La Forêt d'Ynorie

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Yuimen
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La Forêt d'Ynorie

Message par Yuimen » jeu. 4 janv. 2018 15:56

La Forêt d'Ynorie

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Sur les collines au nord-est d'Oranan s'étend une vaste forêt dans laquelle les habitants de la capitale de la République d'Ynorie s'adonnent à la chasse pour subvenir à leurs besoins en viande. Cette forêt est pourtant déclarée comme dangereuse car nombre de Gobelins et d'Orques voyagent dans celle ci. Certains racontent même y avoir vu un Troll... C'est folie que de s'aventurer seul en son cœur, plusieurs courageux s'y sont déjà essayé, mais aucun d'eux n'est revenu et nul ne sait ce qu'il est advenu d'eux...

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Vohl Del'Yant
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Vohl Del'Yant » dim. 30 déc. 2018 21:34

Sous le regard de la nuit, Vohl continue de s'éloigner du Temple de Yuimen. Le seul réconfort qu'il a pu y prendre, c'est une bonne dose de repos...et quelques victuailles piquées dans les victuailles laissées en offrandes au dieu de la terre qu'il s'est dépêché d'engloutir afin de recharger un peu ses forces. Depuis qu'il a quitté le temple, il longe la forêt comme le lui a indiqué le garde : même si cela ne constitue pas un chemin tracé, la progression est rapide. Il voit bientôt les montagnes se découper sur le ciel nocturne, illuminé par une lueur verte qui ne semble plus vouloir disparaître. Les pics déchirés sont pour une fois dépourvus des nuages épais qui les masquent bien souvent. La nuit s'est installée depuis un moment : il se décide à monter un camp de fortune. Il prend quelques minutes pour rassembler un tas de brindilles et de petit bois, sur lequel il s'acharne pendant un bon moment, armé de son briquet à amadou, avant de voir naître une flamme digne de ce nom. Il faut dire à sa décharge que le bois, humide, se laisse volontiers lécher par les flammes sans leur concéder plus que quelques fumerolles !

Alors qu’il s’installe à même le sol, près de son feu de camp, le regard de Vohl se perd dans les astres. La lumière verte est encore là. Ce spectacle dure depuis maintenant une semaine. Les reflets de ce chemin astral sont toujours changeants, sans que l’ynorien ne comprenne à quoi cela est dû. En ce moment même, il hésite toujours. Un message guidé par la main de Rana elle-même, sur un vent divin ? Un chemin vers…autre chose, comme ce monde dont lui a parlé Jorus Kayne ? Ou un autre phénomène étrange mais rationnel ? Vohl s’amuse à défendre tour à tour chacune des hypothèses. Il n’espère pas trouver une réponse : il pense juste que là, à cet instant précis, le ciel oranien ne ressemble à nul autre. Que cela soit un message, un chemin ou tout autre chose, il est bien loin de savoir ce qu’il pourrait en faire.

(Ne nous tracassons pas avec des choses inutiles. Profitons de l’instant.)

Tandis que ces bandes vertes ondulent sur la voute céleste, une ombre semble s’en détacher. Intrigué, Vohl plisse les yeux. Un genre d’attelage, d’un type que n’a encore jamais vu, semble traverser le ciel. Il paraît glisser sur une route invisible, suivant une ligne précise. Il semble venir de la direction d’Oranan, et passe au-dessus de Vohl, qui ne peux qu’essayer de comprendre le plus de choses possibles pendant le court instant où l’attelage – car c’en est un – le survole. Des silhouettes semblables à des chevaux mais dotées de cornes qui feraient rougir les plus beaux cerfs tirent un traineau massif, dans lequel un homme d’une stature imposante dirige l’ensemble.

Cela ne dure qu’un instant et cependant, Vohl distingue les détails de cette parade inopinée avec une acuité impressionnante. Le contraste entre l’attelage entièrement noir et les bandes d’un vert émeraude qui illuminent le ciel fait sensation. La sorte de luge rouge sombre le surplombe un bref moment. Le traineau disparaît aussi vite qu’il est apparu, filant à une vitesse inouïe. Derrière lui, une poudre scintille à la lueur des étoiles : la traine semble être constituée d’un mélange de flocons délicats et de minuscules fragments de glace, mais également autre chose, qui donne de vagues reflets dorés à la scène.

Lorsque la scène prend fin, le jeune homme reste béat. Béat d’admiration, de stupeur, d’inquiétude et de curiosité. Jamais, il n’a entendu parler d’une telle chose. Un attelage volant, guidé par un ensemble de chevaux-cerfs. C’est tellement improbable que cela ressemble à une histoire de taverne échangée entre deux brocs d’alcool de riz par des soldats en permission. Jamais personne ne le croirait s’il décidait un jour de raconter ce qu’il vient de voir.

(« Eh, p’tite sœur, tu me croiras si tu veux, il y avait un énorme bonhomme, avec un bonnet rouge à pompon ! Il guidait un attelage de cheval-cerf noirs et volants ! Mais sans ailes ! » … J’imagine tout à fait la suite : Ellanor vérifierait immédiatement que je ne pue pas l’alcool.)

Il a à peine le temps de finir sa pensée que le chariot disparaît déjà à l’horizon. Il secoue la tête.

(La fatigue doit me jouer des tours… Profitons de cette nuit pour se reposer.)

L’ynorien a sans doute raison. Tant qu’il est dans les plaines, la température est plus clémente, et il lui faut reprendre du poil de la bête avant d’attaquer la partie suivante. Les montagnes de l’est. Vohl sait que demain en se levant, il sera probablement terrifié par l’ampleur de la tâche qui l’attend. Il pose son paquetage au sol et s’étend afin de s’en servir d’oreiller. Il se couvre de sa cape elfique. Cela suffira pour cette nuit, mais il devra s’équiper avant de partir à l’assaut des montagnes… Son regard vogue d’une étoile à l’autre, suivant les oscillations aléatoires du rideau vert qui courre dans le ciel. Il pousse un soupir mental. Que va-t-il trouver, là-bas ? Une larme ? Un témoignage de la volonté de Rana ? Ou rien ? Sans doute rien ; et quand bien même il trouverait quelque chose, comment saura-t-il qu’il s’agit bien d’une larme de Rana ? Il sent bien, parfois, la grâce de la Déesse et son implication dans certaines situations, mais de façon ténue, subtile. Mais étant étranger à tout ce qui touche à la magie, il reste pragmatique : il devra s’en remettre à son ancien précepteur. Non pas que cela pose problème : ce vieillard toujours dans une forme insolente ne le lâchera pas tant qu’il n’aura pas ramené l’objet exact de leur pari.

Vohl est fatigué. Sa demi-journée de fausses prières au temple de Yuimen lui a permis de récupérer, mais toutes ces nuits à marcher et ses siestes diurnes coupées par de brusques réveils à chaque bruit suspect ne semblent pas avoir fini de réclamer leur dû. Alors que ses paupières se font lourdes, un éclair vert particulièrement violent, accompagné d’un juron prononcé avec un accent étrange, le tire de sa torpeur.

« Ici, avec lui, ce sera parfait ! Stop ! Stop, par No-Hell !»

La voix est si proche que Vohl écarquille les yeux. Se dressant devant lui, l’attelage, dont un bonhomme taillé comme une armoire à glace est en train de descendre. Une chance que l’ynorien ne se soit pas couché il y a longtemps, sans quoi il se serait levé avec la rigidité d’une tuile de majong. Se relevant rapidement, le jeune homme ne sait pas quoi faire : bien que le conducteur ne soit pas menaçant, ce n’est pas une coïncidence si son attelage s’est arrêté près de l’ancien soldat. Dans le doute, il met en position de garde détendue : les poignets posés sur ses griffes, il observe le manège de cet étrange individu. Le grand bonhomme se tourne vers lui, un embonpoint relativement important suivant le mouvement.

« Jeune homme, tu sais t’occuper d’un enfant ? »
« …Pardon ? Je … enfin non ! Attendez… comment ça ? »
« Je suppose que c’est la version longue de ‘Non’… hmpf ! »

Le bonhomme semble assez contrarié par la réponse…ou plutôt la non réponse. Ses mains gantées sur les hanches, il se retourne vers le traineau. Il porte un long manteau dont on devine une couleur rouge éclatante, malgré la faible lumière. Sans avoir l’air de s’adresser à quiconque, il paraît s’expliquer.

« Oui, bien sûr qu’il y a surement plus de gens compétents en ville, Eukurea… Mais dans ton état, il nous faudrait atterrir dans une allée large… tu sais bien que ce n’est pas possible. Je m’écarte déjà des règles, là... et tu le sais ! »

Seul un hennissement d’une des bêtes qui tirent le traineau lui répond. Vohl se pince discrètement. Il doit s’être endormi. Le bonhomme met fin à ses doutes en lui posant ses deux battoirs sur les épaules, manquant de le faire s’écrouler dans la neige.

« Bon petit gars, tu vas m’aider ! »

Perdu, l’ynorien lui décoche un regard complètement ahuri.

« Eukurea va mettre bas d’un instant à l’autre, je n’ai pas le temps de trouver une sage-femme déambulant en dehors d’une ville. Vient par là. Je vais m’occuper de faire sortir le petit, tu réceptionne le colis. »

Encore un hennissement agacé. Ils doivent avoir hâte de repartir, sans doute. L’homme ne semble pas agressif, quoi qu’il en soit. Vohl le suit docilement. Ils s’arrêtent devant un des animaux qui tire le traineau. Ce doit être celui – celle, se corrige mentalement l’assassin – qui va mettre bas. Son ventre est gonflé sans que cela ne semble lui peser : son encolure droite, ses pattes sont si musclées qu’elle aurait un succès incroyable aux courses d’Oranan.

L’homme s’active autour de la bête, la détachant du reste de ses congénères, tout aussi beaux et puissants qu’elle. La tête de l’animal est délicate, racée. Ses yeux luisent à la lumière du serpent céleste qui orne toujours les cieux. Une fois libérée, elle s’avance de quelques pas, dédaignant son propriétaire pour s’avancer prudemment vers le jeune assassin. Elle semble méfiante. Elle recule finalement et émet un petit bruit craintif.

« Du sang ? »

Le bonhomme se redresse, enroulant son écharpe autour de son cou. Le ton est inquiet.

« Par No-Hell ! C’est vrai ! Ou a tu donc reçu tout ce sang, jeune ynorien ? »
« J’ai dû combattre un garzok dans la forêt sombre, il y a de cela quelques jours. »
« Ahhh, Omyre, n’est ce pas ? »
« Ils s’aventurent toujours plus loin sur les terres d’Oranan, ces bêtes sont prêtes à tout pour nous massacrer. »
« Ne te fie pas qu’à ce que tu sais, ynorien ! Il en existe beaucoup qui méritent la même estime que tu portes à tes camarades. »
« J’en doute. »
« Ce n’est ni le lieu ni l’endroit … ou peut être que si, finalement… Ynoriens et Garzoks sont les deux faces d’un même yu, si je puis dire ! D’ailleurs … »

Un hennissement exaspéré coupe sa diatribe. La barbe blanche impressionnante du philosophe cesse de s’agiter pour reprendre de plus belle.

« Le travail commence ! Viens ! Place-toi ici ! »

Vohl est tiré par le bras sans ménagement, puis placé à la merci d’un coup de sabot, avant que le vieil homme ne s’interpose entre un jeune homme peu rassuré et une croupe musclée.

« Je vais tirer le petit, et je te le passerai au fur et à mesure. Sois délicat si tu ne veux pas un coup de sabot ! Eukurae, calme… ça va bien se passer. »

Puis, en aparté à Vohl :

« C’est son premier velage…elle est un peu stressée. »
(Tu métonnes ! Et moi donc !)

Vohl lui-même est tétanisé. Il ne sait absolument pas comment faire : il suppose bien qu’il faut faire sortir le petit, mais la peur de mal faire ou de le blesser le met sous pression ! Il s’aperçoit que ses doigts sont crispés autour de ses griffes. Il se force à lâcher le rassurant morceau de métal. Il faut qu’il se détende, bon sang ! La femelle ne lui en laisse pas le temps : de fortes contractions de son ventre font apparaître de petits sabots sous la base de la queue. Les paluches du conducteur s’en saisissent dès qu’ils sont suffisamment sortis. Il tire délicatement : les pattes ne se montrent que centimètre par centimètre.

« La tête arrive ! Je vais bientôt te passer les pattes… Eukurae, ton petit est en bonne forme ! Pousse encore ! »

Une contraction plus forte que les autres fait pointer un petit bout de museau entre les pattes. Vohl ne voit rien, trop occupé à maintenir sa position…la pression est terrible, comme la peur que le moindre écart ne cause des dommages à l’être qu’il va recevoir.

(Mais qu’est-ce que je fous là !?)
« Tiens ça, petit gars ! »

Vohl attrape les pattes : c’est allé si vite que la tête est sortie sans qu’il ne puisse se décider à jeter un coup d’œil à ce qui se passait.

« Maintenant ça va venir tout seul, ma belle ! Continue ! »

Voh tient avec une infinie précaution les pattes frêles du petit. Sur les pattes pliées, le placenta forme une enveloppe poisseuse et souple. L’odeur est forte et marquée de musc, mais pas désagréable. Il tâche de ne pas perdre sa prise, et d’accompagner les mouvements que fait l’imposant sage-homme… Une fois la peur de l’erreur passée, il trouve ça plutôt facile. Un craquement le fait sursauter et pendant une fraction de seconde il craint d’avoir fait quelque chose de travers. Mais le bruit vient de derrière lui et pas du petit. Il soupire avant de jeter un œil à l’endroit d’où venait le bruit. Le rappel à l’ordre ne se fait pas prier !

« Concentre toi mon garçon ! C’est sa tête que tu vas recevoir là ! »

Le jeune homme reprend sa posture avant de se figer : le 'veau', ou quel que soit le nom de cette étrange espèce, est presque entièrement sorti. L’assassin place son bras en dessous de la tête et du poitrail du bébé, remplaçant celui de l’accoucheur.

« Parfait ! On va le déposer ! On descend doucement, et on dépose. Voilà ! Bien joué ! »
« Merc… »
« Tu vois, Eukurea : ça s’est bien passé, non ? »

Un hennissement soulagé, avant de se précipiter vers son petit. Elle le badigeonne de coups de langue, enlevant le placenta troué par les sabots du nourrisson. Le petit regarde calmement autour de lui. Son regard s’arrête longtemps sur Vohl, qui se fige. Quelle sensation étrange que d’avoir tenue une vie dans sa main, une vie qu’il voulait absolument préserver, sans réserve, pour une fois. Et quelle curieuse sensation aussi, de voir un résultat si surprenant auquel il a participé, même de façon si humble que la sienne.

Après quelques instants à fixer Vohl, le veau semble décider à découvrir le monde par autre chose que par le regard. Il étend ses pattes avant, mais peine à se redresser : il faut attendre quelques minutes avant qu’il ne réussisse à se stabiliser sur ses quatre pattes, sous l’œil bienveillant de sa mère, son accoucher et son… aide-accoucheur ? A peine quelques dizaines de minutes plus tard, il arrive à avancer jusqu’à sa mère, qui vient à sa rencontre pour lui permettre sa première tétée. Une fois ceci fait, la mère s’éloigne, poussant doucement le petit du museau, l’encourageant à explorer ce qui l’entoure.

Le petit s’avance d’un pas hésitant, humant la neige, la terre nue, les quelques herbes grasses dépassant du manteau neigeux. Il ne résiste pas à l’envie enfantine de fourrer son museau dans la neige : se précipitant en arrière, il trébuche avant de tomber et d’essayer de se relever, de tomber de nouveau et finalement de bondir hors de la neige, s’ébrouant et envoyant des flocons partout autour de lui.

