Alyssia dormit d'un sommeil troublé, peuplé d'éclairs tonitruants et d'étendues infinies de surfaces planes, au-delà desquelles se profilait Izurith, ne se rapprochant jamais malgré les kilomètres parcourus.
Elle n'émergea cependant que tard, du moins pour les standards de ses hôtesses, réveillée par le rire puissant de Valentine qui semblait avoir une voix correspondant à son physique. Généralement douce, souvent imposante. Lorsque l'Izurithoise ouvrit les yeux, elle aperçut deux autres silhouettes assises à table avec sa sauveteuse, discutant autour de ce qui semblait être de la viande séchée.
Restant emmitouflée dans ses couvertures, ses vêtements étant hors de portée, la jeune femme se releva pour s'approcher timidement des maintenant trois guerrières présentes dans la pièce. L'une d'elle arborait des cheveux roux en bataille, frisant de manière chaotique jusqu'à ses épaules et encadrant un visage quelque peu masculin, au diapason de sa carrure plus petite que celle de Valentine, mais toute aussi imposante. La seconde voyait ses oreilles pointues dépasser quelque peu de ses cheveux châtains, trahissant des origines partiellement elfiques. Elle était svelte et élancée et vêtue d'une tenue près du corps légèrement armurée, permettant à la fois une protection et une certaine mobilité en combat. Si le matériau utilisé était bien différent de son monde natal, Alyssia n'avait cependant aucun mal à reconnaître des idées similaires à celles ancrées sur Izurith, prouvant une certaine avancée technique de ce monde dans les arts de la guerre.
« Tu dois être Alyssia, » fit la semi-elfe d'une belle voix chantante lorsque celle-ci arriva à hauteur de la table. « Eïlyenwë, » se présenta-t-elle avec un large sourire.
L'Amazone aux cheveux roux scruta l'Izurithoise de haut en bas d'un regard avant de prendre la parole.
« T'as pas l'air bien robuste, mais ils pourraient avoir besoin d'aide à l'intendance, si tu cherches un endroit où rester, » fit-elle en terminant de mâchonner un morceau de viande. « Enfin bon, tu peux rester quelques temps avant de te décider, comme invitée. »
La semi-elfe accorda un nouveau grand sourire à Alyssia avant de donner un léger coup de poing dans l'épaule de sa comparse, lui provoquant un grognement.
« Et cette rustre est Agathe, c'est la doyenne de cet avant-poste. Enfin, plus ou moins la doyenne, » ajouta-t-elle en se tapotant le bout des oreilles. « Je ne sais pas si tu connais d'autres demi-elfes... »
« Oh, heu, si, beaucoup, » rétorqua l'Izurithoise d'une voix enraillée.
Elle toussa, expulsant sans ménagement quelques glaires de sa gorge, alors qu'Eïlyenwë lui tendait un morceau de tissu et Valentine une choppe d'eau. Elle avait couru sous une tempête la veille et ça ne pouvait pas être une bonne chose pour sa santé, d'après ce qu'elle savait. Elle s'en tirait cependant, visiblement, avec un gros rhume, ce qui n'était pas très cher payé compte tenu de la situation. Le temps de calmer quelque peu sa gorge et de s'asseoir autour de la table, côte à Valentine et face aux deux nouvelles venues, Alyssia continua sa première phrase de la journée, un peu plus assurée.
« Si, beaucoup. Il y avait beaucoup de demi-elfes dans les quartiers pauvres de... De là où je viens. »
Toujours emmitouflée dans sa couverture, elle attrapa la tasse d'eau devant elle de ses deux mains pour la porter délicatement à ses lèvres. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'en boire toutes les deux secondes. Presque littéralement. L'eau sur Izurith était quelque peu altérée, désagréable à boire même pour elle qui n'avait alors connu que ça. Pourtant, celle-ci était claire, presque sans goût. Finissant sa choppe, elle retourna son regard vers Eïlyenwë, soudain quelque peu mal à l'aise. Dans son monde natal, les semi-elfes étaient énormément victimes de racisme, de par leur passé, mais elle ne connaissait rien des mœurs de cette région, ou univers, peu importe ce que c'était exactement. Peut-être la jeune Amazone attendait une réaction de la part d'Alyssia, trop déboussolée et endormie pour vraiment laisser qui que ce soit lire ses émotions.
