La Forêt Ancestrale d’Astirya

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Yuimen
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La Forêt Ancestrale d’Astirya

Message par Yuimen » jeu. 14 nov. 2019 12:55

La Forêt Ancestrale d’Astirya

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Il n’est de lieu plus mystérieux en Yuimen. La forêt d’Astirya, immense, couvre toute la partie occidentale de Nosvéris, protégeant des vents glacés du Nord l’elfique cité de Lebher. Les arbres, ici, mélange de conifères et de feuillus, sont gigantesques et au tronc épais, couvert de mousse humide verte à grisâtre. L’humus épaissit l’air tant et si bien qu’on a parfois l’impression d’étouffer. L’air est ancien, stagnant : même le vent n’ose pas entrer là.

Certains la disent hantée, habitée de squelettes des marais, de loups de Thimoros, d’araignées géantes, de Grogneurs Sylvestres et d’autres esprits ancestraux. D’autres affirment qu’il n’y a là que des patrouilles de chasseurs hinions de Lebher, chevauchant de hauts cervidés, et que c’est le lieu de retraite et de repos des plus vieux Oudios. Sans doute tous ceux-là ont-ils raison, car l’on retrouve bien toutes ces créatures au détour d’un arbre, d’une grotte ou d’un roc de la Forêt Ancestrale d’Astirya.

Tout ça rend l’endroit intouchable et intouché, comme maudit. Nul n’oserait s’y aventurer seul, pas même le plus vaillant des héros. Qui, dès lors, pourrait en percer les secrets, ancestraux et nombreux ?


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Kenra
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Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Message par Kenra » mer. 8 avr. 2020 16:21

La forêt, enfin. Haute d'arbres variés à l'écorce de multiples couleurs, je pénètre dans ce sanctuaire de la nature qui m'accueille d'une voix plus grave que la précédente. J'écoute ses premières paroles en calmant le rythme de mes pas, un avertissement à ceux qui daignent l'écouter. Je tends l'oreille à la routine des animaux, me fie au vent qui circule entre les troncs. Puis je m'arrête. Hurlenuit était prêt à finir un pas, mais j'en suis persuadé maintenant. Elle a crié, trop fort pour que ce soit normal. Me craint-elle ? Tente t-elle de m'intimider, de me sommer de rebrousser chemin ? Les feuilles me rassurent, elle ne s'adresse pas à moi. Je ne demande pas à qui ces cris étaient destinés, mais je m'enquiers de son état, de savoir si elle va bien malgré tout. Aucune réponse, ni des arbres, ni du sol. Je poursuis mon avancée en trottant doucement, l'esprit couvert de cette mélasse que l'on appelle inquiétude. En traversant les plaines glacées qui séparent ces deux forêts, le vent m'a porté l'odeur du sang, celui qui coule lorsqu'on le demande avec une arme. D'autres aussi, que je ne connais pas. Pas encore. La nuit s'annonce à mesure que le temps passe et même si je sais où aller, l'envie d'y arriver au milieu de la nuit n'y est pas. Je n'ai pas besoin de le demander pour comprendre que cette sylve ne fera don d'aucune clémence une fois la lune haute dans le ciel d'ombre, il faut donc que je me trouve un abri au plus vite. Et pour ça, je vais devoir perturber l'équilibre.

><

Trouvé. J'ai le cœur serré, mais pas suffisamment pour m'en empêcher. À grands renforts de pattes fatiguées, je creuse dans un terrier que je sens encore habité. Les habitants sans cloîtrés au fond, terrorisés à l'idée d'être dérangés. Des Bouloums, plusieurs petits et leur mère qui fait barrage de son corps. Je passe la tête dans l'ouverture pour rassurer la famille de rongeurs, toujours plus agitée à mesure que je m'approche. Après plusieurs minutes, l'entrée du terrier ne suffit plus à décourager les prédateurs et ils semblent l'avoir compris. Ses enfants agrippés à elle pour la plupart, elle s'enfuit à toute hâte en filant devant mon museau qui pourrait la croquer aussi facilement qu'une pomme, mais j'ai suffisamment dérangé pour aujourd'hui. Le reste de sa portée suit alors qu'elle les attend quelques mètres plus loin, puis ils disparaissent dans les fourrées, à la merci d'une nuit qui sera peut-être leur dernière. Le cœur lourd, je m'installe au fond du terrier et tente de trouver le sommeil malgré les remords d'avoir condamné ces petits êtres.
Kalas / Hurlenuit