Le spectacle fait rire Vohl. Ce son incongru dans la nuit silencieuse attire l’attention du petit une nouvelle fois, qui apparemment ne se laisse pas décourager par sa démarche mal assurée. Il avance, progressivement et par à-coups vers l’homme qui se met à genoux dans la neige. Une petite voix lui dit de ne plus bouger afin de ne pas effrayer le petit, qui braque sur lui ses yeux d’un noir aussi profond et doux que la nuit.

Arrivé à destination, il renifle la tête de Vohl, ses cheveux et ses vêtements. Il a un petit recul, puis avance de nouveau. Il pousse gentiment la tête de Vohl afin d’accéder à son manteau. Il renifle encore puis d’un coup, ses jambes semblent en avoir trop fait, et il s’affale sur les genoux de l’ynorien, stupéfait, qui se demande ce qu’il a fait, si c’est sa faute et si le petit va bien. Il entoure ce dernier de ses bras, comme pour lui apporter un peu de chaleur en levant un regard interrogateur vers l’imposant bonhomme qui essuie une larme avec un bout de son écharpe.
La femelle s’est aussi approchée, sondant le regard de Vohl avec une sorte de dureté incompréhensible.

« Eh bien, jeune homme, on dirait que tu vas devoir en prendre soin. »

Regard incrédule de Vohl.

« Mais je ne peux pas ! Je voyage, je vais vers les montagnes : il ne survivra pas ! Et comment le nourrir : je n’ai ni fourrage, ni lait ! Et puis : c’est le vôtre ! »
« Ne t’en fais pas : cette espèce est un peu spéciale… voilà ce qu’il lui faut ! Et je ne peux pas l’emmener : il ne survivrait pas au voyage. A une autre période de l’année, j’aurais pris mon temps et je l’aurai fait grandir, avant de le ramener. Mais là un devoir impérieux m’appelle…tu dois accepter…sans ça, il mourra ici. »

La mère du petit se place devant Vohl. Elle souffle, se cabre et frappe le sol du sabot, une unique fois, puis henni longuement. Vohl semble reconnaître un mot bizarrement déformé par l’être équin :

« Maaaaaahaahahahaho ! »
(Maho ?)

Le regard de la bête reflète l’intelligence dont elle semble pourvue ; il exprime aussi la décision et le déchirement que cette décision représente pour la mère.

« Je…ne sais pas comment on s’occupe d’un enfant humain…alors… »
« Ne t’en fais pas : nous allons lui donner cette canne à sucre : demain, si tu lui donne ta chaleur cette nuit, il sera de taille adulte. Il pourra manger, galoper, te porter. C’est classique pour ceux qui naissent à No-Hell. Tiens, prends ! »

En disant cela, le bonhomme tend un genre de bâtonnet vert, rouge et blanc, qui luit doucement. Il le donne à Vohl.

« Frotte-le contre toi, puis donne le lui. Doucement. Il sait déjà qu’il reste avec toi : ne va pas l’effrayer ! »

Vohl suit les instructions. Le petit semble suivre attentivement les mouvements de cette curieuse friandise : dès qu’elle est à portée, il étend une langue bleue et improbablement longue pour chiper l’objet et le ramener aussi sec dans la bouche. La gourmandise semble alors lui fondre dans la bouche et le jeune veau s’humidifie le museau d’un coup de langue, apparemment alléché par l’odeur. Plusieurs gorgées goulues plus tard, il s’endort contre le jeune homme, toujours à genoux. Pendant ce temps, l’homme s’est redressé et regarde le ciel verdoyant avec attention. Il sort un petit appareil de sa poche, dont Vohl ne perçoit qu'un reflet métallique.

« Le temps file ! Je dois y aller ! »
« Vous n’allez pas me laisser comme ça, un bébé sur les bras ?! »
« Oooh que si mon garçon, et tu t’en sortira très bien ! Et tu as intérêt ! On dit que ceux qui viennent à No-Hell sont les meilleurs, là d’où je viens ! D’un sacré caractère, c’est sûr, mais les meilleurs tout de même ! Tiens, Eukurae est la 24ème petite fille de Vixen, née à peine un mois avant Noël. Et regarde comme elle est belle et forte ! Il en a bavé, Gekido, avant de la conquérir !»

Tout en parlant, le mystérieux grand-père attache à nouveau la femelle, Eukurea à l’attelage. Elle semble être résignée, tout en tardant à s'éloigner de son petit, rechignant à l'abandonner. La fierté que l'on peut lire dans ses yeux, et la confiance envers le bonhomme se bat avec la méfiance envers Vohl et son attachement à son petit.

« Allez ma belle, courage. Il s’occupera bien d’elle, ne t’en fais pas ! »
« La d’où vous venez…qui êtes-vous, au fait !? »
« Je viens de très loin, et si je me déplace si loin ce n’est pas pour être en retard ! Quand à qui je suis…je dirais que l’on a tendance à être toujours un peu pompeux quand on se présente soit même… n’est-ce pas, monsieur ‘le protecteur d’Oranan’ ? »

Reprenant ainsi la formule par laquelle Vohl s’était désigné auprès d’un aventurier croisé il y a quelques jours, le jeune ynorien nage dans toujours plus de confusion.

« Mais comment… »
« Toujours des questions ! Je n’ai pas le temps, te dis-je ! Je dois finir d’ici après demain ! Ah ! Et pense à lui donner un nom ! Ce n’est pas une bête, tout de même ! Tiens, ça pourrait également te servir…Tu as eu de la chance, jeune Vohl Del’Yant…mais ton comportement et le projet qui demeure au fond de ton cœur est noble et bon. Accroche-toi ! Et considère ceci comme un encouragement ! N’oublie pas d’en fouiller les poches ! »

Il lui lance une épaisse couverture qui atterri devant lui. Vohl l’attrape et la place sur le jeune veau. La couverture matelassée semble faite de laine très dense.
Le traineau trépigne et même ‘Eukurea’ semble pressée de repartir. Le traineau s’élance et gagne rapidement en vitesse. Au bout d’une cinquantaine de mètres, Vohl voit décoller, toujours plein d’incompréhension, le traîneau au fuselage lisse. Un court instant plus tard, ce dernier disparaît finalement, laissant Vohl à genoux, un jeune sur les genoux. Un jeune…un jeune quoi, d’ailleurs ? La main du jeune homme caresse doucement le flanc de l’animal. Ses poils semblent avoir poussé. La ‘Canne à Sucre’ magique n’était donc pas qu’une blague ?

Vohl éloigne le veau de lui afin de déplier ses jambes. Aussitôt, l’animal frissonne. L’ynorien se dépêche de se coller à lui, les protégeant tous les deux de son manteau et de la cape laineuse. Vohl tremble de froid : il a l’impression que sa chaleur est pompée par le jeune veau. Il finit par s’endormir, d’un sommeil léger et continuellement interrompu. Sa peur est de voir au matin un animal mort à côté de lui. Il se serre contre le ‘cadeau’ du destin. Le froid s’intensifie. La couverture semble également devenir de plus en plus petite…vers le milieu de la nuit, lors de l’un de ses nombreux réveils, Vohl se rend compte que l’animal a nettement grandi…et s’est considérablement alourdi. Vohl retire son bras ankylosé de sous l’espèce de cheval. Ce faisant, il s’éloigne un peu, et les frissons de la bête reprennent de plus belle. Vohl ne se résigne pas à abandonner l’animal contre un peu de chaleur.

(Il lui faut un nom, m’a-t-il dit. Sa mère s’appelait Eukurea, et son père…Gekido.)

Les consonances étranges mais familières de ces noms lui donnent une idée. Il se rappelle le cri de la mère au moment où elle avait semblé lui confier son enfant : Maho. Cela lui rappelle une histoire que lui racontait son père lorsqu’il avait été sage : un soir dans l’année, les Mahôtonakai, des animaux splendides ressemblant à des dragons, rendaient visite aux enfants sages et intelligents pour les récompenser de leur rendre honneur. Ils leur faisaient des présents, et s’assuraient que ces enfants grandissent en devenant forts et bons. Il adorait cette histoire, même s’il n’était pas toujours sage. Il s’imaginait, au côté de dragons dorés et d’autres montures fantastiques. Après ces histoires, il sombrait dans un sommeil peuplé d’êtres resplendissants, de rencontres étranges et de cavalcades débridées.
Un sourire apparaît sur le visage du jeune homme. En hommage de ce temps, et pour se souvenir de l’incroyable rencontre qu’il a faite cette nuit, Vohl prend sa décision. Demain, quand il se lèvera, Mahô sera à ses côtés. Il s’installe du mieux qu’il peut autour de l’animal qui tient plus maintenant du poney que véritablement du veau, tout en cherchant une position plus confortable. Sans succès. Il ne s’endort que lorsque l’aube efface la nuit, sa sensation de froid laissant place à une chaleur bienfaisante. Avant de véritablement frôler les rives du sommeil, il lui semble comprendre que Mahô prend soin de lui, rétribuant la chaleur qu’il lui a donné toute la nuit.

[...]

Lorsque Vohl se réveille,ce n'est plus un poney qui se trouve à ses côtés. La première chose qu'il remarque, ce sont les bois, qui passent au dessus de sa tête. En suivant les courbes gracieuses de la ramure veinées d'un violet si foncé qu'il en semble presque noir, il voit le reflet des ... animaux ? ... ou plutôt des êtres qu'il a rencontré dans la nuit. La tête, fine, ne tient ni vraiment du cerf, ni vraiment du cheval, comme il l'avait pensé à la chiche lueur de la lune. C'est une sorte de mélange inédit entre le museau fin d'un renard et la mâchoire élégante digne des plus beaux racés qui concourent sur les circuits équestres. Bien loin des montures attachantes mais un peu bourrues de la garde oranienne. Sa tête repose entre ses pattes délicates, repliées sous elle : quoi qu'encore un peu frêles, elles sont toutefois bien plus musclées que la veille.

La couverture les garde au chaud, mais comme il pensait l'avoir senti en s'endormant, le... enfin, Mahôtonakai - puisque c'est son nom et qu'il ne sait toujours pas, finalement, à quelle espèce il appartient - émet maintenant bien plus de chaleur que lui, au point d'avoir fait fondre la neige sous la couverture.

(En voilà un qui ne souffrira pas de l'hiver !)

Vohl tend un main pour carresser le poil luisant, d'un noir absolu, de l'étrange animal. Il l'effleure à peine que celui-ci ouvre un oeil et fait pivoter une oreille. L'oeil a complètement changé de couleur cette nuit. De noir, il est devenu aussi d'un jaune aussi éclatant que l'or fondu, dans lequel se fond quelques nuances de cuivre. Le regard doux dévoile une certaine intelligence - ou une intelligence certaine - mais aussi une bonne dose d'espièglerie. Dose confirmée par la toilette matinale offerte à Vohl.

« Ahhh ! Bwaaah ! »

L'ynorien repousse la tête de Mahô afin d'éloigner la langue fautive de son visage. Le cervidé se lève alors et regarde avec amusement l'ynorien se laver la figure à grand renfort de poignées de neige, en pestant à la fois contre le froid et la bave qui colle à ses sourcils. Il semble prêt à partir gambader, sauter et courir, mais avent cela il regarde avec insistance un point devant Vohl. Il s'agit d'une poche, dans la couverture, qui émet une curieuse lumière mauve. Lorsqu'il finit par comprendre ce qui interpelle le jeune animal, l'assassin plonge avec précaution sa main dans le pli de la couverture. Ebahi par ce qu'il sent sous ses doigts, il retire de la poche une scelle et des rennes. Elles sont faites en cuir et en tissu teint de deux couleurs : du vert et du rouge. Le cuir est, pour sa part, noir, et d'une sobriété exemplaire. Cela n'empêche pas l'ensemble de sembler particulièrement confortable. Vohl plonge de nouveau la main dans la poche magique... ses doigts trouvent un tissu matelassé et diverses bandes de cuir. Le jeune homme a beau avoir servi dans l'armée en tant que fantassin, son éducation de fils noble lui a fourni les bases de l'art équestre. Lorsqu'il sort la main de la poche, il voit qu'il tient tout un équipement, permettant de favoriser le confort d'une monture : un enrênement longues-rênes, bridon droit, licol, tapis matelassé, sous ventrières et étriers. Considérant la qualité de l'équipement, l'absence de mors ne surprend pas particulièrement Vohl. Deux petites sacoches viennent compléter l'équipement. Le temps qu'il se souvienne comment doivent se fixer les pièces les une aux autres, deux heures ont déjà filé. Mahô a perdu patience et gambade désormais dans la plaine, jouant dans la neige et bondissant d'une bande de neige à l'autre. Lors de ces sauts, Vohl remarque que sa queue semble se déployer telle une voile. Un spectacle étrange mais plein de grâce. Lorsqu'il voit que Vohl l'observe, le turbulent destrier ralentit puis se fige, regardant avec attention le jeune ynorien.

Quelques instants plus tards, Vohl pose le tapis, la selle équipée et les rênes sur le curieux animal, qui ne semble attendre que cela. Vohl remercie Rana que le bridon s'installe en le plaçant simplement contre le front de la monture, et non en la glissant par dessus les oreilles : ça aurait été impossible, vu les bois de l'animal ! Un coup d'oeil aux bois majestueux de Mahô permet de comprendre que s'il avait dû batailler pour installer la sellerie, l'humain aurait facilement pu perdre un oeil : fort heureusement, le cerf précoce ne semble demander qu'à être équipé et la seule chose qui ralentit son équipement est la maladresse de Vohl pour installer le matériel. L'ancien soldat reconnait certes l'usage qu'ont chacune des pièces, mais ces dernières présentent des modifications habiles afin de préserver le confort de la monture. Habiles, mais déconcertantes et l'humain de comprend pas toujours comment s'installent les pièces : il doit s'y reprendre à plusieurs fois pour fixer les rênes dans les bonnes boucles du bridon ! Lorsqu'il vérifie que le cerf est bien sanglé, Vohl se fige de surprise - c'est fou ce que l'installation d'une ventrière permet de vérifier !

(C'est une femelle !)

L'appareil génital typique des chevaux et autres montures est en effet absent...Vohl se redresse et jette un coup d'oeil à l'improbable ramure de la bête. L'incohérence de ces deux données le laisse perplexe, mais il accepte rapidement cette nouvelle incongruité. Après tout, qu'est-ce qui a été ordinaire, la nuit dernière ? Il regarde sa nouvelle compagne de voyage. Elle est puissamment bâtie, et magnifique. Mahô est un nom qui lui ira comme un gant !
Une heure plus tard enfin, il est temps d'y aller. Vohl se remet en route, aux côtés de sa monture inopinée. Afin de l'habituer au matériel, Vohl préfère marcher à côté de Mahô. Après tout, même si elle est pleinement développée et très surement magique... elle n'a tout de même que quelques heures. Ils progressent rapidement sur le terrain relativement plat : pendant le temps où l'assassin tient la longe du cerf étonnant, il réfléchit à l'espèce à laquelle pourrait appartenir l'animal. Il ressemble clairement à un cerf, mais les biches n'ont pas de bois : il décide que si on le lui demande, Mahô sera une Cerfe.

