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Nous entamons la seconde journée de voyage quand nous pénétrons dans le Bois aux Lutins, une forêt tout ce qu’il y a de plus classique avec ses arbres et ses fourrés qui ont revêtit leurs vêtements d’hiver. Seul le bruit des sabots qui s’enfoncent dans la neige recouvrant le sentier et le vent qui souffle dans les branches nues troublent le silence du lieu. Un contraste étrange par rapport à hier où les recrues discutaient tranquillement entre eux.
J’en avais moi aussi profité pour parler avec Stepha. Curieux au sujet des runes et surtout sur la manière dont j’ai pu identifier celle que m’a offert Ed’. Comme attendu, elle avait déjà lu quelque chose à ce sujet et elle avait prit plaisir à m’expliquer ce qu’elle savait pendant de longues, très longues heures. J’ai appris que les runes sont des passages du grand livre de Zewen. Des lettres égarées, chargées de puissances divines. Entendre le nom du Dieu m’avait fait penser à son zélote, Sirat. Je m’étais demandé ce qu’il était devenu, était-il coincé sur Aliaénon ? Ou alors avait-il trouvé un moyen de revenir ? J’espérais qu’il aille bien. Quand j’avais expliqué à Stepha que j’étais parvenu à déchiffrer la langue divine le soir d’avant, elle ne m’avait pas cru. Elle avait même pensé que je me moquais d’elle, libérant son rire parsemé de grognements de cochon. Mais elle avait tout de même volontiers accepté d’en parler. Selon les légendes il existe des personnes capables de déchiffrer la langue divine mais ce serait le résultat de longues recherches et d’études sur les runes. Elle m’avait admis sans vouloir m’offenser que je ne correspondais pas trop à la description. Elle m’avait aussi parlé des prêtres de Zewen qui ont reçu sa bénédiction pour lire ses runes. Puis enfin elle m’avait parlé de cas rarissimes où une personne naissait avec une affinité naturelle pour déchiffrer instinctivement les runes qu’ils voyaient pour la première fois. Quand je lui avais expliqué que c’est ce qu’il s’était passé elle avait encore ri en expliquant que certains me considéreraient alors comme béni par Zewen en personne.
Aujourd’hui l’ambiance est différente, le temps est mauvais. Il fait gris, brumeux, une neige épaisse et collante tombe de façon dru, gênant notre visibilité et notre progression. Les intempéries donnent à la forêt un aspect lugubre et plus nous avançons, plus les chevaux sont agités et la tension des recrues devient de plus en plus observable. Emmitouflé dans une cape pour me préserver du froid, j’avance moi aussi en silence, en queue de convoi. A mi-journée, les chevaux sont trop agités pour poursuivre la marche et Aldchet ordonne de faire une halte le temps de les calmer. Mais il n’y a pas le temps de mettre pied à terre que des rugissements transpercent la brume. Des cris viennent de l’avant du convoi et nos flancs s’empressent de les rejoindre. A travers le brouillard, impossible de distinguer quoi que ce soit, je me prépare à réagir alors que des bruits de combats proviennent de devant. Soudain c’est l’arrière qui subit l’embuscade, des Garzoks surgissent du brouillard, attaquant une zone dénuée de renforts. Ils chargent comme un seul Orc, coupant en deux notre groupe. Je laisse échapper des bourrasques pour repousser ceux qui m’assaillent mais je me rends compte bien vite que j’ai manqué d’entraînement pour lutter à cheval. Ma monture est bien trop effrayé pour que je puisse la contrôler et après un claquement sur sa cuisse infligé par un assaillant, voilà qu’elle file à travers les bois en s’éloignant du combat.
Je tire de toutes mes forces sur les rênes pour ne pas chuter et arrêter la course folle de l’animal mais rien n’y fait, sa panique est la plus forte et je peux simplement mettre mon bras devant mon visage pour ne pas que les branches basses fouettent mon visage. C’est un coup de tonnerre qui mettra fin au galop, quand un éclair frappe soudainement la tête de ma monture. Elle s’écroule au sol à toute vitesse et me projette en avant. Je laisse échapper mes fluides pour atterrir sur un coussin d’air et m’épargner une chute douloureuse mais mon cheval en revanche roule encore quelques mètres en brisant ses os jusqu’à s’arrêter mollement dans la neige, le crâne fumant, portant la marque de la foudre.