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Kymil
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Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Message par Kymil » jeu. 17 oct. 2024 18:25

Après les quelques heures de repos nécessaires aux chevaux et aux elfes, elles repartirent le plus silencieusement possible. Il faisait encore nuit et personne ne les virent partir.
Le plan de Kymil était de suivre un sentier en direction de l’est menant à un hameau de chasseurs Hinions, bien connu des habitants de Lebher ; de ressortir de la forêt en continuant vers le nord-est, en longer l’orée jusqu’à apercevoir le fleuve et remonter ensuite les sentiers qui bordaient ce dernier. Elle en avait fait part à Merlara qui n’avait pas accepté de bonne grâce, l’estimant trop long, trop à découvert mais la milicienne avait insisté sur la sécurité qu’offrait la présence de garnison sur la route.

Le ciel était couvert, il faisait si sombre qu’il avait fallu allumer des lampes à huile attachées aux quatre coins du chariot ; sans cela les chevaux refusaient d’avancer, trop craintifs. Guidées ainsi grâce à la boussole de Merlara, elles avancèrent lentement, très lentement. Kymil dut descendre et chausser ses raquettes pour aider les chevaux ; une lampe en main, une longe dans l’autre, elle marcha jusqu’au petit matin.
Elle n’osait y penser, mais ce sentier n’aurait pas du être si terrible à suivre. Elle s’était renseignée auprès de la milice, ce n’était pas un lieu complètement isolé et perdu au milieu de la forêt, bien au contraire. Les chasseurs venaient régulièrement à Lebher, leur village était un lieu où passait chaque patrouille de miliciens ou de gardes frontière ; à une journée de marche de la lisière … elle était sûre de la direction donnée à Merlara. Elle n’avait pas pu se tromper.
Mais la marche était difficile, à plusieurs reprises elle du faire arrêter le chariot et partir en avant pour trouver un passage assez large pour les chevaux. L’inquiétude la gagnait. D’abord en raison du trop grand silence autour d’elle, un tel silence n’était pas normal en pleine forêt, surtout à cette heure ; et cela l’inquiétait autant que la réaction de sa cliente si leur faible allure perdurait.

Ce fut lorsque les premières lueurs du matin percèrent que Kymil comprit. Elles n’allaient pas dans la bonne direction car le soleil, contrairement à Merlara, ne pouvait se tromper. Plein nord, peut-être même vers le nord-ouest … elles s’enfonçaient dans les entrailles de la forêt. Depuis combien de temps Merlara les avait fait quitter le sentier ?

Elle fit stopper les chevaux et s’apprêtait à prendre les choses en main, quitte à obliger Merlara à lui obéir, à enfin entrer dans son rôle du garde qu’on écoute et non de la recrue qui subit ; lorsque le son d’un cor de chasse retentit et fit trembler la forêt.
La panique emprisonna la jeune milicienne plusieurs secondes. Elle se sentit complètement perdue et désœuvrée ; elle n’était pas entraînée pour ces situations. Deux jours à peine qu’avait débuté sa première mission et elle sentait déjà les affres de l’échec coulaient dans ses veines et le poids du déshonneur sur ses frêles épaules. Comment allait-elle réussir l’exploit de les soustraire à ce danger. Ce cor de chasse, puissant et provenant de l’Est était celui dont parlaient les chasseurs de sa famille, celui d’un clan particulier d’Hinion, le clan dont elle avait voulu rejoindre le village par la route. S’ils étaient là, s’ils avaient déjà fait retentir le cor … c’est qu’ils étaient en chasse.
Un second signal retentit, plus fort, plus proche, le corps de Kymil bougea enfin d’effroi.

