V.2 Survivre dans le Nosvéris a un prix.
V.3 Chasseur chassé.
Avec du repos, mes blessures ont fini par guérir. Ce qui n’est pas le cas de l’humaine qui est chez nous. Grand’Ma use de tout son savoir pour lui venir en aide et la nourri avec des bouillons qu’elle place dans la bouche de la femme, par petite portion.
Dans les Monts Eternels, le temps se gâte. Une tempête atteint notre hameau et provoque un froid particulièrement mordant pour la saison. L’essentiel de nos fourrures couvrent notre yourte, ainsi que la patiente de Grand’Ma. Si le froid continue à s’accroître, nous allons également commencer à en souffrir. Il nous faut donc obtenir de nouvelles fourrures dans les prochains jours. C’est pour cette raison, que j’ai quitté mon petit village, pour me rendre dans les Plaines Gelées. En ce lieu, réside une créature qui pourrait résoudre nos problèmes par sa simple fourrure : le moutarie. Bien qu’il s’agit d’une créature marine, on retrouve cette espèce sous le sol glacé des Plaine Gelées.
Je m’approche du renne que je tente de d’apprivoiser, pour lui donner à manger, mais lorsqu’ensuite, j’esquisse le geste pour monter sur son dos, celui-ci s’éloigne d’un pas. J’ai beau retenter à plusieurs reprises, il n’a de cesse de m’empêcher de le monter.
"Que t’arrive-t-il ? C’est parce que j’ai passé trop de temps sans m‘occuper de toi ?" Lui dis-je.
Evidemment, il ne me répond pas, le contraire m’aurait étonné. J’ai beau l’amadouer avec de la nourriture, rien n’y fait. Tant pis, je me résigne donc à faire le trajet à pied, suivis de près par l’animal. Finalement, après un long chemin où la neige a été particulièrement dense, nous arrivons sur le sol froid et particulièrement dure des Plaines Gelées. Il faut particulièrement faire attention ici. Bien que le sol soit aussi solide que la glace, il arrive qu’à certains endroits, le sol soit plus fragile et cède sous un poids trop conséquent. C’est donc avec prudence, l’arme à la main, que je regarde où je marche et la raison pour laquelle je n’ai pas vu le danger venir.
J’ai pourtant eu bon nombre d’avertissements à ce sujet, mais face à la réalité, les choses sont bien différentes. Dans un premier temps, c’est le renne qui sent le danger avant moi, puis une légère ombre où je me trouve, avant de me retourner et de voir un monstre fondre sur moi. Je n’ai que le temps d’éloigner le renne, que la créature s’abat de tout son poids sur moi. Nous glissons ensemble sur la fine couche de neige qui recouvre la glace. J’ai l’instinct de placer le manche de ma lance face à moi, la plaçant dans la gueule pleine de crocs, d’un monstre féroce. Dans mon malheur, la créature a posé une de ses pattes sur ma jambe et m’empêche ainsi de faire le moindre mouvement. Alors que ses crocs forcent ma faible défense, je cherche un moyen de m’extraire de son emprise. Cependant, pour la première fois de ma vie, je ne vois pas comment je pourrais survivre à ça !
Le sol gelé craque sous le poids et la force que le barioth exerce sur moi. J’ai beau chercher une solution, cette bête m’empêche de fuir et moi, je l’empêche de me dévorer. Un rapport de force qui m’est clairement défavorable. Si dans ma chance, le manche dans sa gueule parvient à lui tenir tête, ses nombreux rugissements bestiaux lui font recracher malgré lui, des restes de son dernier repas. Un relent odorant particulièrement immonde et quelques morceaux pas complètement digérés, semblent être ma seule compagnie avant de rejoindre le royaume des braves. Du moins, c'est ce que je crois jusqu’à ce que quelque chose vienne percuter la bête.
"Allez vient ! Vient saloperie !" Crie une voix féminine.
(Gärähm ? Non impossible, Grand’ma ne l’aurait jamais laissé me suivre.)
