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La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : jeu. 14 nov. 2019 12:55
par Yuimen
La Forêt Ancestrale d’Astirya

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Il n’est de lieu plus mystérieux en Yuimen. La forêt d’Astirya, immense, couvre toute la partie occidentale de Nosvéris, protégeant des vents glacés du Nord l’elfique cité de Lebher. Les arbres, ici, mélange de conifères et de feuillus, sont gigantesques et au tronc épais, couvert de mousse humide verte à grisâtre. L’humus épaissit l’air tant et si bien qu’on a parfois l’impression d’étouffer. L’air est ancien, stagnant : même le vent n’ose pas entrer là.

Certains la disent hantée, habitée de squelettes des marais, de loups de Thimoros, d’araignées géantes, de Grogneurs Sylvestres et d’autres esprits ancestraux. D’autres affirment qu’il n’y a là que des patrouilles de chasseurs hinions de Lebher, chevauchant de hauts cervidés, et que c’est le lieu de retraite et de repos des plus vieux Oudios. Sans doute tous ceux-là ont-ils raison, car l’on retrouve bien toutes ces créatures au détour d’un arbre, d’une grotte ou d’un roc de la Forêt Ancestrale d’Astirya.

Tout ça rend l’endroit intouchable et intouché, comme maudit. Nul n’oserait s’y aventurer seul, pas même le plus vaillant des héros. Qui, dès lors, pourrait en percer les secrets, ancestraux et nombreux ?


Lieux particuliers :


Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : mer. 8 avr. 2020 16:21
par Kenra
La forêt, enfin. Haute d'arbres variés à l'écorce de multiples couleurs, je pénètre dans ce sanctuaire de la nature qui m'accueille d'une voix plus grave que la précédente. J'écoute ses premières paroles en calmant le rythme de mes pas, un avertissement à ceux qui daignent l'écouter. Je tends l'oreille à la routine des animaux, me fie au vent qui circule entre les troncs. Puis je m'arrête. Hurlenuit était prêt à finir un pas, mais j'en suis persuadé maintenant. Elle a crié, trop fort pour que ce soit normal. Me craint-elle ? Tente t-elle de m'intimider, de me sommer de rebrousser chemin ? Les feuilles me rassurent, elle ne s'adresse pas à moi. Je ne demande pas à qui ces cris étaient destinés, mais je m'enquiers de son état, de savoir si elle va bien malgré tout. Aucune réponse, ni des arbres, ni du sol. Je poursuis mon avancée en trottant doucement, l'esprit couvert de cette mélasse que l'on appelle inquiétude. En traversant les plaines glacées qui séparent ces deux forêts, le vent m'a porté l'odeur du sang, celui qui coule lorsqu'on le demande avec une arme. D'autres aussi, que je ne connais pas. Pas encore. La nuit s'annonce à mesure que le temps passe et même si je sais où aller, l'envie d'y arriver au milieu de la nuit n'y est pas. Je n'ai pas besoin de le demander pour comprendre que cette sylve ne fera don d'aucune clémence une fois la lune haute dans le ciel d'ombre, il faut donc que je me trouve un abri au plus vite. Et pour ça, je vais devoir perturber l'équilibre.

><

Trouvé. J'ai le cœur serré, mais pas suffisamment pour m'en empêcher. À grands renforts de pattes fatiguées, je creuse dans un terrier que je sens encore habité. Les habitants sans cloîtrés au fond, terrorisés à l'idée d'être dérangés. Des Bouloums, plusieurs petits et leur mère qui fait barrage de son corps. Je passe la tête dans l'ouverture pour rassurer la famille de rongeurs, toujours plus agitée à mesure que je m'approche. Après plusieurs minutes, l'entrée du terrier ne suffit plus à décourager les prédateurs et ils semblent l'avoir compris. Ses enfants agrippés à elle pour la plupart, elle s'enfuit à toute hâte en filant devant mon museau qui pourrait la croquer aussi facilement qu'une pomme, mais j'ai suffisamment dérangé pour aujourd'hui. Le reste de sa portée suit alors qu'elle les attend quelques mètres plus loin, puis ils disparaissent dans les fourrées, à la merci d'une nuit qui sera peut-être leur dernière. Le cœur lourd, je m'installe au fond du terrier et tente de trouver le sommeil malgré les remords d'avoir condamné ces petits êtres.

Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : jeu. 17 oct. 2024 18:25
par Kymil
Après les quelques heures de repos nécessaires aux chevaux et aux elfes, elles repartirent le plus silencieusement possible. Il faisait encore nuit et personne ne les virent partir.
Le plan de Kymil était de suivre un sentier en direction de l’est menant à un hameau de chasseurs Hinions, bien connu des habitants de Lebher ; de ressortir de la forêt en continuant vers le nord-est, en longer l’orée jusqu’à apercevoir le fleuve et remonter ensuite les sentiers qui bordaient ce dernier. Elle en avait fait part à Merlara qui n’avait pas accepté de bonne grâce, l’estimant trop long, trop à découvert mais la milicienne avait insisté sur la sécurité qu’offrait la présence de garnison sur la route.

Le ciel était couvert, il faisait si sombre qu’il avait fallu allumer des lampes à huile attachées aux quatre coins du chariot ; sans cela les chevaux refusaient d’avancer, trop craintifs. Guidées ainsi grâce à la boussole de Merlara, elles avancèrent lentement, très lentement. Kymil dut descendre et chausser ses raquettes pour aider les chevaux ; une lampe en main, une longe dans l’autre, elle marcha jusqu’au petit matin.
Elle n’osait y penser, mais ce sentier n’aurait pas du être si terrible à suivre. Elle s’était renseignée auprès de la milice, ce n’était pas un lieu complètement isolé et perdu au milieu de la forêt, bien au contraire. Les chasseurs venaient régulièrement à Lebher, leur village était un lieu où passait chaque patrouille de miliciens ou de gardes frontière ; à une journée de marche de la lisière … elle était sûre de la direction donnée à Merlara. Elle n’avait pas pu se tromper.
Mais la marche était difficile, à plusieurs reprises elle du faire arrêter le chariot et partir en avant pour trouver un passage assez large pour les chevaux. L’inquiétude la gagnait. D’abord en raison du trop grand silence autour d’elle, un tel silence n’était pas normal en pleine forêt, surtout à cette heure ; et cela l’inquiétait autant que la réaction de sa cliente si leur faible allure perdurait.

Ce fut lorsque les premières lueurs du matin percèrent que Kymil comprit. Elles n’allaient pas dans la bonne direction car le soleil, contrairement à Merlara, ne pouvait se tromper. Plein nord, peut-être même vers le nord-ouest … elles s’enfonçaient dans les entrailles de la forêt. Depuis combien de temps Merlara les avait fait quitter le sentier ?

Elle fit stopper les chevaux et s’apprêtait à prendre les choses en main, quitte à obliger Merlara à lui obéir, à enfin entrer dans son rôle du garde qu’on écoute et non de la recrue qui subit ; lorsque le son d’un cor de chasse retentit et fit trembler la forêt.
La panique emprisonna la jeune milicienne plusieurs secondes. Elle se sentit complètement perdue et désœuvrée ; elle n’était pas entraînée pour ces situations. Deux jours à peine qu’avait débuté sa première mission et elle sentait déjà les affres de l’échec coulaient dans ses veines et le poids du déshonneur sur ses frêles épaules. Comment allait-elle réussir l’exploit de les soustraire à ce danger. Ce cor de chasse, puissant et provenant de l’Est était celui dont parlaient les chasseurs de sa famille, celui d’un clan particulier d’Hinion, le clan dont elle avait voulu rejoindre le village par la route. S’ils étaient là, s’ils avaient déjà fait retentir le cor … c’est qu’ils étaient en chasse.
Un second signal retentit, plus fort, plus proche, le corps de Kymil bougea enfin d’effroi.