« Il faut fuir, tout de suite !! Somma Kymil en joignant l’acte à sa parole.
- Vous n’y pensez pas ! Hurla Merlara en tirant sur les cordes que Kymil empoignaient fermement pour entamer un demi-tour empressé. Allons plutôt vers eux, ils nous guideront eux … et mieux que vous.
- Ce ne sont pas des guides, ce sont des chasseurs …
- Fort bien ! Des chasseurs. Ils connaissent donc la forêt et sauront nous la faire traverser. Votre plan était bâclé et imparfait.
- Des chasseurs de morts-vivants !! Dit Kymil d’une voix brisée. Ce n’est pas du gibier qu’ils chassent, ils protègent la ville des créatures de la forêt.
- Ce ne sont que des légendes ! Ne soyez pas si sotte. »

Plusieurs hurlements stridents lointains interrompirent Merlara et brisèrent l’aplomb incertain de Kymil. Les chevaux étaient effrayés et obéirent difficilement mais, étant effectivement admirablement bien dressés ils finirent par se soumettre à la main de leur maîtresse qui leur fit faire demi tour en contournant de gros arbres. Kymil quitta ses raquettes et s’installa sur le rebord arrière du chariot sans que Merlara, paniquée et hystérique, ne lui fasse de remarque.
Grandement encouragés par leur propre frayeur, les chevaux parvinrent à trotter dans la neige épaisse ; leur instinct de survie et la grande adresse de la commerçante avec une longe en main firent le reste ; elles s’éloignaient du danger en redescendant la piste de leurs traces.

Plusieurs fois, des cors de chasse retentirent au loin mais le chariot qui craquait, le bruit des chevaux et les cris de Merlara contre ses derniers empêchaient Kymil de se concentrer. Loin, proche, Est, Ouest, elle ne savait plus. Elle se cramponnait fermement à un poteau de renfort et ne quittait plus des yeux la forêt. Le soleil bas parvenait à peine à traverser la densité des arbres et ses quelques rayons allongeaient les ombres de la moindre branche. Sa lampe à huile tenue le bras levé devant elle n’éclairait pas loin non plus, mais être dans cet espace de lumière la rassurait un peu.
Une ombre mouvante aperçue au loin la fit soudain frémir de peur. Ses doigts resserrèrent leurs étreintes autour du bois et elle bougea la lampe à huile dans la direction. Il n’y avait plus rien. Kymil sentait son cœur cogner contre ses tempes. Ne voyant plus rien bouger dans son champ de vision, elle tenta de calmer sa respiration, de reprendre le contrôle de ses nerfs en s’efforçant de penser à la distance que les chevaux étaient en train de mettre en elles et le danger.
Une nouvelle ombre mit à mal ses espoirs. Plus proche, plus vif, plus visible, le mouvement de cette ombre n’était pas celui d’une branche. Quelque chose courrait vers eux. Elle sentit son sang se glacer lorsqu’elle l’aperçut se faufiler entre les arbres avant de le perdre de vue

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Kymil
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Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Message par Kymil » jeu. 17 oct. 2024 18:43

Sa nature courageuse prit le dessus. Elle se redressa totalement et leva haut la lampe à huile afin de regarder par-dessus la toile. Grimpant sur le côté, une créature immonde montra sa tête au même moment. De taille humaine bien qu’extrêmement rachitique, la bête ne devait pas peser plus d’une trentaine de kilos. Sa peau avait le teint des créatures vivant dans les profondeurs des océans où le soleil n’allait jamais. Un teint blanc légèrement grisé mais ici, la créature avait des marques de brûlures et des vieilles cicatrices profondes. Un être décharné. Autrefois un humain, enlevé, séquestré, torturé et affamé pour expérimentation par un ancien lieutenant de Oaxaca. De sa nature humaine ne restait qu’un tronc, quatre membres et une tête ; le reste était inhumain, le cri, leur comportement, leurs doigts remplacés par de longues griffes, jusqu’à leur conscience, depuis longtemps volée.
Kymil ensevelit son dégoût et sa terreur sous un torrent de courage dicté par son instinct de survie.
Sa main gauche fermement accrochée au poteau de renfort, Kymil troqua rapidement la lampe, qu’elle accrocha à un large clou du chambranle, contre son glaive qu’elle dégaina et brandit haut et loin, effleurant le menton de son adversaire.
Le traqueur obscur, guère plus à l’aise de ses membres que l’elfe sur ce chariot cahotant recula d’abord, manquant de glisser du chariot. Ses griffes s’enfoncèrent dans la toile épaisse, ses jambes battirent dans l’air un instant. Kymil ne resta pas immobile à regarder. Elle se grandit et lorsque le monstre retrouva son équilibre et s’avança de nouveau à portée, le glaive le faucha plus sérieusement. Blessé cette fois à l’épaule, il chuta violemment du chariot et roula dans la neige, hors de vue de Kymil.