La bête doit penser que je ne suis pas un danger pour sa vie, contrairement à la personne qui lui a lancé le projectile. Gêné par ma lance dans la gueule, il tourne sa tête en direction de la nouvelle menace, rugissant de colère contre la personne venue le déranger pendant son repas. De ma position, je ne vois pas grand-chose de la scène, mais à nouveau, la voix s’élève et m’intime à m’échapper. La force qui m’oppresse au sol fini par disparaître, lorsque la créature se tourne complètement vers son nouvel ennemi, et cela me répugne à le dire, mon sauveur.
(Parfait ! C’est ma chance…ha merde !)
Loin de vouloir me laisser filer, la queue du monstre suit le reste du corps, entaillant le sol glacé de trois pics acérés. Traçant un sillage morbide jusqu’à moi, je n’ai que le temps de placer le manche de ma lance sur la trajectoire. Cependant, la puissance du monstre est telle, que ma garde fait pâle figure face à lui. Le manche est repoussé jusqu’à moi, pressant mon bras contre mon corps. Deux de ses trois pics m’atteignent, dont un gravement. La blessure dangereusement inquiétante, le choc est rude, assez pour me faire glisser de quelques mètres sur la glace. Me relevant péniblement, je vois clairement mon adversaire, un barioth et jeune en plus de cela. Face à lui, se dresse une phalange, armée d’une longue épée grise dans une main et une griffe de métal dans l’autre. Je suis touché dans mon égo, car un détail chez cette phalange attire mon regard. Je la fixe comme l’est un fou, face à la lune dans une nuit au ciel dégagé, la contemplant à s'en brûler les yeux.
(J’y crois pas ! C’est une gamine !)
Aussi jeune qu’elle puisse être, la jeune phalange n’en est pas moins une guerrière émérite, esquivant et frappant le barioth de sa lame. Ses coups et ses mouvements sont précis, bien plus que le guerrier que je suis, je dois le reconnaître. Pourtant, loin d’envier la fougue de sa jeunesse, mon orgueil rugit en moi. Le monstre me présent son dos. Véritable humiliation, que d’être relégué à une proie inoffensive. Saisissant ma hache, je canalise mon énergie pour la lancer son notre adversaire. L’arme file droit sur sa cible, le tranchant atteint sa peau et la percute en un « Chtoung ! » sur son épais dos cuirassé.
Mon échec nourrit ma colère et c’est ma lance en main que je me précipite vers de la bête. Alors que le combat fait rage entre la jeune phalange et le barioth, je me rapproche évitant de justesse sa queue perforante. Je m’apprête à asséner un coup, que son membre arrière revient de plus belle, balayant tout le champ arrière et moi avec, au niveau de la tête. Je me presse de brandir le manche de ma lance pour y résister, mais trop lent, je manque de force et reçois mon propre manche sur la tête, me faisant reculer sous l’impact.
Le choc est rude et ma vue devient trouble. Quelque chose de chaud coule sur mon visage. L’odeur du sang et sa présence sur ma main, lorsque je la porte à mon visage, me le confirme. En lui-même, je ne risque pas de succomber au coup, mais j’aurais un bon mal de crâne rapidement. Du moins si j’arrive à rester en vie et pour cela, nous devons triompher de ce monstre. Je ne suis pas de taille face au Barioth, même avec une vue qui commence à revenir à la normale, mais ce n’est pas le cas de la lutte vaillante de ma consœur aux yeux noirs.
(Hein ?)
Peu de temps après, une force sombre semble atteindre le monstre. Je crois que ce coup a été plus important que je ne le pensais. Ne voulant pas être un simple spectateur, attendant de connaître la fin du combat pour déterminer mon propre sort, je retourne vers mon adversaire, non, notre adversaire. Qu’importe si je ne démontre pas mes talents de guerriers, j’offrirais une opportunité de tuer. L’arme en main, j’affronte l’arrière du monstre pour une nouvelle fois. Sa queue balaye encore le champ qui se trouve en arrière, empêchant tout ennemi de lui porter un coup. Or, ce n’est pas mon but.
