environnement inconnu, au moins une personne de confiance dont elle pourrait apprendre quelque compétence qui lui permettrait de reprendre le contrôle des choses. Assurément, une tisane somnifère pourrait lui ouvrir bien des portes au moment opportun… Décidant donc de la ranger parmi les adultes qu’elle tolérait, Haple posa un regard amène, ou presque, sur Rosemonde lorsqu’elle revînt s’asseoir.

- Je peux … ? demanda-t-elle en tendant la main vers la miche de pain.
- Attends, laisse-moi te servir, tu dois encore être étourdie. On ne voudrait pas que tu te coupes en plus, n’est-ce pas ? dit-elle en remarquant la maladresse de l’enfant avec le long couteau.
- Pas la peine.

La réponse était sèche mais pas hostile. Haple se concentrait simplement sur la tâche présente car la croute brune était durcie et elle peinait effectivement à faire progresser le couteau de manière régulière. Mais une fois ses efforts ayant abouti, la petite ajouta :

- Je me sens nettement mieux à vrai dire. La tisane était dégoutante mais je me sens mieux, merci. Qu’est-ce que c’était que ces herbes dans votre boite ?

Ce ne fut pas Rosemonde qui lui répondit mais une voix par-dessus son épaule.

- Ah ça, c’est sa spécialité ! commenta avec entrain une cuisinière munie d’un plateau richement garni. Les potions de Rosemonde, on ne se fera jamais à leur goût, mais elles ont soigné des générations de novices intrépides et accompagnées nombre de doyennes dans leurs vieux jours.

La concerné hocha de la tête avec un léger sourire.

- Je fais office de guérisseuse dans le Couvent, expliqua-t-elle à l’enfant avant de plaisanter avec la jeune humaine qui ajoutait une théière fumante sur le plateau, et visiblement cela me vaut le privilège de gouter aux mets les plus fins préparées par nos cuisinières hors-pair ?...
- C’est pour la Sœur Nétone. Elle a fait savoir qu’elle prendrait son diner dans son étude.
- Naturellement, tout le monde mange ensemble au réfectoire. Mais pas Nétone.

Toute trace d’humour avait brusquement disparu de la voix de Rosemonde. Haple ne pensait pas l’avoir entendu être aussi glaciale jusqu’á présent. Et cela ne sembla pas échapper à leur jeune interlocutrice qui se raidit imperceptiblement avant de répondre :

- Sœur Nétone, rétorqua l’autre en appuyant sur le titre, a besoin de tranquillité pour étudier les textes.

La jeune femme se balançait d’avant en arrière, comme en proie à un conflit intérieur où se combattaient sa déférence envers son aînée et son respect évident pour la dite Nétone. Un respect qui frôlait à l’admiration à en juger par l’importance qu’elle avait mise dans les mots « étude des textes ».

La situation se désamorça lorsque la cuisinière annonça qu’elle devait livrer le repas. Rosemonde l’arrêta poliment et lui proposa de se charger de la commission car elle devait se rendre dans les quartiers de la Sœur Nétone. On devait lui conduire l’enfant elfe dès que celle-ci se réveillerait, expliqua-t-elle en réponse au regard suspicieux de la jeune cuisinière. Celle-ci sembla consentir avec regret à laisser à Rosemonde le « privilège » de servir leur consœur car elles avaient déjà trop perdu de temps à parler et les préparatifs du diner commun requéraient désormais son attention. La vieille guérisseuse se leva alors avec sa raideur caractéristique et délivra la cuisinière de sa charge avant d’appeler Haple. Haple. Haple…

Sans réponse, les yeux en amandes de l’elfe regardaient droit devant, vides de toute expression.

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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 13:24

D'une Soeur à l'autre

- Haple... Tu m’entends ? Suis-moi s’il te plait, nous devons retrouver Sœur Nétone dans son étude.

La voix de l’ancienne parvint assourdie à l’intéressée, comme en songe, dénuée de sa réalité. De même, elle regardait bien dans la direction de la silhouette élancée de l’humaine, mais sans la voir. Et la danse des cuisinières affairées aurait tout aussi bien pu être un ballet fantomatique, résurgence évanescente d’un autre temps.
Car Haple n’était plus dans la cuisine du couvent.

Ce nom qu’elles avaient prononcé, « Nétone », semblait avoir fait voler en éclat le fragile socle de stabilité sur lequel l’adolescente maintenait son sang-froid en dépit des circonstances. Et dans un état de stupeur, la voilà qui perdait pied dans le chaos synesthétique de sa mémoire défaillante où se mêlaient silhouettes inintelligibles, parfums inaudibles et paroles informes.

(« Nétone ») Quel pouvoir ce nom renfermait ! Et la question que son esprit en état de choc n’osait formuler : Et pourquoi ? Etait-ce la peur qui neutralisait ainsi le cours de ses pensées ? Non. Elle viendrait tôt ou tard, la peur… avec les affres du doute que sa mémoire défectueuse susciterait. Mais il s’agissait là d’autre chose, de l’hébétude d’une enfant perdue dans le vide laissé par des souvenirs inaccessibles.

Le contact froid d’une main qui l’entrainait à l’air libre parvînt tout juste à la tirer de sa transe mnésique. La découverte d’un large patio de terre battue entourée de parterres floraux et de jardinières de terre cuite ne lui parvint cependant même pas à l’esprit. Pas plus que la caresse d’un courant d’air dans ses cheveux emmêlés ou la chaleur colorée du soleil qui se couchait derrière le toit en tuiles rouges d’une galerie décorée de colombages.

Comment se faisait-il que le nom de la Sœur Nétone suscitât en elle une telle réaction alors qu’elle ne se souvenait pas l’avoir jamais entendu auparavant ? Ce paradoxe prenait forme lentement dans l’esprit égaré de l’elfe, alors qu’un sentiment de menace sourde grandissait dans son cœur. On la conduisait vers ladite Nétone … ? La raison aurait voulu qu’elle chercha du regard un moyen de différer cette rencontre avant d’y voir plus clair, ou bien même une échappatoire : un porche à calèche, une porte plus grande que les autres pour les livraisons du Couvent… mais la raison n’était plus et son regard demeurait creux.

Au milieu de la cour, son corps réagit cependant de lui-même. Ses jambes se raidirent et ses pieds semblèrent s’enraciner dans le sol. Si bien que, tirée en avant par sa guide, Haple trébucha. Peut-être fut-ce cette perte d’équilibre qui la sortit de cet état second. Quoiqu’il en fût, l’instant d’après la dynamique du couple s’était inversée : c’était Haple, le dos arcbouté et les épaules rentrées qui tiraient en arrière pour se défaire d’une Rosemonde qui tentait de stabiliser le plateau-repas destiné à sa consœur.

Involontairement, la religieuse avait de sa main libre resserré sa prise en sentant l’enfant lui échapper. Et cela ne fit naturellement que renforcer les efforts d’une Haple grognant et sifflant. Lisant probablement dans les yeux de l’enfant la panique informulable qui montait en celle-ci, Rosemonde lâcha prise, et, paume ouverte en signe d’apaisement, se contenta de dire à voix basse :

- Du calme, Haple. Tout va bien.

Rien n’aurait pu être plus difficile à entendre pour la concernée. Maintenant que ses esprits lui revenaient, l’elfe était effarée que l’ancienne ait le toupet de prétendre qu’il était anodin de l’emmener à la rencontre de cette Nétone en question. Car elle ne pouvait se départir de l’intuition que celle-ci était liée d’une manière où d’une autre aux circonstances mystérieuses dans lesquelles elle était arrivé en ce lieu inconnu. Aussitôt, la partie de l’enfant qui avait été adoucie par l’attitude respectueuse et attentionnée de Rosemonde fut déçue, et Haple dressa ses barrières à nouveau, se protégeant dans un mutisme revêche.

Ce revirement de comportement sembla également contrarier sa guide. Ou bien était-ce le fait que la théière posée sur le plateau de Rosemonde avait déversé de son contenu chaud sur une pile renversée de biscuits au beurre ? En tout cas, l’instant d’après, l’expression d’un léger chagrin se peint sur son visage ridé, et ses lèvres pincées se détendant, sa voix grelette tenta de détourner l’attention de l’enfant rebelle vers le décor qui les entourait :

- Qu’est-ce que tu penses de notre roseraie, Haple ?

Celle-ci la fixait d’un regard obstiné, ses prunelles plus sombres que jamais refusant d’embrasser les alentours. Qu’à cela ne tienne, Rosemonde rompit le contact visuel et se dirigea vers le plus tortueux des arbustes, un rosier aux fleurs d’un blanc teinté de rose et de vert, avant de poser son plateau de service au sol et de s’accroupir pour saisir une branche à hauteur d’yeux de la petite comme pour l’inviter à venir examiner l’entrelac délicat des pétales.

- Les roses sont mes fleurs préférées ; elles invitent à la méditation, commenta Rosemonde. Tu vois comme tous les pétales prennent leur place les unes par rapport aux autres ? C’est parce que leur position est prédéterminée : avant même que le bouton ne s’ouvre, la rose a déjà définie où placer ses pétales à venir. Ca me rappelle d’accepter ma propre place dans le monde, d’accepter Ce Qui Est à tout instant, car tel est l’œuvre de Zewen sur le monde, conclut-elle avec un regard pénétrant.

Son esprit aux antipodes d’une telle métaphore philosophico-botanique, Haple resta campée sur ses deux jambes, et hésitait entre le désir de partir en courant et de fondre en larme sur place. Et aussi, le besoin impératif de leur demander des comptes ! Cette dernière idée en tête, Haple s’avança finalement vers l’ancienne dans une attitude de défiance (Je ne les laisserai pas faire de moi une fuyarde ou une pleurnicharde…)

- …fiche de fos vleurs, de vos fleurs… rectifia l’enfant dont les mots se bousculaient sous le coup de l’émotion. A quoi vous jouez ? Qu’est-ce que vous croyez ?! Je suis pas une bourrique avec des œillères que l’on guide à sa guise. Je suis Haple Mitrium d’Anorfain !

Le vaste réservoir de sa colère désormais ouvert, Haple menaçait de s’y noyer. Son trait d’humeur ayant jailli d’un seul souffle, la voilà, haletante, le cœur tonnant contre sa frêle poitrine, qui regardait une Rosemonde soucieuse.

- Mitrium… C’est le nom de tes parents ? demanda la Sœur d’une voix courtoise. Tu souhaiterais les rejoindre, n’est-ce pas ?
- Oui. Et non, répondit Haple, lapidaire. Non, je ne souhaite pas retrouver ma famille. Ce que je veux, c’est savoir pourquoi l’on m’a conduite ici. Et de quel droit ?

(De quel droit ?!)

Tandis que les vociférations de l’enfant, l’humaine sembla déconcerté. Les sourcils froncés, elle ouvra la bouche, une première fois, sans un son, avant de demander d’une voix douce et incertaine, comme celle que l’on adopte face à une personne âgé atteint de démence :

- Mais, mon enfant, tu dois bien réaliser que si Nétone et Nacota ne t’avaient pas pris sous leur protection…
(« NETONE »? Encore ?! J’aurai donc déjà croisé le chemin de cette Nétone ?!)
- … tu aurais couru un grave danger. Des enfants disparaissent dans les Duchés depuis quelque temps. Certains sont retrouvés noyés sur la rive d’une rivière, d’autres ensevelis sous des éboulis au fond de ravins… la plupart ne refont jamais surface et on prétend qu’ils sont embrigadés dans des bandes de brigands de grand-chemin. La Révérende Mère s’en inquiète. Quand bien même elle n’est pas censée se préoccuper de se qui se trame à l’extérieur de nos murs…

Pour un court instant, Haple oublia d’être furieuse. Car en effet, l’histoire des disparitions d’enfants lui rappelaient les dires du commerçant qui l’avait conduite jusqu’à Beauclair… Ce pouvait-il donc que Rosemonde lui dise la vérité quant à cette « Nétone » l’ayant protégée ?

- Quand bien même… songea Haple à voix haute… pourquoi je ne me souviens pas de ce que vous me racontez ?

Alors que l’ancienne confessait son ignorance et fronçait les sourcils d’un air perplexe où semblait naître un doute dans sa compréhension de la situation, une silhouette boulotte s’approcha en hâte.

- Qu’est-ce que signifie ce vacarme ? Ah, Sœur Rosemonde.

Cette voix… Une terreur froide la saisit inexplicablement.

- Hé bien, étiez-vous chargée de me conduire l’enfant, ou de lui donner des cours de vocalise ?
- Nétone, lâcha la vieille nonne d’une voix sans timbre. Puis comme sortant d’un mauvais rêve, Rosemonde secoua la tête et repris : Oui… je vous amenais Haple…

Etait-ce de l’hésitation que l’adolescente percevait dans la retenue de l’ancienne ? Une idée saugrenue traversa l’esprit apeuré de l’adolescente : Rosemonde songeait-elle à éclaircir la situation avant de la remettre à sa consœur ? Mais aussitôt formulé, l’espoir de se voir échapper à un tête-à-tête avec la Sœur Nétone s’envola dans le soir tombant. En effet, Rosemonde sembla trancher intérieurement de ne pas intervenir et tendit à l’enfant le plateau-repas qui trainait encore au sol avant de mettre un genou en terre, de se redresser en s’appuyant péniblement sur l’autre et croiser les bras en silence…

>>>Suite : 5/8
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 14:26

Informations

- Allez, en route, invita Nétone en y joignant une légère pression de sa main potelée sur la nuque de l’enfant.

Cette main molle… sur sa nuque… le bruissement léger de sa chevelure d’encre sous les doigts épais de cette mystérieuse Nétone… Haple en avait les jambes coupées.

- Porte le plateau jusqu’à mon bureau. J’ai à te parler.

Et plus pour rompre le contact que par coopération, Haple laissa le poids de son corps se porter en avant, et machinalement, un pas après l’autre, se mit en marche.
Sans s’en apercevoir, Haple avait déjà traversé la cour intérieure et les voilà qui pénétraient dans l’aile opposée, laissant derrière elles une Rosemonde à la mine soucieuse et plissant des yeux dans la lumière déclinante du soir pour inspecter de près une plante sous cloche.

Les voilà qui se retrouvaient seules… Dans ce nouveau couloir lambrissé, peuplé de multitudes de visages énigmatiques peints sur différents supports de toile, de bois et de métal. Elle y était plus seule que jamais : Haple, à la merci de la mystérieuse inconnue qui la suivait d’un pas.

Un bruissement de tissu dans son dos ; le rideau allait tomber. Chaque fibre de son corps vibrait d’un sentiment d’alarme. Elle redoutait qu’à tout instant, loin des regards, la pointe acérée d’une dague vienne se loger dans son dos. Alors le plateau lui échapperait dans un fracas inaudible et elle glisserait lentement sur le mur de bois avant de s’effondrer au sol dans son propre sang sous le regard froid de la Soeur Nétone. À chaque pas, les yeux fermés, tout espoir envolé, l’enfant attendait le coup fatal… qui ne vint pas.

Au lieu de cette fin tragique que l’esprit de la jeune adolescente pressentait – que peut-être même elle appelait de ses vœux préférant la certitude de sa mort aux incessants et déconcertants soubresauts du Destin – au lieu de cela, la Sœur Nétone se contenta de dépasser l’enfant, non sans lui tapoter l’épaule de ses doigts dodus pour l’inciter à la suivre.

Alors le cœur de l’elfe battit à tout rompre sous sa poitrine tremblante d’émotion comme s’il cherchait à rattraper chaque seconde où il s’était arrêté par anticipation d’une mort prochaine. Et tels ceux d’un nouveau-né, ses sens exacerbés lui donnaient à voir le monde de manière si vive que c’en était presque aussi intenable que jouissif. L’odeur sèche et éthérée de poussière et de bois vernis, la surenchère colorée des tentures bigarrées, et les grincements de plancher au combien délicieux qui s’éloignaient en même temps que la silhouette boulotte de la religieuse.

Une mélodie plus lointaine attira son attention. Un rythme plutôt. Car il n’y avait rien de mélodieux dans ce cliquetis répétitif qui se répercutait entre les murs du couloir. La source ? Une porte devant laquelle la Sœur Nétone avait fait halte. Celle-ci tendit la main vers la poignée et l’instant d’après elle s’engouffrait dans le tumulte sonore sans un regard en arrière. Quelle nonchalance ! Elle ne manifestait aucun intérêt pour l’enfant alors qu’elle suscitait tant d’interrogations chez celle-ci. C’était donc presque avec indignation que Haple s’empressa de rattraper l’autre.

Et quelle surprise lorsqu’une fois parvenue dans l’encadrure de la porte, elle découvrit un atelier aussi vaste qu’une église où s’alignaient en rangées ordonnées une succession de femmes de tout âge et d’appareils en tout genre. A la vue de ce spectacle hors du commun, Haple eut l’impression déconcertante qu’elle ne pouvait dire où s’arrêtait l’humain et où commençait la machine. Ici, une jeune femme faisait tourner ses rouages musculaires pour activer les doigts arachnéens d’un métier à tisser ; là-bas, une scie coupait dans le bois un cadre autour d’une menuisière dont le portrait se constituait progressivement sous les yeux d’une Haple figée sur le seuil.

De sa démarche chaloupée, la Sœur Nétone, elle, ne semblait nullement impressionnée alors qu’elle parcourait l’allée principale sans un regard pour les artisanes. Et la présence d’une enfant hinionne en leur sein ne distrayait pas plus celles-ci que le tintement métallique des couverts et des soucoupes s’entrechoquant sur son plateau à chacun de ses pas. Ainsi, passant dans l’indifférence générale potières et tisseuses, menuisières et vitraillistes, Haple rejoint finalement la magicienne qui tournait une clé dans la serrure d’une porte ouvragée en métal à l’autre bout de la manufacture.

Lorsqu’après avoir avancé dans la nouvelle salle, l’arrière-train protubérant de la Sœur Nétone ne bouchait plus le champ de vision de la petite, une pièce des plus insolite se révéla à elle. Aux antipodes de tout ce qu’elle avait aperçu du Couvent jusqu’à présent, le mobilier y était intégralement… métallique ! De couleurs cuivrées à des teintes plus traditionnellement grises, platement mates ou d’une brillance éblouissante, tantôt anguleuses tantôt arrondies comme les courbes de la propriétaire des lieux, la moindre surface du bureau de la Sœur Nétone était … métallique.

***

Plus que l’apparence esthétique des lieux, c’était cela qui la prit le plus de court : Elle s’était attendue à pénétrer dans un antre de fauteuils rembourrés, de coussins moelleux et de sofas invitant à la sieste car c’était l’image que donnait la Sœur Nétone avec ses vêtements amples et confortables et son embonpoint inhabituel en ces contrées.

Alors que celle-ci refermait la porte derrière l’elfe et réduisait par la même au silence le tumulte en provenance de l’atelier, une pensée traversa l’esprit incrédule de Haple qui prenait acte du contraste saisissant entre ce décor rutilant et la gamine mal embouchée sortie de sa campagne anorfine. Toute fille de notaire qu’elle était.

- Pose le plateau. Assieds-toi, l’invita sobrement la magicienne tout en contournant un bureau sur lequel étaient méticuleusement ordonnés parchemins, encriers de diverses couleurs et instruments de mesures inidentifiables.

Haple voulait bien obtempérer, mais l’idée de déranger l’harmonie rigoureuse de l’espace de travail de la religieuse lui donnait des palpitations. La regardant sans faire mine de l’aider, la Sœur attendit que l’enfant se décida à poser délicatement son fardeau sur un coin inoccupé du bureau avant de chercher du regard un siège où s’asseoir.

Bien entendu, il n’y avait rien qui ressembla de près ou de loin à une simple chaise dans cet endroit. Et la petite opta finalement pour une sphère métallique qui faisait face au bureau ; elle y avait surement été placé dans ce but, bien que la perspective de s’y asseoir s’annonçait inconfortable.

A sa grande surprise, Haple s’y enfonça profondément ! Le métal de la sphère se modelait autour d’elle de manière à épouser ses formes si bien que, déstabilisée par cette réaction inattendue du meuble, Haple se débattit pour s’extirper de l’écrin métallique et ce faisant le déforma tant qu’on ne reconnaissait plus sa forme originale. Haletante, Haple se remit debout et tourna un regard abasourdi en direction de la sœur.

Celle-ci aurait pu être agacée de voir son mobilier ainsi détruit, ou bien amusée devant la panique de l’enfant, mais Haple qui n’en était plus à une surprise près constata que son interlocutrice était parfaitement indifférente à ce qui venait de se passer. La Sœur se contenta de lui donner le conseil suivant de sa voix monocorde :

- Passe la paume de ta main sur la surface du pouf. Oui, comme ça, lentement, approuva-t-elle alors que Haple obtempérait.

Et alors, contre toute attente, le métal distendu repris peu à peu sa forme originale. Le mobilier répondait de manière organique au contact de sa main, et Haple observa avec un regard nouveau le mobilier métallique. Tout compte fait, l’intuition de l’enfant elfe n’avait pas été si mauvaise : La religieuse dodue avait visiblement conçu cet intérieur selon une logique de confort. La Sœur lui intima finalement de s’asseoir à nouveau, mais « tranquillement cette fois », et d’écouter.

- Laisse-moi commencer par te dire que je suis contente de te voir en face de moi malgré le boucan que …

(Moi, je le serais pas si on massacrait mes affaires…)

- Qu’est-ce que c’est que cet endroit, interrompit Haple en désignant du regard le décor rutilant, et quel est ce matériau qui ressemble à du métal ?

La Sœur Nétone marqua une pause, ses yeux châtains plantés dans ceux de l’enfant, avant de répondre d’une voix plate et mesurée :

- Ne m’interrompt pas quand je parle.

Et une fois que l’effet de la remontrance parut s’imprégner sur les traits de l’elfe, la religieuse daigna apporter une réponse à sa question :

- Nous sommes dans mon étude, et tout ce qui nous entoure, c’est moi qui l’ai façonné. Je suis géomancienne, précisa-t-elle l’air de rien… Le pouf sur lequel tu es assise, c’est de moi aussi, et il s’agit bien d’un métal. Ou plus précisément d’un alliage de métaux : titane et nickel. Portés à très haute température, l’alliage adopte une structure cristalline si particulière qu’elle reste ancrée dans la mémoire de l’objet. Mais à température ambiante, il est très malléable. La beauté de la chose c’est que la mémoire de l’alliage est réactivée à température du corps humain, ou elfique en l’occurrence, si bien que l’objet reprend sa forme originale.

Haple n’avait rien compris à part qu’elle voulait désespérément comprendre. Quelle magie était-ce que cela ?! (« Mémoire de l’objet », « structure cristalline ») La novice qu’elle était nota dans un coin de sa tête ces termes énigmatiques avec une ferveur religieuse. Et pour la seconde fois aujourd’hui elle se demandait si ces Sœurs du Couvent du Saint-Livre, malgré les circonstances mystérieuses de leur rencontre, ne pourraient pas s’avérer être source de connaissances des plus utiles à sa survie et à son avenir. Mais l’exposé était fini ; la religieuse reprit le cours de son discours initial :

- Je disais donc : Tu as traversé de rudes épreuves au cours des dernières semaines et je comprends que tu aies paniqué dans la cour, même si on n’accepte pas d’ordinaire cette attitude dans le Couvent. Nul doute qu’à ton âge j’aurais réagi de la même manière si des inconnus étaient venus me dire de les suivre…

La religieuse s’arrêta pour marquer son propos d’un sourire qui se voulait complice. En revanche, la froideur de son regard en disait long en revanche sur la sincérité de cette posture. Haple songea qu’elle avait beau parfois manquer de sang-froid, elle savait mieux jouer la comédie que l’humaine. Et l’idée lui vint de mettre en pratique la méthode de la Sœur Rosemonde : laisser le silence s’installer jusqu’à ce que l’autre reprenne la parole et divulgue plus qu’il ne l’aurait voulu. Et le résultat ne se fit pas attendre :

- Je crois qu’il est préférable de t’expliquer la situation. Nacota et moi divergeons sur ce point. Personnellement, je pense que tu es en droit de savoir pourquoi nous t’avons amenée entre nos murs.

