L'Urgence
A chaque pas, le bruit avait l’air d’augmenter en intensité. Hatsu semblait percevoir des bruits métalliques, le pas rythmé d’une troupe en marche, les bruits d’animaux et des cris… étranges. Plus elle et le Garzok approchaient, plus elle sentait une peur froide lui nouait l’estomac. Tout cela était anormal, elle en avait confiance et, lorsque, abritée par le couvert des arbres, elle vit ce qui créait tout ce vacarme, elle crut qu’elle était en plein cauchemar. Des Garzok, par milliers. Une véritable marée de peaux vertes en armes progressait et, si Hatsu ne se trompait pas, elle connaissait très bien leur destination. Elle déglutit, les bras et les jambes tremblantes, observant comme hypnotisée cette légion sortit des pires cauchemars de son peuple. Oaxaca partait en guerre, et elle était aux premières loges. Ses yeux se posèrent ensuite sur une troupe toute particulière. Difficile pour elle de dire ce qu’ils étaient, ou ce que c’était, mais ils semblaient grand, caparaçonnés de la tête aux pieds dans d’incroyables armures d’un métal sombre. Cornes, pointes et piques ornaient leurs terrifiants attirail et leurs montures, de puissants destriers bardés de fer, semblaient tout aussi maléfiques que ceux qui les montaient. Puis un craquement de fin du monde fit tourner la tête de la jeune femme et elle les vit. De gigantesques créatures de métal arrachant les arbres sur leurs passages, ouvrant la voie à la horde sombre qui progressait à leur suite. Son regard, pourtant terrifié, intercepta une forme, enchaînée sur le dos de l’une d’elle. Elle plissa les yeux, reconnut … une Sindel, ou du moins elle le pensait, attachée au sommet. Cela la fit réagir et elle se leva, rebroussant aussitôt chemin en courant avant de s’arrêter, tournant son regard vers la destination qu’elle venait de choisir, avant de croiser le regard mortifié du Garzok.
- C’est…
- La guerre, oui. Je dois prévenir Luminion, ils doivent savoir où ils se feront balayer…
- Je comprends, et ne vais pas tenter de t’en empêcher, ni de t’y suivre, je tiens tout de même à ma vie.
- Je comprends. Puisse les vents t’être favorables.
- Puisses-tu survivre…
Hatsu hocha la tête, la gorge nouée par cette dernière déclaration. Si elle n’agissait pas, des milliers mourraient, elle le savait. Elle devait faire vite. Se séparant du Garzok qui partit vers le sud, elle s’élança vers la seule destination possible de l’armée : Luminion, le verrou Kendran. Si la ville tombait, ce serait la catastrophe, un coup dur pour les hommes et une victoire importante pour Oaxaca et ses légions. Ça ne devait pas arriver. Une dernière fois, elle jeta un œil à la horde, prenant autant d’informations qu’elle pouvait en retenir et en voir sans prendre le risque de se faire repérer, avant de courir aussi vite qu’elle le pouvait. Elle ignorait les rares animaux encore présents dans les parages, la plupart ayant fui en sentant l’odeur du métal et de la mort dégagées par la horde vorace qui avançait, inexorable. Évitant chaque obstacle avec agilité, sautant par-dessus les troncs et les souches, slalomant entre les arbres les plus imposants, Hatsu filait aussi vite qu’elle le pouvait avec une seule idée en tête. il fallait prévenir le royaume de Kendra Kar, il fallait protéger Luminion, l’empêcher de tomber.
Elle courrait depuis un temps qui lui paraissait infini, ses poumons lui brûlaient et mouvement de ses jambes menaçaient de la faire s’écrouler sur le sol, ce qu’elles firent, lorsqu’elle se prit le pied dans une racine. Elle tomba lourdement, ses poumons demandant de l’air et ses jambes grâce. La respiration sifflante, Hatsu se mit sur le dos, observant la nuit qui commençait à tomber, teintant le ciel de sombres nuances bleutées. Elle entendait, au loin, la clameur sourde de l’immonde et se mit à trembler et à désespérer. Si une telle armée tombait sur son pays, qu’adviendrait-il de sa patrie, de sa famille… Lâchement, elle hésita à laisser Luminion se débrouiller, voulut rentrer chez elle, protéger sa famille en la mettant en sûreté, loin des sombres mains d’Oaxaca et de ses fidèles. S’adossant à un arbre, elle tenta de juguler les tremblements qui s’emparaient de son corps. Jamais elle n’aurait cru tomber un jour là-dessus, sur une telle vision. Pourtant, elle remercia Rana de l’avoir amené jusque-là, parce qu’elle pouvait prévenir et c’était ce qu’elle allait faire. Mais la longue course l’avait épuisée et elle s’endormit comme une pierre après s’être recouverte de feuilles mortes et envelopper dans sa couverture. Ainsi cachée, elle espérait ne pas être vue si un éclaireur s’aventurait dans les environs. Elle ne lutta pas contre le sommeil qui la happa sans qu’elle ne s’en rende compte.