Nerveuse et terrifiée, elle resta une ou deux secondes le regard fixe sur ce morceau de toile solide tailladé par les griffes. Le hurlement du traqueur la suivait, un deuxième se fit entendre en écho. Kymil trembla et tenta de hurler à la conductrice d’aller plus vite. Cette dernière n’entendit rien, elle-même en train de hurler ses ordres aux chevaux, elle n’avait ni entendu ni vu ce qui venait de se passer. La jeune elfe reprit en main la lampe à huile qui parvenait tant bien que mal à compenser le manque de clarté de ce timide lever de soleil.
Elle entendait maintenant nettement leur grondement plaintif et aigu. Ils étaient deux et les poursuivaient. Ils avaient échappé de peu à la horde de chasseur sur les traces d’autres morts-vivants. Effrayés et énervés par la traque qu’ils avaient subie, ils étaient devenus plus agressifs que d’ordinaire. Ils poursuivaient ces chevaux en pleine course à en perdre haleine. Kymil tentait de les suivre du regard, prête sans parvenir à regrouper ce qu’il fallait d’assurance pour anticiper correctement les risques à venir.

Elle entendit soudain un bruit plus proche et le crissement des griffes sur le boit du chariot à sa droite. Cette fois, elle ne se contenta pas d’attendre à l’affût à l’arrière, elle grimpa en prenant appui sur le poteau de renfort et rampa sur la poutre centrale. A genoux, elle abattit son glaive en direction de l’immonde créature décharnée. Sa position manqua de stabilité et son allonge de quelques centimètres mais elle lui entailla le poignet. Le traqueur hurla brièvement. Kymil n’aurait pu dire si ce fut de douleur ou de surprise. Le monstre se rattrapa fort bien et poussa sur ses membres bas pour se hisser plus haut, son poignet blessé tremblait et ce qui en sortait ne ressemblait que peu à du sang frais et liquide, plutôt une version noirâtre et odorante qui suintait par gouttes épaisses. L’Earion, toujours sur ses genoux, glissa rapidement vers lui et retenta un coup franc et rapide avant qu’il ne se redresse et soit en mesure de se défendre et riposter. Le monstre se protégea du coup de sa main blessée et la perdit pour de bon.
Emportée par l’élan et son manque d’expérience, Kymil s’approcha un peu trop du traqueur qui, insensible à la douleur, riposta dans la seconde d’un coup de griffes. Une riposte assez maladroite mais pleine de fureur qui manqua de peu l’épaule de l’elfe.

Les enjeux pour l’un et l’autre n’étaient pas les mêmes, l’un n’était qu’une masse informe dénuée de conscience, l’autre avait à charge la protection d’une femme et de son enfant. Kymil devait réfléchir à moyen terme, l’autre ne pensait pas … et cela lui donna l’avantage en cet instant précis. Le traqueur fonça tandis que Kymil, affolée par le hurlement soudain d’un deuxième traqueur, tournait son arme vers le mauvais endroit. Deux sursauts la firent bouger, le premier lui valut d’être en danger, le deuxième lui valut son salut. Son bras droit tenant l’épée frémit au hurlement et se tendit en sa direction ; le gauche, lui, se tendit aussi et leva haut la grosse lampe à huile devant elle, un réflexe involontaire au hurlement aussi, mais qui lui sauva la vie. Les griffes puissantes du traqueur éraflèrent la vitre de la paroi et le métal, évitant son torse et sa poitrine. Son sang ne fit qu’un tour, elle fit glisser un genou vers l’arrière, redressa l’autre en mettant un pied au sol et serra fort son glaive avant de trancher l’air en face d’elle. Sa lame toucha le moignon du traqueur tendu vers elle et lacéra son avant-bras et son bras sur toute la longueur. Le monstre tituba à l’impact, Kymil en profita pour riposter sans attendre. Elle pivota sur son pied d’appui et chassa les membres inférieurs du traqueur avec force. Le monstre tomba sur le côté, chuta et passa sous la roue arrière du charriot.