A la mention de ladite Nacota, Haple ne put réprimer un frisson. C’était la deuxième fois qu’on lui parlait de cette Nacota depuis son réveil, et à son esprit le nom était auréolé d’une même aura inquiétante que celui de son interlocutrice. Cela étant, l’enfant se garda de tout commentaire car elle était pendue aux lèvres de son interlocutrice : (OUI ! Enfin ! des explications)

***

L’attente était terrible : chaque seconde où la religieuse retenait les informations tant attendues était une torture.

- Avant toute chose, tu dois me jurer que ce qui va suivre restera entre nous.
- Je le jure ! récita-t-elle aussitôt.

(Jusqu’à ce que j’en décide autrement)

- Alors voilà, nous te suivons depuis ton arrivée dans les Duchés. Nous avons eu peur qu’il soit trop tard lorsque le Fujonien t’as conduite à Amaranthe. Mais fort heureusement notre Berger, M. Pulchinel, a retrouvé ta trace après que Roche Misérande t’ait emmenée dans les montagnes.

Etait-ce donc cet homme que Roche avait voulu distancer à tout prix ? Cet homme qui avait poussé sa guide à prendre des risques qui l’avaient finalement conduite à sa perte ? Les pièces d’un puzzle semblaient se mettre en place les unes. Et lorsque Haple s’était calfeutrée dans les racines d’un arbre pour dormir, harassée, seule, perdue et désespérée (et j’en passe) dans la montagne c’était donc les traces de pas de ce Pulchinel qu’elle avait découverte à son réveil…

Haple sentait le sang lui monter au visage : Cet homme, donc, qui l’avait laissée à son sort était de mèche avec cette Nétone qui n’avait, elle, n’avait clairement jamais connu l’inconfort et le manque ! Elle se voyait soudainement envoyer valdinguer les encriers et instruments anticipant avec une joie féroce le fracas du verre et du métal. Mais se retînt… Il ne s’agissait pas de perdre le contrôle comme plus tôt dans la cour intérieure avec Rosemonde. Elle avait enfin réussi à ce que l’une de ces humaines lui fournisse des informations – elle ne gâcherait pas son avantage par une saute d’humeur puéril. Avec effort, elle reporta son attention au paroles qui lui étaient adressées :

- Et hier… M. Pulchinel a perdu ta trace ; tu lui as faussée compagnie dans la foule qui s’amassait pour la fête des vendanges de Beauclair. Ce qui était bien déraisonnable car lorsque nous t’avons enfin retrouvée, tu étais un bagage en travers de l’épaule du Fujonien, inconsciente et en route vers un destin funeste assurément. Heureusement nous l’avons mis en déroute, Nacota et moi, et t’avons mise à l’abri derrière les murs du couvent. Mais je pense qu’il rôde encore, dans l’espoir de remettre la main sur toi.

Haple resta coie. Oui, c’était tout elle. Elle ne se souvenait pas s’être séparé du groupe et encore moins avoir rencontré Bharf le Fujonien… mais elle avait bel et bien planifié de prendre la poudre d’escampette une fois à Beauclair. Tout de même, le récit de la religieuse était surprenant : Bharf l’attendait auprès des siens à Amarok à ce qu’elle savait, et la Sœur Nétone semblait prêter de mauvaises intentions au Fujonien alors que celui-ci lui avait sauvé la mise par le passé. Et que ce Pulchinel l’avait… (Passons.)

C’est donc avec une attitude défiante qu’elle rétorqua :

- Et pourquoi Bharf traverserait-il les Duchés à ma recherche ? Pourquoi se donnerait-il cette peine ?
- Mais pour la même raison que nous avons suivi ton aventure dans les Duchés : tu n’es pas une enfant comme les autres, Haple. Mais j’hésite à t’en dire plus. Disons seulement que le Fujonien est un prêtre de Zewen qui s’est dévoyé, un hérétique… et qu’à ses yeux tu représentes un danger, alors que pour nous tu es l’élue… Nacota saurait mieux t’expliquer ces questions théologiques. Tu la rencontreras bientôt.

Et comme pour appuyer ses dires, deux coups de poing sur la porte métallique resonnèrent derrière Haple.

- Entre Nacot… Ah, Sœur Rosemonde. Ma foi, vous tombez à pique : j’ai bien peur que les biscuits que vous m’avez apportés ne soient immangeables. Et nous avons laissé le thé refroidir à force de discuter … ajouta-t-elle avec un sourire faussement complice envers Haple. Auriez- vous la bonté de demander un autre plateau en cuisine ?

Silence. Haple se sentait mal à l’aise tournant ainsi le dos à la doyenne dont elle pouvait néanmoins sentir émaner des vagues de colère froide.

- Je ne crois pas, Nétone. Je suis venu chercher l’enfant.
- Mais nous attendions encore Nacota, répondit stoïquement l’autre.
- Et la Révérende Mère vous laissera peut-être poursuivre cet entretien lorsqu’elle le jugera adéquat, trancha sèchement Rosemonde. C’est de son bureau que j’arrive et étonnamment elle ne semblait pas avoir été mise au courant de l’arrivée de Haple, contrairement à ce que votre apprentie m’avait dit, ajouta-t-elle comme s’il s’agissait d’une faute grave dont elle tenait sa consœur personnellement responsable.

Une partie de la conversation échappait à Haple mais une chose était sure : Rosemonde n’appréciait pas du tout les libertés que semblait avoir prises la Sœur Nétone. En revanche, cette Révérende Mère lui inspirait visiblement un certain respect. Mais pas à sa consœur à en juger par sa réponse laconique :

- Eh bien soit, amenez-la donc à Ninïoton…
- J’imagine que la Révérende Mère voudra vous parler ensuite, conclu Rosemonde d’une voix cassante. Haple, viens avec moi s’il te plait.

Celle-ci hésita un instant : maintenant qu’on lui apportait des réponses, si étranges furent-elle, elle voulait aller au bout des choses et rester avec la religieuse joufflue. Cependant, bien que le timbre de sa voix se fût légèrement réchauffé maintenant qu’elle s’adressait à l’enfant, l’invitation de l’ancienne n’en était pas une. Haple obtempéra donc, aussi vite que le pouf métallique au comportement élastique le permettait et se retourna pour voir Rosemonde qui faisait déjà volte-face.

>>> Suite : 6/8
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 14:32

Spéculations

Haple fit de son mieux pour suivre la Sœur Rosemonde dans sa marche forcée à travers l’atelier puis les couloirs et escaliers aux marches grinçantes, ainsi que dans une tirade sans queue ni tête où l’ancienne prodiguait tour à tour conseils à l’attention de l’enfant et insultes d’un autre temps à l’encontre de sa consœur :

- Pimbêche ! Pour qui se prend-elle ?! Par ici, Haple. Un bureau privatif, des repas individuels et un fatras de quincaillerie, et puis quoi encore ? Alburostre ! On devrait la laisser faire à sa guise parce qu’elle commande aux fluides ?! Je ne crois pas non. Ne t’en fais pas Haple, la Révérende Mère est une puissante magicienne elle aussi, tu peux tout lui dire et, en elle, tu peux avoir toute confiance. Par ici, nous y sommes presque. Il faut tirer au clair une fois pour toute ce que Nétone et Nacota te veulent. Et s’il en vient à cela… J’espère que ce sera le cas, marmonna l’ancienne pour elle-même, la Révérende Mère a les moyens de les remettre à leur place, magie ou pas magie.

Sur ce, Rosemonde s’arrêta brusquement et Haple lui serait sûrement rentrée dedans n’eusse-t-elle pas été à la traine.

- Nous y sommes.

Et après s’être accordée une seconde pour rassembler ses esprits, Rosemonde frappa à la porte devant laquelle elle s’était arrêtée. Haple en ressentait un grand soulagement. Elle était encore épuisée du coup de sang qui avait eu le meilleur d’elle-même dans la cour intérieure : ses jambes lui semblaient avoir une rigidité toute relative et le sol semblait l’attirer irrésistiblement.

Des bruits de pas leur parvinrent de derrière la porte. Haple remarqua que celle-ci était délicatement ornementée de motifs géométriques complexes gravés dans le bois. Un bois d’apparence précieux et ancien d’ailleurs. Si le bureau d’une simple Sœur avait été aussi impressionnant de luxe et de merveilles, Haple n’osait imaginer quels trésors de raffinement devaient se trouver dans l’étude de la Révérende Mère !...

Lorsque la porte s’ouvrit, Haple découvrit une servante affublée négligemment de châles délavés trop grands pour elle et qui dépassaient sur une jupe, laquelle, trop courte, laissait voir les chevilles. La Révérende Mère n’avait visiblement que faire du confort et de l’allure de ses subordonnées… Cela étant, Haple songea que celle-ci devait être nouvelle car elle ne semblait guère au fait du protocole, du moins tel que l’elfe blanche s’imaginait qu’il se déroulait dans un endroit comme celui-ci.
Car en effet, la jeune humaine resta plantée dans l’encadrure de la porte une mine perplexe au visage, avant de finalement s’enquérir auprès de la paire de visiteuses :

- Rosemonde… ? Y-a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous ?
- Révérende Mère.

(Heeeinnn ?) Haple manqua de justesse de laisser paraitre son incrédulité ; sa retenue elfique lui sauva la mise.

- Je vous prie d’excuser mon insistance. Auriez-vous un instant pour poursuivre notre discussion : je crains que la situation ne nous échappe et ne requiert votre intervention dans les plus brefs délais.

La mère supérieure hésita. Haple ne put s’empêcher de remarquer comme elle prenait appui sur la tranche du battant de bois massif, son autre main retenant sur ses épaules son châle comme pour se protéger d’un froid qu’elle seule ressentait… Elle semblait elle aussi avoir eu son lot d’émotion aujourd’hui. Et elle était de toute évidence lasse de cette conversation.

- Bien sûr, entrez Rosemonde, entrez. Et tu dois être l’enfant en question ? demanda la jeune femme machinalement avant de demander à toutes deux, « Haple » c’est bien cela ? Entre, viens donc t’asseoir, tu as l’air fatiguée.

- Vous aussi, vous devriez vous asseoir, vous avez l’air pâle.

Le silence tomba sur la pièce. Rosemonde et sa supérieure s’étaient figées sur place. L’instant suivant les deux femmes s’esclaffèrent. L’ingénuité de l’enfant avait dissipé l’espace d’un instant la fatigue de l’une et l’irritation de l’autre. L’espace d’un instant … :

- Tu as raison, Haple, soupira la Révérende Mère en tirant deux chaises pour l’enfant et elle-même. Asseyons-nous. Sœur Rosemonde … l’invita-t-elle formellement à les imiter. Bien, si je recoupe ce qu’on m’a dit, il semblerait donc que Sœur Nétone et Sœur Nacota t’aient conduite au Convent pour te mettre hors de portée de bandits de grand-chemin. Et ce-faisant elles auraient pris quelques libertés avec notre règle de non-intervention dans les affaires extérieures au Couvent.
- Pas seulement, lâcha l’ancienne entre les dents, je sais ce que j’ai vu : je connais mes herbes et mes potions.
- Comme je disais à Sœur Rosemonde il y a peu à ce propos, je choisis de mettre leur comportement sur le compte de l’impétuosité de la jeunesse. Attend !... ajouta-t-elle précipitamment la main levée.

Les lèvres de Haple se fermèrent avec récalcitrance sur la question qui la brulait. Mais à son étonnement, Sœur Rosemonde à ses côtés étouffa un soupir et l’enfant comprit que pour une fois ce n’était pas à elle que l’on demandait de prendre patience. Il y avait quelque chose de très inhabituel d’ailleurs à voir cette Ancienne obéir aux injonctions d’une femme trois fois sa cadette. La hiérarchie ne se fondaient apparemment pas sur l’âge chez les humains ; Haple approuvait. Elle ne pouvait néanmoins s’empêcher de remarquer que la main de la jeune femme qui maintenait son châle sur sa gorge s’était crispée lorsqu’elle avait arrêté son aînée, et que ce n’était qu’après quelques secondes de silence inconfortable qu’elle se détendit et se tourna vers l’étrangère :

- Haple. Quelle que soient les circonstances, rien ne justifie d’enfreindre cette règle primordiale de notre communauté.

Haple portait un autre regard sur ces « circonstances », telles que Nétone les lui avaient présentées en tout cas, et restait quelque peu prise de court devant la prise de position cynique de la Mère qui par ailleurs affichait un regard chagriné dans ses yeux bleus…

- Nous avons toutes acceptée de nous retirer des affaires du monde lorsque nous sommes entrées au Couvent. Je pense néanmoins que personne ici ne regrette de te voir en sécurité entre nos murs et je choisis de mettre leur manque de jugement sur le compte de l’impulsivité de la jeunesse.
- Par les oreilles de Zewen ! Ne te méprends pas, Ninïoton. La jeunesse n’y est pour rien : vous avez pratiquement le même âge, argumenta-t-elle pour tempérer la dureté de sa première interjection. Ce sont de mauvaises branches. C’est tout.

S’en était trop, elle la considérait décidément comme quantité négligeable. Pas même digne d’enfreindre leurs fichues règles de conduite.

- Vous ne comprenez pas !

Les deux humaines baissèrent brusquement la tête dans sa direction. Le poids de leurs regards combinés la surplombant lui firent temporairement oublier ce qu’elle allait dire. Si bien qu’elle se raccrocha à un second, plus modéré, « Vous ne comprenez pas » :

- Elles me cherchaient, l’humaine joufflue en tout cas, Nétone, elle me cherchait. Ce qu’elles ont fait, elles ne l’auraient pas fait pour n’importe quelle gosse. Elle m’a confessé qu’elles attendaient quelqu’un comme moi, une « élue » !...

Haple ne pouvait s’empêcher de se sentir flattée après ce que la Sœur Nétone lui avait dit. (« Tu n’es pas une enfant comme les autres, Haple ») Et tant pis si elle avait gardé le secret moins de dix minutes. Les deux humaines pouvaient-elles percevoir le plaisir qui vibrait dans ce dernier mot : « Elue ».? Un long silence s’ensuivit au cours duquel les épaules de la Révérende Mère s’abaissèrent et sa mine s’assombrit… Le poids du monde tout entier semblait soudain peser sur les épaules de cette jeune femme. Cette révélation n’avait pas l’effet escompté, jugea Haple. Pourtant, cela justifiait bien d’avoir enfreint les règles du Couvent, non ? Pour elle, pour « l’Élue » ?

- Nous comprenons plus que tu ne le crois, Haple, rétorqua avec gravité Sœur Rosemonde avant de tourner un regard lourd de sens vers la Révérende Mère. Je t’avais avertie qu’elles ne pouvaient pas se satisfaire de la vie monacale. Ça a commencé par les bijoux de Nacota ; ne parlons pas de l’idée que se fait Nétone de l’ascèse. Et les voilà qui se lancent sur des chimères – quelles que soient ces histoires d’Elu : des chimères !
- Je vais leur parler… tenta la jeune humaine pour désamorcer la colère de sa consœur qui montait à vue d’œil.
- Ça ne suffit visiblement pas ! Ce sont des garces en manque de discipline, tes sœurs.

(« ses » Sœurs … ses sœurs biologiques ?)

- Une correction exemplaire, rien de moins ne fera l’affaire, ne transige pas. Ou bien elles seront notre perte à toutes ! Es-tu prête à fermer les yeux quelles que soient les conséquences ? Au prix d’une révolte ?!
- Non…non…bien sûr que non… bafouilla l’humaine conciliante dont les yeux bleus tremblaient sous le coup de l’émotion.
- Ça fait du bien de l’entendre, ma Mère, offrit plus posément la Sœur Rosemonde. Car c’est précisément pour canaliser vos sœurs que nous, les doyennes, vous avons élue pour diriger le Couvent.

Rosemonde sembla coupée de court par la coopération de la Révérende Mère et se tut, rassurée. Haple aurait juré que tout n’avait pas été dit mais que l’Ancienne avait obtenu ce qu’elle était venue chercher et qu’elle avait la sagesse d’en rester là. Haple, elle, ne comptait pas en rester là et elle comptait bien battre le fer tant qu’il était chaud afin d’en apprendre plus.

- Ninïoton… attaqua l’enfant.
- C’est « Révérende Mère », ou Sœur Ninïoton, Haple, rectifia Rosemonde avec un haussement de sourcil entre amusement et exaspération. Même pour toi.

(Soit)

- Merci, intervint poliment l’intéressée à l’attention de son aînée après avoir repris quelque peu le contrôle de ses nerfs, mais « Ninïoton » fera l’affaire, Haple. Exceptionnellement, précisa-t-elle à mi-voix avant de se tourner vers la doyenne. Sœur Rosemonde auriez-vous l’obligeance de prévenir les cuisines que j’arriverai au réfectoire avec quelques minutes de retard ? J’aimerais m’entretenir avec Haple encore quelques instants.

Haple nota pour elle-même que malgré l’évident manque d’autorité naturelle qui caractérisait la Révérende Mère, elle n’était pas dépourvue d’esprit. Car elle venait purement et simplement de congédier en douceur sa consœur. Et celle-ci d’obtempérer de bonne grâce, mais non sans un regard rassurant pour l’elfe qui semblait souligner ce qu’elle lui avait dit avant d’entrer (« C’est une puissante magicienne, tu peux tout lui dire et, en elle, tu peux avoir confiance» …) Haple songeait qu’elle voulait y croire lorsque le cliquetis métallique de la serrure marqua le début de la seconde mi-temps. Elle voulait y croire.

***

Ce fut au tour de l’humaine d’appliquer la méthode Rosemonde cette fois. Les mains sur les genoux, la respiration lente et profonde et un regard neutre … la Révérende Mère se faisait l’image même de la neutralité : un miroir sur lequel projeter ses propres réflexions. Cherchait-elle à obtenir seulement la version des faits de l’enfant ? Elle venait de s’engager à ne pas fermer les yeux après tout. Mais peut-être espérait-elle y trouver quelque indication que l’enfant avait menti … ? (Peu importe) Haple n’avait pas l’intention de revenir sur ce qui avait déjà été dit ; elle brûlait d’impatience de révéler ses suspicions :

- Les enfants qui disparaissent… attaqua-t-elle de but en blanc.

Haple jeta un regard pour voir si son accroche avait fait mouche. Que neni : le visage diaphane de la jeune humaine était un masque de distraite absence.

- Les disparitions d’enfants… reprit-elle avec entêtement, elles sont en lien avec le culte de Zewen.

(Rien) Haple avait anticipé un sursaut d’indignation, un rire condescendant : une réaction violente pour une déclaration aussi choquante. Mais la Révérende Mère ne bougea pas d’un cil. Simplement, ses épaules semblèrent s’alourdir, peut-être. Haple n’aurait pu dire si c’était son imagination qui lui jouait un tour. Il lui faudrait visiblement être plus convaincante.

- Enfin, il me semble... J’ai rencontré un Fujonien avant d’arriver dans les Duchés. C’est un prêtre de Zewen apparemment et il m’a remise à une montagnarde qui était une fidèle. Ils m’ont dit que je devrais me faire discrète dans les Duchés parce que certaines personnes qu’ils redoutent me cherchaient, soi-disant. Et il y a eu ce marchand dans la grotte des affaires qui m’a avertie que ce Pulchinel qui travaille pour votre sœur était un sinistre bonhomme. Et aujourd’hui, Nétone me confirme qu’elle, et une « Nacota » aussi, me cherchaient effectivement, poursuivit Haple pour elle-même autant que pour la mère supérieure. Enfin, pas directement mais par l’intermédiaire de bergers, selon elle.

Haple perdait le fil de sa démonstration. Elle pressentait plus qu’elle ne savait quoique soit. Et son interlocutrice ne prenait pas la mouche… Cependant, à la mention des « bergers », un éclair de compréhension avait traversé les yeux bleus de l’humaine. Et dans la seconde qui suivit, le mouvement de son châle trahit un abattement perceptible : cette fois, elle ne pouvait plus dissimuler qu’elle n’accueillait pas cette nouvelle de gaieté de cœur. En quoi leur recours à des bergers était si riche de sens ?... Haple l’ignorait.

- D’après Nétone, ce sont le Fujonien et ses partisans qui enlèvent des enfants et qui les font disparaître. Elle dit que sans son intervention le Fujonien m’aurait kidnappée moi aussi et qu’il rôde peut-être encore dans les parages…

Cela dit la première concernée n’en avait aucun souvenir et de fait… c’était dans ce Couvent des Sœurs du Saint-Livre qu’elle était retenue pour l’instant … (Qui croire ?) Voilà qui ce qui la taraudait. Si elle faisait abstraction du récit des événements de la veille fait par Nétone, le Fujonien comme la sœur lui portaient tous deux un intérêt inhabituel et prétendaient vouloir la protéger de l’autre partie.

- Je vois, commenta la religieuse platement. Ce n’était donc pas de quelconques malfrats qui s’en sont pris à toi hier. Et tu as parlé de ta théorie à Sœur Rosemonde ?
- Non…je…non… bafouilla Haple en se demandant s’il n’aurait pas été plus prudent de mettre au courant autant de gens que possible pour éviter…elle ne savait trop quoi.

La Révérende Mère courba l’échine dans une attitude méditative qu’elle rompit une minute d’éternité plus tard :

- Je pense qu’il serait préférable de ne pas ébruiter cette affaire. Tu as peut-être perçu dans ma conversation avec Sœur Rosemonde que la situation au couvent est tendue ces temps-ci. Les affaires de Nétone et Nacota à l’extérieur du Couvent ne sont pas du goût de toutes et j’aimerais éviter une escalade de l’hostilité entre mes consœurs.

(Ça me fait une belle jambe, ça ! Et d’ailleurs…)

- Entre les Sœurs du couvent et « vos » sœurs, insinua Haple en insistant lourdement sur la distinction ?

Son étonnement peint sur son visage blafard, la Révérende Mère rebondit sur la remarque malicieuse de l’enfant avec une candeur qui désamorça la méfiance de celle-ci :

- Bien sûr, tu as entendu Sœur Rosemonde mentionner Nétone en tant que « ma » sœur, commenta-t-elle pour elle-même. Nacota, Nétone et moi sommes nées de la même mère en effet.

Haple remarqua que l’humaine ne daignait pas répondre à l’accusation de partialité. Au lieu de cela, la jeune femme raffermit machinalement la prise sur son châle et se mit sur pied pour signifier la fin de l’entrevue.

- Un diner chaud nous attend au réfectoire, annonça-t-elle tout en traversant la pièce pour remettre les chaises en place. Mais je pense qu’on pourra te faire apporter le tien dans une cellule…

( ???)

- …dans une chambre, se reprit la Révérende Mère. On parle de « cellule », mais ce sont des chambres tout ce qu’il y a plus de confortables.

(si c’est comme celle dans laquelle je me suis réveillée on a une idée différente du confort…)

- Tu pourras t’y reposer en attendant que l’on avise comment gérer au mieux cette situation épineuse.

Haple se contenta d’opiner du chef avant de se diriger vers la porte où la supérieure du couvent l’attendait désormais, une main sur la poignée.