Je me redresse rapidement pour observer les alentours, sur mes gardes. Il ne me faut pas longtemps pour trouver l’origine de ce sort. Devant moi se tient la silhouette qui me poursuis depuis Breen. Un sourire satisfait se dessine dans la pénombre de sa capuche tandis que sa main se recouvre d’éclairs agités. Je l’imite, laissant la mienne se napper d’un voile gris. Nous nous jaugeons un instant, lui avec arrogance tandis que moi je lui lance un regard haineux. Il va payé pour ce qu’il a fait sur notre route jusqu’à Bouhen. Nous lançons nos sorts simultanément, provoquant à leurs impact un courant d’air parcouru d’éclair qui s’envole vers les cieux. Je me réfugie derrière un arbre pour éviter les arcs électriques qui jaillissent des mains de mon assaillant. Son sort arrache les écorces et secoue les troncs jusqu’à les briser, je cours à nouveau pour rejoindre un autre refuge, balançant une bourrasque entre deux troncs. Mon sort soulève la neige sur son passage, me dissimulant aux yeux de mon adversaire le temps suffisant pour reprendre mon souffle. Porter une armure n’est plus un problème pour moi mais ça reste un poids conséquent par rapport à mon ancienne tenue. Je n’ai pas le temps de plus y réfléchir qu’un javelot se plante à côté de moi, j’écarquille les yeux quand je constate qu’une magie électrique le parcours mais il est trop tard pour m’enfuir, le sort explose, me projetant contre un arbre. Je distingue des arcs bleutés parcourir mon armure, me laissant croire qu’elle m’a épargné des dégâts magiques. Cette attaque ne peut pas venir de la silhouette, ça veut dire qu’il y a un autre ennemi, planqué quelque part. Je sens soudain une douleur terrible qui me tétanise, m’empêchant de bouger. Je ne parviens pas à lutter et la silhouette s’approche dangereusement avec un sourire cruel sur la face.
« C’est terminé. La Dame Noire sera ravie d’apprendre que vous ne vous mettrez plus sur sa route. »
Je lève mon regard vers lui et aperçois, posé sur une large branche au sommet d’un arbre, une autre silhouette qui observe attentivement. Mon regard se baisse à nouveau vers celui qui est en face de moi, entrain de charger une sphère orageuse au cœur de sa main. J’essaie de me débattre mais je ne parviens qu’à me faire plus de mal. Je hurle ma colère quand mon adversaire abat son sort contre mon torse en riant. Un rire qui s’efface quand il constate que sa magie n’agit pas comme elle le devrait. Il recule de quelques pas en observant mon armure qui absorbe la puissance de la foudre avant de la renvoyer, l’abattant sur son créateur. Son emprise sur mon corps disparaît et je ne prends pas le temps de me remettre de cette soumission. J’ignore la douleur dans mes muscles et me jette à l’assaut de mon ennemi. Debout mais titubant il m’observe foncer vers lui avec un regard ébahi et effrayé et je vois son regard glisser vers les hauteurs, vers son allié. Mes fluides s’échappent de mes mains pour se précipiter devant moi, ouvrant un portail dans lequel je saute pour me retrouver en l’air, au dessus du tireur dissimulé dans les arbres. Il brandit son projectile magique mais ne trouve plus sa cible qui est maintenant dans son dos. Il est trop tard quand la silhouette au sol me pointe du doigt en criant. Je façonne entre mes mains une lance à la pointe en forme de tornade tenu sur un manche transparent qui contient une tempête remuant mes fluides magiques. Je la brandis en hurlant un cri de rage, habité par une fureur brûlante. Mon regard se plonge dans celui de ma victime qui se retourne en même temps que mon arme lui transperce la poitrine. Il bascule en arrière, chutant de sa branche tandis que son regard s’éteint et qu’une gerbe de sang s’échappe de sa bouche dans une dernière quinte de toux. Ma main se tend vers lui pour lui lancer une bourrasque qui le projette avec violence, brisant son corps contre le sol. Un coussin d’air amorti ma propre chute, me permettant de me reprendre pour me protéger de l’assaut de mon ennemi restant. Lui aussi a fait apparaître une lance entre ses mains et la foudre affronte l’air, provoquant éclairs et bourrasques qui secouent les arbres autour de nous.