A peine a-t-il pris sa décision que Mahô tire sur sa longe brusquement, l'arrachant aux doigts de Vohl. Il court vers un arbre situé quelques mètres plus loin, et tend le cou afin de croquer les bourgeons du résineux. Elle semble en raffoler et, une fois finie sa razzia sur le pauvre végétal, elle gambade autour de Vohl en alternant les cabrioles, les courses et les arrêts inopinés, vérifiant toujours par quelques discrets coups d'oeil que l'être étrange à l'odeur si attirante n'a pas disparu. Lui aussi sent les bourgeons dégoulinants de sève, à tel point qu'il semble s'être endormi dans un trou rempli de ces mets savoureux ! Et à cette odeur se mêle un parfum un peu âcre et chaud, qui n'est pas pour lui déplaire non plus, bien qu'il soit un peu inquiétant. Mais le visage de l'homme a quelque chose de familier qui lui sert de repère dans ce monde inconnu. Elle n'a certes plus de souvenirs de son enfance, mais elle a la certitude que cet homme est celui qui l'a vu naître : elle ne veut pas trop s'en éloigner. Son envie de découvrir la tenaille pourtant, mais pour l'instant, il vaut mieux qu'elle reste avec lui, même s'il se tient sur deux pattes.

Bientôt, ils commencent à sentir le terrain prendre une légère pente vers les monts qui se dressent à l'horizon. Un vent froid les accueille. Ils sont presque arrivés.

(Il faut trouver de quoi s'abriter ; et un endroit pou acheter des vivres et des couvertures : impossible d'attaquer l'ascension avec mon matériel actuel.)

Retrouvant bientôt le chemin qui semble se poursuivre vers les montagnes, Vohl espère croiser rapidement l'un des villages situé dans la vallée.
Modifié en dernier par Vohl Del'Yant le lun. 22 avr. 2019 12:04, modifié 1 fois.

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Hatsu Ôkami
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Hatsu Ôkami » jeu. 24 janv. 2019 01:54

Prologue


Le soleil peine à traverser l’épais feuillage du bois dans lequel le cervidé mange tranquillement dans le sous-bois. Un léger vent venant de l’ouest fait frémir les branches basses et l’animal relève la tête brusquement, ses narines humant l’air autour de lui. Ses oreilles bougent et, affolé, l’animal s’enfuit. A une quinzaine de mètre de là, tapie dans le sous-bois, une jeune femme, arc en main et flèche encochée, peste.

- Fichu vent !

Un rire retentit dans l’esprit d’Hatsu, se moquant de l’échec de l’ynorienne qui l’ignore, trop habituée à ses sarcasmes et remarques pour se laisser prendre à son jeu. Elle range sa flèche dans son carquois qui pend à sa ceinture et sort du sous-bois. Elle porte une tunique sans manches, un pantalon et des bottes sombres ainsi que des brassards en tissus pour éviter le frottement de la corde sur sa peau. Elle se baisse et examine les traces avant de reprendre sa traque, patiemment. Elle évolue silencieusement dans la forêt où elle passe dorénavant de nombreuses heures chaque jour, à traquer, pister et tuer des animaux. Si au début l’idée la rebutait, elle s’y était fait. Elle devait s’endurcir si elle voulait évoluer.

Les traces la conduisent ainsi près d’un petit étang où elle peut apercevoir quelques animaux se reposer ou boire. L’étang est dans une large zone sans arbre, offrant ainsi une vue dégagée de premier choix. Toujours en silence, elle se poste à un endroit d’où elle ne peut être vue et tente de repérer sa proie précédente. Essai infructueux, elle est incapable de différencier un cervidé d’un autre. Un nouveau ricanement se fait entendre, accompagnée d’une promesse.

« La proie est ici. Je la sens. »

Froncement de sourcils chez l’ynorienne qui se remet à scruter les animaux un par un. Elle remarque quelques différences après quelques minutes. Une fourrure moins touffue ici, une tâche plus claire là. Pratique pour identifier, mais elle ne l’a pas fait avant, cela va s’avérer difficile. Ses yeux sombres continuent leur analyse méticuleuse, s’arrêtant finalement sur l’un des animaux. Une respiration légèrement plus rapide, à peine perceptible. Si peu perceptible qu’elle ne l’avait pas vu avant. Alors elle sort une flèche et l’encoche, elle inspire et bloque sa respiration tandis que la corde de son arc atteint sa joue. Elle vise la gorge, expire lentement, lâche la flèche qui part en sifflant avant d’atteindre l’animal qui glapit de douleur avant de s’effondrer. Panique. Éparpillement des animaux alentours. Une tâche de sang qui grandit à vue d’œil tandis que l’animal succombe rapidement. Elle sent l’odeur métallique de l’hémoglobine. Et elle n’est pas la seule.

« Festin. Délicieux. »

Elle sort du sous-bois et approche de sa victime avant de s’accroupir à ses côté. L’ynorienne récupère sa flèche en douceur, caressant le pelage doux de l’animal. Elle range la flèche et son arc mais se fige en entendant un grognement provenir des sous-bois derrière elle. Son arc revient dans sa main et une nouvelle flèche est encochée tandis qu’elle scrute les alentours, à l’affût. Quelques secondes qui semblent être une éternité avant que quelque chose ne bouge enfin. Un animal sort des buissons. Un félin au pelage rouge. Des longues épines sortent de son dos et ses babines retroussées ne laissent que peu de doutes sur ses intentions. Il veut disputer la proie de la jeune femme. Vu la maigreur de l’animal, celui-ci est affamé, et donc dangereux. Lentement, Hatsu se lève et se déplace sur le côté sans quitter le félin des yeux. Elle s’éloigne ainsi du cadavre tandis que le félin s’en approche, ses yeux fixés sur elle. Lorsqu’il atteint le corps, les deux chasseurs se regardent quelques instants, évaluant l’autre. Hatsu désencoche alors sa flèche lentement tandis que les babines de l’animal reprennent leur forme habituelle. Puis l’ynorienne s’éloigne tandis que le félin commence son festin.

Quelques dizaines de mètres plus loin, la jeune femme s’appuie contre un arbre en soupirant. La tension lui a donné la chair de poule. L’excitation et l’adrénaline redescendent lentement et un sourire apparaît sur son visage. Elle aime ça, cette tension, ces moments où la vie se joue sur un fil fin comme un cheveu. Cela fait battre son cœur, bouillir son sang et tous ses sens s’éveillent. Une sensation de plénitude incroyable. Des picotements sur tout le corps. Un vrai délice.

« Ce n’est que le début. »

Un léger vent vient se perdre dans les bois, secouant ses cheveux et apportant avec lui l’odeur de la pluie. Un orage approche. Hatsu rebrousse donc chemin, reprenant la direction de la civilisation de laquelle elle s’évertue à s’éloigner chaque jour un peu plus. Un repas ennuyeux l’attend ce soir. Une de ces soirées qu’elle s’est mise à détester depuis quelques temps. Et avec son futur mari qui plus est. Oui, la soirée risque d’être longue et ennuyeuse. Nouveau rire moqueur.

« Tu peux tout abandonner dès à présent. »

Mais elle n’est pas prête, elle le sait. Alors elle se fait violence et retourne à Oranan. Le moment venu, elle abandonnera tout ça avec plaisir, mais pas aujourd’hui.
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
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TheGentleMad
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par TheGentleMad » lun. 20 mai 2019 15:52

-----K-----


Kurgoth ne se releva qu'au petit matin, équipé de sa nouvelle armure, et il se mit à marcher. Plutôt que de suivre la balafre, qu'il avait participé à créer dans la forêt les jours précédents et le ramenant à Omyre, le barbare s'enfonça dans les bois sombres en direction du Sud-Est. Il venait d'être humilié et il devait prouver sa valeur, autant aux responsables omyrhiens qu'à lui-même. Il avait donc décider de se diriger vers la République d'Ynorie et de n'en revenir qu'après un fait d'armes notable. Son voyage fut long et marqué par la faim. Les animaux devaient avoir appris à se méfier des bipèdes, y compris dans la partie des bois la plus accueillante, appelée par les locaux "la Forêt d'Ynorie". Le colosse se contenta donc de se nourrir de feuilles gorgées de rosée matinale et d'insectes ramassés çà et là, au sol ou sur les troncs. Malheureusement pour lui, c'était le printemps, les baies et autres fruits apparaissaient donc seulement à l'état de fleurs. Affamé, il en dévora quelques-unes, ainsi que les herbes les plus précoces, ce qui ne manqua pas de lui causer des troubles intestinaux. Durant sa longue semaine de marche, il eut également la chance de croiser quelques charognes dont il préleva les parties les moins faisandées.

En arrivant à la lisière de la forêt, une odeur de nourriture parvenant à ses naseaux le guida vers un campement proche. Restant dans les fourrés, le garzok attendit la nuit et profita de la fin de journée pour examiner les abords de la zone. Il s'agissait d'un petit campement militaire, composé d'une vingtaine de tentes entourés de quelques pieux et faiblement gardées. Un autre cercle de pieux, non loin du premier, protégeait un groupe de chevaux, indiquant au guerrier qu'il s'agissait d'une unité de cavalerie. Tapis dans les buissons aux feuilles naissantes pour surveiller les allées et venues, Kurgoth échafauda un plan simple mais efficace. Au milieu de la nuit, il s'introduirait dans le camp, évitant un maximum de gardes et neutralisant les autres, pour dérober la nourriture et incendier les abris de toile grâce au foyer central. Il attirerait ensuite dans la forêt les quelques imbéciles voulant lui donner la chasse et profiterait de sa vision plus sensible pour les massacrer. Telle une bête à l’affût, une fois son plan d'action décidé, il resta tapi en silence, observant ses futures victimes en salivant, s'imaginant déjà les rôtir un à un pour compenser sa semaine de disette.

Lorsqu'il s'élança vers le camp dans la nuit sans lune, Kurgoth avait déjà compris l'organisation de la patrouille et s'arrangea pour la contourner. Arrivant au niveau des pieux, il se mit à ralentir ses mouvements, tentant de faire le moins de bruit possible malgré sa délicatesse toute relative. Il parvint sans encombre à se faufiler entre les éperons de bois, en déchaussant même un pour que son retour dans la forêt soit plus aisé. Il se trouva alors confronté à la partie la plus délicate de son plan, avancer parmi les tentes des soldats endormis sans se faire repérer. Si la tâche pouvait se révéler simple pour un agile voleur tout équipé de cuir, elle l'était nettement moins pour une grosse brute bardée de métal qui cliquetait à chacun de ses pas. Le chevalier marcha alors aussi lentement que possible afin de limiter les chocs entre les diverses pièces de son équipement. Après une bonne minute à se déplacer aussi rapidement d'une limace asthmatique, Kurgoth arriva au cœur du campement, dans le dos d'un soldat se reposant auprès du feu. Il empoigna alors à deux mains sa grande kitranche, prêt à décapiter le garde, lorsque d'un choc métallique dans son dos attira son attention. Le temps pour lui de se retourner, la pointe d'un katana fondit sur sa poitrine, bloquée non pas par une esquive ou une parade, mais par l'antre de Balmor, qui avait stoppé nette la lame, sans subit la moindre trace d'impact. Les deux ennemis observèrent un instant le coup misérablement échoué avant d'échanger un regard, terrifié pour l'un, carnassier pour l'autre.

"ALER-"

L'ynorien n'eut pas le temps de prononcer la dernière syllabe de son mot, que sa tête roulait tranchée au sol et que son sang sortait à gros bouillons de son cou. Le prêtre de Thimoros se retourna alors vers le centre du campement. Si des têtes fatiguées commençaient à émerger des toiles de tente, le soldat assis au coin du feu, lui, était dressé sur ses deux jambes, tenant fermement sa lance pointée vers l'intrus. Le jeune soldat, présomptueux, tenta d'empaler le garzok sur son arme, mais la pointe de cette dernière glissa sur l'armure de la peau verte. N'ayant jamais vu son arme déviée sans laisser la moindre trace sur une armure, le guerrier humain ne vit pas la grande kitranche qui s'abattait sur lui, traversant son équipement pour entailler profondément son bras. Kurgoth n'eut pas le temps de porter un second coup qu'il aurait espéré fatal, il était déjà cerné par une vingtaine d'hommes, certes sans armures, mais prêts à se jeter sur lui à l'unisson au prochain de ses mouvements. Alors que le barbare tentait d'imaginer comment il pourrait se sortir de cette situation apparemment désespérée, un boiteux traversa les rangs ynoriens pour se figer en le voyant.

"Qu'est-ce qui... Toi ? Par Rana, comment oses-tu revenir me tourmenter ?"

Si l'individu sembla reconnaître mon maître, ce ne fut pas réciproque. Son visage me parut cependant familier, aussi fis-je de mon mieux pour m'en souvenir.

(Cesse donc de le regarder avec ces yeux de merlan frit, sa trogne me dit quelque chose... Bon sang ! Ce ne serait pas le sergent que tu as abandonné avec la jambe coincée sous un arbre en flammes lorsque je t'ai aidé à t'échapper ?!)

J'en étais sûre à présent, et Kurgoth également. Il s'agissait bien de ce vicieux sergent qui prévoyait de tuer Kurgoth, malgré sa missive, lors de son voyage vers Bouhen. Le garzok se fendit d'ailleurs d'un sourire carnassier à l'adresse du sous-officier.

"Sergent "Tana-je-sais-pas-quoi", on dirait que je t'ai sous-estimé. Je ne pensais pas votre race faible au point de garder les estropiés dans l'armée."

Ces mots firent enrager le boiteux qui dégaina sa kikoup pour la coller sous le menton du barbare. Celui-ci voulut se reculer, mais les multiples armes qui l'entouraient se rapprochèrent, lui interdisant tout mouvement.

"Tu fais moins le malin maintenant, la bête, hein ? Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer dans l'instant pour assouvir ma vengeance tant méritée !"

Kurgoth sentit une goutte de sang perler sur sa gorge au contact de la lame froide, puis lentement couler jusque sous son armure. Après un instant de réflexion, il déglutit puis déclara avec le peu d'assurance qui lui restait dans cette situation :

"J'ai des informations... Sur le monde des étrangers et... Sur ce que la reine noire en a ramené..."

Des murmures se répandirent alors dans les rangs humains, alors que Tanahashi fixait furieusement son prisonnier pour deviner s'il disait bien la vérité. Surprise par son apparente volonté à divulguer les secrets de l'empire, je ne pus m’empêcher de questionner mentalement le serviteur de Thimoros, cela me semblait aux antipodes du comportement qu'il avait eu jusqu'à présent. Il me rassura cependant en me répliquant, sans ouvrir la bouche, qu'il souhaitait uniquement gagner du temps afin de se tirer de ce mauvais pas. Sa tentative se couronna de succès, en effet, le boiteux rangea son arme en fulminant et ordonna d'un ton sec :

"Attachez-le et levez le camp ! On le ramène à Oranan. Assurez-vous aussi d'avoir toujours au moins deux soldats le surveillant en permanence !"

S'il venait de sauver sa vie, Kurgoth venait de perdre sa liberté. Totalement cerné, il n'eut d'autre choix que lâcher son arme et jeter son équipement à ses pieds pendant que les humains apportaient des cordes destinées à le saucissonner.
1398mots

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Endar
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Endar » mer. 25 sept. 2019 23:25

Le craquement sinistre de brindilles le fit se retourner. Trois miliciens ynoriens le suivaient à bonne distance, tous équipés d'un katana ou d'une épée courte. Endar souffle du nez et reprend son chemin, il a d'autres choses à faire que de s'occuper de trois minables miliciens. Les craquements s'intensifiaient à mesure qu'il s'enfonçait dans la forêt, il dut vite se rendre compte qu'ils allaient poursuivre leur petit jeu pendant un long moment et la patience n'était guère son fort. Le bruit de pas fit place à des bruits de course. Il avisa à sa gauche l'un des miliciens et put l'identifier plus aisément alors que celui-ci n'était qu'à une trentaine de mètres de lui. Brun, la vingtaine, un faciès encore enfantin et rendu difforme par un nez aplati et des yeux bridés. Son visage était grossier tout comme son armure de cuir qui ne le protégerait nullement contre son ennemi. Confiant, le milicien dégaina son épée, mais ne fonça pas vers lui, ce qui était troublant. Au contraire, il semblait le diriger vers une destination bien précise.