Guettant l’extrémité pointue de sa queue, je la bloque, le manche de mon arme entre deux des trois piques. Complètement inutile, je laisse ma lance tomber au sol et m’agrippe par deux de ces pointes. Je pensais immobiliser le Barioth ainsi, c’était sans compter sur sa force prodigieuse. Je me fais repousser, jusqu’à perdre l’équilibre et tomber sur le sol gelé. La douleur à mon bras est particulièrement intense, mais tant que j’ai mal, c’est que je suis encore en vie. Glissant sur le sol, je suis envoyé de gauche à droite, comme une vulgaire saloperie qui s’accroche au balai. Ces allées et venues, me font perdre toute notion du vrai combat qui se déroule et la douleur à mon bras me lance terriblement. Pourtant, je tiens bon, car même si je suis malmené, la créature semble faiblir. L’intensité des va-et-vient diminue, jusqu’à ce que finalement, ne monstre repose inerte sur le sol, après avoir rendu son dernier soupir.
Je finis par lâcher ma prise pour me relever à moitié, respirant à grand coup sur les genoux et les mains sur la glace, regardant le sol se teinter de mon propre sang.
"Il ne t'a pas raté, mais ça aurait pu être pire. Il faut croire que Fenris était avec toi en ce jour." Me lance la gamine.
Je tourne la tête dans sa direction, contemplant la jeune femme, visiblement moins blessée que moi. Je viens agripper le manche de mon arme, mais pas pour m’en servir contre elle, simplement m’aider à me relever. Mes forces ont été sapées dans cette seule intervention. Respirant à grands coups, je finis par lui répondre.
"J’aurais pu mourir fièrement en guerrier si tu n’étais pas intervenue. Mais, des êtres comptes sur moi. Alors tu as toute ma gratitude !" Dis-je in inclinant respectueusement le tête.
"Fenris a certainement guidé tes pas jusqu’à moi. Je me nomme Ehök fils d’Ehöl. A qui dois-je la vie ?"
La jeune femme déclare que Fenris l’a guidé sur les traces du barioth, la menant à moi, après trois jours de traque. La voir de si près me fait sentir, ni bien ni mal, seulement… Elle est belle, sans conteste. Plus petite que moi d’une large tête. Pourtant, ce n’est pas sa beauté qui m’oblige à la fixer plus intensément que je ne le devrais. C’est juste… J’aurais tellement voulu que ma fille lui ressemble, une fière et farouche guerrière. L’espace d’un instant, j’espère qu’elle m’annonce qu’elle est en réalité ma fille, sortie du royaume des valeureux par Fenris lui-même. Cependant, elle se présente sous le nom d’Oryash, brisant un maigre espoir naissant, même si l'âge ne correspond absolument pas. Consolidant l’impression que je divague, je crois même avoir vu d’étranges volutes violettes.
(Il faut vraiment que je soigne cette blessure à la tête !)
En me frottant le visage de la main gauche, je me rappelle de cette blessure qui me lance un peu plus.
"Sale coup à la tête et ton bras, ce n'est guère mieux. Tu as de quoi te soigner ? Bandages, potions ou qui sait, peut-être que ton clan n'est pas loin d'ici." Dit-elle en pointant mes blessures du doigt.
Elle a raison et rien que le sang sur mon manteau risque de m’attirer des prédateurs. Il faudra que je prenne le temps de le laver avant de quitter la plaine gelée. Je tourne ma lance pour planter la lame dans le sol, puis défais mon manteau et mes autres couches en laissant apparent mes divers tatouages, pour prendre le temps d’examiner cette plaie. Le résultat n’est pas beau à voir.
"Gròòth Vallhü est à plusieurs jours de marche d’ici. J’ai un onguent curatif, mais il lui faudra du temps pour guérir une telle blessure et du temps, je n’en ai pas. Je vais devoir chasser le moutarie ainsi !" Lui dis-je un peu fataliste.
"Tu t’es battu avec fougue et honneur. Cette prise est tienne ! Que Fenris continue de guider ta lame, comme aujourd’hui."
A ces mots, je commence à rassembler mes affaires pour la laisser avec sa proie et entreprends de me soigner, à commencer par cette blessure à la tête. Finalement, je lui tends la sacoche d'onguent.
"Tiens, si tu as été blessée, je te dois au moins cela !"
Ne souhaitant pas prendre mon onguent, la jeune femme me rétorque que pour une blessure comme la mienne, c’est d’une potion qu’il me faut pour continuer ma chasse et m’en propose une. Puis elle me propose de prélever la viande pour nourrir les miens, à défaut de pouvoir emporter le corps du barioth à Gròòth Vallhü. D’ailleurs, elle croit se rappeler que c’est là-bas, que ses services ont été loués.
