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par Heartless » dim. 6 juin 2021 23:52
Sirat mentionna la présence d'Ezak d'Arkass, ainsi que d'autres aventuriers d'une certaine renommée, sur les quais près du castel. Karsinar, estomaqué par la clairvoyance du quatuor, dût être à nouveau rappelé à l'ordre par Sarl pour éviter un autre épisode violent. Le débat reprit de plus belle. Aux yeux de Sarl, Sirat n'était rien de plus qu'un parjure fanatique cherchant à rallier d'autres à sa cause par la force brute. Lorsque Sinaëthin leur demanda ce qu'ils comptaient faire à présent, la louve répondit avec sa voix enrouée :
"Cette tentative de voir sortir des forces d’Oranan pour reprendre ce castel ayant échoué, nous allons plonger en plein cœur de cette bataille qui s’annonce. Nous vous y rencontrerons peut-être, mais n’aurons alors plus la moindre once de pitié. Et nous en attendons de même de votre part. Le sang baignera ces plaines jusqu’à ce qu’elles étouffent."
Karsinar arbora un air des plus satisfaits à la mention du bain de sang. Sirius en avait assez entendu, il préférait partir de ce pas, d'autant qu'il avait eu la confirmation qu'il était libre de partir sous escorte armée. Cependant, une question posée par le Prédateur le fit s'arrêter net.
"Vous dites vouloir mener les orques vers un nouvel avenir. Alors au lieu de repartir vers ces foutus kendrans, restez parmi eux, avec nous. Peut-être pourrons-nous œuvrer ensemble pour votre vision."
Sirius s'immobilisa, sans toutefois se retourner. Que comptait faire Sirat ? Il lui avait donné l'impression d'un homme intègre jusque-là, mais il fallait se rendre à l'évidence : le wiehl avait vu l'humoran se ranger du côté d'Oaxaca sur cette île, trois ans auparavant. Sirat réfléchit, et sa réponse fut précédée d'une grande inspiration :
"Je pourrais rester, effectivement, je prêcherais ainsi plus facilement. Mais tes hommes seraient-ils libre de me suivre? Car pour ma part, je ne serai qu'un observateur neutre, il ne m'est pas permis de prendre parti pour l'instant. Je refuse de redevenir le servant d'un des treize, je n'ai de dévotion que pour Zewen. Et cette dame..."
Son regard se tourna vers Sibelle.
"Je suis sûr... que nos destins sont liés."
Heartless esquissa un sourire. Le doute s'était emparé de lui l'espace d'un instant, mais le colosse semblait s'être souvenu de leur précédent tête-à-tête. Il faisait confiance au Sirat qui s'était juré de ne pas trahir Sibelle. Il se sentait libre de partir, mais au moment où l'un des loups lui ouvrit la porte, il se retourna vers Vandrak pour une dernière question.
"Ah, au fait. J'ai remarqué un petit voilier amarré aux quais. Vous avez reçu de la visite, dernièrement, messire Vandrak ?"
"C'est le navire que j'utilise pour me rendre régulièrement à Oranan pour rencontrer des gros clients."
"Ah, je vois."
Enfin, le borgne fut le premier à quitter les pourparlers. Alors qu'une troupe lupine l'escortait en bas des escaliers, il ne pouvait s'empêcher de penser au ver moustachu qui s'était fait maître de ce castel piteux. Cette petite frappe avait affirmé plus tôt que le loup derrière lui n'était rien de plus qu'un garde du corps pour le protéger des ynoriens. Qu'il était sûr de lui, le moustachu. Ha, Heartless avait bien envie de le lui piquer, son rafiot à deux yus, maintenant. Arrivé en bas, il s'agrippa le bras de manière dramatique.
"Ahhh, ça fait un mal de ch-eh, je souffre le martyr ! Faut que je bande cette blessure avant que mon poignet dise vraiment merde au reste de mon bras. On peut faire un détour par la cuisine ? J'veux juste emprunter une ou deux serviettes."
Les liykors le regardaient avec un air boudeur, puis deux d'entre eux furent détachés pour le mener jusqu'à la cuisine. Une chance qu'ils étaient plus coopératifs qu'ils en avaient l'air. Maintenant que les choses s'étaient calmées, Heartless s'inquiétait du sort des serviteurs de Vandrak. Il espérait en son for intérieur qu'ils avaient tous suivi son conseil, mais la peur est une maîtresse dont on ne peut se défaire aisément.
Lorsqu'il arriva dans l'arrière-salle, Sirius se mit à la recherche de serviette et autres bandages de fortune pour raccommoder sa blessure, mais ce n'était pas la raison principale de sa venue. Il constata la présence d'une cheminée dans la cuisine, et d'une marmite dans son foyer. Avec les bons outils, il pensait avoir de quoi transformer ce lieu anodin en début d'incendie, du genre secret et dur à discerner avant qu'il ne soit trop tard. À bien y réfléchir, il aurait dû y penser plus tôt, avec tout le chahut que son groupe avait provoqué. Que la perfidie de Vandrak fusse ou non un subterfuge, une manœuvre de ce genre leur aurait peut-être permis de prendre Karsinar totalement à revers, mais l'issue aurait sans doute été la même. Tout le camp aurait été alerté, et retour à la case départ. Cependant, un de ses plans impliquait la crémation du castel Vandrak. Peut-être n'était-il pas trop tard... mais le moment n'était guère opportun.