Les deux autres miliciens, du même âge que le premier quasiment, étaient pourvus des mêmes équipements de basse facture. Il ne s'agissait clairement pas de haut-gradés, d'une part parce que ces derniers étaient mieux équipés et d'autre part, ils ne joueraient pas ainsi avec leur "proie", l'expérience aidant à déterminer quand il fallait frapper son adversaire. L'un des deux miliciens était aussi maigre qu'un clou et il nageait carrément dans ses protections. L'autre, tout aussi brun que les deux autres, avait un oeil tuméfié, peut-être à cause d'une bagarre en taverne.

Endar ne les prenait nullement au sérieux. Est-ce que le Sauveur d'Aliaénon pouvait être tué par de simples gamins armés de cure-dents ? Bien sûr que non, toutefois il joua le jeu et tout en surveillant un potentiel piège mis récemment sous le couvert d'un tapis de feuilles rougeâtres. Il souleva exagérément les pieds pour éviter de trébucher sur l'une des nombreuses racines de chênes et d'hêtres qui peuplaient cette forêt. De plus en plus, les racines se faisaient plus présentes et étaient particulièrement visibles, peut-être y avait-il un cours d'eau non loin d'ici ou l'eau de pluie stagnait-elle particulièrement à cet endroit pour expliquer que les racines n'avaient pas besoin d'être profondément dans le sol meuble. Le choix du lieu s'avérait être une mauvaise stratégie pour des combattants au corps-à-corps avec autant de racines capables de faire tomber le plus aguerri des guerriers. C'est alors qu'il vit, accroché à une branche d'un hêtre, un individu à la peau verte, malingre et petit. Ses yeux globuleux et sa fine dentition ne pouvaient faire dire à n'importe quel observateur qu'il s'agissait d'un sekteg.

- Alors toi aussi tu t'es fait avoir par ces gosses ? Cela me rassure quant au fait que les shaakts sont des idiots.

- Silence vermine ! Et toi le shaakt, tu vas te laisser faire ou on t'égorge, menaça le rachitique

Avant qu'il n'ait eu le temps de rajouter d'autres choses, Endar avait déjà dégainé son arc, encoché une flèche et s'était retourné vers ses délicieuses proies. Terrifiés par ce qui devait être leur premier combat, ils hésitèrent. Grave erreur que cela était. La flèche acérée transperça la tranchée du rachitique milicien. La seconde erreur que les deux survivants commirent étaient de se jeter par la suite sur lui. Les tireurs d'élite étaient sans doute affectés par le rapprochement de leur cible, ceux-ci étant confortables uniquement lorsqu'ils tiraient de loin voire très loin, mais Endar n'en était pas un et sa formation militaire à Khonfas l'avait entraîné à tirer de près. La flèche perça le front de celui à l'oeil tuméfié, faisant choir violemment son corps inerte contre la cime d'un arbre, un corolle sanglant s'éparpillant sous lui. le dernier eut la bonne idée de chuter en tentant de lui asséner un coup qui ne fit que ricocher contre son armure de plate. Tombant lourdement au sol, sa lame vola vers un paquet de feuilles un peu plus loin. Conscient du danger, il rampa vers celle-ci mais la main du shaakt tira sur ses cheveux avant qu'il ne l'atteigne. Endar, rangeant son arc et sortant son épée, l'égorgea purement et simplement sans le moindre état d'âme. Leur mort était insignifiante pour lui.

Alors qu'il essuya sa lame sur les habits de sa victime, le sekteg s'agita, grognant et suppliant qu'il le libère. Soupirant, bon gré mal gré, le champion de Thimoros le libéra, coupant la corde qui le maintenait la tête dans le vide. La peau verte chut, se plaignant de l'atterrissage et finit par regarder son "sauveur" avec appréhension.

- Merci et navré d'avoir insulté ton peuple, je vais y aller maintenant !

Endar doucha vite son empressement en le saisissant fermement par une épaule et le plaquant contre la cime de l'arbre. Celui-ci jappa, montrant ses dents, puis abandonna la lutte.

- Tu vas me dire pourquoi tu es là en premier lieu et en dernier lieu, tu vas avoir l'immense privilège de me guider correctement vers Caix Imoros.

Le sekteg hésita un instant, de longues secondes d'hésitation forts inutiles par ailleurs, et déclara, bravache:

- Ah, ah, ah... Si ce n'est pas Sire Endar de Khonfas, le fameux Sauveur et traître ! Sartrag peut te renseigner et te guider si tu y mets le prix.

La réponse était aussi rapide qu'automatique. La lame se trouva sous le menton de la peau verte qui glapissait à la vue de l'épée. Il s'empressa de lui répondre.

- Sartrag est soudainement d'humeur généreuse... Gratuit pour toi... Une guerre approche, Sartrag a vu un campement oaxcien près des Bois Sombres. Ils recrutent des soldats. Pour aller à Caix, je... je peux te guider.

Réfléchissant aux implications d'un nouveau conflit éclatant sur Nirtim, il songea qu'il pourra enfin satisfaire pleinement son Dieu en se proposant d'aider le camp d'Oaxaca. Ce n'était pas sans risque, mais s'ils n'étaient pas tous aussi stupides et pleutres que ce sekteg, ils verraient l'utilité de l'avoir dans leur armée. Endar retira la lame qui menaçait son nouveau guide et la remit dans son fourreau.

- Très bien... Guide moi là-bas et je ne te tuerai pas, trompe moi et tu souhaiteras la mort. Le voyage est long, tu pourras me dire comment des gamins ont réussi à te capturer.

Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » ven. 27 sept. 2019 21:40

Il y a un mois de trajet à pied entre Kendra Kâr et Luminion : un mois de voyage et de paix retrouvée, un mois à contempler les champs et leurs étendues d'or, de lumière ou de verdure, le lac d'Hynim, les monts et les cieux qui s'y reflètent, le fleuve Kenaris et les torrents qui l'alimentent, la Sylve des premiers âges et les ombres à mystères qui enlacent chacun de ses arbres, le massif des Jumeaux et l'éternelle splendeur de ces roches qui s'élèvent et qui s'imposent au monde. À côté, Kendra Kâr est toute plate, et cette impression est tristement accentuée par la mer immense qui s'étale en face : tout le contraire de ces impressionnants reliefs. Ces impressions de grandiose et d'inaltérable avaient manqué à Shirel.

Il n'avait guère progressé rapidement. La dernière fois, il était passé en sens inverse et n'avait pas eu le loisir de considérer les paysages qui s'offraient pourtant à lui : il fallait arriver au Temple de Kendra Kâr suffisamment tôt, avant le début de la nouvelle année d'enseignements ; et puis, l'anxiété, le trac, la solitude et les remords – l'inquiétude torve d'avoir pris la mauvaise décision en s'engageant sur une voie qui, pour de nombreuses années, l'éloignerait de sa famille, peut-être même pour toujours ? - ces facteurs d'angoisse avaient davantage rythmé son quotidien que le paisible recueillement devant les formes et les couleurs que prenait la terre. Mais il semblait que l'élévation spirituelle de l'âme, objectif de l'enseignement des prêtres de Gaïa, permettait enfin aux yeux de profiter des choses basses, de ce que la lumière de la Déesse-reine illuminait de sa lumière.

Au bout du chemin, il avait suivi le chemin vers une clarté encore plus vive : mais un éclat dans l'obscurité peut souvent être trompeur. Contrairement à ses attentes, les retrouvailles avec sa mère furent tristes. Ils étaient tous deux ravis de se revoir : mais cela faisait cinq longues années qu'il avait disparu pour cette ville lointaine et fantasmée, Kendra Kâr ; entre temps, trois de ses sœurs s'étaient mariées, l'un de ses frères était tombé au combat lors d'une escarmouche avec des troupes d'Oaxaca, il avait changé, et elle avait vieilli. Il n'avait pourtant pas montré sa peine de la voir si ridée, presque laide, mais les embrassades étaient proches de la pure politesse. Les nouvelles lui furent communiquées – on ne savait pas écrire, donc il n'avait pas pu être mis au courant avant – puis une gêne s'installa. Après tout, il était devenu comme un étranger pour eux, et eux pour lui : ils reconnaissaient chacun en l'autre des traits qu'ils avaient connu, mais tous avaient mûri, pour le meilleur et pour le pire. L'intimité du champ familial avait été brisée, par le temps qui efface la complicité et ruine les plus beaux édifices ; du reste, il était à présent si bien éduqué, comparé à eux, que même leurs niveaux de langage décalés introduisaient une distance, sans compter le grimoire qu'il promenait avec lui et ses bottes de cuir qui, bien qu'un peu miteuses, semblaient ici celles d'un prince.

On lui offrit néanmoins le dîner, un dîner sobre et aux discussions effacées, puis il annonça qu'il avait des tâches à remplir auprès du duché de Luminion, et qu'il ignorait s'il aurait beaucoup de temps dans les prochaines semaines pour rester avec eux. Cela introduisit un soulagement net. Il partit l'esprit heureux, sans véritablement se rendre compte de ce que tout cela signifiait ; mais au moins, il leur avait rendu visite, et tous s'étaient à nouveau quittés le sourire aux lèvres. Il préférait ne pas trop penser à sa solitude : après tout, il avait une mission, ou plutôt il en aurait bientôt une, et cela ne lui laissait pas le temps pour ce genre de réflexions. Cette parade était sans doute excellente : d'ailleurs elle fonctionna. Toute la misère de cette famille de laquelle il avait été arrachée et qui, par une ironie propre à la vie qui continue sans sourciller, ne semble pas tellement affectée par l'absence prolongée de l'un des siens, mais s'en accommode curieusement, toute cette misère n'avait pas la possibilité de se muer en douleur et restait, heureusement, loin de toutes ses préoccupations.

Il s'était donc ensuite rendu à l'Académie militaire, où il trouva un officier capable de le rediriger. Il expliqua être envoyé par le Temple de Gaïa à Kendra Kâr, pour aider comme il pourrait. L'officier avait beau chercher, demander autour de lui, personne ne se souvenait avoir demandé quoi que ce soit au Temple de Kendra Kâr, ni d'avoir reçu la moindre annonce qu'un acolyte du Temple viendrait : mais cela ne faisait rien, et l'on avait besoin de tous les bras, ou plutôt de toutes les jambes disponibles. Bien qu'un peu confus par la tournure prise des événements, lui qui avait reçu suffisamment de cadeaux à son départ pour penser à une mission parfaitement cadrée, à un séjour dans un temple de province, ou une expédition de missionnaire, Shirel n'eut pas le temps de s'inquiéter trop : la tâche était très simple. L'officier, partant sans doute du principe qu'un individu se pointant pour les aider devait connaître un peu la situation actuelle, négligea bien des détails et omit moult précisions, qui rendirent l'intitulé de la mission plutôt édulcoré. Cela ressemblait à une vaste promenade. Il y avait peut-être des ennuis à Oranan, parce que la République partageait une large frontière avec l'Omyrhie : de ce fait, l'armée de Luminion avait besoin du concours de valereux – l'officier vérifia son papier – acolytes du Temple de Gaïa à Kendra Kâr pour servir d'éclaireurs ou de messagers sur place et avec le duché ; après un regard rapide sur le physique de sa nouvelle recrue, l'officier décréta qu'il serait très bien en messager. Shirel crut bon de mentionner alors qu'il savait lire et écrire : c'était parfait, car on pourrait même lui dicter des lettres ou lui demander de les lire à des soldats qui n'en seraient pas capables.

C'était le temps de partir ! Enfin, c'est ce qu'on lui fit comprendre en le dirigeant vers la sortie. Il y avait d'autres affaires à régler et l'officier n'avait pas le temps : il demanda si Shirel avait des questions, Shirel bafouilla, et l'officier repartit, lui intimant de prendre aussitôt la route.

Il avait raison. Il y avait encore un mois de voyage à pied jusqu'à Oranan. On accepta de lui fournir gracieusement des vivres pour quelques jours à l'Académie, ainsi qu'un plan sommaire griffonné sur un papier afin de lui indiquer la route à suivre et les refuges ou auberges qu'il trouverait sur la route. L'officier lui ayant remis un papier officiel afin de se faire reconnaître des troupes d'Oranan comme un allié, il pourrait certainement manger à l'œil sur tout le trajet : ce qu'il fit. Ses portions étaient plus petites que celles des clients réguliers, mais cela lui convenait.

Il tentait tant bien que mal d'oublier qu'il se mettait à s'éloigner de sa patrie, de son chez-lui, de sa vieille maison d'enfance, en observant les couchers de soleil dans les montagnes qui cerclaient le duché. Mais il y avait quelque chose de confus dans tous ses raisonnements. Jusqu'ici, les choses avaient été claires : il s'agissait d'un congé et il pourrait, le temps d'une courte mission à Luminion, vivre quelque temps avec sa famille. Mais il ne désirait guère plus passer tant de temps avec eux ; la chose était réelle bien qu'inavouable et il ne l'admettait même pas pour lui-même. Sa conscience se satisfaisait de croire que les retrouvailles suivantes seraient meilleures ; sa raison l'assaillait et il ne pouvait observer les forêts de conifères sur les pentes du massif des Jumeaux sans un pincement au cœur. L'avenir lui semblait incertain. La nuit tombait vite et le jour venait tard dans les vallées : il passait du temps à rester allongé, priant Gaïa en observant les poutres du plafond dans le refuge trouvé. Il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire que de s'en remettre à la déesse blanche.

Enfin en descendant le flanc de la longue chaîne au centre de Nirtim, on aperçut le lac de Nostyla au loin. La voie principale ne s'en approchait pas davantage ensuite : elle continuait, comme évitant les abords pourtant sublimes de cette étendue si vaste que Shirel l'avait d'abord confondue avec l'océan au bord d'Oranan. Et après quelques jours de marche, il quitta la voie principale pour se diriger, selon une voie moins aménagée, vers la forêt d'Ynorie, jusqu'à trouver, à la lisière de celle-ci, un campement militaire. Il présenta aux sentinelles le papier de l'officier, qui avait bien souffert du voyage, puis attendit, observant autour de lui avec les yeux grands ouverts d'un enfant qui découvre. Il fallait reconnaître qu'il observait en particulier, sans chercher à trop se faire remarquer lui non plus, la pigmentation particulière des Ynoriens, et leurs yeux bridés. Il y en avait naturellement quelques uns à Kendra Kâr, mais il en était ici entouré, et cela lui faisait tout drôle.
Cela avait un autre avantage : ça l'empêchait naturellement de remarquer l'agitation inhabituelle au sein du camp. Quelque chose se tramait : mais Shirel, évidemment, ne se doutait de rien.

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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 28 sept. 2019 10:47

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

I.II

Le jeune Shirel arriva donc en bordure d’un campement avancé de l’armée Ynorienne. Il put remarquer qu’il y en avait plusieurs, à une lieue d’écart à chaque fois, sur toute la lisière sud de la Forêt d’Ynorie. Chaque poste était mineur, doté d’une vingaine de soldats maximum. C’étaient des postes de gardes, avancés, plus que de véritables campements militaires. L’agitation qu’il avait perçue se marquait surtout sur les traits des hommes présents. Tirés, stressés, empreints de fatigue et de nervosité. Ils ouvraient pourtant seulement à leurs tâches quotidiennes : gestion du campement, garde… mais c’était bien morose. Pas de jeux, pas de rires ou de boissons. Quelque chose se tramait, c’était certain… Mais quoi ?

À son approche, un homme se dressa, sans doute l’officier du camp, qui vint à sa rencontre.