« Ce sont de loin les meilleurs amants que j'ai eu, » ajouta-t-elle naturellement.
Elle cherchait, par une remarque pour elle tout à fait anodine, à ne laisser aucun doute concernant son acceptation des semi-elfes, cependant les réactions de ses différentes interlocutrices lui firent vite comprendre que la sexualité n'était pas si anodine que cela en ce nouveau lieu. Valentine se mordit la lèvre pour s'empêcher de rire alors qu'Agathe explosait sur place, rebondissant pratiquement sur le banc à force de gloussements irrépressibles. Entre les deux, les joues d'Eïlyenwë avaient ostensiblement rosi alors qu'elle ignorait parfaitement la réaction de ses deux amies, fixant sur Alyssia un regard quelque peu surpris, la bouche entrouverte.
« Eh bien... » articula-t-elle dans la cacophonie que l'Amazone aux cheveux roux maintenait à elle seule. « Les elfes en général sont connus pour être des êtres sensuels, je suppose. »
Cette intervention eut pour effet de faire repartir Agathe de plus belle, tout en emportant Valentine avec elle cette fois, l'imposante guerrière tombant peu à peu dans des ricanements qu'elle tâchait de cacher à leur invitée, cachant son visage dans son épaule. Alyssia était quelque peu perdue face à ces réactions, regardant les trois Amazones l'une après l'autre alors que la semi-elfe lui accordait un sourire gêné qui semblait tant s'excuser de l'attitude de ses camarades qu'exprimer une certaine timidité à l'encontre de l'Izurithoise et son ouverture sexuelle affichée.
( J'imagine que mon intervention était inattendue, ) supposa la jeune femme en se recroquevillant légèrement sur elle-même.
Après tout la libération sexuelle était quelque chose de relativement récent dans l'histoire d'Izurith, et visiblement cette nouvelle société était socialement très arriérée comparée à ce qu'elle connaissait. Au moins les femmes n'étaient-elles visiblement pas choquées par ses propos, seulement amusées, se rassura-t-elle.
L'hilarité terminée, après près d'une minute d'une longueur terrifiante, Eïlyenwë reprit la parole, changeant radicalement de sujet.
« Il y a un avant-poste général, dont dépend celui-ci, à un peu moins de deux jours de marche, » expliqua-t-elle à Alyssia. « A cheval. On a besoin d'y aller pour faire venir une relève ici si tu veux que l'on t'accompagne jusqu'à la Sororité, où tu pourras rester à l'abri au moins le temps de comprendre ce qu'il t'arrive. »
L'Izurithoise sentit une boule se former dans son estomac. Que voulait-elle dire par « à cheval » ? Elle n'était jamais montée sur un animal, en fait elle n'avait jamais vu d'animal assez gros pour que quiconque s'en serve comme monture, cela faisait partie pour elle d'une culture ancienne et pratiquement oubliée. Cependant, elle tâcha de faire bonne figure face à ses hôtesses ; elle redressa le visage vers la jeune femme-elfe et hocha la tête en signe d'assentiment.
« Je... Je vous fais confiance, » baragouina-t-elle.
C'était une première pour elle, ou peu s'en fallait en tout cas. Mais elle le pensait. Ces personnes semblaient sincères, pourvues d'une simplicité disparue depuis longtemps à Izurith. Et elle était si perdue, dans ce monde étrange et étranger, qu'il lui semblait que s'en remettre à ces inconnues était la seule chose qu'elle pouvait faire. Alors... Elle leur faisait confiance. Tirant à Eïlyenwë un sourire attendri, et à Valentine un rictus plus amusé, quoique bienveillant.