« Il faut fuir, tout de suite !! Somma Kymil en joignant l’acte à sa parole.
- Vous n’y pensez pas ! Hurla Merlara en tirant sur les cordes que Kymil empoignaient fermement pour entamer un demi-tour empressé. Allons plutôt vers eux, ils nous guideront eux … et mieux que vous.
- Ce ne sont pas des guides, ce sont des chasseurs …
- Fort bien ! Des chasseurs. Ils connaissent donc la forêt et sauront nous la faire traverser. Votre plan était bâclé et imparfait.
- Des chasseurs de morts-vivants !! Dit Kymil d’une voix brisée. Ce n’est pas du gibier qu’ils chassent, ils protègent la ville des créatures de la forêt.
- Ce ne sont que des légendes ! Ne soyez pas si sotte. »

Plusieurs hurlements stridents lointains interrompirent Merlara et brisèrent l’aplomb incertain de Kymil. Les chevaux étaient effrayés et obéirent difficilement mais, étant effectivement admirablement bien dressés ils finirent par se soumettre à la main de leur maîtresse qui leur fit faire demi tour en contournant de gros arbres. Kymil quitta ses raquettes et s’installa sur le rebord arrière du chariot sans que Merlara, paniquée et hystérique, ne lui fasse de remarque.
Grandement encouragés par leur propre frayeur, les chevaux parvinrent à trotter dans la neige épaisse ; leur instinct de survie et la grande adresse de la commerçante avec une longe en main firent le reste ; elles s’éloignaient du danger en redescendant la piste de leurs traces.

Plusieurs fois, des cors de chasse retentirent au loin mais le chariot qui craquait, le bruit des chevaux et les cris de Merlara contre ses derniers empêchaient Kymil de se concentrer. Loin, proche, Est, Ouest, elle ne savait plus. Elle se cramponnait fermement à un poteau de renfort et ne quittait plus des yeux la forêt. Le soleil bas parvenait à peine à traverser la densité des arbres et ses quelques rayons allongeaient les ombres de la moindre branche. Sa lampe à huile tenue le bras levé devant elle n’éclairait pas loin non plus, mais être dans cet espace de lumière la rassurait un peu.
Une ombre mouvante aperçue au loin la fit soudain frémir de peur. Ses doigts resserrèrent leurs étreintes autour du bois et elle bougea la lampe à huile dans la direction. Il n’y avait plus rien. Kymil sentait son cœur cogner contre ses tempes. Ne voyant plus rien bouger dans son champ de vision, elle tenta de calmer sa respiration, de reprendre le contrôle de ses nerfs en s’efforçant de penser à la distance que les chevaux étaient en train de mettre en elles et le danger.
Une nouvelle ombre mit à mal ses espoirs. Plus proche, plus vif, plus visible, le mouvement de cette ombre n’était pas celui d’une branche. Quelque chose courrait vers eux. Elle sentit son sang se glacer lorsqu’elle l’aperçut se faufiler entre les arbres avant de le perdre de vue

Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : jeu. 17 oct. 2024 18:43
par Kymil
Sa nature courageuse prit le dessus. Elle se redressa totalement et leva haut la lampe à huile afin de regarder par-dessus la toile. Grimpant sur le côté, une créature immonde montra sa tête au même moment. De taille humaine bien qu’extrêmement rachitique, la bête ne devait pas peser plus d’une trentaine de kilos. Sa peau avait le teint des créatures vivant dans les profondeurs des océans où le soleil n’allait jamais. Un teint blanc légèrement grisé mais ici, la créature avait des marques de brûlures et des vieilles cicatrices profondes. Un être décharné. Autrefois un humain, enlevé, séquestré, torturé et affamé pour expérimentation par un ancien lieutenant de Oaxaca. De sa nature humaine ne restait qu’un tronc, quatre membres et une tête ; le reste était inhumain, le cri, leur comportement, leurs doigts remplacés par de longues griffes, jusqu’à leur conscience, depuis longtemps volée.
Kymil ensevelit son dégoût et sa terreur sous un torrent de courage dicté par son instinct de survie.
Sa main gauche fermement accrochée au poteau de renfort, Kymil troqua rapidement la lampe, qu’elle accrocha à un large clou du chambranle, contre son glaive qu’elle dégaina et brandit haut et loin, effleurant le menton de son adversaire.
Le traqueur obscur, guère plus à l’aise de ses membres que l’elfe sur ce chariot cahotant recula d’abord, manquant de glisser du chariot. Ses griffes s’enfoncèrent dans la toile épaisse, ses jambes battirent dans l’air un instant. Kymil ne resta pas immobile à regarder. Elle se grandit et lorsque le monstre retrouva son équilibre et s’avança de nouveau à portée, le glaive le faucha plus sérieusement. Blessé cette fois à l’épaule, il chuta violemment du chariot et roula dans la neige, hors de vue de Kymil.

Nerveuse et terrifiée, elle resta une ou deux secondes le regard fixe sur ce morceau de toile solide tailladé par les griffes. Le hurlement du traqueur la suivait, un deuxième se fit entendre en écho. Kymil trembla et tenta de hurler à la conductrice d’aller plus vite. Cette dernière n’entendit rien, elle-même en train de hurler ses ordres aux chevaux, elle n’avait ni entendu ni vu ce qui venait de se passer. La jeune elfe reprit en main la lampe à huile qui parvenait tant bien que mal à compenser le manque de clarté de ce timide lever de soleil.
Elle entendait maintenant nettement leur grondement plaintif et aigu. Ils étaient deux et les poursuivaient. Ils avaient échappé de peu à la horde de chasseur sur les traces d’autres morts-vivants. Effrayés et énervés par la traque qu’ils avaient subie, ils étaient devenus plus agressifs que d’ordinaire. Ils poursuivaient ces chevaux en pleine course à en perdre haleine. Kymil tentait de les suivre du regard, prête sans parvenir à regrouper ce qu’il fallait d’assurance pour anticiper correctement les risques à venir.

Elle entendit soudain un bruit plus proche et le crissement des griffes sur le boit du chariot à sa droite. Cette fois, elle ne se contenta pas d’attendre à l’affût à l’arrière, elle grimpa en prenant appui sur le poteau de renfort et rampa sur la poutre centrale. A genoux, elle abattit son glaive en direction de l’immonde créature décharnée. Sa position manqua de stabilité et son allonge de quelques centimètres mais elle lui entailla le poignet. Le traqueur hurla brièvement. Kymil n’aurait pu dire si ce fut de douleur ou de surprise. Le monstre se rattrapa fort bien et poussa sur ses membres bas pour se hisser plus haut, son poignet blessé tremblait et ce qui en sortait ne ressemblait que peu à du sang frais et liquide, plutôt une version noirâtre et odorante qui suintait par gouttes épaisses. L’Earion, toujours sur ses genoux, glissa rapidement vers lui et retenta un coup franc et rapide avant qu’il ne se redresse et soit en mesure de se défendre et riposter. Le monstre se protégea du coup de sa main blessée et la perdit pour de bon.
Emportée par l’élan et son manque d’expérience, Kymil s’approcha un peu trop du traqueur qui, insensible à la douleur, riposta dans la seconde d’un coup de griffes. Une riposte assez maladroite mais pleine de fureur qui manqua de peu l’épaule de l’elfe.