- Et une dernière chose, Haple, avant que je ne rejoigne les autres… Tant que je veillerai sur toi : il ne t’arrivera rien. Je te le promets.

Une promesse plus inquiétante que rassurante…

- Et maintenant, « à la soupe », conclut-elle d’une voix où se mêlaient lassitude et jovialité.

>>> Suite : 7/8
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 15:06

Décision

La Révérende Mère l’avait conduite à travers les couloirs du couvent jusqu’à une petite pièce avant de l’y laisser seule pour prendre ses marques. L’elfe avait reconnu la « cellule » dans laquelle elle s’était réveillée avec son lit de bois, son pot de chambre et son bureau minimaliste. Lorsqu’elle avait jugé que les bruits de pas de son « hôtesse » se furent suffisamment éloignés, Haple se dirigea vers la fenêtre donnant sur la cour qu’elle avait aperçue à son réveil : était-elle verrouillée ? (Non)

Toujours avoir une voie de sortie… du fait de ses aventures récentes la prudence devenait une seconde nature. Et c’est alors qu’elle avait la main sur la poignée métallique que deux coups secs suivis immédiatement d’un grincement de porte retentirent dans son dos.

Elle n’avait certes pas sérieusement envisagé de fausser compagnie aux nonnes en passant par la fenêtre mais ses nerfs étaient à vifs et la nouvelle-venue portant un plateau-repas la fit sursauter. Haple nota qu’elle ne reconnaissait pas la religieuse qui s’avançait sans cérémonie dans la pièce. Celle-ci ne semblait accorder aucune importance à l’enfant, qui le lui rendit bien. D’ailleurs, quand bien même l’humaine eut été plus communicative, Haple n’aurait sans doute eu autre chose en tête que le contenu du plateau qui trônait désormais sur la tablette du bureau. Et, toute à son inspection du dîner, elle ne remercia d’ailleurs pas la religieuse, ni ne la salua lorsque celle-ci ressortit sans un mot.

Panais et pommes de terre flottaient dans un large bol de terre cuite généreusement rempli d’un bouillon clair qui fumait en vaporeuses volutes devant les yeux captivés de l’elfe blanche. Anticipant le plaisir qui l’attendait, Haple inspectait le reste du repas qu’on lui avait servi : la soupe était accompagnée d’une longue et épaisse tranche de pain de seigle tartinée de beurre blanc ainsi que de fragments de fromage débités grossièrement dans ce qui devait être une version locale de l’Amarantha des Duchés de l’Est. En effet, le fromage de brebis à la texture plâtreuse avait été émietté et déposé non pas dans un bain d’huile d’olive mais sur une fine couche de vinaigre de vin qui en noircissait progressivement la chair lactescente. Haple en salivait d’avance.

Désormais seule face au spectacle alléchant de ce souper, Haple ne pensait plus qu’à une chose. (Manger !) Et c’est avec voracité qu’elle s’emparât du bol de soupe, se brûlant délicieusement les mains, et qu’elle en aspira une petite lippée avec moult bruits de succion tandis que les lamelles de poireaux venaient chatouiller sa lèvre supérieure comme une invitation à les goûter.

Quelques minutes plus tard, elle avait fait un sort au contenu du plateau-repas et portait rêveusement à sa bouche les quelques miettes de pain et gouttes de bouillons qui gisaient sur le bois du plateau, victimes collatérales de son appétit maintenant rassasié. Elle songeait qu’elle aimerait creuser le fond de cette histoire d’élue, et tant pis si cela venait avec son lot de disparitions d’enfants et de conflits cléricaux !... (Savoir de quoi il en retourne pour mieux déterminer ce que, moi, je veux dans cette histoire). Bien qu’elle n’accordait qu’une confiance très limitée aux propos de la Sœur Nétone concernant les circonstances de son arrivée au Couvent, une chose lui paraissait certaine : elle avait de la valeur aux yeux de la nonne si celle-ci s’était donnée la peine de la soutirer à l’emprise de Bharf (quelles que soient ses intentions et celles du Fujonien). Mais comment obtenir une version objective de la situation. Tous les adultes se présentaient comme ses seuls protecteurs et reprochaient aux autres des intentions malfaisantes… Certains mentaient donc (Nétone, Bharf, Rosemonde, la Révérende Mère, Roche...) Mais qui?

(Tous …)

Abattue, la pensée lui traversa l’esprit qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même pour mettre à jour la vérité. Et la tête enfouie entre ses bras croisés sur le bureau, elle entreprit sans grand espoir de passer en revue ce qu’elle savait (ou croit savoir) de chacun des protagonistes. (Roche, morte pour me sauver). Mais au nom de quelle cause supérieure ? (Pour Bharf, mais pourquoi ?) Pour une raison inconnue contraire aux intérêts de Nétone… Eux-mêmes opposés à la vision que Rosemonde avait de la mission de leur ordre monastique… Sa tête semblait se fondre dans la chair de ses bras qui eux-mêmes s’enfonçaient progressivement dans la panneau de bois du bureau… (Rosemonde, Nétone, Bharf…) et les visages de ces inconnus qui avaient fait irruption dans sa nouvelle vie tournoyaient lentement dans son esprit fatigué comme les figurines intrigantes d’un carrousel pour enfant, la berçant et l’entrainant doucement dans un monde onirique peuplé de silhouettes brodées en fils multicolores, de runes vibrant d’une beauté mystérieuse et de tablettes d’argile gravées de son nom.

***

Haple émergea d’un rêve agité au cœur de la nuit. Son corps et son esprit avaient de toute évidence été profondément éprouvés durant cette première journée parmi les religieuses car d'ordinaire quelques heures de repos suffisaient à la remettre d'aplomb. Elle était inconfortablement allongée, peut-être cela l’avait-elle tirée de son sommeil ? maugréa-t-elle des profondeurs de son esprit embrumé. (Allongée…dans le lit?…). Elle ne se souvenait pas de s’y être rendue… Ouvrant ses paupières lourdes sur la pénombre de la cellule, l’adolescente aperçut immédiatement dans ce décor obscur la silhouette de la Révérende Mère assise dans un rayon de lune. Percevant le regard de la jeune elfe, l’humaine tourna son visage blafard vers le lit et conseilla d’une voix douce :

- Rendors-toi. Je veille sur toi ce soir.

Et malgré un sentiment de vulnérabilité sous-jacent, Haple ferma les yeux, quelque peu rassurée à l’idée qu’on n’aurait pas bordé pas les couvertures de quelqu’un à qui l’on voudrait du mal. Elle ne dormirait pas - pas plus qu'aucun Hinion - mais elle pouvait méditer quelques heures avant de faire face à une nouvelle journée d'épreuves.

***

Lorsqu'elle émergea, la supérieure était toujours présente mais elle s’affairait autour du bureau. La lumière rosée de l’aube lui empourprait délicatement ses pommettes blanches et faisait miroiter sa longue chevelure d’ébène ; la Révérende Mère lui faisait penser à sa mère… Aussitôt formulée, Haple chassa cette pensée et repoussa brusquement ses couvertures.

- Je me doutais que le bruit te réveillerait.

La voix de l’humaine était chaleureuse, mais le sourire qu’elle esquissa à l’attention de l’enfant traduisait une certaine fatigue. Avait-elle passée la nuit éveillée à son chevet? (Trop tôt…) Oui, il était trop tôt pour formuler des conjectures.

- Rejoins-moi à la table s’il te plait, il nous faut décider ce qu’il doit advenir de toi.

Et comme pour réitérer l’invitation, la mère religieuse versa deux tasses d’un thé fumant qu’elle venait apparemment de faire apporter. A regret, Haple se redressa en position assise puis sortit du lit avant de traverser pieds nus l’intérieur spartiate de la cellule.

- Est ce que tu as de la famille dans les Duchés? interrogea l’humaine avant de poursuivre en réaction au mutisme de l’adolescente : En Anorfain?
- Je ne peux pas retourner d’où je viens, se borna prudemment à répondre l’intéressée.

Après un temps de pause l’invitant à élaborer, sans succès, la Révérende Mère hocha de la tête et se dirigea vers la fenêtre en marmonnant vaguement son acquiescement : “Bien, bien…

C’est alors que Haple pris la parole avant même de savoir ce qu’elle allait dire :

- Je veux rester ici.

Un silence lourd tomba. Un oiseau gazouilla dans la cour intérieure. Un éclair de compréhension surgit finalement sur les traits perplexes de la religieuse :

- Tu veux devenir l’une des nôtres.
- Oui, confirma-t-elle fermement avant de rajouter sans laisser paraître que cela lui écorchait la langue : Révérende Mère.

C’est lorsque ces mots franchirent le seuil de ses lèvres que Haple reconnu leur bien-fondé. Elle n’avait pas médité sur la question, mais à présent cela lui paraissait être l’évidence : Où mieux qu’au couvent était-elle susceptible de trouver des réponses à ses questions ?! Mais l’humaine accepterait-elle de laisser rester l’étrangère qu’elle était ? Rien n’en était moins sûr, et alors que Haple s’apprêtait à défendre sa cause avec un mélange de ferveur religieuse fraichement trouvée et d’une comédie de pauvrette miséreuse, la Révérende Mère déclara d’une voix mal assurée, comme si elle redoutait d’entendre la réponse :

- Est-ce ta volonté, ou celle de Sœurs Nétone et Nacota ?

Du tac au tac, portée par les muses qui susurrent leurs mensonges aux enfants roublards, Haple répondit :

- C’est la volonté de Zewen. Et je l’accepte avec la sérénité de savoir que c’est la voie qui est la mienne.

Elle était fière d’elle et sentait la chaleur de la victoire qui montait dans ses joues (rester humble, rester humble…). Haple percevait que sa réponse avait fait mouche et qu’aucune autre réponse n’aurait apaisé les craintes non-dites qui semblaient pétrir la mère religieuse… (Et qui sait, peut-être que c’est Zewen qui m’a bel et bien mis cette idée dans la tête ! …)

- Zewen seul sait, commenta simplement la Révérende Mère en signe d’acceptation. Tu souhaites donc être des nôtres ; tu devras en conséquence te plier à nos règles de vie. Tu en as conscience ?

Haple hocha de la tête.

- Elle ne sont pas nombreuses : travailler à la mesure de tes capacités, prier à la mesure de ton inspiration et … la dernière, tu as entendu la Sœur Rosemonde nous la rappeler : se retirer des affaires publiques.

Haple ne voyait pas d’inconvénient aux deux premières. Quant à la dernière… elle ne semblait pas être respectée rigoureusement.

- J’ai besoin de t’entendre dire que tu acceptes notre règlement, Haple.
- Je l’accepte, professa l’adolescente sans broncher.
- Et bien voilà qui règle la question de ce qui doit advenir de toi, conclut la Révérende Mère en portant sa tasse aux lèvres. Humm… le thé est froid. Je vais te faire apporter une théière fraiche, mange un peu en attendant.

L’humaine posa sa tasse sur le bureau et se dirigea vers la porte avant de se retourner et d’ajouter :

- Une cérémonie rituelle sera organisée cet après-midi pour marquer le début de ta nouvelle vie ; la doyenne du Couvent passera te voir pour t’y préparer.

Et avec un sourire bienveillant, elle sortit laissant l’elfe contempler avec un mélange de peur et d’excitation l’énormité de son audacieuse décision.

>>> Suite : 8/8
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » dim. 17 sept. 2023 15:14

Mort au monde

La matinée passa en l’espace d’un instant. C’était drôle comme le temps pouvait être élastique. La journée de la veille lui avait donné le sentiment de durer aussi longtemps que son long périple au travers des Duchés. Toutes ces nouvelles têtes, toutes ces nouvelles informations ! Et encore, elle pressentait qu’elle n’était qu’au début de ses surprises dans ce couvent des Sœurs du Saint-Livre…

D’ailleurs, c’était une inconnue qui lui avait apporté son déjeuner. (Combien sont-elles à vivre ici ? ...) Et une autre qui l’avait remporté aux cuisines, tel qu’il était arrivé. L’enfant n’avait pas faim, ou plutôt si, mais elle préférait ne pas manger du fait de la nausée qui la saisissait à chaque fois qu’elle songeait à ce qu’elle s’apprêtait à faire. Quelle folie !...

Pourquoi ne pouvait-elle pas simplement poursuivre sa route ? Assurément, la Révérende Mère la laisserait revenir sur sa profession de foi si elle allait la trouver maintenant. Et l’idée de parcourir les grands chemins la séduisait toujours : aller de village en châteaux, vivant du peu que l’aumône et ses talents naissants de musicienne lui offrirait… (Oui) Elle aurait la liberté, l’indépendance et l’aventure à laquelle elle avait toujours aspiré. (Mais…) Ce prêtre de Zewen, ce Bharf, retrouverait-il sa trace ? (Peut-être, mais qu’importe). Non, ce n’était pas la peur qui la retenait entre ces murs.

En vérité, elle ne pouvait prétendre ne pas être rongée par la curiosité quant à cette affaire d’Élue… Plus elle y pensait, et plus elle sentait la fausseté du récit de la Sœur Nétone, (Oui, mais …) sauf la partie où la religieuse l’avait décrite comme l’enfant exceptionnelle qu’elles attendaient, elle et ladite Nacota. C’est donc avec la peur au ventre et une détermination farouche que Haple s’assit en tailleur sur le plancher de sa cellule et attendit.

***

Etant parvenue à faire le vide dans son esprit, l’elfe perdit toute notion du temps qui passait. Ce fut lorsque trois coups résonnèrent sur sa porte qu’elle reprit pied dans l’instant présent. (C’est soit le thé et les biscuits, soit le grand moment). C’était le second.

Une religieuse d’apparence aussi âgée que les murs entra à petits pas prudents, s’appuyant sur la poignée de la porte entrouverte pour reprendre son souffle. Haple remarqua qu’elle portait en travers de son bras libre une étole blanche qui semblait l’encombrer et se leva pour l’en débarrasser.

- Enfile-la, petite. Non, pas par-dessus … Retire tes vêtements d’abord, lui ordonna la doyenne sans grand égard pour la pudeur de l’enfant.

Haple commençait à se faire à la rudesse des gens des Duchés, mais se retourna néanmoins avant de se déshabiller entièrement sous les yeux impatients de la Sœur et d’enfiler ce qu’elle supposait être une tenue cérémonielle. Il s’agissait d’une sorte de robe sans manche coupée dans un tissu en laine d’une blancheur immaculée. Et étonnamment agréable au toucher, songea Haple alors que l’étole coulait sur ses jambes nues. (Mais bien trop grande ! ...)

Le spectacle devait être comique : le bas de la robe se pliait et se repliait sur ses pieds comme le duvet neigeux des statues en hiver. Haple releva la tête vers la religieuse s’attendant à moitié à y voir un regard amusé. Au contraire, celle-ci semblait irrité et ne s’en cachait pas :

- Oui, eh bien on ne reçoit pas d’enfants dans nos rangs normalement. Encore que… ce n’est plus ce que c’était. Ah, mais peu importe, tout le monde t’attend petite. Allons-y.

La « petite » se demanda ce qu’elle avait fait pour mériter ce traitement glacial. Elle sentait même monter en elle une de ses occasionnelles poussées de colère… qui ne prit cependant pas le pas sur sa nervosité actuelle. Tout en évitant de trébucher sur le bas de sa robe, Haple emboita donc le pas à l’humaine qui avait lentement tourner les talons et descendait désormais laborieusement le couloir lambrissé.

Quelques longues et pénibles minutes de silence plus tard, sa guide ralentit (si c’était possible) et s’arrêta devant une grande porte à double-battant sur laquelle elle posa une main tremblante. A entendre sa respiration caverneuse et précipitée, Haple supposa dans un premier temps que l’humaine reprenait simplement sa respiration. Puis, en y repensant, la porte massive devant laquelle elles se trouvaient ne ressemblaient à aucune autres avec ses larges planches d’un bois aux reflets rouges et ambrés … Peut-être était-ce leur destination finale… le lieu de la cérémonie… ? Et, songeant alors que la religieuse d’un âge canonique s’évertuait probablement à pousser le lourd battant contre lequel elle s’appuyait de tout son maigre poids, Haple fit mine de lui venir en aide.

- Tssst !... siffla hostilement l’humaine en guise de rebuffade.

(Bon…)

Après quelques secondes durant lesquelles Haple songeait que l’attente devenait fastidieuse, la vieille femme ayant retrouvé son souffle se passa la langue sur les lèvres puis frappa à la porte trois coups assurés qui résonnèrent contre le cœur de l’enfant.

***

L’instant suivant, les deux battants de la porte s’ouvraient sur un spectacle impressionnant. Elles étaient attendues pour sûr : deux rangs de femmes de tous âges parcouraient une longue salle aux murs, plafonds et plancher en bois opulemment laqué. Le contraste avec la plupart des pièces qu’elle avait jusqu’ici traversées était saisissant. Tout au bout de la salle capitulaire se tenait debout, dos à l’assemblée, la silhouette encapuchonnée d’une femme élancée vêtue de noir. Maintenant qu’elle y songeait… (elles sont toutes habillées en noir, toutes…). La peur au ventre, l’enfant s’apprêtait à faire marche arrière et songeait déjà que sa robe trop longue l’empêcherait de courir et que… Mais, avant que son courage ne l’abandonne, le cours de ses pensées se figea instantanément lorsque la silhouette lointaine de la femme à la capuche se retourna d’un mouvement fluide. C’était l’humaine qui avait veillé sur elle cette nuit. Ninïoton.

- Vénérable Sœur, qui amènes-tu devant notre assemblée ? interrogea-t-elle solennellement.
- Révérende Mère, croassa d’une voix forte la vieille femme à ses côtés, j’amène Haple, servante de Zewen.
- Servante de Zewen elle n’est pas. Aussi noire d’encre que nous sommes, elle est une page blanche de Son Livre. Est-elle prête à se faire le réceptacle de son Ecriture ?

Un silence s’ensuivit. Haple ne pouvait en être sûre à cette distance mais il lui avait semblé discerner un hochement d’encouragement de la part de la tête encapuchonnée.

- Oui.

Les battements de son cœur firent écho au son de sa voix.

- J’y suis prête, proclama-t-elle, les jambes tremblantes.

Au fur et à mesure que les mots sortaient de sa gorge serrée, Haple sentait son esprit s’alléger et son corps se détendre. Trop même. Ses genoux, sa nuque, ses paupières… elle avait la sensation de se liquéfier sous le contrecoup du stress qui la quittait.

- Approche Haple, commanda avec bienveillance la Révérende Mère.

Et comme une funambule sur son fil, l’enfant se mit en marche prudemment, un pied devant l’autre, serrant ses mains d’albâtre sur sa robe blanche aussi bien pour en relever le bas qui trainait sur le plancher en bois que pour reprendre consistance.

De part et d’autre, les Sœurs se tenaient en rang et la regardait avancer. Certaines avec intérêt, d’autre avec circonspection. La plupart avec une indifférence presque… (insultante). Elles devaient être au nombre de cinquante alors une de plus ou une de moins… Haple nota pour elle-même qu’elle semblait être la plus jeune dans la salle. Et que les Sœurs semblait s’être mise en rang en fonction de leur âge des plus jeunes au plus vieilles – (par convention ou par affinités personnelles ?). La question lui paraissait d’une grande importance alors qu’elle arrivait à mi-chemin. Et Haple se rendit compte que son esprit s’agitait un peu plus à chaque pas, s’arrêtant sur toujours plus de détails et d’interrogations sur ce qui l’entourait comme autant de crochet qui la retiendrait en arrière… à distance respectable de la silhouette noire qui l’attendait patiemment avec une droiture toute cérémonielle.

Aussi soudainement que par hasard, les yeux de l’elfe se posèrent soudain sur un visage qui lui fit l’effet d’une gifle. (Nacota !) Elle le savait dans sa chair frissonnante sans pouvoir l’expliquer. Elle ne se souvenait pas de l’avoir rencontrée, et pourtant… Peut-être était-ce le perçant de ce regard avide qui lui évoquait une voix… l'écho d'une voix... ou plutôt l’ombre de l’écho d’une voix… implacable, cruelle… une voix qu’elle ne pouvait placer mais qu’elle ne pouvait pas plus cesser d’entendre. Ça n’avait aucun sens. Et si elle continuait à dévisager la Sœur tout en avançant machinalement, elle pourrait ajouter un torticolis à sa confusion. Alors se ressaisissant, Haple reporta son regard devant elle.

Son comportement semblait avoir causé un certain amusement chez certaines des Sœurs les plus jeunes. Sauf la bien-en-chair Nétone qui, elle, fronçait légèrement les sourcils… Qu’importe, Haple les dépassait à présent et arrivait progressivement sous les regards croisés de femmes aux allures de veuves endeuillées sous leurs longues robes noires, plus solennelles et voutées les unes que les autres.

Sur cette note réjouissante, Haple parvint enfin au terme de sa procession. Enfin, elle put se raccrocher à la vision sereine de ce visage aussi blanc que sa tunique de profane entre ses doigts tremblant d’émotion. L’adolescente pouvait enfin faire abstraction du reste de la salle et s’abandonner entièrement au moment qu’elle s’apprêtait à vivre.

Ses motivations avaient beau eu être cyniques et pragmatiques, en cet instant elle se sentait envahi d’une énergie qui tout à la fois la redressait, la rassemblait et l’ancrait en elle-même. Une énergie religieuse. Et c’est ainsi qu’elle accueillie les paroles de la Révérende Mère :

- Une nouvelle page s’écrit ici et aujourd’hui, déclara-t-elle à l’assemblée.

Puis d’un geste fluide, l’humaine se saisit d’un bol en grès posé sur l’autel au côté duquel elle se tenait. Haple se perdit dans la contemplation du liquide aqueux, hypnotisée par l’intensité de sa couleur, plus noire encore que la manche de l’officiante. L’encre la plus concentrée qu’Haple avait connu.

- Mon enfant, lui souffla-t-elle à mi-voix, prosterne-toi.

()

(……….)

L’adolescente se senti plier les genoux plus qu’elle ne le choisit. Son front au contact du plancher, elle franchit un cap et embrassa pleinement la situation ; elle règlerait ses comptes avec son inconscient plus tard. Imitant son geste dans une moindre mesure, la Révérende Mère se mise à genoux dans un bruissement de tissu et, d’un geste lent et doux, dégagea la nuque gracile de l’elfe de ses cheveux. Un frisson parcouru la profane.

- Ça va piquer, j’en suis désolée. Ne bouge pas.

Un froid plus intense encore la saisit. Elle était clouée sur place par la peur de l’inconnu. Puis, avec un premier glapissement, elle accueillit le premier éclair de douleur. Puis un second, un troisième… joignant un nouveau gémissement plaintif à chaque jet de douleur qui lui transperçait l’arrière de la nuque. Ses épaules se crispèrent, sa respiration…bloquée. Sous son ventre, ses doigts tordaient le tissu de sa tunique à en blanchir et, dans ses yeux, des larmes retenues derrière ses paupières résolument fermées, cherchaient à fuir le supplice.

Rapidement, elle se résigna à endurer le rite et s’immergea dans la sensation de souffrance pour mieux la contempler et s’empêcher de réagir. Les coups d’aiguille martelaient désormais rythmiquement une zone dans le creux de sa nuque, laissant derrière eux une chair meurtrie où s’était logée une douleur diffuse qui irradiait par élancements erratiques dans le crâne et le long de son dos. Elle se souvint alors qu’elle avait un torse. Un torse qui d’ordinaire se gonflait et se vidait sous l’effet de la respiration. Et alors elle expira. Prenant cela pour un soupir, l’officiante lui souffla qu’elle en avait presque terminé. Et de fait, quelques minutes agonisantes plus tard :

- Et voilà, murmura-t-elle. Tu vas pouvoir te relever.