Ce dernier cahota. A demi relevée et sans appui Kymil perdit l’équilibre tandis que la voix aiguë et effrayée d’un enfant résonna sous ses pieds. L’Earionne, alors qu’elle réalisait l’étendue de cette révélation quant à l’existence réelle de l’enfant, tomba à la renverse, se cogna l’épaule contre le poteau arrière et tomba au sol. Elle roula plusieurs fois sur elle-même avant de s’arrêter, le nez dans la neige et le cri de l’enfant qui se perdait au loin. Son glaive n’était qu’à un pas d’elle et la lampe avait volé jusqu’à à un tronc d’arbre, toujours allumée malgré une vitre brisée.

Une masse sombre traînait au milieu du chemin. Blessé, le traqueur tremblait et remuait tel un faon venant de naître, mais derrière lui se tenait le second.

Elle était seule au milieu de nulle part. Le chariot était loin et ne ralentissait pas. Kymil serra les dents. Elle était seule, et elle le savait. Son entrainement suffirait-il ? L’un deux était grièvement blessé … Ainsi, questions et anticipations occupèrent ses pensées. L’adrénaline l’empêcha de prendre peur et de s’affoler. Son cœur battait dans ses tempes, ses mains ne tremblaient plus, son corps était chaud et son souffle lent et profond. Elle savait qu’elle aurait le temps d’attraper son glaive avant que le second ne l’atteigne ; mais ce dernier ne bougeait pas. Ce qui jadis fut le visage jovial d’un homme ou chaleureux d’une femme était maintenant tourné vers le chariot. La jeune milicienne n’aimait pas cet instant, il flottait dans l’air une tension qu’elle ne maîtrisait pas. Son état second qui contenait sa peur sous clé ne tiendrait pas éternellement face à l’attente et l’immobilisme de cet être duquel n’émanait plus rien.

Lentement, le visage grêlé et marqué de cicatrices se tourna vers elle alors qu’elle fit le pas chassé qui la séparait de son arme. Le signal n’aurait pas été plus clair si un cor de chasse avait retentit à la seconde. Le traqueur et la jeune milicienne foncèrent l’un sur l’autre. L’allonge que lui offrait le glaive protégeait Kymil de la plupart des attaques du traqueur mais ce dernier était plus déterminé à tuer qu’elle. En son for intérieur, elle pensait d’abord à sa survie. Il prenait les risques gagnants et elle le sentait. Par trois fois, elle para les griffes de sa lame sans parvenir à riposter avec succès ; mais à la tentative suivante, le traqueur plongea tête en avant sur elle. Elle blessa grièvement l’un de ses bras mais se fit emporter par la bête. Ils tombèrent dans la neige épaisse, la tête de Kymil en était presque entièrement recouverte. Elle se débattit, sa main libre retenait les assauts du bras indemne du traqueur et sa main armée les mouvements erratiques du bras blessé. Par deux fois elle sentit les griffes du traqueur traverser l’épaisseur de sa cape en fourrure, mais tout son corps n’était pas protégé et chacun de ses gestes pour se défendre défaisait peu à peu les fermetures. Elle était coincée et à moitié aveuglée par la neige qui recouvrait son visage. Ses coups de genoux dans le dos du traqueur n’étaient pas assez puissants, même contre un être si rachitique. Elle savait qu’elle n’était pas assez endurante pour tenir la position jusqu’à ce qu’il se fatigue et quoi qu’elle fasse elle ne parvenait pas à faire appel à sa magie. Il lui fallait encore trop de concentration et de temps pour manipuler ses fluides.