Les enjeux pour l’un et l’autre n’étaient pas les mêmes, l’un n’était qu’une masse informe dénuée de conscience, l’autre avait à charge la protection d’une femme et de son enfant. Kymil devait réfléchir à moyen terme, l’autre ne pensait pas … et cela lui donna l’avantage en cet instant précis. Le traqueur fonça tandis que Kymil, affolée par le hurlement soudain d’un deuxième traqueur, tournait son arme vers le mauvais endroit. Deux sursauts la firent bouger, le premier lui valut d’être en danger, le deuxième lui valut son salut. Son bras droit tenant l’épée frémit au hurlement et se tendit en sa direction ; le gauche, lui, se tendit aussi et leva haut la grosse lampe à huile devant elle, un réflexe involontaire au hurlement aussi, mais qui lui sauva la vie. Les griffes puissantes du traqueur éraflèrent la vitre de la paroi et le métal, évitant son torse et sa poitrine. Son sang ne fit qu’un tour, elle fit glisser un genou vers l’arrière, redressa l’autre en mettant un pied au sol et serra fort son glaive avant de trancher l’air en face d’elle. Sa lame toucha le moignon du traqueur tendu vers elle et lacéra son avant-bras et son bras sur toute la longueur. Le monstre tituba à l’impact, Kymil en profita pour riposter sans attendre. Elle pivota sur son pied d’appui et chassa les membres inférieurs du traqueur avec force. Le monstre tomba sur le côté, chuta et passa sous la roue arrière du charriot.

Ce dernier cahota. A demi relevée et sans appui Kymil perdit l’équilibre tandis que la voix aiguë et effrayée d’un enfant résonna sous ses pieds. L’Earionne, alors qu’elle réalisait l’étendue de cette révélation quant à l’existence réelle de l’enfant, tomba à la renverse, se cogna l’épaule contre le poteau arrière et tomba au sol. Elle roula plusieurs fois sur elle-même avant de s’arrêter, le nez dans la neige et le cri de l’enfant qui se perdait au loin. Son glaive n’était qu’à un pas d’elle et la lampe avait volé jusqu’à à un tronc d’arbre, toujours allumée malgré une vitre brisée.

Une masse sombre traînait au milieu du chemin. Blessé, le traqueur tremblait et remuait tel un faon venant de naître, mais derrière lui se tenait le second.

Elle était seule au milieu de nulle part. Le chariot était loin et ne ralentissait pas. Kymil serra les dents. Elle était seule, et elle le savait. Son entrainement suffirait-il ? L’un deux était grièvement blessé … Ainsi, questions et anticipations occupèrent ses pensées. L’adrénaline l’empêcha de prendre peur et de s’affoler. Son cœur battait dans ses tempes, ses mains ne tremblaient plus, son corps était chaud et son souffle lent et profond. Elle savait qu’elle aurait le temps d’attraper son glaive avant que le second ne l’atteigne ; mais ce dernier ne bougeait pas. Ce qui jadis fut le visage jovial d’un homme ou chaleureux d’une femme était maintenant tourné vers le chariot. La jeune milicienne n’aimait pas cet instant, il flottait dans l’air une tension qu’elle ne maîtrisait pas. Son état second qui contenait sa peur sous clé ne tiendrait pas éternellement face à l’attente et l’immobilisme de cet être duquel n’émanait plus rien.

Lentement, le visage grêlé et marqué de cicatrices se tourna vers elle alors qu’elle fit le pas chassé qui la séparait de son arme. Le signal n’aurait pas été plus clair si un cor de chasse avait retentit à la seconde. Le traqueur et la jeune milicienne foncèrent l’un sur l’autre. L’allonge que lui offrait le glaive protégeait Kymil de la plupart des attaques du traqueur mais ce dernier était plus déterminé à tuer qu’elle. En son for intérieur, elle pensait d’abord à sa survie. Il prenait les risques gagnants et elle le sentait. Par trois fois, elle para les griffes de sa lame sans parvenir à riposter avec succès ; mais à la tentative suivante, le traqueur plongea tête en avant sur elle. Elle blessa grièvement l’un de ses bras mais se fit emporter par la bête. Ils tombèrent dans la neige épaisse, la tête de Kymil en était presque entièrement recouverte. Elle se débattit, sa main libre retenait les assauts du bras indemne du traqueur et sa main armée les mouvements erratiques du bras blessé. Par deux fois elle sentit les griffes du traqueur traverser l’épaisseur de sa cape en fourrure, mais tout son corps n’était pas protégé et chacun de ses gestes pour se défendre défaisait peu à peu les fermetures. Elle était coincée et à moitié aveuglée par la neige qui recouvrait son visage. Ses coups de genoux dans le dos du traqueur n’étaient pas assez puissants, même contre un être si rachitique. Elle savait qu’elle n’était pas assez endurante pour tenir la position jusqu’à ce qu’il se fatigue et quoi qu’elle fasse elle ne parvenait pas à faire appel à sa magie. Il lui fallait encore trop de concentration et de temps pour manipuler ses fluides.

Elle devait accepter de prendre le risque d’être blessée, elle devait s’adapter à la nature de son adversaire et ne plus blesser pour survivre mais blesser pour tuer. Surestimant quelque peu les volontés d’un être dépourvu de conscience, elle tenta de reproduire la témérité de son adversaire. Elle devait libérer son glaive pour attaquer mortellement. Elle allégea la poigne de sa main non armée autour du poignet du traqueur et aussitôt, il réagit comme prévu. Il leva haut ses doigts griffus et attaqua avec férocité, légèrement arc-bouté vers l’arrière il se tendit pour porter un coup puissant. Kymil retira de force le glaive coincé dans les griffes du bras blessé du traqueur et allongea le bras sur le côté. Elle planta la pointe de son glaive dans la chair à vif du traqueur lorsque celui-ci abattit ses griffes sur elle.

Le traqueur hurla d’abord et se débattit avec une violence inouïe, digne d’une bête sauvage enragée. Le glaive avait très profondément transpercé son abdomen.
Kymil aussi hurla de douleur et asséna au traqueur deux autres coups de glaive qui fendirent les hanches et rongèrent les côtes de la bête décharnée.
Elle avait échappé de justesse aux griffes du traqueur. Elle avait compté sur l’épaisseur de la fourrure pour freiner les griffes, elles s’y étaient empêtrées dedans à une ou deux reprises pendant qu’elle se débattait … et les griffes du traqueur ne firent que déchirer la cape et effleurer les vêtements en dessous … mais les crocs du traqueur, eux, s’enfoncèrent profondément dans son cou non protégé, lorsqu’il fut blessé à l’abdomen et se transforma en bête sauvage.
Ses blessures eurent finalement raison de lui et de sa folie. Il tomba à terre après un hurlement strident mêlant douleur et hystérie qui résonna dans les entrailles de Kymil. Elle se redressa pour s’assoir et remonta son col sur sa blessure en appuyant fort dessus, et ne remarqua qu’à cet instant qu’un bout d’un tentacule avait été sectionné par les crocs.
La douleur était intense et lorsqu’elle se releva, elle fut prit de vertiges. Il n’y avait plus d’adrénaline, il n’y avait que la douleur et l’ivresse de la victoire. Elle marcha jusqu’à la lampe dont le réservoir était encore intact et la flamme vivante ; puis se dirigea vers le traqueur à demi mort. Il tendait le moignon de son bras en lambeau vers elle et sifflait sa rage à travers ses dents restantes. Le bas de son corps avait été totalement écrasé par les lourdes roues du chariot. Elle leva son glaive et l’abattit en travers du torse du monstre qui mourut en soufflant les restes de douleur de ce corps meurtri depuis longtemps.

Une, deux, trois secondes, elle resta le regard vers cet amas de chair visqueuse avant que la réalité ne revienne sur elle tel un raz de marée.
Elle était seule au milieu de nulle part ; le chariot était loin maintenant, si loin qu’elle ne le rattraperait jamais ; elle était blessée et son sac était sur le siège avant du chariot. Elle était seule et le désespoir commença à percer une brèche dans sa détermination à réussir sa mission. L’espoir de faire honneur à sa famille était sur le point de voler en éclat lorsqu’elle entendit une branche craquer à quelque pas d’elle. La peur jusque là contenue tant bien que mal rompit sa digue et déferla en elle.

Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : jeu. 17 oct. 2024 18:50
par Kymil
Elle fuit aussi vite qu’elle pouvait. Le traqueur la suivait. Un instant de lucidité lui fit prendre la piste du chariot mais elle coupa droit alors que les traces déviaient. Elle ne devait pas le mener à eux se dit-elle lorsqu’elle reprit espoir. La course était difficile mais ce traqueur-ci n’était pas aussi rapide et habile que le premier poursuivant. Après deux minutes de course, cependant, il était toujours là et elle n’avait guère prit d’avance … peut-être même en avait-elle perdu.

Sur sa gauche, elle repéra une sorte de sous-bois dans les bois ou trônait un arbre gigantesque au tronc épais, un arbre tordu et aux branches nombreuses et larges. Un arbre sous lequel il y avait moins de neige.
Elle s’y dirigea. Elle n’avait plus d’autre choix que de combattre à nouveau.
Arrivée au pied du tronc, elle remarqua qu’il était plus immense et plus tortueux encore, et presque lugubre sans ses feuilles ; mais le sol ici était peu enneigé et Kymil se retourna pour faire face au traqueur qui arrivait. Il était essoufflé lui aussi, moins que Kymil, mais il était plus petit, malingre et sa démarche n’était guère stable. Un être déjà malade avant de subir la pire des tortures et sa transformation.
Face au glaive, le traqueur n’hésita pas une seconde et avança les bras en avant. Kymil, elle, était certes plus grande, plus costaude et armée, elle était aussi blessée et fatiguée par l’épreuve précédente et la course. Ses gestes n’avaient pas la portée nécessaire pour garder son ennemi loin d’elle. Dès la première attaque, elle comprit que la détermination de ces traqueurs n’avait rien de réfléchie comme la sienne, il n’était pas mu par une volonté mais par une rage désespérée. Seul un coup puissant le faisait reculer, et seule la mort lui ferait cesser ses assauts.

Il revint à la charge et cette fois, Kymil n’avança pas. Elle avait pris et gardé une position apprise pendant ses entraînements. Le glaive tenu à deux mains, elle du faire face à la fureur de l’attaque sans trembler malgré la fatigue et la peur. Ce poison s’était infiltré en elle et obscurcissait sa détermination et sa lucidité … bientôt il l’affaiblirait complètement. Sa respiration était haletante, difficile ; ses mains étaient moites malgré le froid et ses jambes étaient sur le point de ployer. Elle hurla en levant son glaive pour accueillir son adversaire, elle hurla pour se donner de la force et masquer la douleur de son cou. Elle asséna un coup franc avec toute sa force, presque à l’aveugle, dans le corps du monstre enragé. La lame frôla la poitrine du traqueur, ne le blessant que partiellement. Entamé trop tôt, le coup n’avait pas blessé mais le traqueur perdit l’équilibre et ses griffes ne firent elles aussi qu’effleurer le corps de Kymil.
Il tomba à terre, Kymil se retint de justesse. Ivre de douleur et de peur, elle donna plusieurs coups vifs et imprécis sur son adversaire rampant au sol. Il hurlait de rage et de douleur, elle couvrait les hurlements stridents du traqueur par sa propre hystérie. Elle était dans un état second. Quelque chose de plus effrayant que ce monstre atrophié pesait sur son instinct, déjà fragilisé par le poison de la peur. Elle frappa encore et encore cet amas de chair en lambeau avant de réaliser qu’il ne faisait plus de bruit … qu’il n’était pas CELUI qui faisait du bruit.

Elle recula d’un pas et entrevit qui se faufilait derrière des branches tombantes de l’arbre tortueux, un autre monstre. Sa force n’était plus qu’un vague élan à se maintenir debout, elle tremblait et suait tandis que ses pensées, enfin, avait trouvé les mots pour définir sa peur : ((Combien encore ??))
Il avançait, elle reculait. Son pied toucha la lampe à huile. Cette lumière qu’elle avait gardée auprès d’elle pour se rassurer n’avait plus aucun effet sécurisant … elle l’attrapa et la jeta en hurlant sur le traqueur qui lui faisait face avant qu’il n’attaque.
Les vitres se brisèrent, la réserve d’huile se déversa et prit feu. La traqueur se mit à hurler et à gesticuler tant et tant que des gouttes d’huile enflammées finirent par être projetées un peu partout. Kymil recula et trébucha. Elle observait le monstre brûler sans fascination ni horreur … elle regardait les bris de vitres, perdue entre deux émotions intenses et indéchiffrables.

Mais ce qui pesait sur son instinct était encore là, et se réveilla. L’impression tenace d’une menace voilée ne venait pas de la présence de traqueurs fuyant les chasseurs Hinions à quelques centaines de mètres de là. Non, la menace était partout, sous ses pieds, au dessus de sa tête. Il dormait, mais les hurlements et le feu réveillèrent celui dont la seule présence effrayait son instinct d’elfe.
Le sol se mit à trembler, le sol sous elle se mit à fourmiller, les racines à bouger et sortir de terre. Elle reculait sur les fesses, glissait et rampait aussi vite et aussi loin qu’elle pouvait. Il était vivant. Il dégageait ses racines, secouait ses branches lentement comme on s’étire après une bonne nuit de sommeil, son tronc se métamorphosa alors et un visage hideux apparu lentement. Son hideux visage était faiblement éclairé par la lueur du traqueur en feu, et n’était animé que d’une seule expression, la colère.
Kymil n’avait pas connu plus grand effroi qu’à cet instant, tout son corps trembla et cessa de bouger. Figée d’épouvante, son cri mourut dans sa gorge nouée. Devant elle, au plus près de l’arbre, le traqueur obscur en feu se mit à fuir. Marchant, titubant aussi loin que possible … même lui, être sans conscience, fuyait l’arbre maudit.
Elle se releva soudainement lorsqu’une énorme branche faucha le traqueur. D’un état second pendant son combat, elle était maintenant complètement possédée par la peur. Elle courut droit devant, sans un regard en arrière, hoquetant d’angoisse à chaque bruit de branches frappant le sol derrière elle. Le grogneur sylvestre étendit ses racines et ses membres pour tenter de faucher, empoigner ou écraser cet insecte. En vain.

Le bruit de cette forêt la rendit folle. Elle courait à l’aveugle, tétanisée et tourmentée par les grincements, le fracas, les grondements et la voix de l’arbre qui maudissait les vivants ; par le sol qui tremblait à chaque fois que l’arbre frappait le sol. Au loin elle entendait des pas rapides. Elle courait à en perdre haleine, se savait perdue mais courait pour s’en sortir. Pour se donner du courage, elle récitait les cantiques de Moura. Et grâce à eux et les enseignements de Moura, elle se reprit et s’obligea à avancer encore, toujours plus loin d’un danger trop grand pour elle, sans trembler, seulement d’avoir conscience qu’elle n’était pas de taille pour lui, qu’elle seule pouvait se sortir de là.

Les tremblements du sol faiblirent, les grognements de l’arbre aussi. Elle était hors de portée du grogneur sylvestre mais la peur la poursuivait encore. Elle sentait une autre présence la poursuivre, elle en discernait le son rapide dans son dos mais n'osa pas regarder en arrière.
Quand, soudain ; alors qu’elle reconnut le rythme et le bruit de chevaux ; un cor de chasse court et saccadé retentit. Plusieurs cris lui parvinrent quand enfin elle cessa ses prières et sa course désespérée. Elle se retourna et vit un cavalier à une cinquantaine de mètres d’elle, éclairé par de pâles rayons de soleil, le bras haut la désignant du doigt. Des Hinions, se dit-elle alors, des Hinions bien vivants. Elle leva son bras valide et tous ses nerfs lâchèrent brusquement.

Elle se mit à pleurer. Elle était sauvée … elle n’était plus seule.