Image

C’était un homme à l’âge peu identifiable, car son visage était caché par son casque ynorien. Son armure était d’ailleurs toute ynorienne, et il tenait à la main un sabre typique d’Oranan. Shirel ne pouvait pas se tromper. D’une voix sèche, mais pas malveillante, le guerrier apostropha le jeune guérisseur :

« Halte-là. Déclinez identité et raison de votre présence ici. Nous n’autorisons personne à franchir cette limite sans connaître ses intentions. »

[HJ : ouverture d’un aparté automatique, à gérer par MP sur Discord.]
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Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » dim. 29 sept. 2019 19:15

Shirel observait donc les soldats s'affairer, constatant leur terne humeur. Était-ce habituel dans l'armée, ou cela provenait-il d'un événement récent ? Il ne remarqua pas l'absence de jeux ou d'apostrophes amicales entre eux : c'était peut-être la première fois qu'il pénétrait autant dans un réel camp militaire. Certes, une bonne partie de sa famille avait intégré l'armée de Luminion : mais il ne les fréquentait guère qu'en famille, où ils étaient naturellement plus détendus, et rarement en uniforme : pour autant, ceux-ci étaient souvent plus droits, très à cheval sur le respect et l'ordre – alors même qu'ils n'étaient pas à leur poste. Si bien qu'il concevait à propos de l'armée quelques idées préjugées, dont une rigueur absolue et le refus des distractions qui pourraient les écarter de leurs tâches.

Mais même le plus parfait des idiots le ressent lorsqu'un orage couve et que s'assombrit dangereusement le jour. Shirel, malgré toute sa naïveté, était donc un peu mal à l'aise, à l'orée de ce camp, à y sentir une forme de tension cachée, sans parvenir toutefois à déterminer si celle-ci provenait des soldats ou de sa propre incapacité à se mêler un jour à eux.

Par timidité, il n'avait que peu avancé, pénétrant d'abord dans le camp par des regards ronds et curieux sur tout ce qui se présentait à lui, tel un enfant qui croise un prince pour la première fois : et il constata rapidement qu'un homme au visage masqué et à l'allure martiale se dirigeait vers lui. Il portait une armure décorée et typiquement ynorienne qui apparaissait exotique à Shirel : son sabre, qu'il ignorait être un katana, était peut-être l'arme d'un grand seigneur, tandis que son casque ailé faisait de lui un songe venu à la vie. Sans animosité, mais avec la rigueur habituelle des soldats, il demanda au jeune homme de donner les raisons de sa venue : celui-ci rougit un peu, tenta de se redresser, sans parvenir à réduire la domination corporelle de son interlocuteur, puis ouvrit la bouche pour bafouiller :

« Je... euh, viens, pour Luminion, comme, euh, messager, je crois... Pour aider, et puis revenir, à Luminion, faire un rapport, parce que, je sais, euh, guérir, et... »

Il se rendait compte que son discours était complètement décousu et que le regard de l'officier se fronçait sous son casque, ce qui l'impressionna suffisamment pour qu'il se taise et sorte rapidement d'entre deux pages de son grimoire le papier officiel qu'on lui avait remis à l'Académie militaire pour sa mission. Celui-ci était naturellement très froissé après un si long voyage : ne possédant pas d'étui adapté, Shirel l'avait longtemps laissé dans son sac, avant de s'apercevoir de l'état pitoyable dans lequel le morceau de papier avait sombré. Il était strié de petites déchirures, l'encre s'était un peu effacée par endroits, et l'humidité lui avait donné une couleur délavée ailleurs. Il avait finalement pensé à l'astuce de le coincer entre deux pages du livre qu'on lui avait offert, ce qui lui servait un peu de marque-page lors de ses relectures – car un livre aussi modeste ne pouvait pas l'occuper décemment pendant deux longs mois – et le document avait été, depuis ce jour, à peu près préservé, ce qui ne l'empêchait pas d'être dans un piteux état.

L'officier saisit le manuscrit et le lit quelques instants avant de grimacer et de critiquer vertement le Royaume Kendran qui, visiblement, ne lui envoyait pas l'aide dont il aurait vraiment eu besoin. Le rôle de Shirel, de simple messager, ne l'enchantait guère, puisqu'il s'agissait d'un rôle de “planqué”. Il était vrai que l'un de ses frères aurait été bien plus adapté pour une aide concrète... Et le physique du guérisseur ne prêtait pas trop à une estime particulière dans un environnement aussi martial. Il lui intima finalement de s'installer quelque part, sans lui accorder le moindre statut particulier, et lui ordonna d'aller ensuite aider aux tâches du camp.

Shirel, vivement intimidé par les termes durs et l'autorité naturelle que dégageait le gradé, n'osa répondre un mot et, les joues nettement rosies, se dirigea regard baissé vers une tente au hasard pour tenter de s'y installer. Mais il songea qu'il n'avait pas de couchette pour se faire un petit chez-soi, et qu'il risquait peut-être de déranger ceux qui s'y trouvaient : il n'entra donc pas et erra un moment avant de repérer un soldat à l'air plutôt avenant – ce qui était un fait très subjectif mais suffisant pour décider Shirel à l'aborder.

« Excusez-moi... est-ce que vous savez s'il y a... une intendance ? »

Shirel avait l'air visiblement perdu et offrait au soldat un regard implorant. Celui-ci parut intrigué par ce nouvel arrivant et, après l'avoir considéré quelques instants, lui expliqua que tout le monde pouvait s'occuper de cela sans besoin d'organisme central pour fournir le matériel, avant de lui demander ce dont il avait besoin.

« Euh... d'une couchette ? Je dois m'installer... mais je ne sais pas trop où. »

Il n'était pas un véritable soldat, l'officier l'avait souligné : de ce fait, Shirel ignorait où était sa place. Le camp n'était certes pas grand, mais suffisamment pour que le jeune homme puisse hésiter entre les différentes tentes et craindre de déranger ou d'outrepasser ses droits en dérangeant un colonel ou de vrais guerriers. Sa timidité dut paraître comique au soldat, qui lui sourit, mais lui indiqua sans mépris sa propre tente, dans laquelle Shirel pourrait s'installer, avant de lui désigner une charrette où il devrait trouver ce qu'il cherchait. En suivant son doigt, le guérisseur remarqua la présence d'un chariot militaire en bordure du camp, qui semblait avoir été placé là comme pour éviter d'avoir à dresser une véritable barricade. Il était visible que le camp n'était pas permanent, les tentes étant sans doute réservées à un usage de mobilité, mais il était désormais clair que le temps leur avait manqué pour ériger de vraies défenses.

Shirel ramena néanmoins son regard vers le soldat, plein de reconnaissance, l'agrémentant d'un sourire sincère et un brin candide. Il s'empressa de gagner la charrette et, en farfouillant un peu dedans, finit par dégotter un vieux sac à paille un peu déchiré par endroits ainsi qu'une couverture légère, qu'il ramena rapidement vers la tente qu'on lui avait indiqué avant de se poser dans un coin. Ce n'était pas grand-chose : juste un petit endroit pour dormir et un point à peu près fixe où il pourrait se poser. Ces manœuvres n'avaient duré que quelques minutes sous l'œil amusé du soldat : une fois son installation terminée, Shirel revint le remercier proprement :

« Merci beaucoup... Je m'appelle Shirel Bénévent... et vous ? »

Le soldat hocha de la tête et se présenta comme Kano, un simple soldat, avant de le reprendre sur le vouvoiement, lui proposant qu'ils se tutoient. C'était une idée agréable qui le flattait assurément : Shirel ne s'était pas imaginé réussir à s'intégrer aussi rapidement auprès d'un vrai combattant. Mais Kano ne montrait aucun signe de mépris pour le physique chétif de cette bleusaille.

« D'ailleurs, qu'est-ce qu'un gars comme toi vient faire ici ?
- Je viens de Luminion... commença à répondre Shirel, avant de se reprendre : Enfin... j'étais à Kendra Kâr... et ils m'ont envoyé à Luminion... puis à Luminion on m'a dit de venir ici. Je crois que je dois servir de messager. »

Alors qu'il donnait les éléments de réponse à Kano, il se rendait lui-même compte qu'il s'était engagé dans une aventure de laquelle il ne savait pas grand-chose. De déconvenue en déconvenue, il se retrouvait à présent soldat, ou à peu près : lui qui avait quitté avec entrain la capitale deux mois plus tôt, heureux de pouvoir interrompre pour une courte vacance ses études et revoir sa famille, se trouvait à présent embarrassé et aurait mille fois préféré être tranquillement au Temple, à Kendra Kâr. Même la mission qu'on lui avait confiée semblait risible : servir de messager... était-ce vraiment une tâche pour un acolyte du Temple de Gaïa ? Il haussa finalement des épaules, les yeux baissés :

« Je ne sais plus trop ce que je suis censé faire, à vrai dire. »

Mais il pensa à son professeur, au Temple qui l'avait envoyé ici. Curieusement, aucun doute ne le tracassait à ce propos : si les prêtres avaient pensé bon de le dépêcher pour aider l'Ynorie, c'est sans doute que ses compétences de guérisseur, ou d'autres choses, seraient utiles. Il vivait dans le songe heureux d'un être convaincu que sa hiérarchie ne lui veut que du bien, ce qui était peut-être vrai, et que tout ce qui arrivait en lien avec le Temple de Gaïa avait pour objectif le bonheur et la félicité des êtres vivants dans leur ensemble, ce qui l'était sensiblement moins. Il releva finalement un sourire vers Kano, concluant :

« Mais je peux essayer d'aider. Je pourrais aider à la cuisine, ou à recoudre des vêtements, ou pour laver les affaires... j'ai l'habitude. Et puis j'ai appris à soigner, un peu. »

Il avait l'air tout fier de ces compétences qu'il présentait, et semblait attendre du soldat une forme d'assentiment de leur utilité, le regard empli d'espoir. Certes, il ne servirait à rien au combat, et espérait qu'on l'en tiendrait éloigné ; mais à part cela, il espérait faire en sorte que sa présence ne soit pas une gêne pour les autres. Il n'avait pas de grandes prétentions en venant ici, sinon de n'être pas trop humilié. Et Kano, effectivement, reconnut ces atouts comme profitables pour le camp, espérant toutefois qu'ils n'auraient pas besoin d'employer ses talents de guérisseurs. Il glissa qu'il y avait un danger potentiel dans la forêt, sur lequel les capitaines étaient évidemment bien mieux informés que lui, et que leur objectif était d'empêcher un raid Garzok sur l'intérieur des terres, ce que Shirel écoutait en écarquillant les yeux. Des Garzoks ? C'était bien quelque chose dont il avait déjà entendu parler, mais jamais vu. La présence de camps à l'orée de la forêt était dès lors compréhensible, pour empêcher les troupes d'Oaxaca d'attaquer la République. Il était vrai que ces soucis, bien que présents, étaient nettement plus lointains à Kendra Kâr... Les Garzoks, pour lui, n'étaient qu'une sorte de cauchemar lointain, bien que plus prégnants à Luminion – mais Luminion ne partageait pas une si grande frontière avec l'Omyrhie et les passes dans les montagnes étaient soigneusement contrôlées. Cependant, le rôle de “messager” de Shirel semblait intriguer Kano qui lui demanda s'il avait donc un message à transmettre : cela embarrassa le guérisseur, qui répondit à nouveau en bafouillant :

« Eh bien... pas vraiment... je dois transmettre des messages, si on m'en donne... mais pour l'instant je n'en ai pas. Donc j'aide pour d'autres choses... »

Il espérait que cette justification passerait : pour éviter d'avoir à en parler davantage, il revint aussitôt sur le sujet précédent, qui du reste l'intéressait au plus haut point : entre ces armures ynoriennes, ces paysages changés et la présence proche de Garzoks, il lui semblait qu'il avait été projeté au centre d'un conte.

« Mais ici, en Ynorie, vous avez fréquemment des Garzoks qui viennent dans la forêt ? »

Le soldat aurait pu lui raconter à peu près n'importe quoi, Shirel l'aurait cru. Il était vrai que l'esprit critique n'était pas forcément ce qu'on développait le plus à fréquenter un Temple : d'autres valeurs étaient souvent plus recommandées et valorisées. La crédulité en particulier était de bon ton lorsqu'on écoutait un prêtre parler, et Shirel avait tout ce qu'il fallait pour plaire à ses professeurs. Ceux-ci l'avaient laissé, sans doute volontairement, dans un état mental proche de l'enfance : malgré de vastes connaissances sur Gaïa et son culte, ainsi que d'autres sujets de culture générale, il restait aisément impressionnable et d'une naïveté aussi touchante que pathétique.

Mais Kano répondit honnêtement. Sa réponse avait le ton d'une histoire pour enfants qui fait peur, ce qui captivait Shirel, incapable de s'imaginer les pillages décrits autrement qu'avec de grands éclats et des associations bizarres. Les Garzoks mêmes, dans son esprit, ressemblaient à de gros monstres, avec des dents crochues, le croisement d'un loup, d'un dragon, d'un porc et d'un serpent... Parfois plutôt l'un, parfois plutôt l'autre : ce n'était pas une image fixe, au contraire, c'était un monstre qui rôde dans les ténèbres et qu'on n'entrevoit jamais qu'à moitié. Dans tous les cas, ces images ne portaient rien d'humain : Shirel était tout simplement incapable de concevoir des êtres qu'on lui avait décrit comme aussi affreux affublés d'une silhouette humanoïde. Par candeur, il croyait encore qu'un être immoral se devait d'être laid, et que l'apparence reflétait le caractère intérieur des êtres. N'était-ce pas ce que les contes enseignaient aux enfants ?

Kano continua en pointant les dirigeants oranais, qui refusaient une offensive majeure contre Omyre, restant sur la défensive, ce qui avait conduit il y avait quelques mois de cela au siège de la capitale, heureusement repoussé ; pour autant, il ne semblait guère confiant quant à la capacité de l'armée à repousser une seconde invasion. Tout cela paraissait curieux à Shirel. Généralement, les gentils gagnait. Comment se pouvait-il que les braves soldats d'Oranan ne soient pas capables de repousser les terrifiants envahisseurs ? Il était tout de même impossible que les monstres l'emportent. Cherchant une faille pour déclarer finalement le bon camp vainqueur, il finit par suggérer :

« Mais ils n'ont pas des pertes eux aussi, à force ? »

Kano haussa des épaules et reconnut que oui, mais expliqua que les Garzoks se reproduisaient comme des rats. Des rats : c'était encore un animal que Shirel ajouta à sa collection pour représenter le physique des Garzoks. Mais cette vermine se répandait donc bien vite et risquait de l'emporter sous peu... Il sentit vaguement qu'il n'était pas au bon endroit. Ce n'était pas une place pour un élève du Temple de Gaïa. Au fond de son âme flottait l'idée confuse de la mort : incapable de se la représenter, il ne la formulait pas tout à fait, et elle restait à l'état de terreur couvée, comme un foulard sombre agité par le vent.

« Merci pour tes explications, conclut-il. On ne m'avait... pas tellement prévenu de la situation. »

Doux euphémisme. Un espoir vacillant subsistait quelque part, celui que le héros du conte paraisse et repousse vaillamment les affreux Garzoks qui se cachaient dans les bois. Mais pour l'heure, ce héros n'était pas encore arrivé. Il s'efforça de sourire à ce nouvel ami, d'un de ces sourires douloureux qui ne sont que des masques ou des habitudes.

« Est-ce que tu pourrais me dire où se trouve la cuisine ? »

Kano lui désigna le feu de camp central et indiqua qu'ils auraient là-bas besoin de toute l'aide disponible. Shirel le remercia une dernière fois et, lui adressant un signe de la main, se rendit à l'endroit indiqué pour offrir ses services. Il y avait ici tout le nécessaire pour produire à manger pour la garnison du camp : mais le maître-queux, un Ynorien bedonnant qui courait un peu partout en donnant des ordres rapides à ses rares commis, semblait visiblement débordé. C'était visiblement un soldat, mais en tenue plus légère, puisqu'il avait délaissé le haut de son armure pour un simple tablier. Une fois que Shirel se fut proposé, il lui désigna quelques tâches à effectuer. Aucune n'était très difficile et Shirel se mit aussitôt au travail, essayant d'être aussi efficace que possible afin de gagner honnêtement sa pitance.