Elle devait accepter de prendre le risque d’être blessée, elle devait s’adapter à la nature de son adversaire et ne plus blesser pour survivre mais blesser pour tuer. Surestimant quelque peu les volontés d’un être dépourvu de conscience, elle tenta de reproduire la témérité de son adversaire. Elle devait libérer son glaive pour attaquer mortellement. Elle allégea la poigne de sa main non armée autour du poignet du traqueur et aussitôt, il réagit comme prévu. Il leva haut ses doigts griffus et attaqua avec férocité, légèrement arc-bouté vers l’arrière il se tendit pour porter un coup puissant. Kymil retira de force le glaive coincé dans les griffes du bras blessé du traqueur et allongea le bras sur le côté. Elle planta la pointe de son glaive dans la chair à vif du traqueur lorsque celui-ci abattit ses griffes sur elle.

Le traqueur hurla d’abord et se débattit avec une violence inouïe, digne d’une bête sauvage enragée. Le glaive avait très profondément transpercé son abdomen.
Kymil aussi hurla de douleur et asséna au traqueur deux autres coups de glaive qui fendirent les hanches et rongèrent les côtes de la bête décharnée.
Elle avait échappé de justesse aux griffes du traqueur. Elle avait compté sur l’épaisseur de la fourrure pour freiner les griffes, elles s’y étaient empêtrées dedans à une ou deux reprises pendant qu’elle se débattait … et les griffes du traqueur ne firent que déchirer la cape et effleurer les vêtements en dessous … mais les crocs du traqueur, eux, s’enfoncèrent profondément dans son cou non protégé, lorsqu’il fut blessé à l’abdomen et se transforma en bête sauvage.
Ses blessures eurent finalement raison de lui et de sa folie. Il tomba à terre après un hurlement strident mêlant douleur et hystérie qui résonna dans les entrailles de Kymil. Elle se redressa pour s’assoir et remonta son col sur sa blessure en appuyant fort dessus, et ne remarqua qu’à cet instant qu’un bout d’un tentacule avait été sectionné par les crocs.
La douleur était intense et lorsqu’elle se releva, elle fut prit de vertiges. Il n’y avait plus d’adrénaline, il n’y avait que la douleur et l’ivresse de la victoire. Elle marcha jusqu’à la lampe dont le réservoir était encore intact et la flamme vivante ; puis se dirigea vers le traqueur à demi mort. Il tendait le moignon de son bras en lambeau vers elle et sifflait sa rage à travers ses dents restantes. Le bas de son corps avait été totalement écrasé par les lourdes roues du chariot. Elle leva son glaive et l’abattit en travers du torse du monstre qui mourut en soufflant les restes de douleur de ce corps meurtri depuis longtemps.

Une, deux, trois secondes, elle resta le regard vers cet amas de chair visqueuse avant que la réalité ne revienne sur elle tel un raz de marée.
Elle était seule au milieu de nulle part ; le chariot était loin maintenant, si loin qu’elle ne le rattraperait jamais ; elle était blessée et son sac était sur le siège avant du chariot. Elle était seule et le désespoir commença à percer une brèche dans sa détermination à réussir sa mission. L’espoir de faire honneur à sa famille était sur le point de voler en éclat lorsqu’elle entendit une branche craquer à quelque pas d’elle. La peur jusque là contenue tant bien que mal rompit sa digue et déferla en elle.

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Kymil
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Re: La Forêt Ancestrale d’Astirya

Message par Kymil » jeu. 17 oct. 2024 18:50

Elle fuit aussi vite qu’elle pouvait. Le traqueur la suivait. Un instant de lucidité lui fit prendre la piste du chariot mais elle coupa droit alors que les traces déviaient. Elle ne devait pas le mener à eux se dit-elle lorsqu’elle reprit espoir. La course était difficile mais ce traqueur-ci n’était pas aussi rapide et habile que le premier poursuivant. Après deux minutes de course, cependant, il était toujours là et elle n’avait guère prit d’avance … peut-être même en avait-elle perdu.