Deux cavaliers la rejoignirent et l’observèrent avec intérêt et hauteur. Kymil, encore haletante, tenta tout de même de se présenter mais l’un d’eux l'interrompit. Il lui conseilla de reprendre d'abord son souffle et de garder ses forces pour des choses plus utiles. Silencieusement, elle les observa pendant qu'ils examinaient les alentours, les traces et les corps ; elle remarqua un regard vers son cou et son glaive noir de sang putride. Ils l'aidèrent ensuite à s'installer derrière l'un d'eux. Le cheval avançait au pas, un tapotement porté à son épaule lui fit lever la tête vers le chasseur.

« Est-ce toi qui a tué les traqueurs ?
- Les bêtes aux griffes ?
- Nous les nommons les traqueurs obscurs.
- Oui.
- Les trois ?
Le regard de Kymil s'affola soudain et fouilla la forêt autour d'eux. Elle répondit avec une pointe de panique dans la voix.
- Ils … ils étaient quatre.


Les chasseurs échangèrent alors quelques mots dans une langue inconnue.

« Le brûlé écrasé sous une branche du grogneur sylvestre ?
- Oui. Dit-elle en regardant d’un air éprouvé l’arbre dont elle connaissait maintenant le nom.
Il opina du chef et répondit.
- Patience, le chemin est encore long.
- Le chariot … je dois … les retrouver …
- Nous nous y employons.»

Elle passa le voyage dans un état de demi-conscience. Le ton du chasseur l’avait marqué. Comme s'il avait reconnu sa bravoure sans le dire, mais elle ne put s'en émouvoir car sa mission était un effroyable échec.

Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Posté : sam. 17 mai 2025 22:20
par Kymil
Kymil se réveilla sur un lit de paille épais. Elle avait chaud et mit quelques secondes à deviner où elle était. Elle se souvint s’être assoupie pendant le voyage et eut quelques souvenirs flous d’un hameau plein de voix et de cris forts et animés. Elle passa une main à son cou et la mémoire lui revint aussi à ce propos. Une jeune elfe avait passé du temps à s’occuper de sa blessure, elle se souvint de ses gestes doux, de sa voix crispée et de quelques mots blessants quant à son physique. Elle se redressa doucement et s’assit au bord du lit. Plusieurs lits identiques étaient disposés les uns à côté des autres le long d’un mur. Deux autres lits étaient occupés par des elfes endormis. Blessés pendant la traque, ils avaient été soignés comme kymil. Il y avait une petite fenêtre à demi ouverte au fond de la pièce afin de garder la pièce des malades aérée et une entrée sans porte en face des lits.
Kymil quitta ses couvertures et se vêtit de sa cape posée à ses pieds. Sans bruit elle sortit de la chambre et suivit un couloir jusqu’à un escalier. Des voix provenaient d’en bas, plutôt enjouées et gaillardes mais tous parlaient ce dialecte inconnu.

La chaleur qu’elle avait ressenti jusqu’à l’étage provenait du foyer d’une cheminée centrale, immense et aux pierres noircies, de nombreux brocs et broches pour la viande étaient placés tout autour. Des peaux de bêtes étaient disposées un peu partout dans la pièce sur le parquet de bois, autour d’une table basse. Les elfes s’asseyaient à même les peaux pour manger, boire et discuter.

Lorsqu’elle arriva en bas elle fut accueillie par le chasseur avec qui elle avait partagé la monture. Il se félicita de la voir déjà debout et insista sur ce point en taquinant un elfe plus vieux vêtu d’une large toge épaisse et décorée de motifs végétaux.

« Vois Öbronn ! N’ai-je pas prédit qu’elle serait vite sur pied. Les crocs ont touché les muscles à la base du cou, il n’y avait aucune crainte à avoir quant à la quantité de sang perdu. Elle s’est évanouie à cause de l’émotion, voilà tout.
- Je reconnais m’être inquiété un peu hâtivement. Avance, avance … dit-il en levant un bras vers Kymil, installe-toi et repaît-toi comme il se doit, tu es notre invitée. »

La jeune elfe hésita un instant. Elle avait effectivement grand faim mais s’adressa d’abord au chasseur Hinion.

« - Avez-vous retrouvé le chariot et mes compagnons de route ? »

Le chasseur fit un court bruit de succion avec sa langue, son nez se retroussa légèrement avant qu’il ne réponde. Il raconta qu’ils avaient suivi les traces du chariot longtemps et les avaient retrouvés en train de voyager au petit trot sur le long sentier menant au fleuve, qui longeait ce même hameau. Il lui fit remarquer qu’au vu de la distance, de l’allure et la direction, il estimait que l’acariâtre femme n’avait aucune intention de l’attendre ou la rechercher. Kymil tenta de relativiser le choix de Merlara et expliqua ses angoisses pour son enfant et que la protection de ce dernier était sa seule préoccupation ; mais le chasseur ne parut pas convaincu et conseilla tout de même de s’en méfier.

« Nous les avons escortés au village. L’enfant était terrifié et très inquiet, c’est surtout grâce à lui qu’ils sont ici et qu’ils attendent votre réveil.
- J’étais longtemps inconsciente ?
- Quelques petites heures seulement. »

La lourde double porte en bois s’ouvrit à demi et se présentèrent les deux Earions, qu’un Hinion était parti quérir. Le regard de Merlara n’exprimait que frustration et reproche, celui du petit était plein de curiosité.
Kymil le voyait pour la première fois et elle se sentit enfin complètement rassurée … son existence prouvait à elle seule que la mère n’était pas folle et que sa première mission n’était pas basée sur des mensonges. A son physique, elle jugea qu’il ne devait pas avoir plus d’une quarantaine d’année. Il avait une peau fine et délicate assez pâle, légèrement bleutée avec des reflets irisés, ses cheveux étaient très fins et de la couleur d’une perle doré. Il avait des yeux en amande de couleur vert. C’était un enfant magnifique, assez différent de sa mère … il avait malheureusement hérité des traits de son père, qu’un regard observateur et perspicace devinerait être d’ascendance Hinionne. Kymil ne fit pas cette observation, elle n’avait pas un œil naturellement scrutateur.
Lorsqu’il vit Kymil, l’enfant sourit avec amusement et échappa à la main de sa mère qui tenta de l’empêcher de rejoindre la jeune milicienne.

« Tu as une tête marrante, dit-il avec amusement, on dirait un poisson.
- Tu trouves, répondit Kymil en essayant de jouer le jeu. Elle mit un genou à terre pour être à sa hauteur. Mes cheveux sont encore plus drôles, tu veux les voir ?
- Oui, montre ! »

Elle retira son capuchon et l’enfant sourit de plus bel et pouffa de rire tandis que ses yeux bougeaient à vive allure pour ne rien manquer.

« Tu as beaucoup de bijoux …oh … là … c’est coupé. »

Il avança sa main vers le tentacule blessé pendant le combat mais sa mère les avait rejoints et lui ordonna de cesser de faire l’enfant mal élevé. Merlara était mal à l’aise, plus distante et hautaine encore que ce que Kymil lui connaissait ; sa simple présence jeta un froid dans la grande pièce ; même la dizaine d’elfe blanc qui discutaient sérieusement à plusieurs mètres de là cessèrent de parler, et se contentèrent de piocher parmi les mets qui remplissaient leur table.

Le vieil elfe blanc vêtu d’une toge s’avança vers eux et brisa le silence gênant.

« Muir’aek a l’ œil pour reconnaître la gravité d’une blessure. Bienvenue parmi les vivants, jeune milicienne. Je suis l’Öbronn de ce village, je me nomme Syvis Aefir. Quel est ton nom ?
- Mon nom est Kymil’ulali.
-Pas compliqué à retenir pourtant, surenchérit Muir’aek d’une voix sèche en regardant la commerçante de biais. »

Quelques heures auparavant, encore troublée d’avoir été rattrapée par les chasseurs Hinions, elle fût incapable de leur donner le nom de celle qu’elle avait abandonné dans la forêt. Elle parût offensée par les propos et le regard mais se garda bien de répondre.