Sa main droite désormais parée d'un bandage fait à la va-vite, Sirius sortit de la cuisine et avisa la porte des serviteurs. Il fallait trouver un moyen de s'en rapprocher sans faire de vague. Au moins pour récupérer ses affaires, si les pleutres avaient décidé de rester cloîtrés dans leur futur tombeau. Il chercha l'un des Blakalangs du regard.
"Hé, ce serait pas toi qui m'a niqué la main, d'ailleurs ? Ou alors c'est ton camarade ? C'est arrivé si vite, j'ai pas eu le temps de bien retenir vos têtes."
Son compagnon répondit avec une mine agacée.
"Nan celui qui t'a fait ça est pas là. Par contre t'as étalé mon frangin, alors joue pas au con sinon je te plante."
(Ah, c'était pour ça qu'il faisait la gueule depuis l'escalier. Hm, à bien y réfléchir, ils ont tous l'air de faire la gueule en permanence.)
Néanmoins, même s'il était leur ennemi, Sirius n'aimait pas l'idée d'avoir privé un homme de son frère. Ce n'était pas comme s'il l'avait tué par malice, au contraire, il se battait pour sa vie. Et son interlocuteur en était lui-aussi conscient, sans aucun doute. Les Blakalangs étaient parés pour la guerre, menés par Sarl vers des effusions de sang à n'en plus finir, et à des pertes innombrables. Son expression, d'habitude moqueuse et détestable, devint plus sérieuse l'espace d'une seconde.
"T'as mes condoléances, pour ce que ça vaut. Guerre ou pas guerre, ça reste du gâchis."
Il profita de cette conversation pour se rapprocher des quartiers des serviteurs avec tout le naturel du monde. D'expérience, lorsqu'un homme, même coupable, agit sans la moindre nervosité et la confiance la plus absolue, il peut donner l'impression d'agir innocemment. Heartless poussa la porte enfoncée sans demander l'aval de ses gardes loups et jeta un œil à l'intérieur. Malédictions, il y avait encore des ploucs à l'intérieur ! Par contre... la Nani n'était plus là, et il croyait se souvenir qu'il y avait nettement plus de monde là-dedans, à son arrivée, quelques enfants, même. C'était bon signe. Peut-être que cette nana avait vraiment des couilles, au final. Il espérait juste qu'ils soient parvenus jusqu'au Masamune. Les quelques servants qui restaient lui renvoyaient des yeux de chiens battus. Certains étaient sans doute trop faibles pour tenter le coup, d'autres trop lâches. Dommage pour eux, mais ils avaient fait leur choix. Une voix grognard rappela le borgne à l'ordre.
"Vas-y, fais comme chez toi hein. Allez bouge, on dois rejoindre tes potes."
"Ah oui, c'est vrai, pardon pardon ! Allez, bonne chance tout le mooonde !"
Sirius referma la porte après avoir fait un petit signe d'adieu à ceux qui étaient restés. Il sortit enfin de ce maudit castel, suivi de près par ces deux liykors. Ils allaient le suivre jusqu'à son rafiot pour s'assurer qu'il ne tente pas de coup fourré. Tout ça ne lui plaisait pas, car il allait aussi devoir montrer patte blanche en les guidant jusqu'au Masamune. Mieux valait attirer son bateau depuis les quais. Qui sait, le petit coin tranquille qu'ils avaient trouvé plus tôt pouvait encore se montrer utile. Il marcha jusqu'aux pontons, son escorte ne manqua pas de remarquer l'absence de son navire avec un certain énervement, mais il dissipa leurs doutes lorsqu'il porta sa main jusqu'à sa bouche et émit un long sifflement. Après deux bonnes minutes, des voiles bleues sortirent du relief et le Masamun s'amarra au quai de circonstances des oaxiens.
"Il est venu dans ça ?" chuchota l'un des Blakalangs à l'oreille de son camarade.
"Eliaaas ! Abaisse le foutu ponton, tu veux bien ? T'inquiète pas de ces deux-là, ils vont pas mordre !"
Il étouffa un rire nigaud. Quelques secondes plus tard, le ponton branlant de son navire fut déployé. Heartless se retourna donc vers son escorte alors qu'il remontait jusqu'à sa demeure maritime.
"Messieurs, c'est là qu'on se dit adieu, je crois bien. Sauf si vous voulez monter pour un petit verre de rhum ou deux... C'est pas parce qu'on va s'entretuer demain qu'on peut pas s'amuser la veille."
Il était anxieux de voir si les serviteurs échappés avaient bien fini sur son bateau, et s'il allait pouvoir récupérer sa Corne des Profondeurs, par la même occasion. Il avait quand même refilé une relique convoitée par n'importe quel fidèle de Moura à un groupe de serviteurs peureux.