Il lui semblait ne jamais vouloir se relever. Ouvrir les vannes de ses yeux et fondre dans le plancher, oui. Se relever et solliciter le moindre de ses muscles et nerfs endoloris…non. Mais la Révérende Mère déjà se hissait sur ses jambes et posait avec un bruit sourd l’encrier et l’aiguille honnie sur l’autel. Elle savait devoir l’imiter. Et elle s’y résolut, poings fermés et dents serrées sous l’effet de la douleur autant que celui de la colère qui s’en nourrissait.

Après s’être laborieusement remise sur ses pieds, elle planta son regard droit devant elle et refusant obstinément de se tordre le cou pour rencontrer les yeux de l’humaine. C’est alors qu’elle aperçut entre les mains de celle-ci un petit coffret métallique. Il était fait d’un métal simple d’une teinte grise avec des tâches plus sombres par endroit sous l’effet de l’oxydation. La Révérende Mère lui tendit dans un geste solennel et proclama d’une voix claironnante devant l’assemblée :

- Le premier mot a été écrit. La suite te reste à écrire, Haple la Simple.

Le silence répondit à cette déclaration et Haple comprit alors qu’elle était censée accepter le coffret entre ses mains. Ses phalanges se desserrèrent et elle saisit le coffret du bout des doigts. Il n’était pas froid comme elle s’y était attendue. Mais sa surprise vint surtout du fait qu’y était gravé un symbole attrayant fait de courbes et traits agencés harmonieusement les uns par rapport aux autres. Un symbole qui semblait empreint d’une signification aussi profonde que la noirceur de l’encre dans sa nuque.

A cette pensée, Haple porta une main distraite sous ses cheveux et la posa délicatement sur la zone où avait travaillé la Sœur Ninïoton. Elle grimaça de dégout en sentant un liquide tiède sur sa paume et la retira vivement pour la porter devant ses yeux. Le contact, si bref fut-il, avait laissé une empreinte. Et elle la reconnut aussitôt : la même forme se trouvait sur le coffret et sur sa paume! Elle avait été marquée (comme un agneau!). Une raideur indignée qui n’avait rien avoir avec la douleur dans son cou l’envahit alors qu’elle se retourna finalement vers l’assemblée complice. Ses nouvelles consœurs la regardaient docilement, sans grand intérêt, les plus jeunes montrant déjà des signes d’impatience de l’autre côté de la salle capitulaire. La plupart sauf deux, qu’elle nota dans sa mémoire : l’apathique géomancienne et son avide et sinistre sœur.

Plus grave que jamais, l’adolescente s’imprégna de la scène et de la multitude de ces femmes qui lui deviendraient familières. Et elle résolut :

(C’est ma voie que je trace ici. Et je ne ferai la volonté de personne d’autre que moi.)

(Pas Rosemonde. Pa Nétone. Pas Nacota. Pas Ninïoton.)

(Moi.)

Et une voix intérieur lui souffla : Haple, la Simple.

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Haple Mitrium
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:02

(((Dans les épisodes précédents...:
1: Haple est bannie d'Anorfain pour avoir tuée sa mère à l'enterrement de son père et se retrouve à l'Est des Duchés où elle est remise entre les mains d'une personne de confiance par un Fujonien dénommé Bharf (PNJ).

2: Ceux-ci pensent que son arrivée dans le duché des montagnes la place en grand danger, et que certaines personnes sont à sa recherche. Haple prend donc la route en compagnie de sa chaperone pour trouver refuge ailleurs, mais une rencontre avec des Djinns Marids sera fatale à la montagnarde et Haple se retrouvera de nouveau livrée à elle-même.

3: Suite à un rêve étrange dans lequel elle voit le sacrifice d'un agneau par son berger qui l'offre à un loup, Haple repère les traces d'un voyageur et les suit jusqu'à la grotte des affaires. Elle y rencontre un commercant de retour à Beauclair et décide de se joindre à lui pour le voyage. Un mystérieux voyageur se joint cependant à eux, M. Pulchinel, dont la sinistre réputation n'augure rien de bon.

4: Haple traverse les Duchés et se découvre une aptitude à la tromperie qui n'a d'égale que sa maitrise naissante du fluide tellurique. Parvenue à Beauclair, Haple se fait suivre par M. Pulchinel, lequel conduit à elle deux puissantes magiciennes, les Soeurs Titudes, Nétone et Nacota (PNJ), qui capturent l'adolescente et lui font perdre connaissance.

5 : Haple se réveille au Couvent des Soeurs du Saint Livre avec un mal de crâne carabiné et aucun souvenir de comment elle est arrivé là: Quid des évènements à Beauclair! La vieille Soeur Rosemonde (PNJ)l'acceuille dans la communauté avec une bienveillance rassurante. Néanmoins, suspecte, Haple arpente les couloirs et lieux de vie de la sororité à la recherche de réponses, prenant le pouls du collectif et sentant bien qu'y couve quelque chose de louche . La Soeur Nétone lui révèle que Nacota et elle croient avoir découvert en l'adolescente une "Elue" et qu'elle l'ont conduite au couvent pour sa protection. D'ailleurs, tout le monde s'y met : la Soeur Rosemonde qui suspecte les Soeurs de jouer un double jeu leur soutire Haple et l'emmène voir la Révérende Mère, qui n'est autre que Ninïoton (PNJ), la soeur biologique aînée de Nétone et Nacotta, laquelle se porte elle aussi garante de la sécurité de Haple... Décidément, tous ces gages de sécurité sont plus inquiétants qu'autre chose! Et Haple prend la décision audacieuse de joindre les rangs des religieuses pour lever le voile sur ces secrets et cette histoire d'élue. Du moins pour l'instant...
)))


Ecriture Divine


Neufs mois s’étaient écoulés depuis son entrée au noviciat. L’automne avait été court cette année, trop vite balayé par une vague de froid précoce venant du Nord. La neige tombée des jours et des nuits durant avait surpris les animaux des forêts et des montagnes alentours. Ils avaient dû se hâter de migrer vers le Sud ou de prendre le chemin de leurs terriers pour y hiberner. Avaient-ils eu le temps de faire les réserves caloriques qui leur permettraient de survivre jusqu’au dégel ? Les Sœurs du couvent qui avaient la charge de chasser s’en étaient inquiétées lors des longues soirées d’hiver. Ce n’était pas tant une sollicitude charitable qui motivait ces discussions que le risque d’un effondrement des populations sauvages et ce que cela impliquerait pour l'approvisionnement en plumes, graisses animales et poils qu’employaient les artisanes du couvent. Et la viande de gibier, aussi.

La rudesse de l’hiver ne fit qu’accentuer le plaisir retrouvé que les Sœurs prirent au retour des beaux jours, leur permettant de sortir vaquer à leurs occupations hors des murs entre lesquelles elles s’étaient retrouvées cloitrées si longtemps. Jamais la coupe du bois ou bien l’entretien du vignoble n’avait suscité tant d’enthousiasme ! Haple, elle, n’avait pas eu cette chance : depuis son premier jour au couvent, elle était sous instruction de la Révérende Mère de ne pas quitter le couvent. Les corvées qui lui incombaient la maintenait toujours entre quatre murs, ou dans le meilleure des cas dans la cour intérieure du couvent pour redonner vie au jardin de simples. La jeune novice soupçonnait qu’on voulait la garder à l’œil. Du fait de son plus jeune âge peut-être ou en lien avec les circonstances rocambolesques de son arrivée dans la communauté du Saint Livre.

En cette fin de matinée d’été, Haple regardait par la fenêtre les falaises du cirque au creux duquel le couvent avait été bâti. La fonte des neiges alimentait des cascades qui se jetaient dans le vide, laissant s’échapper des gerbes d’eau dans les airs comme autant d’offrandes à Rana, avant de s’écraser avec fracas en contre-bas. Elle s’imagina, pour un instant, gouttelette dévalant les pentes des pieds du Géant. Une autre novice lui avait rapporté que les environs étaient parcourus de torrents tortueux qui se rejoignaient en aval pour finalement rejoindre le Fleuve Blanc. (Et de là, Beauclair…).

L’adolescente commençait à perdre patience dans sa quête d’information. Les évènements qui l’avaient conduite à choisir de « mourir au monde » pour jouer le rôle de la fidèle servante de Zewen lui semblaient d’une autre époque. Elle n’en avait pas découvert plus en neufs mois sur ce que tramaient les sœurs Titudes : Nétone et Nacota. (Ou sur cette histoire d’élue…). Tout ce qui s’était dégagé de ces mois en réclusion, c’était l’indéniable tension qui montait dans la communauté entre les partisanes des traditions et celles, plus jeunes, qui soutenaient les deux sœurs Titudes dans leur désir d’intervenir dans les affaires du monde extérieur. Et ce n’est pas aujourd’hui qu’elle en apprendrait plus… coincée qu’elle était dans la salle d’étude.

La Sœur Rosemonde, assise à quelque pas de l’adolescente, s’était portée volontaire pour lui enseigner les rudiments de leur système de croyance. Elle l’avait entretenue tout l’hiver de la notion de Temps et de Destin. Ces leçons mettaient Haple mal à l’aise et elle avait préféré lorsque la vielle moniale avait répondu à ses questions sur le clergé de Zewen, son fonctionnement, ses différentes mouvances… Cela au moins étayait sa réflexion sur les motivations des sœurs Titudes. Elle avait donc été déçue lorsque leurs sessions d’étude étaient revenues récemment sur le sujet ésotérique de l’écriture divine. D’ailleurs, son instructrice n’ayant pas manqué de le remarquer s’était résignée à lui donner de l’espace et se concentrait sur un ouvrage de peinture.

Au moins faisaient-elles aujourd’hui de la pratique. Haple reporta son attention sur la feuille de papier sur son bureau. La leçon consistait à reproduire des runes à l’encre et au pinceau sans en connaître le sens. La jeune novice n’y voyait pas l’intérêt : si au moins elle apprenait ce qu’elles signifiaient ou comment les utiliser dans la vie de tous les jours… Mais comme Rosemonde lui avait dit :

- L’important n’est pas de comprendre. Quel besoin avons-nous de comprendre la parole divine. Elle est, elle façonne le monde et sa place dans le Grand Livre dépasse notre entendement. Il nous suffit de la laisser opérer ! Au mieux devrions-nous aspirer à la ressentir et l’accueillir avec humilité.

L’Ancienne lui avait confié qu’elle trouvait dans l’acte même de tracer ces courbes et ces traits un moyen de communier avec les forces qui ordonnaient et défaisaient le monde. Une plénitude spirituelle et une satisfaction du cœur. L’adolescente pouvait certainement bénéficier de ça… Alors elle fit une première tentative. La pointe de son pinceau consciencieusement posée sur sa feuille, elle entreprit de transposer la première rune qui lui vînt à l’esprit ; celle qu’on lui avait tatoué sur la nuque lors de son initiation ; la seule dont elle avait découvert le sens : « Simple ».

Sa tentative ne fut pas un franc succès. Le tracé de sa rune était correct mais elle n’avait rien ressenti de particulier. Elle avait trouvé l’expérience … bêtement scolaire. Elle perdit aussitôt intérêt pour l’exercice et laissa à nouveau son esprit divaguer devant le spectacle de la sombre forêt de sapins qui grimpait des abords du couvent jusqu’au pied des falaises. Le chant des oiseaux revenus parvenait à ses oreilles elfiques et l’emportait dans une rêverie, dans un ailleurs. Elle saisit machinalement un bâton de charbon et, suivant la mélodie rythmique des passereaux enjoués, griffonna distraitement autour de sa rune.

(Haple, la Simple)

Il lui semblait que si elle avait pu choisir la rune par laquelle elle serait marquée à vie ça aurait été quelque chose de plus… de moins plat. Les autres avaient-elles eu meilleur lot ? Elle n’en savait rien et ça ne l’intéressait pas… à y bien réfléchir. Car après tout, elles n’avaient pas eu le choix non plus ; c’était la coutume que la Révérende Mère ait cette responsabilité. Et quelle importance pouvait bien avoir la décision d’autrui ? Elle avait choisi de subir le rite d’initiation, oui mais… (je n’ai pas à adhérer au folklore qui va avec !).

Son fusain se brisa dans un bruit sec. Elle avait peut-être laissé son sentiment rebelle transparaître car elle entendit l’Ancienne soupirer légèrement.

- Si tu en as assez pour aujourd’hui, vas-y, lui accorda-t-elle d’une voix tendue. Ca ne sert à rien d’insister.
- C’est juste que… commença la jeune novice à la recherche d’une excuse qui lui sauverait la face, je viens de me souvenir que je suis de corvée de lessive aujourd’hui. Si je met le linge à tremper avant déjeuner, le travail sera déjà à moitié fait quand je m’y mettrai cet après-midi.

Rosemonde hocha de la tête sans commentaire, posa son pinceau sur le chevalet et y accrocha sa palette de couleurs. Comme à la fin de chaque session pratique, l’Ancienne la rejoint pour observer le fruit de son travail. Et comme à chaque fois, un léger (très léger) sentiment de culpabilité envahit l’élève distraite. A vrai dire, cette habitude de son instructrice l’irritait plus qu’autre chose en cela qu’elle ne semblait destiner qu’à montrer ses fautes dans un exercice pour lequel elle ne souhaitait pas particulièrement progresser. D’autant plus qu’elle ne lui faisait jamais de commentaires ni en bien ni en mal ; tout cela lui semblait insensé.

Haple se leva sans attendre. Le pinceau rincé et l’encrier bouché retrouvèrent leur place dans le tiroir central. Les fusains et pastels dans leur boite doublée d’un intérieur en papier de soie qui restait sur le bureau. Et n’ayant plus rien la retenant ici, Haple s’excusa simplement avant de se tourner vers la porte.

- Attends… Attends. Dis-moi, qu’est-ce que tu as inscrit ici ?

Rosemonde pointait du doigt l’un de ses griffonnages d’un air sincèrement perplexe. Et intéressée… Haple revînt sur ses pas, quelque peu déconcertée.

- Ce n’est rien. Je n’arrivais pas à me concentrer, c’est tout.

De nouveau, l’Ancienne hocha de la tête en silence. Mais cette fois elle semblait plus prise dans ses pensées qu’indifférente. Haple ne put s’empêcher d’ajouter :

- Pourquoi ?
- C’est juste que… hésita l’Ancienne, celui-ci ressemble fortement à un symbole que je connais.
- Une rune ?
- Oui… mais peut-être est-ce que je l’imagine. A en juger par ta réaction, ce n’était pas prémédité, ajouta-t-elle en levant les yeux. Et les autres autour de la rune tracée à l’encre… ?

Haple regarda de plus prêt. Effectivement, son griffonnage distrait avait produit sept ensembles de traits plus ou moins distincts et disposés plus ou moins régulièrement autour de sa rune.

(Mouai…)

- Je ne crois pas que je cherchais à représenter quelque chose de précis.
- Mmmh, je vois…

Haple attendit que l’Ancienne lui fasse part de ses pensées. Mais pour toute réponse, l’humaine plia la feuille en deux et lui sourit doucement :

- Eh bien, je croyais que tu voulais t'avancer sur tes corvées … ?

Comprenant qu’elle n’en obtiendrait pas plus, la jeune novice se remit en chemin.

>>> Suite : 02/10
Modifié en dernier par Haple Mitrium le mer. 4 oct. 2023 18:21, modifié 11 fois.

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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:03

Lessive


Haple déposa son chargement avec un profond soupir de soulagement. La pile de linge mouillé pesait bien lourd pour ses maigres bras et la chaleur de la mi-journée était étouffante.

(Et ce sera encore pire dans cinq minutes)

D’un geste habitué, elle releva ses cheveux noirs plaqués contre sa nuque et les attacha en un chignon haut avant de se retrousser les manches et de se diriger vers le coin du lavoir qui abritait la cheminée. Elle y avait déjà accroché à la crémaillère la grande marmite de cuivre puis l’avait remplie d’eau claire. Buches et brindilles de résineux étaient savamment placées dessous elles aussi et le feu pris dès les premières étincelles. Elle tenait le bon bout !

Haple recula pour s’éloigner de la chaleur qui commençait à se dégager du foyer. Elle savait qu’elle disposait de moins d’une dizaine de minutes avant que l’eau ne dépasse la température souhaitée pour le lavage. Elle ne perdit donc pas de temps pour s’asseoir contre le mur du lavoir le plus loin de la cheminée et tirer vers elle le reste de son déjeuner.

Elle avait quitté le réfectoire dès que le plat de résistance avait été remporté en cuisine. Normalement, cela aurait signifié la fin de son repas mais heureusement la sœur qui cuisinait ce jour-là connaissait son habitude et lui avait préparé un généreux morceau de fromage et un fruit à emporter. Car ce n’était pas la première fois que la jeune novice écourtait l’heure du déjeuner ou les heures de repos pour avancer dans ses corvées. Et cela, certaines de ses consœurs le respectaient et le lui rendaient de bon cœur.

A vrai dire, ce n’était pas tant par diligence que l’adolescente faisaient ainsi. Elle n’avait jamais rechigné à l’effort, particulièrement pour les travaux manuels, mais sa motivation était avant tout de se libérer au plutôt de ses responsabilités collectives pour passer du temps à l’atelier. Dès ses débuts, elle avait témoigné d’un certain don pour la manufacture de poterie et pour l’orfèvrerie. Lorsque ses consœurs artisanes soufflaient et pestaient contre une argile trop molle ou un métal trop dur, Haple, elle, semblait trouver la matière travaillée plus… coopérative. Du coup, ce qui leur prenait une heure (ou plus) était plié par l’elfe en une dizaine de minutes.

(Et les miens sont plus beau)

Cela lui valait bien l’animosité de certaines des novices dont Haple avait compris qu’elles rivalisaient d’effort pour se faire bien voir de la Sœur Nétone parce que celle-ci dirigeait la manufacture et donc leur petit univers… Elle s’était habituée à attirer des regards noirs lorsqu’elle réussissait un ouvrage particulièrement difficile ; elle avait aussi pris l’habitude de mettre discrètement une partie de sa production de côté et en avait su en tirer un bon prix auprès d’un voyageur kendran venu demander conseil aux Sœurs quant à l’avenir que le Livre lui prédisait… Qui sait ? Peut-être reviendrait-il et pourrait-elle augmenter son pactole ? Elle en aurait besoin lorsqu’un jour elle partirait.

(Un jour prochain)

Elle se hâta d’engloutir le reste de son déjeuner. Non sans un soupir d’aise lorsque ses dents croquant dans la pomme libérèrent son jus rafraichissant dans sa gorge sèche… Puis, la jeune novice se remit sur pied et retourna à contre-cœur vers la marmite où l’eau commençait à frémir.

(Pas de répit pour les ambitieuses…)

Comme on le lui avait montré lors de ses premières lessives, elle couvrit le brasier avec une toile ignifugée pour étouffer les flammes et fit pivoter la crémaillère pour sortir la marmite du foyer.

(Là, c’est bon)

La suite, elle aurait pu le faire les yeux fermés. Elle transféra un à un les linges dans le cuvier, des plus délicats au plus résistants, puis couvrit hermétiquement le tout d’une toile en lin tissée bien serré. Avec l’expérience, elle avait compris qu’il fallait tasser le tout au centre de manière à créer une légère dépression qui viendrait accueillir l’eau chaude sans que celle-ci ne déborde et salisse le sol du lavoir. Dernière étape : Haple se saisit du coffre en métal à côté de la cheminée. Il contenait les cendres des feux précédents et les Sœurs les utilisaient comme détergent.

(Tout se recycle)

Il faut dire qu’isolées comme elles étaient dans leur montagne toute les ressources dont elles disposaient se devaient d’être exploitées au maximum. C’est donc avec précaution que la jeune novice transféra une puis deux, trois et enfin quatre mesures de cendres dans le creux de la toile au-dessus du tas de linge. Pour finir cette étape, il ne lui restait qu’à verser délicatement une dizaine de louchées d’eau frémissante sur les cendres et de la laisser entrainer les alkalis à travers le linge. Ce qu’elle fit, non sans que quelques gouttes de sueur qui perlaient sur son front ne tombent dans le grisâtre mélange…

La jeune novice s’accroupi pour vérifier que le liquide ressortait du cuvier et rejoignait la rigole en pierre qui le conduirait vers l’extérieur du lavoir. Tout était en ordre ; l’eau ressortait relativement limpide.

(Pas besoin d’un deuxième passage)

Elle en était soulagée. C’était dix minutes de gagnées sur son emploi du temps. Retirant avec prudence la toile souillée de cendres, elle découvrit les divers linges et les transféra à côté du battoir. S’ensuivait l’étape la plus physiquement éprouvante… celle que redoutait le plus ses consœurs. Mais pas elle. Elle s’agenouilla de bon cœur sur le support de paille prévu à cet effet et se saisit de la première chemise.

Une boule dure sous ses doigts l’arrêta cependant dans son geste : la nonne à qui appartenait ce vêtement n’avait pas bien vidé ses poches… Haple inspecta la poche machinalement pour en retirer l’objet qui allait gêner le battage. A sa surprise, la jeune novice sorti un petit morceau d’ambre poli sur lequel était gravé un symbole qui l’identifiait indubitablement comme une rune. Peut-être Rosemonde en connaîtrait le sens, songea-t-elle en la mettant dans sa poche. Elle pourrait le lui demander. (A moins que…). Peut-être la rune appartenait-elle précisément à Rosemonde et celle-ci voudrait naturellement la lui reprendre. (Mieux vaut garder ça pour moi).

Sa précieuse trouvaille rangée, la lavandière mit ces pensées de côtés pour se concentrer sur sa corvée. Un soupir d’aise s’échappa de ses lèvres alors qu’elle plaçait la chemise trempée sur le battoir : l’espace d’un instant elle pourrait fermer son esprit aux intrigues et secrets de ce couvent et se plaire dans la simple satisfaction d’un travail manuel.

(Shplaf – Crrr Crr – Shplaf – Crrrrr Crr …)

Aussitôt ce rythme familier l’entraina. Ce n’était pas si différent des percussions qu’elle aimait faire sonner ou des pas de danse avec lesquels elle frappait le sol de sa cellule lors des longues veillées solitaires…

(Shplaf – Crrr Crr – Shplaf – Crrrrr Crr …)

Il y avait là quelque chose d’hypnotique, quelque chose qui la transportait dans un monde fait d’ondes et de matière en résonnance. Un monde des profondeurs telluriques aussi bien que de ses tripes.

(Crrrrr Crr - Shplaf – Crrr Crr – Shplaf …)

Un monde où elle se ressourçait, où tout oublier l’espace d’un instant.

(Crr…hein ?)

- J’ai dit : Est-ce que ça te plait de laver nos petites affaires ? répéta une voix sardonique dans son dos.

Haple reprit conscience du spectacle qu’elle offrait. Elle avait battu la majeure partie de la pile et en était arrivée au linge délicat. Elle tourna la tête, suivant le son de rires moqueurs dans son dos. Dans l’embrasure de la porte, un groupe de jeunes femmes s’était arrêté pour l’observer.

L’une d’elle, qui riait plus nerveusement que les autres, tenait entre ses bras une caisse contenant différents outils de charpenterie et boites de pigments. Haple en déduisit qu’elles étaient en chemin pour la manufacture.