« N’y voyez pas ombrage, mais nous devons reprendre la route. Rassemblez vos affaires, ordonna-t-elle à Kymil, et rejoignez nous.
- N’en faites rien, s’il vous plait, intervint alors Syvis Aefir en s’adressant à Kymil. Laissez nos soigneurs surveiller vos blessures une journée au moins …
- Mais enfin, s’exclama Merlara d’un air abusivement outré.
- … de plus, vous êtes nos invités. Lorsque tous nos chasseurs seront revenus de la traque, nous festoierons tous ensemble. Muir’aek nous a conté que vous vous étiez fort bien défendue.
- J’ai eu de la chance.
- Dans cette forêt, la chance n’est d’aucune utilité, la détermination, le courage et l’instinct en revanche…
- Mais rien ne vaut l’entrainement et l’expérience. »

L’instant d’après, Kymil était invitée à prendre place à la table de l’Öbronn afin de partager le repas de la mi-journée. L’enfant au regard curieux resta à proximité du groupe, sans s’y mêler avec assurance mais toujours à portée d’oreille. Merlara fut elle aussi conviée à table mais resta à distance raisonnable et ne cacha guère son mécontentement ; aussi, Kymil entama la conversation en questionnant leur hôte sur le village sur lequel couraient beaucoup d’anecdotes mais peu de connaissances.

« Par où puis-je commencer ? Ce village existe depuis plusieurs centaines d’années, j’y suis arrivé il y a quatre ou cinq cent ans, je ne saurais dire, lorsqu’il n’était qu’un hameau d’une centaine de chasseurs et de druides. Les plus vieux sont tous nés dans les forêts de Nirtim et ont accompagné notre Mallörn lorsqu’il prit ses fonctions de chef du clergé au temple dédié à Nisraym, notre Seigneur Verdoyant.
Nisraym, chez les Hinions, est le protecteur des bois et gardien de l’harmonie. Il a très peu de fidèles au sein des Earions et une grande majorité des Hinions de cette région vénèrent Angharradh. Notre Mallörn et les anciens ont peu à peu abandonné le temple de la ville pour vivre ici, dans la forêt d’Astirya. Elle est devenue plus que notre demeure, nous avons voué notre vie à sa protection.
Notre communauté s’est agrandit et d’autres villages ont été construit.
Je suis moi aussi un membre du clergé, le dernier dans le village car notre Mallörn s’occupe des villages qui ne bénéficient pas de la présence d’un Öbronn.

- Qu’est-ce qu’un Öbronn ?
- Une sorte de prêtre magicien formé à l’art du combat, paraît-il … car L’Öbronn Slivis ici présent n’est obsédé que par sa plante. »

Le vieil elfe sourit comme un enfant trop honnête prit sur le fait.

« Et vous êtes tous les descendants du groupe accompagnant votre Mallörn ?
- Beaucoup d’entre eux oui, mais il arrive de temps en temps que certains, comme moi, viennent ici en apprentissage et décident de rester.
- Pour quelles raisons ?
- Pour elle, la forêt. Elle est différente, son âme est mystérieuse et elle offre à un chasseur comme moi un défi à nul autre pareil.
- Plus que notre ascendance, ce qui uni notre village c’est l’appartenance à la guilde des traqueurs du bois obscur. Nous sommes la branche militaire du clergé, nous défendons les forêts et le monde naturel du monde entier.
- Donc vous n’êtes pas seulement des chasseurs de morts-vivants ?
- Par la force des événements … ce rôle-ci est devenu central. D’autant plus depuis la chute d’Oaxaca. Sa chute a entrainé un bouleversement important parmi ses généraux, et j’ai l’impression que cela se répercute sur les monstres eux-mêmes. Ce n’est qu’une impression bien sûr … cela peut venir des conditions extrêmement difficiles de cet hiver. »

Ils discutèrent ainsi du village et de la forêt. Chaque Hinion de la guilde des traqueurs restait toute sa vie au sein de la forêt qu’il avait choisie de défendre ou qu’on lui avait assignée, ainsi, au fil des décennies, un traqueur connaissait le moindre bosquet, point d’eau, la moindre clairière, grotte ou crevasse. La faune et la flore n’avaient plus aucun secret pour eux. Il se disait même qu’ils étaient capables de se repérer et voyager les yeux fermés.
De fil en aiguille, la discussion passa de la vie des habitants du village à celle de leurs invités. Respectueusement et tentant une approche plus naturelle, l’Öbronn questionna sans indiscrétion Merlara sur le motif de leur voyage mais avant qu’il ne finisse sa phrase elle répondit sèchement et lança un regard de mise engarde à Kymil. L’intérêt de leurs hôtes se reporta vers cette dernière, qui parla sans détour de sa famille, son métier de bijoutière et sa motivation à faire parti de la milice de Lebher.

« La milice ? Vraiment ?
- Oui Öbronn, une apprentie. Ceci est d’ailleurs ma première mission.
- Quelle est-t-elle ? demanda-t-il non sans remarquer les lèvres pincées de Merlara et son regard nerveux.
- Une mission d’escorte. Je dois conduire Dame Yelvalur au …
- Vers le nord, s’empressa de répondre Merlara avec hauteur et sévérité, coupant la parole de Kymil. Le reste ne vous concerne pas. A moins que vous acceptiez de la remplacer ? »

Elle n’eut en guise de réponse qu’un bouquet de regards hautains et inamicaux. La jeune elfe se sentit gênée lorsque sa cliente se leva et s’éloigna. Elle parut intimidée par le regard noir de cette dernière, mais ce fût le souvenir des événements du petit matin, et des quelques heures où elle pensait avoir tragiquement échoué qui assombrit son visage.

« Mmmh. Toute fois, passer par la forêt est un choix audacieux, surtout pour une jeune recrue, seule qui plus est ; bien trop téméraire.
- Vous avez raison. C’… c’était une erreur, une … une erreur de direction, une mauvaise lecture de la boussole. Une erreur impardonnable.
- Tu dois être plus ferme. Tu dois apprendre à t’affirmer.
Muir’aek s’approcha de Kymil et rejeta en arrière le capuchon qu’elle rajustait sur sa tête.

« Epaules en arrière, menton haut et regard droit. Tu es d’une ancienne lignée, cherche en toi et tu verras que tu es bien au dessus de ces gens.
- Veuillez lui pardonner son attitude, elle vit dans la peur, son esprit n’est pas serein, elle a peur pour son enfant.
- J’en doute !
- Muir’aek, s’il te plait !
De quoi a-t-elle peur ?»


Kymil hésita un instant. Elle venait de se rendre compte que leur destination n’était pas la seule chose que Merlara voulait garder secrète, sans doute par manque de confiance. Mais comme elle l’avait dit, l’esprit de la commerçante n’était plus assez serein pour faire appel à la logique. Les Hinions étaient incontestablement hors de soupçons, donc Kymil leur résuma la situation.

« Et malgré cela, la milice n’a octroyé à cette dame qu’une seule apprentie.
- La réputation de Dame Yelvalur a déjoué en sa faveur donc peu de personnes ont pris au sérieux les menaces envers son enfant. En réalité, parmi ses connaissances personne n’avait un jour vu l’enfant et tout le monde la disait et pensait folle. Mais l’enfant existe ...
- Et contrairement à sa mère, lui est adorable et il parle. Il m’a tout dit et j’ai patrouillé longtemps avant ton réveil. Personne ne vous suit, de cela j’en suis sûr.
- Il n’y a pas meilleur pisteur ici.
- Merci, merci pour tout. Sans vous … »

Kymil fut submergée par ses émotions. Elle ne parvenait pas à oublier ce sentiment d’échec et les terribles répercussions qui en auraient résulté. Elle se reprochait d’avoir manqué de vigilance mais plus que tout, elle regrettait d’avoir sous-estimé l’angoisse et la peur de la commerçante qui obscurcissaient son jugement au point de leur faire prendre de gros risques pour arriver à destination le plus vite possible.