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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 5 oct. 2019 13:06

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

II.II
Shirel :

Le soir tombait sur les plaines bordant la forêt d’Ynorie. Un soir automnal, un peu frais, un peu humide, bien que la pluie ne soit pas de la partie. Pour l’instant en tout cas, car le ciel couvert laissait présager de possibles averses nocturnes. Le camp était paisible, le repas rassemblait la grosse vingtaine de soldats du camp, ne laissant que quelques guetteurs pour monter la garde, tournés vers la sombre forêt. Ça discutait, de-ci, de-là, sans que l’ambiance ne soit réellement à la fête ou à la plaisanterie. Les mines étaient graves. Quelques discussions plus légères naissaient parfois entre plusieurs, mais sans parvenir à détendre l’ensemble. Le cuistot avait réquisitionné Shirel pour l’aider à la distribution de la pitance, si bien que le jeune kendran put voir passer devant lui tous les effectifs du capitaine austère qu’il avait rencontré plus tôt.

Kurgoth et Endar :

Le reste de la journée passa à la marche, plus lente qu’avec les troupes légère, plus pesante, au sein des bois. Les chasseurs les précédaient de loin, et s’étaient occupés de leur dégager la route. Le moindre éclaireur ynorien qui traînait là avait sans doute été fauché par ces derniers, ne leur laissant pas même le plaisir de baigner leurs armes dans du sang avant la bataille. Alors que le soir tombait, que les bois devenaient sombres, sous un ciel couvert d’automne, ils retrouvèrent les troupes légères, en place pour mener leur premier assaut. Plusieurs troupes étaient ainsi regroupées, formant une cohorte de près de trois-cent garzoks légers. Le commandant à la barbe ornée d’un crâne était là aussi, et beugla, comme à son habitude, à l’attention des troupes lourdes arrivant seulement, dont Endar et Kurgoth étaient :

« Aaah, vous voilà bande de limaces ! On a failli vous attendre. Mais on voulait pas vous priver du spectacle. Allez, planquez-vous bien, les gonzesses, nous on va récolter les honneurs de Thimoros. »

Sur ces dires, il se tourna vers ses troupes, alla au-devant d’elles, et d’un nouveau beuglement, sonna de sa bouche seule la charge, l’assaut. Il dirigeait ce premier assaut tout seul, mais aucun chasseur parmi les trois cent n’hésita une seconde à le suivre, rugissant à leur tour de rage, la rage du combat. Ils s’éloignèrent dans la plaine, jusqu’à n’être plus qu’à peine visible, nuage de terre soulevée, en direction de ce qui semblait être, pour ceux dotés d’une bonne vue, de camps avancés ynoriens. Plusieurs camps, sur un large périmètre. Bien plus large que l’assaut en question. Les jaunes étaient dispersés.

Lorsque le vacarme de la première charge fut passé, le commandant des troupes lourdes parla à son tour. On eut l’impression qu’il criait, mais sa voix rauque, étouffée, sableuse presque, stigmate d’une gorge souvent mise à mal, ne résonnait pas si fort que les gueuleries du précédent. Pourtant, tout le monde semblait l’écouter religieusement, comme si une aura de peur, ou de respect profond, posait une chape sur les troupes présentes.

« Fermez vos clapets, maintenant. Voilà le plan : ces gueulards vont titiller les camps des bouffeurs de riz pour faire croire à un raid. Leur but, c’est d’y rester, de se battre et de perdre, d’y laisser quelques vies, en échange de quelques-unes des leurs. Puis de se replier, singeant la retraite. Nous, on les attend là. Ces peaux-pâles rateront pas l’occasion de les poursuivre pour les achever, avec leur foutue fierté. Nous, on les attendra là. Dans le noir, sans un bruit. Et quand ils atteindront l’orée, notre piège se refermera sur eux, et vous pourrez baigner vos armes dans leur sang impie. Pour la déesse noire. »

Il avisa ses troupes, alors que sur les côtés de celles-ci, bardées d’armures lourdes, des ombres inquiétantes les cernaient, venues du fond des bois. Des bêtes, des fauves immenses aux traits imprécis, grognant et bavant d’impatience. Elles formèrent une large ligne autour de la troupe de combattants lourds, plus compacts, et bien plus nombreux que les chasseurs. Près de mille guerriers valeureux, sans compter les créatures de l’ombre, les servants de Karsinar. Nulle question ne vint des garzoks. Sans doute ne valait-il mieux pas en poser… Le silence tomba.

Au loin, dans la plaine, les bruits de l’assaut touchant au but, du fracas des armes, laissait ses macabres échos les atteindre.



Shirel :

Alors que le diner suivait son cours, l’un des guetteurs s’alerta soudain, criant d’une voix paniquée :

« Là… là… On est atta… »

Il ne put finir sa phrase : une flèche épaisse venait de lui transpercer la gorge avec force. Aussitôt, ce fut le branlebas de combat sur le campement. Tous les soldats délaissèrent brutalement leurs écuelles et s’armèrent pour la bataille impromptue : de fait, sur la plaine, en provenance de la forêt, les masses sombres d’attaquants se dessinaient. Le capitaine cria ses ordres, secs, sévères :

« Un raids ! Préparez-vous au combat, faites face ! Donnez l’alarme ! »

Aussitôt, Kano, visage bien connu de Shirel, s’en alla grimper sur un promontoire au centre du camp, sur lequel une vaste vasque remplie d’huile à brûler reposait. Il jeta dedans une torche allumée, qui enflamma l’huile. Shirel, de sa position, put voir les autres camps avancés alentours s’allumer de la même manière. Un système d’alarme : les alliés allaient débarquer des côtés… Mais il leur fallait tenir le temps qu’ils arrivent. Les deux-trois camps voisins étaient aussi attaqués, par un total de plus d’une centaine de garzoks. Des forces équivalentes à ce qui représentait les campements alentours, en somme… Ils seraient vite débordés, une fois les alliés arrivés.

Le maître-queux l’attrapa subitement par les épaules, lui criant :

« Reste pas là petit, ça va cogner dur ! »

Il le poussa violemment vers la tente de queuerie, pour qu’il aille se cacher, et s’arma lui-même d’un naginata, prêt à recevoir les assaillants… Et le choc ne tarda pas : les flèches des ennemis avaient déjà tué plusieurs des ynoriens du camp quand ces chasseurs garzoks, armurés de cuir pour assurer une certaine vélocité. Le choc fut rude, le sang gicla, d’un côté comme de l’autre. Pour la vingtaine d’ynoriens, ils étaient bien cinquante en face. La ligne de combat se forma, les duels commencèrent, à cheval sur ceux déjà tombés. Plus que quinze, du côté ynoriens, et bien plus nombreux en face…

La charge avait cependant amené dans le camp celui qui semblait diriger l’assaut, monté sur un sanglier de guerre énorme, le seul qui ait une monture d’ailleurs, dans cette charge. Il avait la tronche ignoble d’un garzok des pires cauchemars du blondinet. Et le cuistot lui faisait face, brandissant vers lui son arme ynorienne, alors que la peau-verte, lui, riait gutturalement, sûr de lui. Prêt à fondre sur le maître-queux avec toute la violence dont il semblait capable.
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[Shirel : 0,5 (vie de camp) + 0,5 (discussion avec Kano)]
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Endar
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Endar » dim. 6 oct. 2019 17:04

Les insultes plus ou moins cachées du chef des chasseurs lui donnait une folle envie de l'étêter, mais Endar se raisonna et songea que le temps n'était guère venu de lui faire payer sa vantardise. S'il voulait mourir pour Thimoros ou tout du moins pour l'image que le garzork s'en faisait, qu'il en soit ainsi. L'être ailé et cornu songea qu'il y avait mieux à faire que de se disputer avant le début de la bataille. Préserver ses forces pour la bataille à venir était une forme de sagesse qu'il n'avait pour l'instant jamais expérimentée, peut-être fallait-il tester de nouvelles choses désormais. Il ne pouvait plus se comporter comme autrefois, il n'était plus le shaakt obéissant bien sagement à sa reine, ni le héros d'Aliaénon qui défendait les peuples contre les armées d'Oaxaca ou les ambitions d'un dragon mauve et d'un faux dieu. Il était différent de tous et il cherchait encore désespérément sa nouvelle place sur Yuimen. Des mois entiers de doutes l'avaient envahi depuis leur échec sur Aliaénon, mais aujourd'hui il savait au moins ce qu'il allait faire : tuer autant d'ynoriens que possible et récupérer les réfugiés d'Aliaénon pour les aider à rentrer chez eux.

Les chasseurs se retirèrent, suivant leur chef, et servirent d'éclaireurs au coeur des Bois Sombres et de la forêt d'Ynorie. La forêt d'Ynorie, cette forêt où quelques mois auparavant, il avait croisé un sekteg capturé par trois crétins de la milice de la République d'Ynorie. Il était faible mais il restait utile à ses yeux, après tout c'était lui qui lui avait indiqué approximativement le campement des forces d'Oaxaca. En parlant des forces d'Oaxaca, les troupes lourdes étaient dirigées par un garzork encore plus laid que le précédent dont la peau sombre était couverte de cicatrices et le visage striée. Il ressemblait à un vieil orque qui avait connu de nombreuses batailles et il dirigeait d'une main fer dans un gain d'airain ses troupes au milieu de la sylve. Il avait l'intelligence contrairement au précédent d'être silencieux et de les accueillir sans devoir les mépriser ouvertement.

La marche était plus lente, non que les chasseurs marchaient rapidement selon lui, puisque son loup avait suivi sans problème le rythme malgré le poids de son cavalier, mais il imaginait que Kurgoth pourrait enfin se reposer et ne plus courir. Lors de cette longue marche, il passa en revue les troupes. Il devait bien avoir un milliers de garzorks armurés des pieds à la tête, munis de haches à deux mains, de kikoups, ces étranges épées fabriquées par leur peuple et quelques uns portaient une longue lance.

Leurs pas étaient lents, les pièces d'armures lourdes cliquetaient en rythme. Endar se déporta légèrement, chevauchant à leur droite, ne souhaitant guère troubler leur marche ou que son loup cogne contre l'un d'entre eux du fait de sa vitesse. Rien ne troublait le silence, tout du moins rien de naturel. Au cours de leur pérégrination, il remarqua des fois des traces carmines éclaboussant quelques rochers, les troncs de certains arbres. Les chasseurs avaient nettoyé la voie, leurs ennemis ne les attendraient pas de sitôt. C'était une bonne chose s'ils souhaitaient raser Oranan. Aucun corps cependant n'était visible. Au moins le chef des chasseurs n'était pas le dernier des abrutis, c'était plutôt un soulagement.

Plusieurs heures plus tard, à l'orée du bois, et alors que la nuit tombait enfin, chassant ces terribles lueurs solaires, ils retrouvèrent l'autre peau-verte qui ne se priva pas de tous les insulter une nouvelle fois. Endar retint un soupir de consternation. Leur actuel chef ne prit la parole qu'une fois les chasseurs envoyés en première ligne face aux "bouffeurs de riz" comme le disait si bien ce garzork. Il essayait de crier, mais sa voix n'était plus ce qu'elle était, toutefois toute la troupe, bientôt rejoint par des likyors noirs, se taisait écoutant leur chef religieusement. Le plan était simple, mais le shaakt devait avouer qu'il serait efficace. Déjà au loin, des feux s'allumaient et le son des combats leur parvenait, lointain mais distinctement. Endar dégaina son épée et attrapa son pavois aux formes arrondies. Il était prêt.

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TheGentleMad
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par TheGentleMad » dim. 6 oct. 2019 21:55

-----K-----


Après que la créature déclara rejoindre, elle aussi, les troupes lourdes, le garzok monté sur son sanglier se fendit d'une dernière raillerie avant de s'éloigner, probablement pour rejoindre le commandement. Quelques minutes plus tard, des trompes sonnèrent la mise en marche et le garzok au crâne dans la barbe réapparu pour mener en avant les troupes légères. Lorsqu'elles s'éloignèrent, un autre garzok se distingua en faisant avancer les troupes lourdes sans même dire un mot. Il était moins imposant physiquement que le précédent, mais en imposait tout autant par son allure avec son visage lacéré de cicatrices surmontant une lourde armure à l'image de celles que portaient ceux qui le suivaient.

La marche qui s'en suivi fut longue, mais lente, ce qui permit à Kurgoth de récupérer pendant le trajet sans s'épuiser ni souffrir de courbatures dues à un brusque arrêt de son effort. Le chevalier se sentit dès lors plus à son aise parmi ces troupes aussi lourdement équipées que lui et dont les armes étaient aussi impressionnantes que la sienne, si ce n'était plus. Il suivit la mouvement aussi muet que les autres, faisant corps avec eux dans un concert de cliquetis de métal qui aurait alerté tous les guetteurs alentours, si les troupes légères en avaient oubliés. Mais aucune alerte de ce genre n'eu lieu, aucun cadavre ynorien ne fut non plus trouvé en jetant un œil hors de la masse métallique grouillante. Seule la créature ailée se distinguait dans cette masse, dépassant la foule depuis le haut de sa monture.

Finalement, ils rejoignirent les troupes légères au coucher du soleil qui les attendaient à l'orée du bois. Fidèle à ce qui semblait être chez lui une habitude, leur chef railla une nouvelle fois les soldats tout juste arrivés puis s'élança en rugissant suivi par ses trois cents chasseurs comme par son ombre. Au loin Kurgoth perçu les faibles lueurs de camp ynoriens, éparses, mais couvrant une zone bien plus large que celle couverte par la première vague d'assaut. Le barbare était alors prêt à s'élancer à leur suite dès que l'ordre en serait donné afin d'écraser les troupes humaines qu'ils auraient perturbées. C'est alors que le garzok presque aussi amoché que lui prit la parole d'une voix rauque et étouffée, mais tout à fait audible dans le silence quasi-religieux du millier de combattants l'écoutant. Il exposa le plan d'attaque consistant essentiellement à attendre que la retraite prévue des chasseurs n'attirât les humains jusqu'ici pour les anéantir jusqu'au dernier. Le fier monteur de sanglier savait donc qu'il n'avait pas les effectifs pour remporter seul la bataille, mais les avait tout de même nargué... Quelle prétentieuse stupidité.

Les soldats se mirent alors en ordre de bataille dans une ligne compacte encadrée de chaque côté par des ombres menaçantes. Bien qu'il savait ces créatures indistinctes étaient de son côté, ou du moins devaient elles l'être, Kurgoth préféra se poster au centre du front, près du commandant. Non seulement, il ne pouvait totalement faire confiance à des animaux, mais il n'avait pas besoin d'enrichir son bestiaire cauchemardesque de monstres rencontrés dans cette damnée forêt. Une fois tous en place, un lourd silence s'abattu sur l'armée. Tous écoutaient les fracas métalliques éloignés provenant des troupes légères atteignant leurs cibles et commençant le massacre. Sachant qu'il n'aurait plus à marcher avant le début du combat, le chevalier referma les joues de son casque et abaissa la visière. Il était prêt, ou presque. Dans le silence perturbé par les respirations impatientes et les lointains bruits des armes, le prêtre en appela à son dieu pour les renforcer dans l'affrontement à venir.