Sur sa gauche, elle repéra une sorte de sous-bois dans les bois ou trônait un arbre gigantesque au tronc épais, un arbre tordu et aux branches nombreuses et larges. Un arbre sous lequel il y avait moins de neige.
Elle s’y dirigea. Elle n’avait plus d’autre choix que de combattre à nouveau.
Arrivée au pied du tronc, elle remarqua qu’il était plus immense et plus tortueux encore, et presque lugubre sans ses feuilles ; mais le sol ici était peu enneigé et Kymil se retourna pour faire face au traqueur qui arrivait. Il était essoufflé lui aussi, moins que Kymil, mais il était plus petit, malingre et sa démarche n’était guère stable. Un être déjà malade avant de subir la pire des tortures et sa transformation.
Face au glaive, le traqueur n’hésita pas une seconde et avança les bras en avant. Kymil, elle, était certes plus grande, plus costaude et armée, elle était aussi blessée et fatiguée par l’épreuve précédente et la course. Ses gestes n’avaient pas la portée nécessaire pour garder son ennemi loin d’elle. Dès la première attaque, elle comprit que la détermination de ces traqueurs n’avait rien de réfléchie comme la sienne, il n’était pas mu par une volonté mais par une rage désespérée. Seul un coup puissant le faisait reculer, et seule la mort lui ferait cesser ses assauts.

Il revint à la charge et cette fois, Kymil n’avança pas. Elle avait pris et gardé une position apprise pendant ses entraînements. Le glaive tenu à deux mains, elle du faire face à la fureur de l’attaque sans trembler malgré la fatigue et la peur. Ce poison s’était infiltré en elle et obscurcissait sa détermination et sa lucidité … bientôt il l’affaiblirait complètement. Sa respiration était haletante, difficile ; ses mains étaient moites malgré le froid et ses jambes étaient sur le point de ployer. Elle hurla en levant son glaive pour accueillir son adversaire, elle hurla pour se donner de la force et masquer la douleur de son cou. Elle asséna un coup franc avec toute sa force, presque à l’aveugle, dans le corps du monstre enragé. La lame frôla la poitrine du traqueur, ne le blessant que partiellement. Entamé trop tôt, le coup n’avait pas blessé mais le traqueur perdit l’équilibre et ses griffes ne firent elles aussi qu’effleurer le corps de Kymil.
Il tomba à terre, Kymil se retint de justesse. Ivre de douleur et de peur, elle donna plusieurs coups vifs et imprécis sur son adversaire rampant au sol. Il hurlait de rage et de douleur, elle couvrait les hurlements stridents du traqueur par sa propre hystérie. Elle était dans un état second. Quelque chose de plus effrayant que ce monstre atrophié pesait sur son instinct, déjà fragilisé par le poison de la peur. Elle frappa encore et encore cet amas de chair en lambeau avant de réaliser qu’il ne faisait plus de bruit … qu’il n’était pas CELUI qui faisait du bruit.

Elle recula d’un pas et entrevit qui se faufilait derrière des branches tombantes de l’arbre tortueux, un autre monstre. Sa force n’était plus qu’un vague élan à se maintenir debout, elle tremblait et suait tandis que ses pensées, enfin, avait trouvé les mots pour définir sa peur : ((Combien encore ??))
Il avançait, elle reculait. Son pied toucha la lampe à huile. Cette lumière qu’elle avait gardée auprès d’elle pour se rassurer n’avait plus aucun effet sécurisant … elle l’attrapa et la jeta en hurlant sur le traqueur qui lui faisait face avant qu’il n’attaque.
Les vitres se brisèrent, la réserve d’huile se déversa et prit feu. La traqueur se mit à hurler et à gesticuler tant et tant que des gouttes d’huile enflammées finirent par être projetées un peu partout. Kymil recula et trébucha. Elle observait le monstre brûler sans fascination ni horreur … elle regardait les bris de vitres, perdue entre deux émotions intenses et indéchiffrables.