A la fin du repas, l’Öbronn leur servit une liqueur, spécialité du village, et tous attendirent que Kymil boive sa première gorgée. Et tous s’égosillèrent de joie en la voyant grimacer et serrer les dents en fronçant le nez. Elle toussa et sentit le feu de la liqueur lui réchauffer la peau des joues ; un goût sucré resta en bouche un moment.

« Voilà la vraie spécialité de l’Öbronn ! Sa plante. Le secret de notre bonne santé. »

L’Öbronn bu son verre et en partagea un autre avec Kymil qui l’apprécia mieux la deuxième fois, avant de l’inviter à sortir prendre l’air.
Dehors, il lui montra les murs du bâtiment où une plante grimpante envahissait toutes les façades, ainsi que des quelques autres maisons en pierre du village. Toutes les autres habitations du village étaient en bois et étaient même parfois entièrement mêlées aux arbres millénaires de l’Astirya.

« C’est la Slivis. Une plante aux fleurs grises très belles, qui donne des petits fruits rouges en hiver. Le fruit en lui-même n’est pas très nourrissant mais donne une liqueur à nulle autre pareille. Vois-tu, chaque Öbronn devient le protecteur d’une espèce végétale, qu’il choisit au terme d’une cérémonie. Parfois, le nom elfique de la plante que nous patronnons devient notre nom au sein du culte. Syvis Aefir pour moi.
- Et vous êtes nombreux à choisir une plante qui se distille si bien ?
- Non, dit-il en riant de bon cœur. Tu t’en doutes peut être un peu, je ne suis pas le plus recommandé des Öbronns … mais tu es du pays toi aussi, notre continent est rude et …
- Cela réchauffe le cœur et les os ! »

Le vieil elfe rit à nouveau avant de retrouver son sérieux et un ton plus professoral.

« Il est vrai que je passe beaucoup de temps à m’occuper de ma Slivis, mais je n’ai pas perdu l’œil quant à mes autres devoirs en tant que chef de village et prêtre. Par quoi es-tu tant tracassée ? »

Kymil prit le temps de lui conter son parcours récent, ses motivations familiales et la manière dont elle avait été recrutée. Son entrainement au maniement des armes était récent et relativement modique. Elle avait découvert ses fluides et la magie plus récemment encore et se reprochait maintenant sa naïveté et son euphorie lors de cette découverte car, face au danger, elle n’avait pas été capable de s’en servir. Elle fit part de ses angoisses quant à sa mission, ses difficultés à s’affirmer et faire preuve d’autorité, ses hésitations et ses incertitudes qui entravèrent la mise en place d’une stratégie efficace lors de son combat. Elle se sentait incompétente.

« Tu t’en demandes beaucoup trop. Tu es jeune, à peine formée à l’art du combat, encore moins à la magie et c’est là ta toute première mission. Tes attentes personnelles sont dignes du rang de sergent, au mieux. Rejoignez les routes du fleuve au plus vite et le reste de ta mission sera plus paisible, à part en ce qui concerne le caractère de ta cliente, là il n’y a aucune solution, même ma liqueur n’y pourrait rien.»

Il sourit de voir Kymil amusée et plus sereine.
Rechercher l’excellence dans son ancien métier lui était devenu coutumier et lui demandait peu d’effort mental ; son statut de recrue à la milice, en revanche, était bien plus difficile à appréhender et les enjeux plus précieux. Mais elle était naturellement courageuse et déterminée, les mots du vieil Hinion lui firent grand effet.
Ils marchèrent et s’éloignèrent du centre du village pendant qu’ils discutaient.

« Tes aptitudes martiales progresseront avec le temps, et tu finiras par gagner de l’assurance à force de faire face au danger et avoir des responsabilités. Cependant, il y a une chose que je peux faire pour toi aujourd’hui.
- Quelle est-elle ?
- Ta magie. J’étais druide avant même d’intégrer le culte et je manie la magie d’eau depuis que je vis sur ce continent. Je vais t’apprendre à mieux ressentir tes fluides, à faire appel à eux plus rapidement et t’apprendre un sortilège plutôt utile pour une jeune milicienne. Que sais-tu faire avec ta magie ?
- Je sais convoquer l’eau de mon adversaire, cela le fatigue et réduit son efficacité au combat.
- Très efficace celui-ci, surtout quand tu auras progressé.
Bien, nous sommes mieux là, loin des maisons. Je vais te montrer le sortilège. »


Le vieil elfe fit un mouvement ample avec son bâton, gravé d’une plante grimpante facilement identifiable maintenant. Le sol vrombit une seconde à peine avant que des geysers puissants sortissent à travers le manteau neigeux.

« Lors d’un combat, un geyser bien placé fera tomber ton adversaire et te permettra de prendre l’avantage. La visée est facile en soi, il suffit de garder l’œil sur les pieds de ton adversaire … le plus difficile à ton niveau sera de parvenir à rassembler l’eau en un point précis et lui donner de la force. Avant cela … tu vas apprendre à ressentir l’eau tout autour de toi afin de t’en servir.
- Mes fluides d’eau ne suffisent pas ?
- Pas seulement non. Nos fluides nous permettent de manipuler l’eau … en progressant tu seras capable de créer de grands sortilèges à partir d’une goutte d’eau, et ce même en plein désert d’Imiftil. Mais avant de songer à de tels exploits, tu devras être capable de créer de l’eau à partir de tes fluides. »


Des rêves plein la tête, Kymil écouta les conseils du vieux mage et se mit au travail. En tant qu’Earionne, il ne lui fut pas difficile de ressentir l’eau, elle la sentait à travers ses branchies comme on sent l’air traverser nos narines et nos poumons. Lorsqu’elle se concentra sur cette sensation elle cru même entendre le crépitement de l’air ambiant saturé d’humidité. L’eau était partout, à la fois à ses pieds sous la forme de neige, dans l’air ambiant et dans les êtres vivants tout autour d’elle, végétaux ou animaux.
Il lui fut moins aisé en revanche d’en commander le flux ou de guider toute cette eau grâce à sa magie. La manipulation qui lui était demandé était bien différente de ce qu’elle avait appris avec le recruteur de la milice. Pour créer ces geysers, il ne lui suffisait pas de détecter l’eau d’un corps et de la faire venir à elle. Elle devait la rassembler à partir de son état naturel grâce à ce pouvoir naissant qu’elle ne maîtrisait pas encore. Chaque fois qu’elle parvenait à sentir un lien magique entre l’eau sous ses pieds et sa magie, l’eau s’écoulait et fuyait afin de retourner à son cycle naturel.
L’Öbronn tenta de l’aiguiller du mieux qu’il put mais l’essentiel de la maîtrise magique était personnel ; et il ne connaissait pas assez le caractère et la vie de Kymil pour cela. Il lui raconta alors son histoire et son parcours, ses réussites et ses errances, et elle devina le lien profond entre sa foi et sa magie. Elle l’écouta et réalisa alors qu’elle faisait fausse route en essayant de copier son maître provisoire. Il était druide et religieux, sa foi était au centre de sa vie, qu’il soit chef de village, mage guerrier ou bouilleur de cru. Peut être y avait-il un lien particulier entre les éléments naturels et ces êtres liés aux Dieux, se dit-elle en sondant son propre cœur. Quelque chose lui manquait. Non pas la foi mais une certaine spiritualité d’esprit, une connexion naturellement élevée de l’âme avec l’invisible. Kymil était une artisane dans l’âme, pas une potentielle prêtresse. Elle n’avait aucun instinct mais une tendance à l’expérimentation et la logique.