"C'est un lieu sans chef, c'est ça ?" Termine-t-elle, portant une main à sa ceinture.
"Oui, on dirait bien chez moi. Un barioth aurait rôdé près du village ? J’aurais dû en entendre parler !" Fais-je presque à moi-même.
Elle me tend finalement une gourde, prétextant que malgré le goût amer, ma blessure serait moins grave avec la potion à l’intérieur. L’idée est assez étrange. Un simple liquide serait en mesure de soigner une blessure aussi grave ? Pourtant, la jeune guerrière paraît sûre d’elle. Si son souhait était de m’empoisonner, elle aurait très bien pu attendre que le barioth me laisse aux portes de la mort. Ha moins qu’elle ne me veuille vivant ?
(Ha bon sang, elle m’a sauvé la vie, pourquoi douter d’elle ? De plus, qui chez les phalanges oserait utiliser des moyens aussi déshonorables ? La Yarl Ehärik m'a affirmé que Gärähm avait été sciemment empoisonnée, mais nul n'a fait mention d'Oryash à cette période !)
J’ouvre le goulot pour y respirer une odeur peu alléchante. Suivant son conseil, je la bois avant de sentir que ma blessure se referme d’elle-même. Là où se trouvait une blessure ouverte et sanglante, il n’y a plus qu’une entaille sans gravité. Un peu d’onguent dissipera rapidement la blessure. Pourtant, loin d’être reconnaissant envers Oryash, ma méfiance est piquée au vif. J’empoigne ma lance et la dégage de la glace.
"Mais comment ? Quelle sorcellerie as-tu utilisée sur moi ?" Fais-je mauvais et méfiant, sans pour autant orienter la lame dans la direction de la jeune phalange.
*********
Bien entendu, face à la menace ouverte que j’exerce, la jeune guerrière recule de trois pas. Elle fixe ma lance avec une grande méfiance, guettant comme un animal sauvage mes moindres faits et gestes.
"On en trouve dans des boutiques tenues par des mages ou à la vente sous le manteau. Mais j'imagine que tu ne connais rien d'autre que ton village ! " Déclare-t-elle.
(C’est quoi ça un mage ? Et pourquoi vendre sous le manteau ? Pour y garder au chaud, ou pour éviter les vols peut-être ? Je n’ai peut-être pas vu grand-chose en dehors de Gròòth Vallhü, mais guérir une telle blessure... n’est-ce pas juste de la sorcellerie ? Aucun onguent de Grand’Ma n’est aussi efficace, mais peut-être ne sait-elle pas tout. Je n’aurais qu’à lui en parler.)
Finalement, je ramène ma lance le long de mon corps. Je ne sens aucun effet néfaste et je ne vais pas me plaindre d’une blessure guérie, sans en savoir plus. Diminuant ma méfiance, je vais pour le moment me fier aux paroles de celle qui m’a sauvé.
"Tu as raison. Je n’ai été qu’une fois au sud des montagnes, pourtant, j’ai connaissance de créatures à la peau verte. Des êtres dangereux. Je ne compte pas me rendre ailleurs, car cette terre gelée est notre domaine et enfermés entre les pics montagneux nous ne craignons rien. Nul ne peut nous atteindre dans un tel froid !"
Je regarde Oryash sans dire un mot, du moins, jusqu’à ce qu’un bruit un peu plus loin me rappelle la présence du renne. Celui-ci s’est enfuit à l’attaque du barioth et n’ose pas venir avec la présence de la phalange.
"Peuh, froussard !" Fais-je dans sa direction, sachant qu’il ne peut m’entendre où il se trouve. Puis je rapporte mon attention sur la jeune guerrière.
"Sorcellerie ou pas, j’en connaîtrais la vérité à mon retour. Pour l’heure, j’ai une chasse à reprendre. Tu m’as été d’un grand secours, tu peux te joindre à moi si tu le désir. Si effectivement tu te dois de rentrer à Gròòth Vallhü, fais quémander Grand’Ma, elle t’offrira une couche et de quoi te restaurer, sauf si tu as peur d’une tribu sans chef."