- Je vous avais bien dit que c’était elle. Ça ne pouvait être qu’elle pour battre la lessive comme si c’était jour de fête. La ménestrelle lavandière !... Hahaha. Moi, je crois qu’elle aime ça … laver nos dessous.

Haple sentait son sang chauffer. Elle n’était pas surprise. Cette jeune humaine avait toujours un petit mot narquois pour la rabaisser et, chose que l’elfe ne s’expliquait pas, cela avait été le cas depuis leur première rencontre à la manufacture. Peut-être faisait-elle partie des envieuses ?

Malheureusement pour l’elfe, elle semblait exercer une influence sur les autres jeunes novices. Certes moins que les Sœurs Nétone et Nacota auxquelles celles-ci vouaient un culte proche de l’idolâtrie. Mais tout de même Haple avait toujours tenté de ne pas lui donner de raison de monter les autres contre elle. Ça ne serait pas chose facile aujourd’hui…

Déjà, l’autre passait le pas de la porte et rentrait dans le lavoir, suivie de ses sbires. Au nombre de quatre. (Ca fait beaucoup…) Certaines gloussaient, leur regard allant de leur cheffe à l’elfe agenouillée, les autres restaient silencieuses mais dégageaient une énergie malsaine. Elles avaient compris ce qui allait suivre et Haple aussi. La lavandière, lèvres pincées et bas croisés, se redressa pour faire face à la nouvelle entrante. L’importune n'avait guère plus que la moitié de son âge mais ces humains grandissaient si vite… comme s’ils étaient pressés de mourir.

(Je pourrais bien l’y aider cette fois...)

Néanmoins, le fait demeurait que l’autre la dominait d’une tête et avait la musculature développée d’une adulte. Ses cheveux longs tombaient jusqu’à hauteur de ses omoplates ; ils étaient noirs comme les siens mais elles les portaient détachés avec des ornements accrochées tout du long… ce qui allait totalement contre l’esprit d’ascèse du couvent.

(A la manière de Sœur Nacota)

Remontant vers son visage penché sur elle, Haple croisa son regard. Elle en oublia presque son agacement : l’humaine portait sur l’adolescente un regard dérangeant. Dans ses yeux brillait une malveillance à laquelle elle s’attendait mais aussi une lueur avide… de convoitise.

- Qu’est-ce que tu veux, Hermance.

Les yeux de l’humaine se plissèrent alors que celle-ci portait la main à son menton dans une comédie de réflexion.

- Eh bien, avança-t-elle d’une voix trainante, je crois que j’ai envie de m’assurer que mon linge soit plus blanc que blanc. Voyons voir… non, ça ne va pas du tout.

Elle se tourna vers la jeune femme qui gloussa derrière elle. C’était celle qui tenait la caisse d’outils et provisions pour la manufacture. Une elfe de Cuilnen. Une Hinïonne aux cheveux roux… une curiosité que Haple interprétait comme une tentative de paraître plus « humaine », de se fondre dans la masse de la sororité. Au moins, se fit-elle la réflexion, l’animosité dont elle était la cible n’avait probablement pas de motivation purement raciale si une elfe était intégrée à leur petit groupe. C’aurait été encore mieux si sa congénère ne participait pas d’aussi bon cœur à son tourment mais peut-être n’aurait-elle pas agit différemment si les rôles avaient été inversés… En tout cas, elle n’aurait pas eu ce regard servile et tendu la caisse à l’humaine avec une envie aussi évidente de plaire.

Tranquillement, Hermance y choisit une fiole d’encre. D’encre noire. Et fit le tour de la lavandière au regard méfiant en la faisant tourner entre ses doigts avec un air joueur pour se diriger vers la pile de linge. De linge blanc…

(((la rune trouvée dans le linge correspond à la récompense du dernier RP)))

>>> Suite : 03/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:04

Bagarre


(Même pas en rêve)

Haple se jeta en avant sans prendre le temps de réfléchir et poussa l’humaine de tout son maigre poids. Celle-ci, surprise de voir la petite réagir, fut emportée sur le côté et trébucha sur son propre pied. A deux doigts de s’étaler brutalement sur le sol en pierre, la jeune femme parvint à se stabiliser en mettant un genou et sa main libre à terre. Haple remarqua que sa prise sur la fiole s’était raffermie et le feu dans ses yeux s’était avivé.

- Attrapez-la, siffla-t-elle à ses compagnes en se relevant.

Alors, trois paires de bras se dirigèrent dans sa direction sous les encouragements excités de l’autre elfe en retrait avec sa caisse. Fine et agile, Haple joua de sa silhouette filiforme pour esquiver une première tentative d’attrape. Et de rajouter un coup de pied dans le tibia de la bougresse qui essaya ensuite ! Les garces avaient beau n’avoir jamais combattu autre chose que leurs oreillers respectifs, leurs mines durcies par une hargne grandissante ne présageaient rien de bon. La petite avait besoin de rétablir les chances en sa faveur.

(Une contre cinq… Réfléchis…)

Rien ne lui vint. Elle ne pouvait pas simplement fuir et abandonner le linge à la merci de cette dérangée ! Alors, à défaut d’avoir une idée de génie, Haple bondit vers la caisse que sa congénère tenait dans ses bras et se saisit du premier outil que sa main rencontra.

(Une scie à bois !)

Haple était horrifiée. Et tout air d’amusement de la rouquine envolé. La tension grimpa immédiatement d’un cran alors que les cinq femmes observaient la lavandière au chignon défait et manches retroussées… sa scie en main, campée sur ses deux jambes, prête à les accueillir.

- Elle n’osera pas, allez-y.

La cheffe du groupe avait parfaitement raison. Haple savait qu’elle n’avait pas cette violence froide en elle. Elle n’utiliserait pas une arme tranchante contre ces mégères. Elle avait déjà tué. Par accident. Mais elle avait muri depuis et gagné en contrôle. Heureusement, les autres ne le savaient pas et se regardaient avec appréhension.

- Très bien, laissez-là moi. On va bien s’amuser.

Et d’une démarche prudente mais assurée, Hermance s’approcha. A l’inverse des autres, ça ne semblait pas être sa première bagarre. Elle avait cette posture qu’ont ceux qui savent que pour prendre le dessus il faut être prêt à prendre des coups.

Cette fois-ci ce fut elle qui bondit en avant et abattit la tranche de sa main sur le poignet de la jeune novice. Avec un cri de douleur aussi bien que de surprise, Haple lâcha prise. L’arme tomba au sol et le bruit du métal contre la pierre agit comme un signal pour les autres humaines. Elles se jetèrent en avant pour rejoindre la plus téméraire. Morsure contre gifle. Coup de poing dans le ventre contre coup de pied dans les genoux. Toutes donnaient de leur personne et se le rendaient bien en pieuses nonnes qu’elles étaient !...

Submergée, Haple ne supporta guère plus qu’une minute leur assaut combiné avant finalement d’être maitrisée. Le souffle irrégulier des jeunes femmes lui léchait moitement le visage et la nuque. L’adolescente se débattit farouchement… ne serait-ce que pour se libérer de ces corps qui la collaient et irradiaient sous le coup de l’effort une chaleur insupportable par cette journée d’été déjà péniblement étouffante.

- Bien, bien, ponctua Hermance les grognements de l’elfe d’une voix doucereuse. Où en étions-nous ? Ah oui…

Son regard se tourna doucement vers la fiole dans sa main. Et de manière ostentatoire, elle déboucha la fiole et se dirigea vers le linge. Haple tremblait de rage désormais. Elle ne pouvait pas croire ce qu’elle voyait.

- Oupssss….

A la vue de l’encre qui se déversait sur le fruit de son travail de cette demi-journée harassante… A la vue de cette sadique qui se délectait des dommages qu’elle causait… Sa rage se mua en furie !

(A en faire trembler la terre).

Et comme elle l’avait fait avant, établissant contact avec son tambour de mendiant du bout des doigts au prix d’une contorsion réprimée par les tenailles humaines qui lui entravaient les gestes, Haple ferma les yeux et s’ancra dans son émotion… à son cœur qui battait avec force.

(Poum-poum … Poum-poum)

A ses jambes qui vibraient au rythme de ce cœur. A ses pieds qui établissaient contact et qui imploraient la terre elle-même de se soulever d’indignation.

(Poum-poum … Poum-poum)

Au rythme de sa rage, de sa furie, de son cœur qui s’emballait, ses pieds percutèrent le sol, encore et encore, et le sol dansa en accord ! Alors la douce mélodie des cris affolés claironna comme pour accompagner sa rythmique vengeresse et confirmer le triomphe de la ménestrelle excédée.

Toutes trois tombèrent sur le champ manquant de l’entraîner avec elle. Mais la jeune lavandière avait trouvé une nouvelle force en laissant sa violence s’exprimer ; d’une secousse brusque de son corps entier elle se défit de leur emprise et planta un regard d’airain dans les yeux d'Hermance, principale fauteuse.

Celle-ci s’était trouvée plus loin de l’épicentre et s’en était tirée en tombant simplement un genou à terre. Déjà, son regard se portait sur la scie qui se trouvait entre les deux combattantes. Haple n’avait pas besoin d’attendre pour savoir : l’autre n’hésiterait pas à l’utiliser sur elle. Pas pour tuer mais pour faire des dégâts.

(Comme à mon linge… HAAA!)

Et les deux se jetèrent en avant au même moment. Mais l’humaine était plus grande et ses bras plus long. Ce qui la desservit au final… Etant arrivée une fraction de seconde plus tôt que l’elfe, celle-ci en profita pour écraser de toute ses forces les doigts de l’humaine placés sur le manche de la scie. Un cri désarticulé s’en suivit et son adversaire retira vivement sa main. Puis, son cri de douleur se transforma en cri de guerre et l’humaine se releva d’un bond, plongeant d’un même geste son poing dans l’estomac de l’adolescente.

Haple eu le sentiment que son corps se scindait en deux : ses jambes qui reculaient hagardes, pas à pas, irrégulièrement… et son torse plié en deux, pris de spasmes incontrôlables. Et au milieu ? Un magma en fusion qui menaçait de remonter. D’exploser. Et dans un humide croassement, le contenu de son estomac jaillit en gerbe à ses pieds éclaboussant au passage les chausses de ces dames.

Profitant de son état de faiblesse, son assaillante la saisit par le haut du crâne et l’envoya à terre. Haple pivota en tombant de manière à atterrir sur le côté et vit l’autre arriver la scie à la main et le meurtre dans les yeux. Avec désespoir, elle s’écria d’une voix cassée :

- C’est bon, ça suffit ! Tu as gagné …

>>> Suite : 04/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:05

Espionnage


Pour toute réponse, l’autre ricana et lui jeta sa botte dans l’épaule pour la clouer au sol. Dans l’instant qui suivit, Haple vit avec terreur la lame dentelée de la scie s’abattre sur son visage. Et s’arrêter… juste avant de mordre dans sa chair d’albâtre.

- Voyons voir… qu’est-ce qu’on va faire de ce joli petit minois ? Une petite rune pour te marquer comme la petite traînée que tu es. Qu’en penses-tu ? conclut-elle son jeu troublant.

(Trainée. Moi ? Qu..quoi… ?)

- Hermance… peut-être que … elle en as eu assez.

Haple remarqua le regard de l’autre se figer. On troublait son plaisir. Mais son acolyte ne recula pas. La peur des conséquences de leurs actes semblait prendre sur le dessus sur la peur de déplaire à leur petite cheffe.

- Ce n’est plus drôle. Je ne m’amuse plus.

(Alors elles veulent s’amuser…)

Haple sentait la situation échapper à sa tortionnaire. Elle décida d’exploiter la situation. Sentant le souffle chaud de celle-là sur son visage et le poids de son corps la clouant au sol dans une étreinte presque … intime, elle réalisa qu’elle tenait son angle d’attaque. C’était risqué mais sa langue avait toujours été sa meilleure arme.

- Allez Hermance. Fais-moi un bisou et n’en parlons plus.

Et pour l’effet comique elle joignit à l’invitation un bruit de lèvres sonore. Alors, la rouquine laissa échapper un petit rire nerveux et la tension qui les figeait toutes tomba d’un cran.

(Bien)

- Soyons amies. C’est ce que tu voulais, non ? Ce n’était pas la vraie raison de cette petite visite spontanée ? Non, non, ne rigolez pas, en réponse au rire goguenard de l’une des spectatrices, je crois qu’Hermance aimerait être mon amie mais ne sait pas demander. Ma très bonne amie…

Ses insinuations avaient fait mouche. La bande de jeune femme semblait maintenant bien plus réceptive à ce chambrage sans conséquence mais si, si juteux qu’à l’idée de poursuivre une bagarre qui avait mal tournée. Haple ne savait pas ce qui l’avait prise de la taquiner sur ce sujet - l’instinct peut-être. En tout cas, les yeux qui la fixaient toujours avec une intensité troublante semblaient à leur tour… troublés. Elle avait inversé les rôles et l’autre le savait.

D’un geste brusque, l’humaine se releva et sortit en trombe jetant au passage la scie dans la caisse que tenait toujours l’elfe restée en retrait près de la porte. Les autres avec un dernier regard amusé entre elles la suivirent en lui lançant de les attendre. Entre deux gloussements stupides…

***

Haple resta allongée par terre un bon moment après que le silence soit revenu dans le lavoir. L’adrénaline était redescendue et l’adolescente fit l’état des lieux. Elle était en compagnie familière : Douleur et Rage. Chaque inspiration déclenchait un éclair de douleur dans son flanc. (Côte fêlée). Un regard de côté vers le battoir et le linge souillé lui fit le même effet … (Tout est à recommencer).

L’espace d’un instant, elle songea à porter l’incident à l’attention des autres Sœurs pour obtenir rétribution ou tout au moins que ses assaillantes soient sanctionnées. Elle en rit (Aïe !) et en fut pour une grimace de douleur. Quelle idée ?! Bien que nouvelle au couvent, la jeune novice avait bien remarqué l’impunité qui régnait dans leur communauté. De nombreuses Sœurs transigeaient avec les principes de l’ordre sans autre conséquence que l’ire stérile de leurs doyennes. De la Révérende Mère… aucune réprimande. Les Sœur Nacota et Nétone tout particulièrement semblaient s’en tirer à bon compte, leurs puissantes magies les plaçant hors d’atteinte. Non,… il n’y avait qu’une chose à faire : serrer les dents et se relever. Ce qu’elle fit. Avec difficulté.

Haple contempla avec désarroi le linge blanc désormais aspergé de noir. L’encre partirait à l’eau (en plusieurs passages) mais ça prendrait du temps. Beaucoup de temps. (Le reste de l’après-midi). Si bien qu’elle n’aurait guère l’opportunité d’ajouter à sa collection des articles de poterie ou de métallurgie à vendre. Néanmoins, l’adolescente rassembla ses forces et, une main sur sa côte douloureuse, se pencha pour raviver les flammes dans la cheminée en y soufflant le feu qui grondait dans son cœur.

***

Elle avait fini… ! Le soleil était tombé derrière les tuiles orangées de l’aile occidentale et une obscurité sucrée lui parvenait du jardin des simples par la porte du lavoir. Mais elle en avait fini pour aujourd’hui. Contemplant le fruit de son dur labeur étendu sur les lignes à linge, Haple espéra que la journée aussi en avait fini de lui apporter son lot d’épreuves et de désagréments. Elle était éreintée ; son corps blessé ne lui laissait aucun repos ; ses nerfs menaçaient de lâcher. L’idée seule de rejoindre ses consœurs au réfectoire où il faudrait se confronter au regard d'Hermance et sa clique la glaçait. Elle décida donc de faire l’impasse sur un dîner qu’elle n’avait de toute façon pas le cœur d’avaler et se mit en direction de la manufacture. Du moins pourrait-elle façonner une babiole ou deux avant que la lumière ne vienne à lui manquer pour y voir.

Elle avançait au seul bruit de ses pas et de la lointaine rumeur des couverts. Passant des parterres d’ortie vêlevite, puis longeant un mur contre lequel étaient conduits en espalier un groupe de kimfliers dont elle préleva deux baies pour couper sa faim, la jeune novice parvint finalement à l’autre bout du jardin et s’arrêta devant la porte de la manufacture. D’ordinaire, le cliquetis des métiers à tisser, le raclement des ciseaux à bois et le babillage des artisanes aurait déjà dû parvenir à ses oreilles elfiques. Mais ce fut un silence de tombeau qui l’accueillit lorsqu’elle entra. Un silence béni.

Avec une sérénité retrouvée, elle remontait le couloir lambrissé qui conduisait à l’atelier. Par habitude, machinalement, elle saluait mentalement les créations de ses consœurs qui ornaient les murs. Peintures, tapisseries, émaux, calligraphies… les Sœurs illustraient leurs croyances selon un mode d’expression propre à chacune d’entre elles. Leur individualité transparaissait d’ailleurs aussi bien dans le choix des moyens de représentation que dans celui des sujets religieux. On voyait bien là que les moniales formaient une communauté profondément plurielle à la doctrine chaotique que ne fédéraient uniquement, en théorie du moins, les préceptes fondamentaux de vénération de Zewen et de non-intervention dans les affaires du monde.

- … un charnier, apparemment…
- …Nacota…

Son cœur manqua un battement. Perdue dans ses pensées, Haple s’était crue seule. Figée dans la pénombre du couloir sans fenêtre, l’adolescente plissa les yeux en direction des deux voix. Une rai de lumière filtrait sous la porte close de l’atelier.

- … tromper ?... Possible que l’Elu…
- … ferme…

Un bruit lointain de porte que l’on clôt lui parvint. Puis …rien. Soit les voix s’étaient tues, soit la conversation était de celles que l’on souhaite garder des oreilles étrangères.

(Pas des miennes en tout cas… elles doivent être dans le bureau de Sœur Nétone)

Piquée par la curiosité, l’adolescente se remit en mouvement sur le qui-vive prête à rebrousser chemin à la moindre alerte. Ses pieds glissant bien à plat sur le plancher pour répartir le poids de son corps et éviter de faire grincer une latte bancale, elle avançait lentement et luttait contre l’envie de courir se rapprocher au plus vite.

Cela faisait des mois qu’une telle occasion d’obtenir des informations sur ce que tramaient les deux magiciennes ne s’était pas présentée et elle ne voulait pas en manquer une miette ! Peut-être tant de précautions étaient-elles superflues ? Après tout, elle-même n’entendait plus leur voix malgré son ouïe elfique alors des oreilles humaines ne percevraient certainement pas un grincement lointain… Néanmoins, elle ne pouvait courir le risque de les alerter de sa présence et d’interrompre leur conversation. Alors, avec la retenue de sa race, l’elfe blanche se disciplina et poursuivit sa remontée silencieuse du couloir.

Parvenue à la porte qui donnait sur l’atelier, Haple s’arrêta et colla l’oreille contre le bois :

- …Ill..Mmmh..alAaï……shee

(Trop loin)

Ou plutôt, révisa-t-elle : (Trop d’obstacles). Dans sa tête apparut le chemin que devait emprunter les ondes sonores pour lui parvenir : du bureau de la géomancienne (...une première porte...) à travers la longue allée de l’atelier jusqu’à elle (...une deuxième porte). La solution était évidente mais elle n’en était pas moins stressante. En face d’elle, le panneau de bois lui semblait autant un obstacle au son qu’une protection contre le fait d’être découverte si ses cibles décidaient de sortir sans crier gare. C’est donc avec le doute au ventre et une force divisée qu’elle entre-ouvrit la porte qui lui faisait face. Et aussitôt son geste fut récompensé :

- …disparue… de ses yeux, il l’a vu … avec le Dragon Noir …évanouis dans une brume argentée.
- …malgré cela … fausse route ? Si … disparue, la menace … disparue en même temps ; si la cause disparait, alors l’effet aussi, professa laconiquement la géomancienne.
- Peut-être… Personne ne sait … Et si … revenait ? … le pouvoir qu’elle a manifesté ?! … l’emporter sur le Dragon Noir … gloire ténébreuse !

Leurs propos lui étaient comme des noisettes à un écureuil. Elle cueillait les mots au vol, sans être sûre de tout à fait les comprendre, les arrangeant dans sa mémoire pour un examen futur. Il lui semblait qu’en focalisant toute son attention sur ses oreilles, elle parvenait à les faire bouger de manière infinitésimale dans la direction des deux cachotières. Ce qui était certain, c’était que leur attitude différait grandement. La pragmatique Nétone s’exprimait posément, avec détachement et logique, tandis que la voix de Nacota vibrait d’une émotion où le trouble rejoignait l’excitation pour le sujet dont elles discutaient.

- Pas grise… ailes noires et blanches… équilibre ou négation ?
- Bonne question… lumière ou ombre ? Les deux peut-être…
- …certitude prophétique… l’Elu… réunir les fluides… on verra alors !
- Sœur Haple … la tester enfin… fiole d’air …

(Moi ? Enfin !)

Et la curieuse d’ouvrir complètement la porte sur l’atelier désert et, au bout, la porte du bureau dans lequel se poursuivait l’échange secret :

- … prudence. Je partage ton impatience mais Nini et la vieille surveille de près. Et si on se trompait ?
- D’où te viens ce doute ? C’est toi qui en étais convaincue, qui brûlais d’impatience de mettre la main sur elle – si c’est bien elle - qui était prête à tout pour mettre en branle la prophétie.
- Oui, répondit Nacota d’un ton exalté, et je le suis toujours !
- Il n’y a qu’un seul moyen de savoir.
- Trop risqué. On ne peut pas se permettre de laisser des traces … le cas échéant.
- C’est le prix à payer pour la Connaissance. Ça l’a toujours été. Ces nouvelles précautions m’ennuient Nacota. Il suffit de répéter le protocole.
- Crois-tu que j’aie des scrupules ?! Pour ces microbes insignifiants ?! Compte tenu de la mission qui nous est investie ?! Je dis seulement qu’on ne peut pas se permettre que ça se voit. Pas ici en tout cas. Pas sous leur nez. Si seulement la petite pouvait partir… tu avais dit que si les autres novices la brimaient elle finirait par s’enfuir.
- Je me suis trompée. Elles y ont mis du cœur en tout cas depuis que leur ai laissé penser qu’elle pourrait ainsi gagner mon attention. Mais la petite n’a peut-être pas autant de ressources et de fougue que ce que j’avais entrevu lors de notre première rencontre.

(Que tu crois… je ne les emploie simplement pas comme tu l’entendais)

- Promets-moi une chose, Nétone.
- Dis-moi.
- Ne prends pas de risques inconsidérés. On ne pourra plus avoir recours à la Douce Féérie cette fois. Rosemonde en surveille les réserves depuis qu’elle a soignée la petite. C’est évident qu’elle nous suspecte désormais.
- Quand m’as-tu jamais connue faire quoi que ce soit …d’inconsidéré, rétorqua platement la géomancienne.
- C’est vrai, conclu volontiers Nacota avant d’ajouter : Allez, rejoignons les autres avant que ces bécasses ne jasent sur notre absence.

Avec un sursaut de compréhension, la main de la petite espionne fondit sur la poignée de la porte et la tira aussi vite que possible sans faire de bruit.

(Ouf – fermée)

Au son étouffé d’une porte qui pivote sur ses gonds, Haple pivota, elle, sur ses talons. Priant à Zewen pour une issue favorable, la jeune novice revint hâtivement sur ses pas en glissant aussi silencieusement que possible sur le sol en bois. Elle y était presque. La lumière rougeoyante du soir l’appelait, salvatrice, depuis le jardin à l’autre bout du couloir.