Au dessus de nous le ciel se noircit quand un épais nuage sombre annonciateur d’orage se forme. La foudre ne tarde pas à tomber, soulevant d’épaisses couches de poudreuse ou frappant la cime des arbres qui se brisent et s’effondrent. Nos armes s’entrechoquent, se parant l’une l’autre dans une position qui nous force à jouer de notre force pour se dégager. Nos regards furieux se croisent. Je grogne d’effort en poussant de toutes mes forces pour prendre l’avantage avant de laisser ma lance se dissiper comme un nuage de vapeur. Emporté par sa force, la silhouette perd l’équilibre et j’en profite pour lui asséner un vent violent qui le propulse contre un tronc lacéré par notre combat. Il lâche sa lance qui disparaît et tente de se redresser mais une nouvelle bourrasque vient frapper sa hanche qui se brise entre mon sort et l’écorce. Il hurle de douleur et s’affale contre l’arbre tandis que j’avance, d’un pas ferme et assuré en chargeant un autre coup de vent dans ma main. Il brandit péniblement la sienne en me demandant d’attendre avant de hurler à nouveau quand son bras est projeté en arrière, cassant son articulation. Je parviens à portée de voix, parlant fort pour couvrir l’orage qui gronde au dessus de nos têtes et le vent qui souffle entre les branches.
« C’est terminé. »
Une nouvelle bourrasque frappe son menton, soulevant sa capuche et me révélant son visage figé dans une grimace de douleur. Un visage plus sombre que je l’aurais cru, d’un gris pâle aux tâches plus noires. Des pupilles violettes, des cheveux cendrés. Je plisse les yeux, croyant d’abord voir Nildan, le Shaakt que j’ai croisé à Kendra Kâr mais après un regard plus attentif je me rends compte que ce n’est pas lui. Il lève son bras encore sauf en me suppliant.
« Nous t’avons sous estimé. Laisse moi partir et je lui ferais croire que tu es mort. »
« Non, je ne crois pas que je vais faire ça. »
Un rictus déforme sa bouche avant qu’il prononce.
« Imbécile... Le tonnerre d’Omyre n’est rien comparé aux monstres qu’ils peuvent mettre à tes trousses. »
Je soupire alors qu’il me jette un regard pour me convaincre de le laisser partir. Je lui en adresse un autre qui efface son rictus infâme alors que mon bras se nappe d’un fluide agité.
« NON ! »
C’est le mot qu’il prononce avant que son crâne se brise, percuté par la puissance d’un ouragan, lui ôtant définitivement la vie et mettant fin à l’affrontement. Je lève le nez vers le ciel, laissant la neige fouetter mon visage. L’orage gronde encore et le vent ne cesse d’augmenter, chassant la neige entassée dans les branches de sapins. Je suis perdu au milieu de la forêt et je n’ai aucune idée du sort qui a été réservé aux autres. Les douleurs du combats se réveillent, faisant souffrir mon épaule et mon dos.
Je commence à trembler. Je dois trouver un abri avant que le froid n’ait raison de moi. Je crois entendre des cris à travers le vent et le tonnerre mais ce n’est sans doute que mon imagination. Je retrouve ma monture presque enseveli sous la poudreuse. Je m’agenouille pour récupérer mes affaires et lutte pour me redresser.
« Almaran ! »
Je lève la tête, encore mon imagination ?
« Xël ! »
« Le piquet ! »
Je grogne d’effort pour vaincre le tremblement de froid qui me maintient au sol. C’est bien des voix que j’entends.
« Il est là ! Par ici ! »
Je me tourne pour apercevoir Cwen qui accoure vers moi avec une couverture, recouvrant mes épaules. Je sens d’autres mains me saisir pour me remettre debout. Je reconnais les visages arrogant et nonchalant de Thonas et Pherroc.
« Accroches toi Almaran ! »
« Puis il fait pas si froid ! »
Balance Ed’ juste après l’encouragement de Thonas. Chet’ apparaît aussi, se préoccupant de mon état en me tendant une gourde.
« Ca va. Je vais bien. J’ai juste un peu froid. »
« Pff. Quelle chochotte. »
Je reconnais la voix de Trieli qui sort du brouillard avec le sergent Aldchet. Je me sens d’un coup bien mieux, la peur de recevoir un coup de poing de sa part pour m’être éloigné du chariot sans doute.
« Sergent ! Désolé ! J’ai perdu le contrôle de mon cheval ! »
« Tout va bien Almaran. Tout était fait pour vous isoler loin de nous. Passé la surprise, les orcs se sont fait annihiler. Le convoi a continué sa route mais je doute que nous le retrouvions dans cette tempête. Il faut nous mettre à l’abri. Contente de vous voir entier Almaran. »
Elle jette un œil aux alentours avec le même regard qu’elle avait après mon coup de sang sur le chemin de Bouhen avant de nous ordonner de nous mettre en route pour trouver un refuge.
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