Au réveil, aux aurores, elle mit quelques instants à se remettre les idées en place. Mais la clameur de la horde se fit de nouveau entendre et elle se releva aussitôt, grimaçant à cause de ses jambes courbaturées. Elle marcha d’un pas vif en grignotant et buvant de quoi tenir tandis que ses muscles chauffaient, avant de se remettre à courir comme la veille. Elle fit des pauses plus régulières, se rendant bien compte qu’elle ne tiendrait jamais le coup si elle faisait la même erreur que la veille. Elle devait arriver vite, oui, mais elle devait arriver en ayant suffisamment d’énergie pour parler et ne pas faire comme ce messager qui, après avoir appris une importante nouvelle, avait couru pour l’annoncer, avant de mourir d’épuisement, sans donner les détails les plus cruciaux. Mais ce qu’elle craignait arriva. Au détour d’un arbre, un garzok apparut, visiblement un éclaireur au vu de sa tenue légère et faite pour se camoufler. Elle le dépassa, ne le voyant qu’au dernier moment et jura en l’entendant pousser une exclamation de surprise. Elle l’entendit pousser un cri et se mettre à la poursuivre. Elle imaginait très bien que d’autres allaient rappliquer en entendant son cri, mais il était trop tard, elle devait le semer. Ou le tuer pour ensuite disparaître.
La seconde option lui apparut comme une évidence lorsqu’une flèche la frôla de si près qu’elle put sentir le déplacement d’air près de son visage. Elle glissa sur le sol, sortant son arc avant de se redresser et d’encocher une flèche. Le Garzok courrait toujours vers elle et, elle étudia rapidement les alentours avant de se cacher derrière un arbre. Avant de reculer en gardant ce couvert entre elle et son adversaire. Lorsque le Garok apparut, visiblement sans avoir pensé qu’elle aurait ainsi reculé, la flèche fila dans les airs et se planta dans l’arbre, juste là où la tête de son ennemi se trouvait une seconde auparavant. Celui-ci roula en catastrophe, faisant tomber la majeure partie des flèches de son carquois. Il lâcha l’arc de bois sombre renforcé d'ivoire qu’il portait et dégaina une hache à la lame dentelée avant de foncer sur Hatsu en hurlant. Jurant entre ses dents, la jeune femme encocha de nouveau et, accroupit, banda son arc aussi fort qu’elle le put avant de lâcher le trait qui, sifflant, s’enfonça dans la le bras du garzok qui tituba sous l’impact avant de la fixer, le regard fou. Il porta son regard sur son bras et il arracha la flèche d’un coup sec avant de la briser en deux. Lorsque son regard remonta pour retrouver son adversaire, l’archère avait disparu, le rendant fou de rage.
- Viens te battre, humaine ! Toi et les tiens êtes faibles, notre armée vous écrasera et vous serez nos esclaves !
Allongée, dissimulée par la végétation, Hatsu attendait. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance dans un assaut frontal. Ses atouts étaient la discrétion et la distance, raison pour laquelle elle s’était rapidement dérobée de la vue du Garzok lorsqu’il avait tourné la tête. Elle retint un soupir exaspéré. Comme si elle allait réagir à ce genre de provocation ! Elle n’était pas stupide. Elle rampa en s’éloignant du garzok et tira une flèche de son carquois. Elle inspira longuement, expira lentement avant de doucement se mettre à genoux, veillant à ne pas faire le moindre bruit. Elle encocha sa flèche, caressant l’empennage avant de tirer sur la corde. Concentrée, elle amena la hampe jusqu’à sa joue en inspirant, visant précisément la zone la plus vulnérable qu’elle avait en visuel sur son ennemi, se remémorant les paroles de l’instructeur.
Gorge, aine, aisselle, poumon, foie… Elle bloqua sa respiration, sentit le souffle du vent et décala légèrement son tir avant de lâcher. Sans bruit, la flèche fila vers le Garzok et, comme si le temps évoluait au ralenti, Hatsu la suivit du regard, la vit atteindre son but, perforant le Garzok juste sous l’aisselle. Il hoqueta de douleur, chancela et voulu hurler, mais déjà un deuxième trait se fichait dans sa gorge. Il regarda autour de lui, comme hébété, et s’effondra, secoué de soubresauts avant de finalement cesser de bouger. Reprenant une respiration normale, Hatsu resta quelques instants sans bouger avant de finalement sortir de sa cachette. Elle donna un coup de pied au corps étendu, s’assurant qu’il était bien mort et entrepris de récupérer ses flèches ainsi que l’équipement de son adversaire. Puis elle regarda le corps, hésita et, combattant son dégoût, sortit son couteau de chasse, sentant l’esprit de Loup approuver ce qu’elle avait en tête.
- Je sens que je vais le regretter…
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(((HRP : tentative d'apprentissage de la CC "Tir critique")))