(Un bruit de clés)

La sortie était si proche désormais ; elle pouvait entendre devant elle les oiseaux venus nicher pour la nuit. Mais, Haple réalisa qu’à l’allure où elle allait l’atelier était plus court à traverser que la distance qui la séparait de la sortie. Alors la peur agissant comme un coup de fouet, Haple décida de s’élancer franchement. Elle n’avait plus rien à perdre ! Et finalement…

(Oui ! Sauvée !)

A peine avait-elle tourné au coin du mur en entrant dans le jardin que résonna derrière elle le bruit de la porte de l’atelier. Réfléchissant dans le feu de l’action, Haple trancha en une fraction de seconde : traverser le jardin pour rejoindre le corps principal prendrait trop longtemps. (Au lavoir).

Elle rejoint le bâtiment à toute jambe, les arbustes et herbes hautes se faisant ombres vertes et brunes dans le coin de son champ de vision. Et, sans prendre le temps de peaufiner sa stratégie, elle se jeta le cœur battant à tout rompre sur les draps qu’elle avait étendus sur la ligne à linge la plus proche de la porte et les jeta en vrac sur la table de rangement. Campée sur ses jambes, dos à la porte, elle s’affaira aussitôt dans une comédie de ménagère.

C’est alors que sa prise sur le monde sembla lui échapper. A l’extrême limite du soutenable, la douleur dans ses côtes explosa dans une déflagration à lui couper le souffle. Sous l’effet de l’adrénaline, elle avait oublié d’avoir mal ! Mais voilà que la réalité de son corps la rattrapait. Les doigts crispés sur un drap comme si sa vie en dépendait, l’elfe se retînt de crier. Mais seules des larmes sortirent au moment où des bruits de pas dans son dos annoncèrent la fin :

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Haple prit un instant pour tenter de faire le vide avant de lâcher le drap. Elle se retourna pour découvrir dans l’embrasure de la porte la silhouette doublement terrifiante des deux sœurs en contre-jour.

- Bonsoir… je… j’ai bientôt fini, balbutia l’adolescente en montrant le drap qu’elle faisait mine d’étendre.
- Tu y es encore ? questionna suspicieusement Nétone.
- J’avais presque fini … mais j’ai été… retardée par des initiées… expliqua-t-elle d’une voix hésitante en essuyant les larmes de son visage d’un revers de manche ostentatoire.

La géomancienne acquiesça sans surprise.

- Ne tarde pas trop. Tu pourras toujours finir demain, lui suggéra-t-elle magnanime…

Puis sans un autre mot les deux ombres se remirent en marche dans un bruit d’étoffe et de gravier. Haple n’en croyait pas sa bonne fortune.

(Merci Zewen)

- Je vois ce que tu voulais dire, Nétone. Aussi peu de fougue que de ressources… lâcha Nacota d’un ton narquois.

(Merci Zewen de me donner la force de leur prouver le contraire !)

>>> Suite : 05/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:05

Méditations


L’elfe remua sur son coussin. Son esprit ne trouvait toujours pas le repos. La lune avait baigné le sol de la cellule de sa lumière blafarde avant de se coucher derrière la lucarne de sa fenêtre ; voilà des heures que toutes les humaines dormaient ; et ses pensées, elles, tournaient en boucle.

Ce qu’elle avait entendu quelques heures auparavant la laissait perplexe. Certaines bribes de conversation … elle les avaient comprises : il avait été question de l’élu (moi – enfin c’est que Nétone semblait croire à mon arrivée), de « réunir les fluides » et de tests… Mais le contexte lui échappait. La voix de la Sœur Nétone, aussi sinistre que jamais, avait aussi sonné troublée à ses oreilles. (Pourquoi ?) Était-ce en lien avec cette « menace » … ? Une menace qui aurait disparu, remettant en question leurs certitudes ?

Quoiqu’il en soit, une chose était certaine : la fin de la conversation indiquait clairement que leurs agissements étaient répréhensibles et qu’elles cherchaient à s’en cacher de Rosemonde. Particulièrement cette histoire de « douce féérie » (il faudra que je demande ce que c’est…). Mais elles cherchaient aussi à se cacher de leur sœur aînée. Haple tenta d’imaginer un scénario dans lequel la Révérende Mère imposait sa volonté au deux cadettes… (peu crédible). Néanmoins, à en croire les deux intrigantes, la timide « Nini » était parvenue à mettre un frein à leurs plans. (En me maintenant cloitrée !).

Il y avait quelque chose d’ironique qui fit rire jaune la jeune novice. Voilà neuf mois qu’elle se rongeait le mord pour ne pas quitter cette communauté qu’elle avait rejointe dans l’unique but de glaner des informations sur ce que tramaient les sœurs Titudes. Et voilà qu’elle apprenait que celles-ci avaient tenté par différents moyens de la pousser à l’extérieur pour mettre en œuvre leurs plans à son égard.

Du moins, la suite se clarifiait : il lui faudrait partir du couvent pour les inviter à dévoiler leur jeu. Ce serait risqué car elle ne savait pas ce qu’il adviendrait d’elle en l’absence du regard protecteur de la Révérende Mère. Et difficile à réaliser, précisément parce que celle-ci ne la laisserait pas facilement prendre son envol.

Malgré les zones d’incertitudes restantes, son esprit s’allégeait. Elle ne résoudrait pas tout le mystère de ce lieu en un soir mais il lui semblait avoir déjà bien progressé. Mentalement, elle s’attacha à tourner la page de la journée. A se vider la tête. A se reposer.

(…)

(… … …)

(… … … … .. . … . …. … …. .. . … ..)

(… … … … … … .. Hhhhmpffff !!!)

Haple émergea de sa méditation en panique. Elle ne pouvait plus respirer ! Ses grandes inspirations affolées avortaient ; elle avait l’impression que ses poumons lui couvraient la bouche et qu’elle respirait en vase clos… Elle était bâillonnée ! Et dès qu’elle tenta de se libérer la bouche, elle découvrit avec indignation que ses mains avaient été ligotées et qu’une masse chaude et molle et lourde lui entravait douloureusement le bas du corps. (Hermance !)

L’humaine, haletante, venait de se coller à elle pour la clouer au sol. L’elfe ne put s’empêcher de subir son odeur corporelle où se mêlait, entêtante et intime, l’excitation et le trouble qui animent les tortionnaires exaltés comme les amantes passionnées.

Haple tenta de hurler sa peur et son dégoût !... Impuissante d’émettre le moindre son. Elle essaya de pivoter sur son flanc pour faire tomber son assaillante. (Erreur !) L’humaine se laissa aller et l’emporta avec elle dans sa chute contrôlée pour la retourner sur le ventre. Totalement livrée au bon vouloir de l’autre, l’adolescente senti des larmes de rage et de désespoir monter à ses yeux.

- Vite. Attache-lui les jambes et qu’on en finisse, chuchota Hermance à une paire de mains qui aussitôt serrèrent fermement une corde autour de ses chevilles.

Aussitôt fait, Hermance relâcha son emprise sur le dos de son impuissante victime, se releva et la hissa maladroitement sur son épaule.

- Hmpf… heureusement qu’elle est pas lourde. Passe devant et ouvre la porte. En silence.

Haple ne pouvait voir qui était la complice d’Hermance. Tout ce qu’elle pouvait voir, c’était le bas ventre de celle qui déjà lui faisait passer le seuil de sa cellule pour l’emmener vers un avenir … peu réjouissant. De couloir en couloir, les trois ombres avançaient dans un silence presque total, les protestations étouffées de l’adolescente ne faisant guère plus de bruit que le grincement occasionnel des marches de l’escalier qu’elles descendaient désormais.

L’elfe avait retrouvé une partie de ses facultés et cherchait à faire sens de la situation. Il n’y avait pas de doute sur les intentions de l’humaine : elle se vengeait de l’humiliation que Haple lui avait fait subir dans le lavoir. Et quant à leur destination… ? Il y avait une odeur moite de terre qui les avait accueillies au bas des escaliers. (Le cellier !) Et celle-ci s’accentuait à mesure qu’elles s’enfonçaient encore et toujours dans les ténèbres sous-terraines.

- Tu as les clés ?
- Oui, lui répondit une petite voix nerveuse accompagnée d’un cliquetis métallique, je les ai prises dans le bureau de la Révér..
- Bravo, interrompit Hermance sèchement. Ouvre.

La serrure obtempéra dans un grincement sinistre. Tout cela était de mauvais augure, songea le bagage elfique avant d’être, d’un coup d’épaule négligé, lâchée dans le vide.

(Haaa !)

Une impensable douleur la submergea lorsque son corps heurta le sol… du côté de sa côte fêlée, bien sûr ! Haple rouvrit les yeux : des lumières scintillantes y zébraient l’obscurité reflétée dans ses pupilles écarquillées.

- Viens Hermance. Partons, vite.
- Un instant... laissa-t-elle planer d’une voix terrible de douceur.

Avec toute la lenteur de celle qui savoure sa supériorité, l’humaine tâtonna le sol du pied jusqu’à trouver la masse immobile de sa victime. Haple se savait dépossédée de toute marge d’action. Elle attendait. Et espérait que contre attente les évènements prendraient une tournure favorable, ses sens aiguisés par la menace à l’affut… au cas où.

Un bruit de frottement et un mouvement d’ombre l’informa que la jeune femme s’était accroupie à ses côtés. Son souffle sur ses lèvres lui laissait deviner le plaisir malsain que l’humaine tirait de son tourment. L’avidité avec laquelle elle considérait sa proie… l’objet de son désir sadique.

- Tu m’as fait mal tout à l’heure, tu sais. Ce n’était pas très gentil de mettre ton pied sur ma main.

Et comme s’il était besoin d’illustrer son propos, Haple sentit le pied de l’humaine pivoter lentement sur son axe et se placer délibérément au-dessus de sa main à elle, attachée dans son dos. Elle comprit aussitôt ce qui devait suivre et s’y résolu, dents serrées. Mais rien n’aurait pu la préparer à la réalité implacable d’une telle douleur !

L’humaine se releva d’un coup, portant tout son poids sur la pointe de son pied pour écraser le poing fermé de sa cible. Brindilles de chair et coquille de fer blanc, ses phalanges et sa paume se brisèrent comme du verre. Elle ne put retenir un cri inarticulé, un cri qui aurait pu ouvrir la toile même du monde. Là ! Quelqu’un entendrait bien cet appel du destin aussi déchirant que pitoyable ! La sensation âpre du bâillon sur sa langue, humide de larmes et de bave, l’en détrompa.

- Oups… lui répondit sans aucune pitié sa tortionnaire, vous êtes si fragiles, les elfes.

Puis, se retournant vers la porte :

- N’est-ce pas ? Si fragiles vous autres…

(Vous autres…)

- Un accident est si vite arrivé. Alors il vous faut être prudentes, ne pas se faire d’ennemie…

(Vous…)

Malgré la douleur débilitante, Haple devinait à travers les lignes ne pas être la seule de sa race dans la pièce. Elle n’eut cependant pas l’occasion de s’accrocher à cette idée et d’affermir la sensation de contrôle que cet exercice de déduction lui apportait. Déjà, l’humaine reportait son attention sur elle.

- Quant à toi, amorça Hermance avec calme… Je vais te laisser le temps de méditer sur ce que tu as fait. Puis je reviendrai. Et nous discuterons de la place qui est la tienne, ici, au couvent. Jusqu’à ce que… nous tombions d’accord.

>>> Suite : 06/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:06

Délivrance


L’injonction de l’humaine n’avait pas porté ses fruits. Dans un premier temps, Haple avait sangloté, parcourue de douleurs dans son flanc et sa main, jusqu’à ce que celle-ci ne la laisse échouée sur les rivages désolés de l’apathie. Puis la révolte et les spasmes déclenchés par son inconscient enragés avaient suivi… sans autre effet que de raviver une souffrance du corps qui ne disparaissait jamais tout à fait. Mais « méditer sur son sort », elle n’en fit rien.

Des heures passèrent ainsi. Probablement. Ou bien toute une nuit… Le temps s’écoulait différemment dans les ténèbres et le silence de mort qui régnait autour d’elle. Le couvent s’était-il déjà réveillé ? (Non…) Sa geôlière reviendrait sûrement avant que l’on ne s’aperçoive de sa disparition. Les novices ne seraient probablement pas appelées aux corvées matinales avant le milieu de la matinée. Après que les heures de contemplation et de prière soient passées.

A cette pensée, la tentation de prier le dieu du Destin la saisit pour la première fois. Une intervention divine – voilà ce à quoi elle aspirait. (Ce à quoi j’en suis rendue !...) Plus encore que la perte totale de sa dignité et de sa liberté, plus que la douleur et l’impuissance que lui avait imposées l’humaine, plus que tout ce qu’elle avait enduré ce soir… c’était de se voir ainsi sur le point d’abandonner son propre destin entre les mains d’une entité invisible qui lui donna la motivation de se reprendre en main.

La captive envisagea un instant utiliser sa magie tellurique. Mais à quelle fin ? Faire trembler le sol éventuellement (et risquer de faire s’écrouler je ne sais quoi sur moi… non). Avant toute chose, il lui fallait se défaire de ses liens, sans quoi elle serait sans défense au retour de sa tortionnaire.

D’un geste prudent, elle remua sa main valide pour tester la solidité des liens qui retenaient ses poignets liés dans son dos. Ils étaient suffisamment serrés pour remplir leur fonction mais suffisamment lâches pour espérer…

(Non, c’est au-dessus de ce que je peux endurer)

L’espace d’un instant, l’idée lui était venue de tirer profit du fait que sa main meurtrie se plierait probablement le long des lignes de fracture si elle tentait de la forcer entre la corde et son autre poignet. Mais la douleur serait abominable – elle n’avait tout simplement l’entrainement pour rester consciente à travers un tel calvaire.

Alors elle opta pour le moindre mal. Avec une grimace que lui tira la douleur dans ses côtes, elle remonta ses genoux sur sa poitrine et, une fois en position fœtale, poussa avec détermination ses épaules vers le bas de son corps, tentant d’entrainer un poignet puis l’autre par deçà son bassin. Sans succès. Elle n’avait simplement pas la souplesse requise.

Si seulement elle pouvait déjà se libérer les jambes ! Alors elle pourrait se redresser et une fois debout du moins pourrait-elle se déplacer dans la pièce puis courir lorsque la porte s’ouvrirait. Dans cet esprit, l’adolescente se redressa sur son séant, prenant soin de ne pas heurter sa main meurtrie et explora des pieds à tâtons son environnement immédiat.

Le sol sous la plante de ses pieds était de terre battue. Dans un premier temps, ils ne rencontrèrent aucun obstacle. Puis à force de se déplacer laborieusement dans le noir, extensions des jambes après replis du torse, ses efforts finirent par payer :

(Cliiinggg !)

(Du verre)

Un pas de chenille de plus, un quart de rotation et sa main valide parvint à hauteur de l’obstacle.

(Une bouteille… une bouteille de verre…. une autre juste à côté… c’est la cave à vin !)

La suite était toute tracée : de sa main valide, l’adolescente s’empara de la première bouteille qu’elle toucha et affermit sa prise sur le goulot. Puis, d’un geste brutal de rotation dans lequel elle mit tous ses espoirs, elle abattit l’instrument de sa libération contre le sol !

(Aïïïe !)

Non seulement, le choc répercuté dans son poignet s’était propagé douloureusement le long des fractures dans son autre main, mais en plus sa tentative avait échoué. Le sol était mou… Elle n’y avait jamais songé mais la terre meuble, en soi, n’était pas si dure que cela. Pas aussi dure qu’une terre battue. Ou bien que de la pierre.

La jeune novice s’était déjà aperçue qu’à force de concentration elle pouvait inciter les particules d’un sol mou à s’agglomérer, à se solidariser pour former une matrice légèrement plus dure. Mais de là à obtenir la consistance de la pierre… ? (Non, il me faut une pierre…un caillou peut-être… le mur !)

Les murs des sous-sols du couvent faisaient partie des fondations de l’édifice et ils étaient en pierre, bien sûr ! Encouragée par la perspective de se libérer enfin les chevilles, Haple reprit son mouvement de chenille le long de ce qui devait être un casier à bouteilles. Même dans le noir, elle était confiante : en poursuivant dans la même direction elle finirait bien par arriver sur l’un des murs de la cave.

En effet, après avoir raclé le sol humide de ses fesses à trois reprises, Haple atteint sa destination. Elle n’avait pas été loin ; l’humaine ne s’était pas donnée la peine de l’éloigner de l’entrée avant de la laisser tomber de son épaule… Et le visage vicieux d’Hermance s’imposant à son esprit, l’adolescente sentit la rage monter en elle. Une rage qu’elle mit aussitôt à profit.

Le doux et satisfaisant fracas du verre libérateur qui se brise contre le mur de sa geôle ! L’excitation et la joie remplacèrent aussitôt la colère, lavée et emportée comme la poussière du sol par le contenu de la bouteille sur sa main. Ne perdant pas une minute, Haple bascula de côté sur son flanc intact et plia les genoux pour mettre en contact le lien qui retenait ses chevilles avec le tranchant de la bouteille brisée. La tâche était plus ardue qu’elle ne l’aurait imaginée car sa position était inconfortable et l’empêchait de contrôler la force dans ses gestes.

En l’absence de lumière (et d’yeux derrière la tête), elle devait se concentrer sur ses sensations tactiles. A plusieurs reprises, une vive mais superficielle douleur l’avertissait que le verre avait fait contact avec la tendre peau de ses mollets. D’autres fois, et de plus en plus fréquemment, elle sentait dans sa paume le verre lui transmettre la résistance granuleuse de la corde qui lui entravait les chevilles. Alors, la respiration posée, Haple sciait à gestes prudents, se guidant les yeux fermés à la sensation jouissive de fibres végétales qui lâchaient les unes après les autres sous les crocs de verre.

Finalement, les liens se desserrent. Si bien que sa main ne rencontrant plus de résistance, l’elfe ne parvenait plus à les sectionner. Abandonnant l’outil de sa délivrance, Haple tendit ses jambes et se mit à danser dans la poussière, levant ses jambes l’une après l’autre avec force de manière faire tomber ce qui restait de ses liens. Et, dans un mouvement de ciseaux final, elle y parvint ! Enfin libérée !

Emportée par l’émotion, Haple se mit sur les genoux puis se redressa, mettant un pied puis l’autre en terre, des larmes de soulagement montant à ses yeux. Faisant quelques pas prudents dans le noir, elle fit rouler ses épaules et dérouilla ses hanches ankylosées. Déjà le sang recirculait avec plus d’entrain dans ses veines et son moral reprenait le dessus sur le sentiment de détresse qui l’avait habité jusque-là.

Comment faire pour se libérer les mains maintenant… ? (Et enlever ce fichu bâillon !) Elle passa en revue ses options. La bouteille ? (Non, il faudrait que je puisse la maintenir en place pour frotter la corde contre mais je ne vois pas comment avec les mains dans le dos. Un autre objet tranchant alors. Une barre de fer fichée dans le mur peut-être… Peu importe, arrête de réfléchir, sors de là !)

Quelques pas seulement la séparait de la sortie et la prisonnière ne perdit plus une minute pour les franchir. Sans surprise, la porte resta fermement close lorsqu’elle tenta d’actionner la poignée. Haple ferma son cœur au désespoir et affermit sa volonté. C’était là une situation dont elle pensait pouvoir s’extirper.

Se retournant pour faire dos à la porte, Haple leva les mains le long de sa colonne vertébrale jusqu’à ce qu’elle rencontre la serrure. Le métal était froid au contact. Ses doigts cherchèrent à tâtons les bords extérieurs de la serrure et soudain elle la sentit : la limite entre le bois inerte de la porte et le métal … ce métal qui résonnait avec son fluide tellurique.

La sensation lui était familière et, l’espace d’un instant, Haple se détendit en s’imaginant la jeune novice qu’elle était, dans l’atelier de la manufacture, calmement en train de façonner un bijou en étain ou bien une fibule en laiton. Dans un premier temps, elle laissa la pulpe de ses doigts établir le contact avec la matière métallique. Petit à petit, celle-ci se réchauffait et s’accordait avec la matière organique qui venait à sa rencontre. Puis, avec délicatesse, l’elfe caressa patiemment la surface de fer, invitant la structure interne du métal à se réinventer, se réordonner pour accompagner ces doigts qui dansaient comme autant de courtisanes langoureuses.

La tâche se prouva plus laborieuse que prévu. L’objet était engoncé dans la porte et ses doigts avaient donc un accès limité. Elle parvint au bout de quelques minutes d’effort et de concentration à remodeler suffisamment le métal pour qu’un interstice se fasse sentir sous ses doigts, là où la serrure déformée commençait à se décoller de la porte. Un interstice de moins de deux millimètres, évalua-t-elle d’une pression inquisitrice de l’index… (Ce n’est pas le moment de perdre courage – ça fonctionne !) Et elle n’avait de toute manière pas de meilleur plan.

Avec un peu de chance, elle aurait le temps d’atteindre la barre de la serrure et, finalement, de la remodeler elle aussi de telle manière qu’elle puisse forcer le passage. Et comme pour l’encourager, le métal semblait coopérer de plus en plus facilement à mesure que ses doigts trouvaient une prise toujours plus facile dans l’interstice grandissant sur le bord de la serrure. (Allez… encore un peu !) Mais ce n’était pas sa journée de chance…

Des bruits de pas lui parvinrent, étouffés, au travers de la porte. Instinctivement, elle analysa la situation : (deux personnes – escalier – tintement de clé). Ses ravisseuses revenaient pour s’occuper d’elle. Et Haple n’avait guère envie de subir une nouvelle raclée.

(Une minute maximum)

L’adolescente glissa aussi rapidement que possible d’un pas de côté et suivit le mur pour y trouver …

(Là !)

Sous son pied elle sentit rouler la bouteille brisée qu’elle cherchait. S’accroupissant aussitôt, sa main glissa dans le creux de ses reins, le long de sa cuisse et finalement trouva le verre du goulot fortune dont elle s’empara avec détermination.

Que pouvait-elle faire avec cette arme de fortune et les mains liées dans le dos… ? Pas grand-chose. Mis à part leur donner du fil à retordre et peut-être même occasionner des dégâts. Un sourire féroce déforma son visage délicat alors qu’elle se relevait et se positionnait face à au mur… à côté de la porte.

Les bruits de pas étaient parvenus jusqu’à elle. Et leur voix aussi :

- Dépêche-toi !

Un bruit de clés qui s’entrechoquaient se fit entendre de l’autre côté du mur. L’instant d’après, ce fut la serrure qui lança son avertissement métallique dans la cave. Avec insistance. Mais la porte ne s’ouvrait pas…

- C’est coincé, constata une voix nerveuse et craintive.

(Celle-là je vais me la faire ; Hermance, pas sûre… mais si c’est l’elfe qui passe en première…)

- Rien à faire, la clé ne rentre pas. Il y a quelque chose qui coince. Le trou est bloqué.

Le sourire carnassier de la prisonnière se fit moqueur. La matière qu’elle avait déplacée en tentant de décoller la serrure de la porte avait dû se répandre là où il y avait de la place, y compris dans le trou de la serrure. Voilà qui lui donnerait peut-être le répit nécessaire pour mieux se préparer à l’affrontement.

- Ecarte toi, l’avertit la seconde voix.

A ce moment, la jeune novice réalisa que quelque chose ne collait pas. Cette voix… Un grésillement montait de la porte. De la serrure plus précisément.

- Encore un peu…

Cette voix… Le cœur battant, Haple essayait de la placer. Ce n’était pas Hermance. Elle en était à peu près sûre. C’était…

- Voilà !