(Écoute-moi, oh puissant Thimoros,
Que ta rage et ta colère nous renforcent!
Nous qui combattons cette nuit
En ton nom et celui de ta fille aussi,
Nous en appelons à toi, puissant dieu.
Rends-nous braves, rends nous fort,
Que ne survive aucun d'eux
Que ces humains finissent tous morts.
)
685mots

Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » mar. 8 oct. 2019 16:08

Rapidement, le soleil descendit dans le ciel d'automne d'Ynorie, tandis que s'affairait Shirel aux cuisines. Sous la direction du maître-queux, il courait aussi d'un coin à l'autre, attisant le feu, taillant des légumes ou surveillant le riz : ils ne préparaient rien d'audacieux ou d'exigeant culinairement, mais les quantités à produire étaient suffisamment grandes pour que l'aide du Kendran soit recueillie avec joie. En s'agitant dans tous les sens, ils n'avaient pas le temps d'avoir froid sous la brise légère, et rapidement un fumet odorant se répandit aux alentours, attirant quelques soldats en avance. Enfin, lorsque tout sembla prêt, le cuistot fit sonner une petite cloche pour convier les soldats au dîner : si quelques guetteurs restaient en poste afin d'assurer la sécurité du camp, la majorité vint constituer une petite foule qui s'agrégea vite en file d'attente pour recevoir sa pitance. Le maître-queux indiqua à Shirel de se placer derrière l'une des tables installées et de servir à chacun une portion adéquate.

Le jeune homme obéit donc et put voir défiler devant lui quantité de visages ynoriens, bien plus proches qu'il n'aurait jamais pu l'espérer. Au fur et à mesure de la distribution, il examinait discrètement les visages, souriant timidement lorsque cette observation était remarquée par le soldat en face. Il notait plusieurs choses : les traits tirés, en particulier au niveau des yeux ; les cheveux très souvent noirs et lisses ; le teint pâle et qui tirait vers le jaune des Ynoriens ; leur air grave et sérieux ; le peu d'entrain qu'ils avaient à discuter entre eux ; leur rigueur impeccable. Shirel savait que, parmi les soldats du Royaume de Kendra Kâr, il était commun que des amitiés sincères se nouent et que, dans une caserne, une ambiance amicale règne : les mœurs semblaient bien différentes dans la République, où les soldats paraissaient presque crispés, certains considérant avec animosité les rares tentatives de détente de leurs camarades, lorsque l'un d'entre eux tentait une boutade ou qu'une discussion s'animait un peu avant de retomber.

Il ne savait pas si cela était dommage ou non. Peut-être les Ynoriens étaient-ils ainsi plus efficaces ? Cela correspondait en quelque sorte à la vision intuitive qu'il aurait eu de l'armée, dans laquelle la rigueur serait suffisamment importante pour contraindre les soldats à se détourner de toute distraction inutile, devenant eux-mêmes durs et rigides. Mais il n'était pas un soldat, et aurait préféré de la part des Ynoriens un peu plus que cette politesse effacée et l'absence cruelle de sourires sur leurs visages tirés par la sévérité et l'austérité.

Une fois la distribution achevée, le maître-queux lui fit signe de se servir lui-même et de le rejoindre. Shirel mangea donc en sa compagnie, dans le même silence lourd qui semblait régner sur l'ensemble du camp. Il fallut finir rapidement, car les guetteurs tournèrent et le cuistot l'envoya les servir. Il s'apprêtait à récupérer les gamelles et gobelets rapportés pour la vaisselle, qui serait probablement la corvée suivante, lorsqu'un guetteur poussa un cri inachevé. Le jeune homme leva distraitement les yeux vers sa position pour apercevoir le corps choir au sol, la gorge transpercée d'une flèche. Il se figea avec une expression de stupeur tandis qu'autour de lui se répandit une agitation folle.

Tous les soldats, laissant naturellement leurs écuelles en plan, se levèrent en vitesse et saisirent leurs armes et leurs armures pour faire face à l'agression Garzok - Shirel comprenait soudainement mieux pourquoi la plupart dînaient en continuant à porter tout leur équipement, malgré la gêne que cela devait ajouter. Le capitaine donna sèchement ses ordres, dont celui de donner l'alarme face au raid qui approchait : alors Kano se saisit d'une torche et la jeta dans une grande coupe d'huile qui s'enflamma immédiatement. Placé en hauteur, ce signal était suffisamment clair pour que, rapidement, dans les camps alentours, la même flamme s'allumât, transmettant l'information de tous les côtés. Shirel voyait une vague sombre d'assaillants émerger de la forêt, comme une onde noire qui se déversait sur la plaine, fondant sur leur camp aussi bien que sur les voisins : il ne parvenait pas à saisir la réalité de la situation. Des Garzoks ? Si proches ?

Soudain, le maître-queux l'attrapa vigoureusement et le poussa vers la tente où ils avaient cuisiné, lui intimant l'ordre de se cacher. Lui-même s'arma d'une sorte de lance au bout de laquelle se dressait comme un sabre tranchant : c'était une arme longue, qui lui permettait d'atteindre des ennemis éloignés, tout en restant une arme tranchante et non perçante ; Shirel la contempla un instant avec hébétude, tout en continuant d'avancer vers la tente, quand les Garzoks arrivèrent au contact. On entendit un grand fracas lorsque le premier sang coula au corps-à-corps : il parut bien vite évident que les Garzoks étaient en surnombre par rapport aux Ynoriens, qui ne pourraient résister qu'en recevant des camps alliés des renforts - une fois que ceux-ci se seraient défaits de leurs propres assaillants...

Shirel observait avec angoisse les Ynoriens tomber un à un au combat, tandis qu'en face les pertes semblaient toujours compensées par de nouveaux assaillants qui arrivaient. C'était un cauchemar : et il remarqua alors que l'unique Garzok monté venait de pénétrer à l'intérieur du camp, chevauchant un énorme sanglier de guerre, et semblant diriger l'assaut en beuglant. Il avait la peau verte et immonde, un cou inexistant sous une montagne de muscles, et son faciès écrasé cachait deux petits yeux rougeoyants, tandis que sa mâchoire, avec ses deux défense inférieures qui dépassaient sauvagement, ressemblait à celle de sa monture. Il était terrifiant, non seulement par le danger qu'il représentait en lui-même, mais aussi par le crâne humain qu'il avait tressé dans sa barbe noire et drue. Le cuistot s'interposa afin de le repousser, ce qui ne déclencha que l'hilarité du monstre, dominant son noble adversaire de toute la hauteur de sa position.

C'était un cauchemar. Les peaux-vertes peu à peu débordaient les Ynoriens et les Garzoks semblaient sûrs de vaincre, comme si toutes les pertes qu'on pouvait leur infliger étaient finalement nulles et sans conséquences - les paroles de Kano sur leur prolifération incontrôlée résonnaient avec un drôle d'écho. Le soleil disparaissait à l'horizon, comme pour les laisser combattre dans l'ombre, et l'obscurité qui croissait ajoutait au drame de la situation. Il devait pourtant y avoir quelque chose : il devait y avoir l'irruption d'un héros, d'un preux chevalier sur son blanc destrier qui, d'un coup de lance affûté, renverserait ce chef de guerre Garzok, puis mettrait en déroute ses troupes. Il devait y avoir la victoire ultime du camp de Gaïa sur les funestes ombres qui s'étendaient en Nirtim ; et pourtant, tout autour, il n'y avait rien que défaite et mort. Shirel préférait ne pas regarder - cela l'aurait probablement tétanisé.

Il fixait avec appréhension cette scène surréaliste : un Ynorien qui se dressait, de dos, face à un Garzok monté, l'ultime protection face à la vague de désastre et de violence qu'ils apportaient. Mais lui, il ne savait guère se battre. Comment aider ?
Alors il fit la seule chose pour laquelle il fût formé : à l'entrée de la tente, il se laissa tomber à genoux, les mains croisées devant lui, et pria en suivant désespérément le combat du maître-queux. Il priait Gaïa naturellement, il cherchait dans son cœur la lumière et la foi nécessaires pour tenir le choc, et l'implorait de leur venir en aide, de quelque façon que ce fût. Il pressentait au fond de lui comme la présence de la Déesse, qu'il confondait avec les fluides lumineux qui s'agitaient nerveusement dans les profondeurs de sa chair : il les sentait comme un espoir, comme une issue heureuse au milieu de ce carnage.
(Ô Gaïa ! Déesse protectrice, viens en aide aux Ynoriens, à Kano, au maître-queux ; je T'en prie, protège-les d'une mort affreuse, préserve-les des souffrances et rends-les victorieux de leurs ennemis impies... Que Ta grâce... protège... préserve...)
Peu à peu, les mots s'effaçaient au profit des idées : il était trop tard pour penser et ses yeux, rivés sur le combat qui s'engageait, étaient emplis de détresse. Toutes ses prières étaient concentrées sur le maître-queux devant lui, toute l'intention de protection le concernant particulièrement, espérant vaguement et peut-être naïvement que cela pourrait l'aider, projetant vers lui tout son soutien, l'imaginant comme une aide divine de Gaïa elle-même - et, sans y songer, une partie de ses fluides lumineux.

(((Tentative d'apprentissage du sort Bénédiction)))

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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 12 oct. 2019 13:42

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

III

Shirel :

Le chaos régnait sur le camp : il était clair que les garzoks allaient les balayer comme des fétus de paille. En infériorité, surpris en plein repas, ils n’avaient aucune chance. Et tout ce qu’il vit alors fut le stigmate de cette défaitiste constatation. Alors que ses fluides s’agitaient en lui, sans parvenir malgré sa prière à prendre la forme qu’il souhaitait, occasionnant quelque lumière autour de ses mains, sans plus, il fut témoin d’un spectacle d’une barbarie crasse : confiant, le meneur garzok au crâne chargea l’épais cuisinier. Ce dernier était prêt à se défendre âprement, et fit tournoyer son étrange arme d’hast pour couper la route de son ennemi monté. Hélas, l’orque était apparemment un combattant émérite : il para de sa lourde hache la lame du naginata, dans un fracas métallique occasionnant quelques étincelles. Le sanglier poursuivit sa charge jusqu’à planter ses défenses dans le ventre massif du maître-queux. Saisi de la douleur, le souffle coupé, il ouvrit de grands yeux surpris, juste avant que le Kitranche monstrueux du garzok vienne le cueillir juste sous la tête, le décapitant partiellement en rompant à moitié les chairs de son cou. Il tomba raide mort sur le sol, dans un gargouillis infâme fort vite couvert par les bruits de la bataille.

Le garzok monté, couvert du sang de son ennemi vaincu, tourna sa monture vers la tente de cuisine. Peut-être avait-il aperçu la magie tentée du jeune guérisseur kendran. Leurs regards se croisèrent un instant, et Shirel put lire toute la hargne sanguinaire de cet ennemi qui venait de tuer. Lui serait le prochain…

Mais il fut sauvé par le gong. Par une trompe claire, plutôt, qui résonna sur la plaine. Les renforts alliés arrivaient des autres camps voisins, sous la forme d’une cavalerie rapide et armée. Le garzok face à lui cracha au sol et, aussitôt, beugla un ordre dans une langue obscure, sonnant comme une retraite. Une retraite bien rapide. Tous les combattants des peaux-vertes firent aussitôt demi-tour, embrayant le pas à leur chef monté sur sanglier, vers la forêt. Un raid, rapide, meurtrier, n’ayant pour but que de les tuer, les diminuer. Voilà à quoi cette attaque ressemblait.

Le danger s’éloignait dans la nuit, poursuivi par cette cavalerie arrivant hélas un peu tard : le chaos régnait sur le camp. La mort, aussi. Le capitaine de section cria quelques ordres :

« Rassemblez-vous, que les combattants encore en état me suivent : on va leur faire bouffer leurs dents, à ces ordures ! »

Ils étaient hélas bien peu. Il ne put rassembler que trois hommes valides en plus de lui, qui se lancèrent à sa suite dans cette poursuite vengeresse et nocturne. Kano, lui, ne faisait pas partie de ceux-là. Il était revenu sur le camp, blessé d’une épaisse flèche sombre en pleine épaule, et perdait pas mal de sang. Lui ne combattrait sans doute plus ce soir… Le regard perdu, il cherchait une aide bien difficile sur le camp : la plupart était mort, les autres agonisaient. Des blessés graves tentaient de ramper, de contenir leurs tripes ou de retrouver leur membre arraché. L’horreur de la guerre en plein.

Kurgoth et Endar :

L’attente dura quelques minutes. Quelques longues minutes pendant lesquelles ils purent profiter des cris lointains et des bruits de bataille dans les camps ynoriens. Puis vint un autre son : celui d’une trompe, claire, attestant de l’arrivée des renforts ynoriens en nombre, venus des autres camps adjacents. Et les formes qu’ils virent sur la plaine attestèrent de cela : une cavalerie se lançait à la poursuite des chasseurs garzoks, menés par le capitaine au crâne. Le dirigeant des troupes lourdes donna un ordre de sa voix éteinte :

« Laissez passer les nôtres, et refermez la formation derrière eux. Montrez à ces pisseuses ce que troupes lourdes veut dire ! »

Les chasseurs orques arrivaient à toute allure vers eux. Droit vers eux. Ils subiraient le choc frontal avec puissance. Les troupes, suivant les ordres de leur chef, s’écartèrent pour laisser passer les chasseurs en fuite. Le garzok au sanglier passa pile entre Endar et Kurgoth, avec un air satisfait, la lame rougie de sang. Il leur décocha à tous deux un regard fier : ils n’avaient encore rien fait, et lui rentrait déjà vainqueur. Mais bien vite, les troupes se resserrèrent. Les silhouettes bestiales s’élancèrent dans la nuit, telles des ombres, vers les flancs de ceux qui chargeaient frénétiquement vers eux, invisibles à cette charge de cavalerie bornée et vengeresse. Le piège de tenaille se refermait sur eux. Et très vite, le seul spectacle qu’Endar et Kurgoth put contempler fut celui de cette charge, terrible, le fracas de nombreux sabots s’abattant avec force sur le sol, faisant trembler la terre.

Image

Les garzoks autour d’eux se tenaient à leur bouclier, pointant leur arme en avant. Recevoir ainsi de front une charge de cavalerie ennemie était toujours un carnage, pour un camp comme pour l’autre. Peut-être les deux aventuriers avaient-ils une idée pour changer un peu la donne ? Ou renforceraient-ils simplement les rangs des troupes lourdes prêtes au combat… Le contact était maintenant imminent.


[Endar : 0,5 (trajet dans la forêt et prise de position).
Kurgoth : 0,5 (trajet dans la forêt et prise de position).
Shirel : 0,5 (vie de camp), 1XP (témoin actif d’une charge meurtrière), apprentissage non validé pour l’instant, noté lorsqu’il sera poursuivi et validé. (Mettons que tu as RP ici la phase de découverte, avec un premier essai-erreur rapide. Il te reste encore à réaliser les phases de structuration, d’entraînement et de transfert).]
Image

Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » sam. 12 oct. 2019 16:34

Alors qu'il observait avec angoisse la scène de combat, ses fluides se manifestèrent enfin. Mais au lieu de se ruer vers le cuistot afin de le préserver, comme il imaginait une intervention miraculeuse de Gaïa sur cette scène de mort et de terreur, il n'y eut qu'une vague lumière blanche qui se forma entre ses mains, avant de disparaître aussi promptement qu'elle était apparue. Il fixa stupidement ses paumes dans lesquelles venait de disparaître tout espoir de rédemption. Venait-il de bêtement gâcher une partie de son mana ? Le chaos environnant le perturbait trop pour qu'il puisse contrôler quoi que ce soit et il lui semblait que ses fluides mêmes étaient capables de s'échapper sans qu'il s'en rende seulement compte – fluides magiques comme biologiques, d'ailleurs. Il avait l'air de grelotter de froid, pétrifié de peur et de surprise, tremblant comme l'une des feuilles oranges qui tapissaient le sol de la forêt d'Ynorie en cet automne sanglant, et si on lui marchait dessus, il se craquellerait en morceaux.