Mais ce qui pesait sur son instinct était encore là, et se réveilla. L’impression tenace d’une menace voilée ne venait pas de la présence de traqueurs fuyant les chasseurs Hinions à quelques centaines de mètres de là. Non, la menace était partout, sous ses pieds, au dessus de sa tête. Il dormait, mais les hurlements et le feu réveillèrent celui dont la seule présence effrayait son instinct d’elfe.
Le sol se mit à trembler, le sol sous elle se mit à fourmiller, les racines à bouger et sortir de terre. Elle reculait sur les fesses, glissait et rampait aussi vite et aussi loin qu’elle pouvait. Il était vivant. Il dégageait ses racines, secouait ses branches lentement comme on s’étire après une bonne nuit de sommeil, son tronc se métamorphosa alors et un visage hideux apparu lentement. Son hideux visage était faiblement éclairé par la lueur du traqueur en feu, et n’était animé que d’une seule expression, la colère.
Kymil n’avait pas connu plus grand effroi qu’à cet instant, tout son corps trembla et cessa de bouger. Figée d’épouvante, son cri mourut dans sa gorge nouée. Devant elle, au plus près de l’arbre, le traqueur obscur en feu se mit à fuir. Marchant, titubant aussi loin que possible … même lui, être sans conscience, fuyait l’arbre maudit.
Elle se releva soudainement lorsqu’une énorme branche faucha le traqueur. D’un état second pendant son combat, elle était maintenant complètement possédée par la peur. Elle courut droit devant, sans un regard en arrière, hoquetant d’angoisse à chaque bruit de branches frappant le sol derrière elle. Le grogneur sylvestre étendit ses racines et ses membres pour tenter de faucher, empoigner ou écraser cet insecte. En vain.

Le bruit de cette forêt la rendit folle. Elle courait à l’aveugle, tétanisée et tourmentée par les grincements, le fracas, les grondements et la voix de l’arbre qui maudissait les vivants ; par le sol qui tremblait à chaque fois que l’arbre frappait le sol. Au loin elle entendait des pas rapides. Elle courait à en perdre haleine, se savait perdue mais courait pour s’en sortir. Pour se donner du courage, elle récitait les cantiques de Moura. Et grâce à eux et les enseignements de Moura, elle se reprit et s’obligea à avancer encore, toujours plus loin d’un danger trop grand pour elle, sans trembler, seulement d’avoir conscience qu’elle n’était pas de taille pour lui, qu’elle seule pouvait se sortir de là.

Les tremblements du sol faiblirent, les grognements de l’arbre aussi. Elle était hors de portée du grogneur sylvestre mais entendait toujours des bruits derrières elle au loin. Et soudain ; alors qu’elle reconnut le rythme et le bruit de chevaux ; un cor de chasse retentit dans son dos, court et saccadé. Plusieurs cris lui parvinrent quand enfin elle cessa ses prières. Elle se retourna et vit un cavalier à une cinquantaine de mètres d’elle, éclairé par de pâles rayons de soleil, le bras haut la désignant du doigt. Elle leva son bras valide et tous ses nerfs lâchèrent brusquement. Elle se mit à pleurer. Elle était sauvée … elle n’était plus seule.

Deux cavaliers Hinions la rejoignirent et l’observèrent avec intérêt et hauteur. Kymil tenta de parler, de se présenter, de dire quelque chose mais l’un d’eux l’en empêcha, lui conseilla de respirer et de garder ses forces pour des choses plus utiles. Elle les entendit parler de traces, de nombre, de corps, de fuyards, elle remarqua un regard vers son cou et son glaive noir de sang putride. Elle se sentit soulever de terre, porter et installer derrière un cavalier. Le cheval avançait au pas, elle sentit un coup sur son épaule et leva la tête vers le chasseur.

« Est-ce toi qui a combattu les traqueurs ?
- Les bêtes aux griffes ?
- Oui, on les appelle les traqueurs obscurs.
- Oui.
- Les deux ?
- Ils … ils étaient trois.


Deux chasseurs échangèrent quelques mots dans une langue que Kymil ne reconnut pas.

« Le carbonisé au pied du grogneur sylvestre ?
- Oui. Dit-elle en regardant d’un air éprouvé l’arbre dont elle connaissait maintenant le nom.
- Bien. Repose-toi, le chemin est encore long.
- Le chariot … je dois … retrouver le chariot … l’enfant …
- On les trouvera.»

Elle passa le voyage dans un état de demi-conscience. Le ton du chasseur l’avait marqué, comme s’il avait reconnu sans le dire sa bravoure.

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