Dans l’instant qui suivit la serrure tomba avec un bruit sourd, comme pour confirmer l’exclamation victorieuse de la Révérende Mère qui poussa d’un geste précipité le battant de la porte et s’engouffra dans la cave entourée d’un halo de lumière éblouissante.

>>> Suite : 7/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:10

Retournements


Suite à l’arrivée de la Révérende Mère, les évènements s’enchainèrent devant une Haple déboussolée. L’adrénaline qui l’avait envahie lorsqu’elle se préparait à en découdre l’avait brutalement quitté lorsque ses yeux s’étaient acclimatés à la lumière du flambeau derrière la mère supérieure et qu’elle avait découvert sur le visage de celle-ci un regard empreint de sollicitude et de soulagement. Elle était venue à sa rescousse ! Pas de fin funeste, pas de coup cynique du destin… Juste la Sœur Ninïoton, qui incarnait à cet instant l’Ordre et la Justice. Tout le reste lui avait semblé dans les instants qui avaient suivi n’avoir pas la moindre importance.

L’acolyte d'Hermance qui l’accompagnait, timidement en retrait dans l’encadrure de la porte, les clés dans une main et une torche dans l’autre… ? Aucune importance. Les exclamations outrées de sa sauveuse à la vue de son officieuse protégée, ligotée, couverte de terre, blessée et… le poing crispé sur une bouteille fracassée… ? (Aucune importance). L’immensité de sa surprise et de son soulagement l’emportait sur tout autre considération.

Ce n’est qu’une fois revenue aux étages supérieurs qu’elle avait commencé à reprendre prise avec la situation. Leur supérieure avait conduit les deux elfes à travers les couloirs du couvent pour finalement parvenir à l’infirmerie. Là, elles avaient réveillé la Sœur qui dormait dans la cellule attenante : Rosemonde avait passé une tête ensommeillée par la porte entrebâillée. Un éclair de compréhension avait traversé son visage à la vue de l’adolescente en mauvais état et elle s’était aussitôt avancée dans la pièce pour l’inviter à s’asseoir sur l’un des deux lits qui occupaient la pièce.

Malgré le sérieux de la scène, Haple songea avec un rire amer que le lit de l’infirmerie n’était pas plus confortable que ceux dans les cellules des novices. Son examen de la literie du couvent s’arrêta cependant là car la Sœur Rosemonde l’interpella :

- Où est-ce que tu as mal ?

L’adolescente leva les yeux à la rencontre de son aînée, silencieuse.

- Ouf… elles t’ont pas raté dis donc, commenta la soignante inutilement. Ta main... C’est pas du sang au moins… du vin ?

Rosemonde plongea un regard interrogateur dans les yeux de l’adolescente, puis en l’absence de réponse les leva par-dessus son épaule vers la Révérende Mère.

- Je voulais me chercher une bouteille de vin pour… Ca a été un grosse journée, ajouta-t-elle un peu gênée en réponse au regard réprobateur de Rosemonde.

Effectivement, c’était une heure tardive pour boire seule. La jeune novice n’aurait pas cru cela de la Sœur Ninïoton.

- Voyant que la clé avait disparue de mon bureau, j’ai tout de suite pensé que des novices les avaient « empruntées » pour se servir… jusqu’à ce que je trouve celle-là, poursuivit-elle en désignant d’un geste de tête la rouquine en retrait derrière elle, dans les escaliers du cellier.

(Elle n’avait donc pas été chercher de l’aide par remord pour sa participation aux exactions d’Hermance…)

- Bref, j’ai trouvée Sœur Haple dans la cave à vin, enfermée dans le noir. Elle avait été ligotée et bâillonnée mais a réussi à se libérer en cassant une bouteille et en utilisant un tesson. Elle s’est coupée aux jambes mais je crois que c’est moins grave que le reste.

Voilà qui était enfin un résumé sobre et efficace. L’émotion qu’elle avait manifestée dans la cave et la gêne concernant ses soifs nocturnes avaient disparu. Elle était désormais à l’image de sa dignité hiérarchique. Rosemonde l’écouta attentivement et acquiesça, dans un même esprit d’efficacité et de calme, à la vue des coulures de sang qui zébraient les mollets d’albâtre de la jeune novice.

- Et maintenant… enchaîna la Révérende Mère en se tournant vers la complice d'Hermance, toute pâlotte et qui cherchait à se faire oublier dans le coin de l’infirmerie, toi et moi on va discuter de pourquoi tu avais les clés de la cave sur toi et du rôle que tu as joué dans cette affaire.

- Ce n’est pas moi ! couina craintivement l’intéressée. Je ne voulais pas. C’est Hermance qui m’a forcée. Parce que j’avais ri avant et qu’elle avait pas aimé ça. Pas du tout ! Elle m’a dit que je devais lui prouver ma loyauté si j’étais pas « une petite trainée comme l’autre». Que je devais prendre les clés et la retrouver dans le couloir de sa cellule lorsque tout le monde dormirait. C’était pas mon idée ! Je savais même pas ce qu’on faisait avant qu… que… que ce soit trop tard.

La jeune femme était au bord des larmes. Et ses larmes étaient tout ce qu’elle était en mesure de retenir. Le flot ininterrompu de ses pitoyables excuses ne s’arrêta que lorsque la main de la Révérende Mère se leva pour lui intimer le silence.

- Sœur Rosemonde. Voulez-vous bien surveiller ces deux-là pendant que je vais chercher Sœur Hermance ? Nous allons tirer tout cela au clair avant que les autres ne se réveillent.

La guérisseuse acquiesça en silence puis reporta son attention sur la blessée sous sa garde.

- Allonge-toi, Haple. Dans un premier temps, on va faire ce qu’on peut pour éviter que les dégâts ne s’aggravent.

Sans un mot, la jeune novice s’allongea, soutenue par une main de Rosemonde dans son dos. Sans un mot mais pas sans une grimace de douleur…

- Et ça ce sera une côte fêlée…

L’Ancienne tourna un regard grave vers l’autre elfe. Comme si elle avait du mal à concevoir que ses consœurs en soient rendues si bas. Cela dit, elle n’était pas au bout de ses surprises…

***

Le temps dans l’infirmerie semblait suspendu au retour de la Révérende Mère. Aucune des trois nonnes présentes ne disaient mot jusqu’à ce que… :

- Sœur Rosemonde, interpella la jeune novice, qu’est-ce que ça signifie une « douce féérie » ?

Elle avait entendu les sœurs Nétone et Nacota en parler en lien avec elle et Rosemonde et s’était fait une note mentale de lui en parler. C’était saugrenu compte tenu des circonstances que ce souvenir lui revînt à l’esprit en ce moment mais Haple n’avait pas la force de questionner les rouages de son esprit. La Sœur Rosemonde se montra surprise par la question.

- Où est-ce que tu as entendu parler de ça, demanda-t-elle avec une légère suspicion tandis qu’elle préparait un pansement.
- Je ne sais plus trop à vrai dire, menti l’elfe par habitude du secret… C’est juste que le terme a retenu mon attention ; c’est joli.
- Je vois ce que tu veux dire. C’est poétique, oui. Malheureusement, je ne peux pas t’en parler.
- Pourquoi… ? C’est quelque chose de mal ?
- … Haple, n’insiste pas.

Haple se tut mais la réponse de l’Ancienne la laissa songeuse. Les seules fois où cette Sœur qui s’était pourtant portée volontaire pour l’instruire se montrait ainsi avare en information, c’était pour des histoires de règlement, d’autorité… La jeune novice en déduisit qu’elle était sous instruction de garder le silence à ce sujet… (sous instruction de la Révérende Mère) Elle en avait la conviction. Encore et toujours des règles et des limites posées à son encontre… Haple sentit l’irritation monter. Ne pouvait-on donc pas la laisser libre de faire ses choix ?

Pour toute réponse, des pas retentirent dans le couloir. On arrivait. Une partie d’elle, animale, craignait de se retrouver face à face avec l’humaine qui l’avait ainsi tourmentée. Elle savait que ce n’était pas raisonnable ; elle était entourée de témoins. Néanmoins… le souvenir de son calvaire la travaillait à un niveau plus profond que là où résidait sa raison.

La porte s’ouvrit et la Révérende Mère entra suivie de la Sœur Hermance. Celle-ci était méconnaissable. Exit la jeune femme charismatique aux gestes assurés, au regard avide et au sourire carnassier. Elle était vêtue d’une modeste chemise de nuit surmontée d’un léger gilet en laine, le tout cachant discrètement la forme de muscles dont Haple avait fait la connaissance plus tôt dans la nuit. Une image d’innocente incompréhension était peinte sur le visage de l’humaine prétendument tirée du lit derrière laquelle la mère supérieure ferma la porte.

- Donc… amorça Ninïoton. Maintenant que vous êtes réunies toutes les trois vous allez m’expliquer ce qui s’est passé cette nuit. Sœur Hermance, on me dit que vous avez orchestré les évènements ?

- Ma m… Ma Mère… je ne sais pas quoi dire, balbutia la jeune femme, interdite. Je ne comprends pas.

Haple trouvait la comédie de l’humaine plutôt convaincante. Elle ne voyait pas comment elle comptait s’en sortir mais elle lui reconnaissait du culot pour nier ainsi les faits devant la victime. Il lui suffisait de confirmer sa présence, son rôle directeur même dans la sordide affaire, et son compte était réglé… Mais le serait-il vraiment ? Haple se rappela les paroles prononcées par les sœurs de la Révérende Mère comme quoi celle-ci préférait ne pas voir les vérités gênantes si elle le pouvait. Et cela faisait bien longtemps que la jeune novice avait saisi l’hésitation de sa supérieure à serrer la bride aux initiées qui suivaient Nétone et Nacota.

Mais pas ce soir. Réflexion faite, Haple en était convaincue. D’abord parce que les faits étaient cette fois si énormes et indiscutablement répréhensibles qu’elle ne pouvait en détourner le regard. Ensuite parce que la mère supérieure semblait animée cette nuit d’une autorité renouvelée et les jeunes fautives faisaient pâle figure en comparaison. Non… elle n’hésiterait pas à sévir cette fois.

- Vous ne comprenez pas ? Laissez-moi préciser mon propos alors. Peut-être est-ce que cela réveillera votre mémoire. Sœur Haple a subi une attaque cette nuit entre nos murs. C’est intolérable. Nous avons déjà établi que votre amie ici présente... la Révérende Mère marqua une pause pour désigner la rouquine qui regardait ses pieds et ne pipait mot dans un coin, immobile comme une statue, était impliquée et vous avez été désignée comme l’instigatrice de l’enlèvement, de la séquestration et, probablement, des sévices qu’à subit Sœur Haple.

Le silence retomba sur cette tirade qui avait déjà des airs de sentence.

- Non.

L’espace d’un instant toutes les têtes se tournèrent les unes vers les autres avant de converger avec surprise sur la victime alitée.

- Haple, l’interpella Rosemonde, que veux-tu dire par là ?

Elle n’avait écouté que d’une oreille distraite l’état des faits dressés par leur supérieure car elle avait mené sa propre délibération intérieure. Et elle avait abouti à une décision bien à elle…

- Non, ma Mère, reprit-elle à l’intention de Ninïoton, Sœur Hermance n’était pas présente. Je ne l’ai pas vue et d’ailleurs je n’ai vu qu’une seule personne… une seule personne, oui, qui m’a…

Se donnant l’air de ne pas avoir la force de revivre les évènements, Haple ferma les yeux en même temps que la bouche avant d’en dire trop et de compromettre sa tromperie. Elle avait tranché. Une Hermance punie ou bannie du couvent ne lui apporterait rien. Certes peut-être serait-elle plus en sécurité… mais ça ne l’avancerait pas dans sa quête d’information.

Pour cela, comme elle s’y était résolue auparavant, il lui faudrait convaincre la Révérende Mère qu’elle pouvait la laisser partir du couvent de manière à faire sortir au grand jour les Sœurs Nétone et Nacota. Et dans cette optique, il lui serait bien plus utile d’avoir dans sa poche la Sœur Hermance, brutale et sans scrupule… une tête brulée pouvait facilement être manipulée à son avantage. Comment ? Elle ne savait pas encore. Mais cela viendrait.

Lorsqu’elle rouvrit les yeux, sa congénère la regardait d’un air effaré où la panique était manifeste. Elle allait tout prendre sur la tête. Affolée elle se tourna vers son amie… un terme qui aurait certainement fait sourire l’autre si elle n’était pas pleinement investie dans sa comédie d’innocence.

- Vous êtes sûre de vous, Sœur Haple ?
- Mais enfin, la petite n’aurait pas pu la porter jusqu’au sous-sol, pas seule. Regarde là … elle a la peau sur les os.
- Sœur Rosemonde, les apparences peuvent être trompeuses, rétorqua-t-elle avec un calme glacial. Parfois, les êtres qui vous semblent être les plus chétifs et sans défense sont ceux qui ont le plus de ressources.

Son regard se porta sur l’elfe alitée et Haple se demanda si la mère supérieure n’avait effectivement mieux compris la situation que l’Aancienne ne le supposait. Oui, le message portait plus à son sujet que sur la pauvrette qui tremblait sur son sort.

- Zewen seul sait, récita Rosemonde d’une voix neutre qui signifiait son acceptation plus que son accord.
- Sœur Hermance vous êtes excusée. Je vous remercierai de faire preuve de discrétion quant à ce que vous avez entendu ici. Quant à vous… poursuivit la Révérende Mère à l’intention du bouc émissaire, suivez-moi jusqu’à votre cellule. Vous y resterez jusqu’à ce qu’un comité soit formé pour trancher sur votre cas.

>>>Suite : 8/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:12

Négotiations


Trois jours passèrent. Trois jours alitée dans l’infirmerie ; trois jours de remèdes qui la plongeaient dans une profonde torpeur le temps que son corps se rétablisse. Et de fait, elle sentait que ses forces lui étaient revenues. Les compresses froides que la Sœur Rosemonde lui avait imposées avaient soulagé la douleur pendant que sa côte se consolidait naturellement. En revanche, elle lui avait expliqué qu’il en serait autrement pour sa main : les doigts étant fracturés, il faudrait les immobiliser jusqu’au début des vendanges. (Un mois…)

Haple leva sa main du drap pour l’observer. Les feuilles de gaze que Rosemonde avait utiliser pour bander ses articulations distendues et os brisés avaient durci en séchant. Une résine extraite des sapinières des pieds du Géant, lui avait expliqué l’ancienne, voilà dans quelle substance elle les avait trempées au préalable pour leur donner cette propriété solidifiante. Haple porta la main plâtrée à son visage par réflexe et renifla. L’odeur fraîche et piquante en avait presque disparue. Il était temps de reprendre le cours de sa vie avant qu’elle aussi ne perde sa fraîcheur et son feu intérieur.

De sa main valide, la jeune novice repoussa le drap sous lequel elle était allongée et, avec la prudence d’une convalescente se redressa en position assise. Le contact du plancher sous ses pieds nus l’encouragea et elle se mit debout dans le même élan. C’était la première fois, songeait-elle en se dirigeant vers l’office de la Sœur soignante, qu’elle marchait avec un autre motif que de soulager ses envies pressantes… Un sourire en coin, elle tapa à la porte.

- J’arrive, ne bouge pas, répondit aussitôt la voix étouffée de Rosemonde.

L’Ancienne ouvrit la porte et accueillit Haple avec un regard d’interrogation.

- Je me sens mieux, Sœur Rosemonde. Je vais aller voir la Révérende-Mère.
- Tu n’y penses pas, sourcilla l’autre, tu dois te reposer encore et elle n’est pas sur les lieux de toute façon.
- Je me sens mieux, répéta l’adolescente avec insistance comme pour annuler le diagnostic de la guérisseuse avant de poursuivre avec agacement, et d’ailleurs où est-elle partie ?

Rosemonde ne répondit pas sur le champ. Pesait-elle le pour et le contre de sa réponse ou bien réprimandait-elle par son silence l’adolescente pour son impertinence ?

- Elle est partie raccompagnée ta congénère à la frontière anorfine. Sa famille va l’accueillir le temps qu’elle retrouve ses marques là-bas.

La rouquine avait donc été bannie du couvent. Haple n’en avait cure.

- On l’attend de retour dans la journée. Une journée et demie à cheval jusqu’’à la frontière… précisa Rosemonde, puis le retour. Oui, elle devrait être avec nous pour le souper.

- Très bien, je demanderai à lui parler ce soir alors. Et d’ici là je vais me dégourdir les jambes…
- Désolée Haple, l’interrompit l’ancienne, je ne peux pas te laisser sortir.

(Pardon… ?)

- Pas avant le retour de la Révérende-Mère, poursuivit Rosemonde avec fermeté, elle a été on-ne-peut plus claire là-dessus avant de partir.
- Mais je me sens mieux !
- Sœur Haple, rétorqua une Rosemonde avec formalisme, n’insistez pas.

Des éclairs dans les yeux, l’adolescente serra les dents pour se contenir. Elle n’arriverait à rien par la force. Et, depuis le temps qu’elle la subissait en études, Haple savait bien que l’Ancienne ne se laissait jamais amadouer.

(Patience…).

- J’attendrai alors…
- C’est pour le mieux. Je lui ferai savoir que tu souhaites lui parler dès qu’elle sera arrivé, offrit Rosemonde en récompense.
- Merci.

Ce dernier mot lui laissait un goût amer en bouche tandis qu’elle rebroussait chemin dans l’infirmerie. Elle ne voulait pas se rallonger. Au moins pouvait-elle marcher ici et faire circuler le sang dans ses jambes pendant qu’elle faisait tourner ses méninges. Après trois jours de convalescence ensommeillée, il lui fallait mettre de l’ordre dans ses pensées.

(Lorsque j’aurai Ninïoton devant moi, je serai prête).

***

Et de fait, lorsque la Révérende-Mère avait poussé la porte de l’infirmerie, Haple l’attendait, résolue et au clair dans ses idées.

Les ombres du soir avaient gagné les coins de la pièce ; l’humaine s’était placée devant l’unique fenêtre par laquelle pénétrait, douce et paisible, la lumière du soleil couchant. Haple songea que le visage de la supérieure semblait être animé d’une luminescence propre, pâle et fraiche… bien qu’encroûté par la poussière du voyage. Elle n’avait pas même pris le temps de se changer ou de se rafraichir avant de se rendre au chevet de la convalescente. Une grande lassitude se lisait dans ses yeux, dans le coin de ses lèvres en berne, dans ses épaules affaissées :

- Si je comprends bien tu aimerais pouvoir sortir du couvent ?
- C’est cela, Révérende Mère.
- Tu as conscience que tu ne crains plus rien à l’intérieur de nos murs désormais. La coupable ne remettra plus jamais les pieds ici. Ou bien… hasarda l’humaine avec un air entendu, y a-t-il plus dans cette histoire que tu nous aies dit l’autre nuit ? Une raison qui te donnerait à penser que l’incident pourrait se répéter ?

(Comme le fait qu’Hermance a participé et que je l’ai couverte…. Comme vous l’avez bien compris ?)

- Non Révérende Mère, je ne crains rien ni à l’intérieur ni à l’extérieur du couvent.

Elle avait bien réfléchi à son angle. Elle ne voulait pas s’ouvrir candidement à la Révérende Mère de ses soupçons concernant ses sœurs. Trop incertain. L’autre pourrait la croire et lui interdire de prendre le risque qu’elle était prête à courir pour dévoiler ce qu’elles tramaient. Ou bien elle pourrait chercher à étouffer l’affaire pour éviter de faire des vagues comme elle semblait l’avoir fait à son arrivée au Couvent. Non, si elle voulait réaliser son plan il lui faudrait subtilement naviguer la ligne entre adolescente fougueuse et religieuse responsable :

- C’est juste que… j’étouffe entre ces murs. J’apprécie l’étude et je n’ai rien contre les corvées qui me sont attribuées. Mais je ressens un appel : l’appel des chemins. Je ressens que j’y apprendrait plus et qui je serai plus utile pour mes Sœurs.
- J’entends. Il y a différentes voies dans notre communauté. Les récits des chasseuses et des collecteuses t’ont donné à voir l’une d’entre elle.
- Par exemple, Haple commenta avec engouement, satisfaite de ne pas rencontrer plus de résistance…
- Mais…

(C’était trop beau)

- … ce sont nos Sœurs les plus aguerries qui se chargent de ces responsabilités. Et lorsque je te vois, cadette de notre communauté, la main dans le plâtre... Je ne peux pas le concevoir. C’est bien trop dangereux. Il pourrait t’arriver n’importe quoi sur les routes.

- Comme me faire ligoter, bâillonner et passer à tabac ? Haple rétorqua sur le chaud, la frustration prenant le pas sur sa résolution de se montrer adulte.

- Haple… nous avons établi qu’il n’y a pas de raison que cela se reproduise la coupable ayant été écartée.

- Je me suis mal exprimée. Je voulais faire valoir que ce que vous redoutez qu’il m’arrive si je sortais du couvent m’est déjà arrivé ici et… regardez-moi, la première concernée… je suis en un seul morceau et mon désir d’action est intact. S’il y a une leçon à tirer des évènements de cette triste nuit c’est bien que je suis en mesure de me remettre d’une hypothétique mésaventure future.

L’humaine tourna le regard vers l’extérieur. Elle s’apprêtait à délibérer ; Haple ne put s’empêcher de rajouter :

- Cet appel que je ressens qui nous dit que ce n’est pas Zewen qui en est à l’origine.

L’humaine rigola. Les yeux plissés dans la lumière du couchant, elle secoua la tête avec bonhomie avant de répliquer dans l’air du soir :

- Tout autant que ma réticence. Seul Zewen sait.

Et sur cette formule, la mère supérieure se retourna vers l’adolescente, sa décision prise :

- Personnellement, Haple, je juge que tu es trop inexpérimentée pour que je prenne le risque de t’envoyer par monts et par vaux.

(Non…)

- Cela étant, prouve-moi que je me trompe et tu seras sur la prochaine expédition de collecte.

(Oui !)

- Quelque chose de facile, sans risques, à proximité du couvent, s’empressa de rajouter Ninïoton en remarquant l’excitation qui avait aussitôt empourpré les joues de l’elfe blanche.

- Merci, Révérende Mère. Votre jugement m’honore par la sollicitude et la confiance qu’il reflète.

Un nouveau sourire en coin. Décidément, la jeune novice semblait avoir des talents comiques ce soir… L’humaine commenta avec malice :

- Tu fais un bon début, Haple. La manière dont tu as conduit cette conversation, dont tu as géré la situation avec Sœur Hermance…

Un poids tomba dans son estomac. C’était confirmé : l’autre, tout comme Rosemonde, ne croyait pas Hermance innocente. Ne croyait pas ses dires… (Curieux) Il semblait y avoir une place pour l’autodétermination malgré tout dans leur couvent. Et un goût du secret et de la tromperie. De la diplomatie diraient certaines…

Haple regardait sa supérieure avec un regard neuf mais se tut. L’humaine hocha de la tête et se redressa, toute trace d’humour disparue de son visage. La lassitude avec laquelle celle-ci était entrée dans l’infirmerie… cette lassitude que Haple n’avait fait qu’accroitre lorsqu’elle lui avait exprimé sa requête… cette lassitude avait repris droit sur l’humaine dont les épaules s’apprêtaient à rendosser la direction de cette communauté d’intrigantes et de religieuses zélées dès qu’elle aurait franchi le pas de la porte.

- Une dernière chose. La Sœur Rosemonde m’a fait part de ton progrès dans l’étude des runes.