La première étape fut plus facile une fois qu’elle savait comment envisager la suite. Elle étendit sa magie balbutiante vers l’eau sous ses pieds et se contenta d’observer les réactions à tel mouvement ou telle intention. L’eau ne pouvait être capturée ou modelée en l’état, elle s’écoulait dès que Kymil essayait de la manipuler frontalement. Chaque tentative pour la rassembler donnait à l’elfe l’impression de lutter contre une force contraire.

((C’est comme si je voulais forcer une rivière à aller à contre-courant, se dit-elle en sentant l’eau ses fluides impuissants à commander l’eau.))

Elle n’avait pourtant pas une telle puissance à contrôler. Elle en déduisit que la force de Moura n’était pas la méthode idéale pour le commun des mortels ; qu’elle devait moins obliger l’eau que l’aiguiller, tel un courant marin ou le lit d’une rivière. Après plusieurs essais infructueux mais prometteurs, elle parvint enfin à rassembler l’eau présente à ses pieds en un point précis et en quantité nécessaire mais la puissance finale manquait d’éclat.
Elle affina sa technique en ajustant le courant afin d’atteindre la vitesse nécessaire pour un tel sortilège tout en gardant la subtilité requise au maniement de l’élément. Elle appréhenda sa magie naissante comme un art et parvint enfin à recréer un geyser. Le diamètre était peu large, sa puissance ne l’élevait qu’à un peu plus d’un mètre de haut mais elle sauta de joie et accueillit les gouttes d’eau glacée qui retombaient les bras grands ouverts.

Sa joie intense fut exprimée discrètement mais son cœur battait la chamade. Elle se retourna pour partager sa réussite avec l’Öbronn qui revenait du village. Elle n’avait même pas remarqué son départ.

« L’avez-vous vu ? … il était petit, mais j’ai réussi.
- Tout cela est très prometteur. L’apprentissage demande assiduité et réflexion, même dans le cas présent où un maître t’apprend les bases. N’hésite pas à observer les mages que tu croiseras car avec le temps, une simple observation vaudra mes explications. Mais la maîtrise de tes sortilèges, surtout en combat, te demandera plus d’aplomb et moins de raisonnement.
- Vous voulez dire, faire confiance à mon instinct, dit-elle sur un ton fataliste.
- Il y a un peu de cela oui, à chacun sa vision. La magie est avant tout une maîtrise technique comme une autre.
- Dont l’outil invisible est manié par l’esprit. Cela offre une infinité de procédés et possibilités.
- Fascinant n’est-il pas ?
- Absolument. »

Le vieil elfe préconisa du repos à Kymil pour le reste de la journée. Il ne fut pas simple pour elle d’accepter, elle ressentait encore la même excitation que lorsqu’elle découvrit son talent pour la magie. Tant d’années sans en avoir conscience, tant d’années perdues ; elle aurait voulu se démener jours après jours pour rattraper le temps surtout en pareille occasion, en compagnie d’un mage expérimenté et pédagogue. Plus que tout, elle souhaitait ne plus jamais éprouver l’angoisse et le sentiment d’impuissance qui l’avaient saisie cette nuit. Elle valoriserait chaque arme, chaque occasion, chaque savoir et chaque future défaite à son avantage.

Elle rejoignit le centre du hameau où les derniers chasseurs étaient accueillis. Cherchant Merlara et son enfant, elle remarqua le chariot. La femme était à l’intérieur et y faisait du rangement, l’enfant était assis à l’avant et observait les Hinions vaquer à leur quotidien. Il sourit à Kymil lorsqu’elle s’approcha et lui fit un signe de la main pour la saluer.
Les entendant de l’intérieur, Merlara maugréa sur l’absence de Kymil mais s’abstint de réprimander durement la jeune elfe devant témoin.
Les citoyens de Lebher étaient extrêmement rares ici, surtout les civils. Leur présence attirait les regards curieux et l’attention de chacun. Merlara ne le vivait pas bien et sa mauvaise humeur faisait fuir les plus paisibles et provoquer l’inverse chez les plus suspicieux. Cette dernière finit par quitter le chariot, prétextant un besoin naturel. Son fils se hâta de rejoindre Kymil afin de lui faire part de sa joie d’être ici, entouré de monde et de discussions diverses. Il trouva dommage de ne pouvoir échanger avec eux autant qu’il l’aurait souhaité, alors Kymil partagea avec lui ce qu’elle avait appris du village et du clan qui l’habitait. Ils conversèrent ainsi un bon moment sans que Merlara ne revienne.

« Maman a mis tes affaires ici, dit le jeune garçon croyant percevoir dans le regard scrutateur de l’elfe une inquiétude à ce sujet.
- Oh ?! Je te remercie, répondit Kymil le regard toujours en quête de sa cliente.
- J’ai un peu fouillé dedans, j’espère que tu m’en veux pas.
- Mmh ? Aucunement, dit Kymil en souriant et détournant définitivement son regard du paysage. Ce n’est qu’un simple sac de voyage, nul trésor défendu ou de secret à protéger.
- Il y a quand même une jolie fiole ...le liquide à l’intérieur est bizarre ; oh ! et il y a aussi quelque chose de chaud dans un bout de tissu.
- Tout cela est bien mystérieux … veux-tu qu’on étudie cela de plus près ?
- Ooouuiii ! s’exclama le petit en sautant le premier à l’avant du chariot. »

La jeune milicienne montra la fiole contenant le fluide d’eau à l’enfant et lui expliqua assez succintement à quoi servait le contenu. Elle ne put guère satisfaire sa curiosité car ses propres connaissances étaient limitées ; cependant, la suggestion d’une expérimentation possible fut accueillie avec grand empressement. Kymil ouvrit donc la fiole et ils observèrent le fluide. La texture du liquide était assez semblable à de l’eau mais constamment en mouvement. Un mouvement lent, tout en ondulation entre deux teintes distinctes ne se mélangeant point, un bleu sombre et un bleu clair vif.
Kymil avala le contenu sous les yeux ébahis du très jeune elfe.

« Alors ça fait quel effet ?
- C’est très étrange. C’est comme si j’avais été brièvement immergée dans les eaux profondes des glaciers tant c’était froid. J’ai l’impression que si j’en buvais une grande quantité, j’aurais l’impression de me noyer.
- Alors c’est dangereux ?
- Seulement si j’en bois trop d’un coup je pense. »

Ils passèrent ensuite à la présentation des deux blocs de Xiuhl enveloppés dans un carré de tissu, héritage de son arrière grand-père maternel, un grand explorateur qui avait jeté l’ancre dans tous les ports de trois continents de Yuimen de multiple fois et arpenté ces derniers sans relâche.

« Ceci est du Xiuhl. Le métal élémentaire du feu. Je l’ai emporté avec moi pour garder mes couvertures chaudes durant les nuits.
- C’est incroyable !
- Sais-tu qu’il existe un métal élémentaire de chaque élément ?
- Tous ? Même la lumière ? Et l’ombre, et le vent à quoi il peut ressembler si c’est du vent ?
- …
- Il est très lourd en tout cas ; ajouta-t-il avant que Kymil ne puisse répondre.
- Plutôt oui, heureusement que nous voyageons en chariot.
- Dis, à ton avis, lequel de tous les métaux élémentaires est le plus lourd ?»

Muir’aek avait dit juste. L’enfant était un être adorable, très curieux malgré sa timidité et intarissable dès qu’il se sentit à l’aise avec la jeune milicienne. Ils passèrent en revue le poids des animaux, maisons, forteresses, montagnes et océans. Le vieil Öbronn vint à eux pour les inviter à partager le grand repas de fin de traque. Kymil réalisa seulement alors que le ciel s’était assombri et des braseros avaient été allumés devant la grande salle ; elle en avait oublié le temps mais aussi Merlara, qui n’était pas revenue, même pour son fils.