(Ca ne devait pas être élogieux…)

- Elle m’a montré ta dernière calligraphie. C’était … surprenant. Il est difficile d’être certaine car le tracé était imprécis mais la Sœur Rosemonde a cru reconnaitre la rune de lumière dans l’un des griffonnages et moi la rune d’eau dans un autre. Qu’est-ce que tu en dis ?

Haple hocha les épaules pour toute réponse.

- Bien, n’y pense plus, à trop étudier l’écriture divine on en voit les traces partout.

L’humaine posa la main sur la poignée.

- Prenez soin de vous pour l’instant, Sœur Haple. Nous reparlerons de votre avenir en détail un autre jour.

Et la Révérende Mère laissa la jeune novice à ses pensées.

>>> Suite : 9/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:13

Alliances


Avec la Révérende Mère de retour, Haple avait enfin pu sortir de l’infirmerie et retrouver l’espace personnel de sa cellule. Elle n’y était ni plus confortable ni plus au calme qu’à l’infirmerie mais elle n’y sentait pas la présence vigilante de l’Ancienne. C’était un endroit plus propice pour élaborer ses plans.

Après trois jours et deux nuits à se reposer, elle n’avait pas ressenti le besoin de méditer. Elle bouillonnait d’énergie : la voie devant elle semblait enfin s’ouvrir clairement. L’avenir était rempli de possibles et son esprit avait tourné à tout va, pesant le pour et le contre de différents scenarios.

Dans tous les cas, une chose était certaine. Il lui faudrait apprendre à combattre pour convaincre la Révérende Mère qu’elle pourrait se défendre en cas d’agression à l’extérieur du couvent. Et une idée revenait inlassablement à son esprit : Hermance, voilà une jeune femme qui avait la violence dans les veines. Haple ne pensait pas que l’humaine l’aiderait de bon cœur mais elle disposait désormais d’un moyen de pression sur l’autre : il serait malvenu que sa victime se « souvienne » des évènements de cette fameuse nuit…Oui, c’était une bonne raison de jouer cette carte. Elle l’avait pressenti, qu’une Hermance coincée valait mieux qu’une Hermance évincée… Le moment était déjà venu d’exploiter son avantage.

Mais de quelle manière précisément… Haple ne l’avait pas immédiatement identifié. Puis, alors qu’elle se représentait mentalement le visage de l’humaine, un sourire carnassier aux lèvres et un regard avide dans les yeux, l’évidence la frappa. Elle devait apprendre à se défendre ? Elle commencerait par apprendre à éviter les coups ! Et quel meilleur cobaye que cette jeune femme chez laquelle elle semblait susciter un intérêt malsain à l’origine de tant de violence ? Si elle pouvait apprendre à contrôler l’effet qu’elle faisait sur ses adversaires, elle pourrait tourner une faiblesse en avantage et passer du rôle de souffre-douleur à la posture d’une image sainte. D’une image qu’on adule… D’une idole à l’aura de beauté que l’on oserait souiller par un acte de violence ! (Admirez-moi, Haple la Simple !)

L’idée l’amusait. Combien de fois ne l’avait on pas prise au sérieux du fait de son jeune âge, de ses traits délicats, de son teint d’albâtre, de sa retenue elfique ? Que les préjugés de ces humains aux courtes vies et à la vue plus courte encore lui servent donc à dissimuler l’adversaire féroce qu’elle savait être ! Hermance, Pulchinel, le drapier qui l’avait conduite à Beauclair… ses parents. (Non). L’adolescente rebelle écarta leur visage d’outre-tombe de son esprit. Elle se tournait résolument vers l’avenir.

Sa résolution prise, Haple sorti de sa cellule à la recherche de l’humaine. Il était l’heure du petit déjeuner ; elle serait avec leurs consœurs au réfectoire. A cette idée, l’estomac de la jeune novice la poussa en avant autant que l’excitation de mettre en œuvre son plan. Et jamais elle n’avait parcouru les couloirs du couvent avec autant de hâte.

A sa grande surprise, elle croisa de nombreuses Sœurs et toutes, jeunes ou vieilles, la regardaient d’un œil nouveau. Elle aurait dû s’y attendre : alors qu’elle avait été isolée dans l’infirmerie sur ordre de la Révérende Mère (« pour mon bien »…) les rumeurs avaient du circuler bon train sur ce qui s’était passé dans les sous-sol du couvent.

Ainsi, plusieurs curieuses, dont quelques-unes affectaient une mine soucieuse des plus convaincantes, cherchèrent à l’arrêter pour lui demander comment elle se portait et l’assurer qu’elles étaient disponibles pour discuter avec elle si l’envie lui prenait de se confier à une bonne amie… Et toutes reçurent la même réponse polie et neutre qu’Haple était reconnaissante de leur sollicitude mais qu’elle ne souhaitait présentement rien de plus qu’un bol de gruau pour se remettre d’aplomb.

Finalement parvenue au réfectoire, Haple fut accueillie cette fois par le brouhaha jovial des religieuses attablées qui parlaient sans doute de leurs plans pour profiter de l’une des dernières belles journées d’été. A peine, eut-elle fait quelque pas que la nouvelle arrivée ressentit un changement d’atmosphère. Les conversations marquèrent une pause avant de reprendre d’un ton plus nerveux et à voix légèrement plus basse. Quelques têtes tournèrent, allant de l’encadrure de la porte où Haple se tenait à une grande table disposée le long de la rangée de fenêtres.

(Là !)

Hermance déjeunait entourée de sa clique, un sourire bravache et des yeux pétillants. Des yeux qui la suivirent lorsqu’elle s’avança enfin dans la salle. Était-elle si sûre d’elle-même pour ne pas craindre l’entrée de sa victime ? De celle qui pouvait encore se retourner et la dénoncer ? Haple en fut déroutée et envisagea l’espace d’une seconde de trouver une autre solution pour son entrainement. Puis, l’humaine jeta un nouveau regard à son endroit, furtif, prudent, expectatif… (Elle a peur) Cette fois, l’adolescente comprit : l’autre tentait de faire bonne figure auprès de ses acolytes mais au fond elle était incertaine. (Très bien) Haple pourrait exploiter cette importance que sa cible accordait au regard des autres Sœurs.

Décidant de faire monter la pression, Haple planta ses yeux dans les siens et fit mine de se diriger droit vers leur table. L’humaine se raidit imperceptiblement à l’idée de la confrontation qui s’annonçait… Mais au dernier moment, Haple pivota en direction du grand buffet où trônait les marmites préparées par les cuisinières de la sororité. Feignant un intérêt pour le sempiternelle gruau, Haple marqua une pause avant de se saisir d’un bol et d’une cuillère.

Un regard en arrière : Hermance était là, nerveuse mais toujours campée sur son banc. Haple se servit une louche de la préparation gluante puis avec geste ostensible raccrocha l’ustensile sur le bord de la marmite. Non sans jeter un nouveau regard en direction des fenêtres.

(Allez… viens. Sinon c’est moi qui viendrai à toi devant tes petites amies…)

Cette fois la mouche pris. Hermance se leva dans un large geste d’étirement qui donnait à voir les muscles de ses bras puis saisit son écuelle et tourna le dos à ses acolytes pour la rejoindre. Le cœur de l’elfe battait la chamade. Elle avait beau avoir le dessus en cet instant, le souvenir des tourments que l’humaine lui avait fait endurés était profondément ancré dans la mémoire de son corps.

- Sœur Haple, l’accueillit celle-ci dans une voix qui portait, vous êtes déjà remise ?
- Dans l’ensemble, répondit l’intéressée en montrant sa main plâtrée, Sœur Rosemonde s’est montrée à la hauteur de sa réputation.

L’échange de civilité connut une seconde de flottement…

- C’était surprenant ce que tu as fait l’autre nuit dans l’infirmerie, commenta Hermance à voix basse, l’air de ne pas y toucher.
- Des fois, je me surprends moi-même, accorda la comédienne en se servant de raisins secs. Je ne sais jamais ce que je vais faire avant qu’il ne soit trop tard pour revenir en arrière…
- C’est-à-dire… ? interrogea l’humaine entre deux louchées de gruau.
- Par exemple, je pourrais me souvenir de ce qui s’est passé cette nuit-là… ou bien je pourrai me tourner vers l’avenir.
- Qu’est-ce que…
- Sais-tu, l’interrompit fermement la jeune novice, que notre chère supérieure, me croit inapte à affronter les dangereuses réalités du monde extérieur ?

L’humaine ne put s’empêcher d’émettre un petit rire de dérision.

- Elle ne te connait pas très bien alors. Elle ne connait rien à rien… ajouta-t-elle avec mépris.
- Quand bien même, la coupa Haple n’ayant aucun intérêt dans les idées politiques de la jeune femme, cet avenir qui me permettra de me détourner des souvenirs difficiles de la nuit en question dépend de son bon vouloir.

La jeune novice pris son courage à deux mains et l’insuffla dans les mots qui suivirent :

- Aide-moi. Aide-moi à me préparer, à m’entrainer au combat pour qu’on ne puisse plus penser que je suis incapable d’assurer ma propre protection.

L’idée sembla dépasser l’entendement de son aînée. Elle la regarda des pieds à la tête puis ouvrit la bouche… avant de la refermer et de l’observer à nouveau.

- Elle est sérieuse… commenta Hermance pour elle-même. Comment ferais-tu avec ta main ?

Les muses soufflèrent à la fragile elfe la réplique parfaite :

- Justement, ça me motivera pour prendre le moins de coups possibles.

Hermance l’observa une troisième fois, plus longuement, avec un rictus qui dévoilait progressivement ses dents.

- Eh bien, soit. Mais je ne te promets rien, laissa-t-elle planer avec amusement.
- Comment cela ?
- Je ne te promets pas que… comment as-tu dis ? Que tu te prendras le moins de coups possibles.

Voilà ce sourire carnassier qui revenait. Et ce regard avide qui la mettait si mal à l’aise…

- Bien, si on en as fini avec cette histoire, il faut que je retourne manger cette deuxième ration maintenant avant que le Thorkin ne reparte.
- Le « Thorkin » … ?
- Un marchant descendu de Mertar. Il est arrivé hier et doit repartir dans la matinée mais il y a encore quelques achats que je…

Haple n’en croyait pas ses oreilles. Cela faisait près de trois mois qu’elle n’avait pas croisé quelqu’un de l’extérieur et encore plus longtemps qu’elle n’avait pas pu commercer avec un marchant.

- A plus tard ! On reparle de tout ça plus tard !...

***

Ses derniers mots trainèrent derrière elle, là où elle avait planté son gruau aux raisins et l’humaine agacée par ce comportement cavalier. Ses pas s’enchainaient aussi vite que ses pensées. Il lui fallait retourner dans sa cellule et redescendre avec ses plus belles pièces d’orfèvrerie et de céramique. Elle pourrait en tirer un meilleur prix qu’avec les nobliaux qui rendaient parfois visite aux nonnes. Il y avait la broche, le peigne et la résille métallique (et la coupelle aux fleurs, la statuette, le pl…)

- Sœur Haple.

La voix terne et plate de la géomancienne, si reconnaissable, l’arrêta sur place. Haple tourna la tête déboussolée vers la silhouette dodue de l’humaine qu’elle venait de dépasser en courant.

- Sœur Nétone ?
- Un instant, j’ai à vous parler.

Ce n’était pas le moment ! Et cela devait transparaître sur les traits de l’adolescente pressée car l’humaine fronça les sourcils avant d’insister sur ses prochains mots :

- La Révérende Mère m’a informée que vous accompagnez une expédition ou quelque chose de ce gout là… et elle craint pour votre sécurité, semble-t-il. Pour quelle raison, je ne sais pas.

(Viens en au but, veux-tu !)

Mais la pondéreuse religieuse était aussi lente et inébranlable que le mouvement des plaques telluriques.

- Eh bien… poursuivit-elle à son rythme, comment comptez vous y prendre pour effacer ses craintes ?

(Tout ça pour ça ? T’arrives trop tard Néné !...)

- Je me suis déjà penchée dessus. Je m’entraine au corps à corps avec Sœur Hermance, résuma-t-elle hâtivement.
- Et vous pensez que c’est votre meilleur recours ? Ma Sœur… c’est vers moi que vous auriez dû vous tourner.

L’espace d’un instant Haple fut déstabilisée… curieuse…

- Comment … ?
- Il ne m’a pas échappé que vous avez une certaine maitrise innée du fluide terrestre. Je lis sur votre visage que cela vous surprend… Croyez vous que je n’avais pas immédiatement détecté les traces de vos manipulations minérales dans les œuvres que vous réalisez à l’atelier. On ne parvient pas à une telle finesse, à une telle douceur texturale avec les simples outils dont nous disposons au couvent.

Etrangement, il n’y avait pas l’ombre d’une flatterie dans la voix de la géomancienne. Elle exposait ses observations et posait un diagnostic, objective. Pourquoi lui proposait-elle son aide, par contre ?... (Bien sûr !) C’était l’ouverture qu’elles avaient attendue, Nacota et elle, l’occasion qu’elles avaient appelée de leurs vœux dans la conversation que Haple avait surprise dans son bureau.

Alors comme ça elle lui proposait son aide pour mieux la soutirer au regard gênant de la Révérende Mère… ? Ironique. Ca l’arrangeait bien. Tout s’agençait à merveille : les pièces du puzzle s’assemblaient mieux que ce qu’elle avait pu imaginer dans ses plans les plus fous. (A croire que Zewen est bien derrière tout ça, héhé)

- Je n’osais pas imaginer que vous y seriez disposée… répondit-elle sans chercher à cacher son heureuse surprise car elle sentait que celle-ci transparaissait sur son visage, aussi évidente que la satisfaction de l’autre.
- Je le suis. Venez me voir à mon bureau la prochaine fois que vous serez à l’atelier et nous verrons ce que l’on peut faire.
- Merci Sœur Nétone, c’est plus que je ne pouvais espérer.
- Oui, oui… je ne vous retiens pas plus longtemps.

Et sur ce la géomancienne reprit son chemin laissant Haple remonter en quatre le couloir dans l’autre sens, encouragée par ces bons augures.

(Au tour du marchand maintenant !)

>>>Suite : 10/10
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Re: Le Couvent des Soeurs du Saint Livre

Message par Haple Mitrium » lun. 2 oct. 2023 18:14

Douce Féérie


Haple était arrivée devant la porte. Bien qu’elle ne vienne pas souvent par ici ; elle connaissait l’aile des invités pour y avoir été de corvée de ménage au printemps. Elle avait changé la paille du lit dans lequel le marchand Thorkin avait été logé la nuit dernière…

L’elfe voulut toquer à la porte pour s’annoncer mais sa main valide tenait ses précieuses marchandises dans leur écrin métallique et son autre main… elle ne voulait pas se risquer à taper la porte avec son plâtre. C’est donc avec la plus grande classe qu’elle tapa du pied dans le panneau de bois à trois reprises.

- Oui, un instant. J’arrive tout de suite.

Et en effet, l’instant suivant la porte s’ouvrait sur le visage barbu d’un homme au large sourire.

- Bonjour ma Sœur, je m’apprêtais à plier bagages alors veuillez m’excuser pour le désordre dans la pièce. Entrez, entrez.

L’elfe se fit la remarque en passant le pas de la porte que son hôte était plutôt agréable à regarder malgré que tout les opposait : il était petit, basané, hirsute avec ses cheveux roux éclatant coupés en brosse et, surtout… il affichait une expression amicale.

Il devait être jeune pour son peuple. Tout juste devenu adulte à en juger par la nature clairsemée de sa barbe au travers de laquelle Haple apercevait une mâchoire cisaillée. Et, tout comme elle, il parcourait le monde, loin de chez lui… il lui était sympathique.

- Vous venez de Mertar ?
- Oui, c’est cela, de Mertar. Parti à la rencontre de la lumière dès que j’ai entendu que les frontières s’ouvraient entre notre Royaume et les Duchés. Une bonne chose que vous ayez pris votre indépendance de Kendra Kar. Enfin je dis vous…

(Un bavard… bien faisons le parler pour qu’il soit bien disposé à mon égard)

- Je suis originaire des montagnes anorfines. Pas très loin d’ici à vrai dire.
- Des montagnes dites-vous ! Haha, si vous venez à Mertar un jour je vous en montrerai des montagnes !
- Et qui devrais-je demander ?
- Petrock Grigou, pour vous servir. A ce propos, que puis-je faire pour vous … ?
- Haple. Haple Mitrium, répondit-elle devant son regard poliment interrogateur. Je suis venue vous proposer ces articles d’orfèvrerie.
- Je suis plutôt venu ici espérant vendre ma cargaison plutôt que l’alourdir, vous savez…
- L’alourdir ? Allons bon. Regardez-moi ces merveilles de raffinement. Elles sont de celles qui vous allègent l’esprit au contraire ! argumenta-t-elle d’un air enjoué en ouvrant son coffret pour laisser voir sa marchandise.
- Je suppose qu’il faut acheter pour pouvoir vendre… hasarda le Thorkin en se saisissant d’un peigne métallique finement ciselé et en inspectant d’un œil intéressé une broche circulaire qu’elle avait poli jusqu’à ce que la lumière lui donne vie. Très bien, je suis disposé à t’en donner… le contenu de cette bourse.

Il désigna une petite poche en cuir sur une table où était posés pêle-mêle une carte, un chapeau de voyage et une chope vide.

- Marché conclu, se précipita la jeune novice trop heureuse d’accepter n’importe quelle somme dans la mesure où s’était probablement la seule occasion qu’elle aurait avant longtemps de vendre ses créations.
- Attendez, attendez… tempéra le Thorkin, j’ai bien dit : « il faut acheter pour pouvoir vendre ».

Haple ne suivait pas son raisonnement.

- Ca va dans les deux sens, vous savez, ajouta-t-il pour l’éclairer.
- Ah, je vois… que vendez-vous ?
- De ci, de ça. Un peigne et une broche dans un futur proche, apparemment... Que diriez-vous de soigner cette méchante blessure, proposa-t-il en désignant son plâtre. Une de mes potions et le tour est joué !

A vrai dire, voilà qui l’intéressait. Elle regarda d’un nouvel œil les caisses et paquetages qui encombraient la cellule. Il y avait tout ce qu’il fallait pour se débrouiller seule sur les grands chemins.

- D’accord, oui, mais je ne la prendrai pas maintenant, précisa-t-elle préférant laisser sa main se soigner naturellement et réserver la potion pour une situation plus précaire. D’ailleurs mettez m’en deux, s’il vous plait, une grande et une moyenne. Et celles-ci pourquoi sont-elles différentes ?
- Ah, celles-ci ne sont pas pour soigner. Les mages les utilisent pour se recharger lorsqu’il tire trop sur la corde. Du mana à l’état liquide !

(De mieux en mieux)

- Parfait, j’en prends deux alors. Celles-là : les vertes avec le bouchon mauve.
- Deux grandes potions de soin et deux moyennes potions de mana.
- Non, une seule grande potion de soin et une potion de soin moyenne.

(Mais bien essayé...)

- Et les deux moyennes potions de mana. Très bien. Autre chose ?

Haple s’avança dans la pièce et déambula entre les différentes marchandises du Thorkin.

(Oui, ça pourrait servir… oui… et ça, sait-on jamais… un briquet, parfait…)

- Attendez, je vais vous aider, n’allez pas vous faire mal avec votre main dans le plâtre.

Le Thorkin la rejoint avec l’engouement du marchand envers ses clients juteux.

- Qu’est-ce que nous avons là ? De la ficelle, un étui à carte – bon choix, une connaisseuse – un briquet et un petit stock d’amadou – n’oubliez pas que vous pourrez en trouver en forêt – et tiens donc…

Le marchand leva la tête vers l’elfe qui le surplombait lorsqu’elle lui remit le dernier objet qu’elle avait sélectionné.

- Un matériel de crochetage… Non, non, je ne poserai pas de question, assura-t-il par jeu.
- Maître Grigou, dîtes moi, et cette griffe dans la caisse ici… qu’est-ce que c’est ?
- Ca, Dame Mitrium, c’est un grappin ! Une invention bien pratique pour quiconque s’aventure en montagne ou souhaite rejoindre une princesse dans sa tour. Ou un prince, je vous laisse le choix.

L’objet valait plus que les boutades du Thorkin, ça c’était sûr.

- Très bien. Je le prend.
- Et regardez-moi cette couverture en laine de yak. Si vous vous aventurez en montagne vous n’aurez plus jamais froid au camp.
- Merci pour votre prévenance, offrit Haple avec un sourire, mais je vais m’arrêter là.
- Entendu. Avec le matériel de voyage ça vous fait un total de … 385 yus.
- Je vais aller chercher ma bourse pendant que vous préparez la note.
- Entendu. Je vous attends ici.

Alors qu’elle était sur le point de franchir la porte, Haple s’arrêta, saisie la curiosité.

(Sait-on jamais…)

- Par hasard Maître Grigou, est ce que vous auriez de la « douce féérie » dans votre cargaison.
- Pardon ?! s’indigna le Thorkin en lui jetant un regard critique. De la Douce Féérie… ? Et quel usage pourrait bien en avoir une jeune Hinïonne des montagnes anorfines… ?

Haple n’en avait aucune idée. Elle cherchait précisément à savoir de quoi il s’agissait.

- Quel usage n’en aurais-je pas ? On a tous un jour ou l’autre besoin de douceur et de féérie, n’est-ce pas ? hasarda-t-elle avec une moue enjôleuse.
- Si vous voulez priver un mari ou un rival de souvenirs gênants, certainement. Mais ce n’est pas le type de client que je souhaite approvisionner. Non, Dame Mitrium, vous ne trouverez pas cette herbe parmi mes marchandises.

Un poids lui tomba dans l’estomac. Perdre la mémoire… la douceur de l’amnésie en effet… voilà de quoi avait parlé les Sœurs Nétone et Nacota dans le bureau de la géomancienne. Voilà pourquoi elle s’était réveillée neufs mois auparavant dans le couvent sans se souvenir de comment elle y était arrivée. Elles l’avaient empoisonnée !

- Vous vous sentez bien ? s’inquiéta le Thorkin.

Son cœur battait la chamade. Elle sentait son visage s’empourprer et dans un même temps ses entrailles se glacer. (Ressaisis-toi. Ne laisse rien transparaître). Machinalement, elle cousu une réplique pour mettre terme à la conversation grâce aux informations qu’elle avait récoltées en espionnant ces deux vipères (Je vais les…)

- Pardon, oui, merci. Je pensais à ce que vous disiez ; ça m’a troublée qu’on puisse en faire pareil usage. Ici, au couvent, la Sœur Rosemonde – notre guérisseuse en quelque sorte – en maintient un stock. Je crois qu’elle l’utilise en petite dose à des fins thérapeutiques. Vous savez : afin de tranquilliser les esprits perturbés…
- Je suppose oui… C’est ingénieux.
- Elle est douée dans son art. Malheureusement, j’ai entendu dire que ses réserves sont maigres. C’est pour ça que je demandais.
- Je vois, répondit machinalement Maître Grigou. Eh bien, je note de m’en procurer d’ici à mon prochain passage.

(Drame évité)

- Vous comptez repasser par ici ?
- Je vais en Shory pour l'instant mais je peux faire un crochet par votre communauté sur le chemin de retour vers ma rocailleuse Mertar. Et si vos créations se vendent bien, je vous en reprendrai.
- C’est très aimable, répondit Haple avant de conclure : Je reviens tout de suite avec l’argent.

Et ainsi, Haple se retira.

Dans le couloir, un tourbillon d’émotions lui donna le vertige. Mais dans l’œil du cyclone, il y avait une certitude dans lequel elle pouvait s’ancrer …

(Elles me le paieront !)

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