Mais il n'eut pas le temps de se questionner sur ses pouvoirs de lumière davantage : juste devant ses yeux, l'affrontement entre le chef Garzok et le cuistot commençait. Malgré la panique et la défaite qui semblait imminente, Shirel restait stupéfié, observant le duel sans songer à s'éloigner, comme une phalène déjà trop proche de la flamme d'un cierge. Mais la flamme du cierge est claire et belle, chassant les ténèbres pour apporter chaleur et réconfort : ici, il n'y avait qu'horreurs et monstruosités qui faisaient gicler du sang humain.

La raison aurait dû lui dicter de s'enfuir au plus vite, de quitter ces lieux et de retourner, comme il pourrait, jusqu'au Temple de Gaïa à Kendra Kâr ; mais toute capacité à réfléchir, à établir et suivre un plan, tout cela avait disparu, et il ne restait plus que la certitude affreuse qu'autour se dressaient une multitude d'ennemis, de tueurs, d'assassins, contre lesquels il ne pourrait guère tenter de se battre, contre lesquels ses fluides lumineux étaient inopérants, lui qui ne savait par ailleurs que soigner ; le cauchemar avait donc pris vie, et il restait immobile, tiraillé entre la panique et le désespoir.

Le cuisinier tenta un mouvement de son arme que Shirel vit comme dans un rêve, tellement celui-ci était fluide, de son point de vue : elle tournoyait dans les airs et semblait prête à abattre son ennemi et sa monture d'un coup puissant. Un instant, il observa la scène comme on observait des cabotins sur une place de marché de Kendra Kâr, avec le doux espoir que s'effondrerait bientôt le Garzok dans les rires et l'allégresse d'un peuple ravi ; mais le Garzok para l'attaque sans que Shirel puisse tout à fait distinguer comment – il avait l'impression d'avoir manqué quelque chose et son œil peu aguerri ne lui permettait pas de saisir tout à fait ce qu'il se passait lorsque les armes se mouvaient dans les airs, remarquant seulement un éclat lorsque les deux armes se râpèrent – et soudain le sanglier, dans la continuité de sa charge, emboutit le cuisiner, le faisant reculer de quelques pas. Shirel vit celui-ci faiblir, ses bras déjà se relâchant alors que la douleur le gagnait ; puis le Garzok, d'un mouvement brutal, lui ouvrit la gorge de sa hache de guerre, laissant jaillir un flot de sang pourpre. Il avait presque réussi à détacher la tête du cuistot, dont le corps chut à terre dans un gargouillement, tandis que Shirel, le visage devenu aussi pâle que le coutil de la tente derrière lui, se détournait en grelottant encore davantage.

Il lança un regard hâtif vers la scène de meurtre pour apercevoir le chef Garzok tourné vers lui, prêt à le charger, le regard empli d'une haine énorme. Il était couvert de sang et traversé d'intentions explicites à son égard : et pourtant, Shirel ne put même pas fuir. Il ne comprenait tout simplement pas : il ne comprenait pas comment un tel être pouvait exister, qu'est-ce qui le poussait à se montrer aussi sauvage ; il ne cherchait pas encore à comprendre pourquoi non plus, il ne se questionnait pas sur l'origine de ce Garzok, toutes les épreuves endurées jusqu'à présent, la haine tenace entre Garzoks et humains ; il ne voyait que la violence atroce qui en résultait, sans déceler les ficelles qui tiraient vers la guerre dans l'ombre, il ne voyait que la brutalité du monstre et il ne pouvait l'expliquer avec rien, dans son monde calme et sensible d'éducation, d'ordre et de bonté de Gaïa.

Si bien qu'il n'était pas capable de faire autre chose que de rester immobile, espérant naïvement n'être pas repéré alors qu'il tremblait violemment, fixant le chef Garzok avec un regard de détresse qui répondait à sa haine. Mais une trompe claire résonna sur la plaine, comme une seconde charge qui approchait. Le Garzok comme Shirel se détournèrent l'un de l'autre, levant vaguement les yeux vers le ciel, du moins pour l'un, comme pour comprendre d'où venait ce son nouveau. Il aperçut rapidement les renforts ynoriens qui s'approchaient, venus sauver ce qui restait du camp : alors, le monstre tueur beugla un ordre que l'acolyte fut incapable de comprendre, fit demi-tour, et s'enfuit vers la forêt, suivi immédiatement par toutes ses troupes restantes.

Le raid avait été tellement rapide que Shirel, le cœur battant, peinait encore à croire que c'était fini. Il se tenait toujours immobile, remarquant seulement l'accélération de son souffle, ses mains ramenées contre sa poitrine, son allure presque prostrée, tandis qu'il lançait des regards inquiets aux alentours, aussi rapides que terrifiés. Il fit quelques pas en avant mais arrivait à peine à conserver son équilibre : il perçut le capitaine, qui avait visiblement survécu, crier un ordre aux soldats encore en état de se battre afin de rattraper les Garzoks qui s'enfuyaient ; bientôt, les quelques rares soldats encore indemnes s'en furent, et un silence troublé de râles d'agonie s'abattit sur le camp.

Shirel avança encore un peu. Son regard se posa malgré lui sur la flaque énorme qui s'était répandue aux alentours du cuisiner : ses yeux se brouillèrent de larmes et il eut un haut-le-cœur, se détournant aussitôt ; mais partout, alentours, le même spectacle était visible : il y avait des corps, partout, certains palpitant d'une ultime flamme de vie qui, bientôt, s'éteindrait pour toujours ; il y avait du sang, humain et Garzok confondus, des armes, un carnage terrible, des tentes éventrées et des soldats égorgés. Il ne put se retenir davantage : il tomba à genoux et vomit, son repas du soir à peine digéré se répandant sur le sol rougi.

Il finit par reprendre conscience de la situation, la stupéfaction s'effaçant, et se retrouva à quatre pattes, surplombant un mélange odorant, haletant, la gorge piquée par l'acide gastrique et les joues couvertes de larmes.

Pourtant, les soldats ne pleuraient pas. Il le savait : il n'avait jamais vu son père, ou ses frères pleurer. Mais il n'avait pas cette force et se sentait honteux, honteux d'être incapable d'aider, de comprendre, d'agir, honteux d'avoir laissé le cuistot se faire tuer devant lui sans réagir aucunement, honteux d'être faible au point de se briser ainsi, dès la première bataille. C'était l'orgueil qui lui dictait cela, mais cela ne parvenait pas à le convaincre : dès qu'il relevait les yeux, l'horreur de la guerre lui revenait, et il ignorait si celle-ci était toujours aussi affreuse ou si le massacre de ce soir était particulièrement sanglant.

Il se releva péniblement et tenta de chercher son chemin dans le camp dévasté, évitant autant que possible de baisser les yeux vers le sol. Il cherchait une aide, qui que ce soit, quoi que ce soit, afin de l'aider, afin qu'ils partent d'ici, se sauvent peut-être, il ne savait pas, il voulait simplement fuir cette tragédie. Son regard se posa sur Kano qui avançait en se tenant l'épaule : celle-ci était percée d'une flèche et Shirel nota immédiatement qu'elle avait l'air grave.

« Kano ! » appela-t-il en le rejoignant. Il aurait voulu crier, mais sa gorge était serrée d'angoisse.
« Tu... es blessé... Je... je... peux essayer... »

Il soufflait ces quelques mots en approchant ses mains de la méchante plaie, sans rien toucher directement. Il avait pourtant déjà vu du sang, des blessés, à l'infirmerie du Temple, où il avait pu quelquefois s'entraîner, mais l'on n'y apportait pas les morts ni les agonisants ; du reste la vie citadine ne produisait pas de tels carnages.

Mais la plaie d'une flèche, bien que celle-ci parût plus profonde que toutes celles qu'il avait eu à gérer auparavant : qu'importe, cela restait un cas où il savait à peu près quoi faire, ou du moins il l'espérait, et cela le rassurait presque, car il acquérait un objectif et un plan concret, tout en évitant de penser au massacre qui venait d'arriver. Il expliqua :

« Il faut retirer la flèche, puis je lancerai mon sort. »

Il hésita un moment en regardant la flèche, échangeant un regard avec le soldat. Il ne retirait pas la flèche lui-même d'ordinaire, laissant cette tâche à un infirmier tandis qu'il se concentrait sur le lancement du sort, mais il comprit rapidement que Kano n'aurait sans doute pas la dextérité nécessaire dans son état : d'ailleurs, l'Ynorien lui demanda explicitement de le faire en remarquant le flottement.

Prenant son courage à deux mains et l'empennage de la flèche d'une autre, il approcha sa main libre de la blessure, les yeux rivés sur le sang qui en sortait. Il prit une grande inspiration, compta jusqu'à trois à l'attention du soldat qui tentait de rester impassible, puis retira aussi rapidement que possible la flèche, avant de lancer de sa main libre le souffle de Gaïa par apposition des mains. Il visualisait la plaie qui se refermait, les tissus qui se régénéraient et le sang qui coagulait, espérant que ses pouvoirs suffiraient au rétablissement du seul ami qu'il ait encore en cette contrée de mort.

(((Souffle de Gaïa au rang 1)))

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Endar
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Endar » ven. 18 oct. 2019 17:59

L'attente semblait interminable, mais heureusement ni son nouveau bouclier ni sa récente épée ne pesaient lourd. Ses muscles étaient plus volumineux que ceux de son ancien corps, cela devait aider grandement. Il se souvenait de son enfance à guerroyer pour la gloire de Khonfas. Ses armes de prédilection à l'entraînement avaient toujours été une épée accompagnée d'un pavois, mais dans ses frêles mains, le poids de son équipement se ressentait à l'époque. Le premier affrontement avec les autres shaakts avait été une humiliation à ses yeux. Sa technique était rustre et son corps était faible pour leur instructeur militaire, il n'avait jamais pu battre ses concurrents et manquait à chaque fois de justesse de ne pas mourir par un combattant un peu trop zélé à son goût. Les coups de fouet avaient été nombreux et les moqueries l'étaient tout autant.

Le frêle Endar était incapable de se défendre en première ligne, et pourtant ses premières batailles au nom de sa cité souterraine avaient permis de démontrer qu'il était loin d'être un shaakt fragile, bien au contraire. Ses anciens "équipiers" avaient péri à chaque nouvelle escarmouche, trop stupides pour comprendre le sens du mot stratégie. Leur folie les a conduite à ne pas être attentif et à foncer tête baissé dans les pièges tendues par les hinïons et les taurions. Sans doute, le shaakt avait-il pris beaucoup de plaisir à voir leur tête rouler entre les herbes hautes. Ceux qui n'étaient pas morts moururent peu de temps après leurs blessures, mais lui avait survécu.

D'autres entraînements suivirent : celui du tir à l'arc et à l'arbalète. Il excellait à cela même si au début sa frêle carrure le désavantagea. Séances après séances, ses bras s'étaient musclés, sa précision s'était accrue à mesure que sa vision devenait de plus en plus précise. Il n'était pas un archer d'élite, mais son talent lui donna l'occasion de servir en tant qu'archer au sein des troupes shaakts. Ce don lui conféra au bout de presque une décennie le poste de capitaine et il brilla pendant un certain temps à donner des ordres et élaborer des tactiques. Puis sa magie se révéla au grand jour et de longues années d'emprisonnement s'en suivirent jusqu'à sa première venue sur Aliaénon. Du simple soldat, il était devenu le héros. Aujourd'hui, il n'était plus ce sauveur, il était l'ombre qui va s'abattre sur ses ennemis.

Les cris ou plutôt les hurlements enragés des garzorks se mêlèrent aux plaintes des ynoriens. Ces sonorités sonnèrent à ses oreilles comme de délicieux sons qui formaient presque un concerto. Il sentait les pulsations de son coeur faire trembler sa nouvelle enveloppe charnelle.

La bataille semblait l'appeler et il rageait de ne pas y être pour tuer tous ces maudits ynoriens. Il voulait leur faire payer leurs faiblesses, leurs péchés. Honoka avait payé le prix pour son peuple, mais cela n'était pas suffisant à ses yeux. Elle avait réussi à dévoiler ce qu'elle avait toujours été : une opportuniste qui préférait servir les intérêts de son peuple, plutôt que ceux des habitants d'Aliaénon. Ils avaient été acclamés comme des héros et aujourd'hui Endar serait craint et haï plus qu'il ne l'était auparavant.

Il avait un message à leur apporter : la guerre venait pour tous, une guerre totale et violente dont personne ne réchapperait, pas même lui. Le fil de ses pensées fut rompu au moment où il entendit un cor résonner dans la plaine. Le plan se mettait en marche et bien vite leur capitaine aboya ses ordres pour qu'ils laissent passer les chasseurs garzorks. L'autre empaffé chauve avec une longue barbe maintenue par un crâne humain les dépassa, non sans leur accorder un regard jubilatoire, exhibant fièrement sa lame devenue couleur carmine.

(Tu pourras parader une fois que nous aurons conquis Oranan, pas avant, imbécile !)

Le laissant passer, les rangs ensuite se reformèrent attendant de recevoir la troupe de cavaliers qui leur fonçait dessus. Quelques garzorks aux longues armes d'hast se positionnèrent correctement et un mur de bouclier s'était érigé. A défaut d'être une stratégie efficace, elle allait au moins retenir les cavaliers. Lorsque les étranges créatures longèrent les bois, il comprit rapidement la stratégie et ordonna à sa monture de les suivre. Ceux qu'il avait pris pour des likyors n'étaient en réalité que des expérimentations sur des félins qui allaient du chien au tigre. Plusieurs de ses créatures dépassaient largement la taille de Ter'Rol. Les chiens modifiés le mirent assez mal à l'aise, si bien qu'il se tenait éloigné de ces monstruosités. Le fait d'avoir lutté contre un chien ou un loup modifié à Aliaénon se rappela à son bon souvenir. Toutefois, il se reprit bien vite et attendit de pied ferme que le piège se referme sur les ynoriens afin de les prendre à revers.

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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par TheGentleMad » ven. 18 oct. 2019 21:17

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Les bruits de combats provenant des camps ynoriens durèrent quelques minutes avant qu'une trompe claire ne résonnât dans la plaine. Kurgoth aperçut alors des mouvements de troupes rapides, qu'il identifierait plus tard comme de la cavalerie, entre les campements humains. Suivant les ordres du commandant, le barbare s'écarta pour former avec d'autres des couloirs destinées aux chasseurs en fuite. Alors que les rangs furent sur le point de se refermer derrière les dernières troupes légères, le monteur de sanglier se glissa entre le prêtre de Thimoros et la créature ailée, en les dardant d'un regard fier. Le chevalier ne réagit cependant pas. Il n'en n'avait ni le temps, ni l'envie, préférant prendre position pour le choc avec la cavalerie humaine approchant.

Tandis qu'autour de lui, les rangs se resserraient, derrière un mur de piques et de boucliers, Kurgoth regardant un instant les ombres se déployer de chaque côté de l'armée, accompagnées du change-corps. Ainsi donc leur rôle était d'encercler les humains pour empêcher toute retraite. La stratégie lui semblait bonne et il ricana en avançant vers la première ligne, prêt à se couvrir de gloire aussi dans ce plan bien ficelé. Tenant fermement sa kitranche, il se posta entre deux boucliers et bientôt deux lances vinrent prendre appui sur ses larges épaules, ses camarades profitant de son imposante carrure pour se tenir derrière lui. Mais quelque chose n'allait pas, le chevalier avait un mauvais pressentiment et ne se sentit pas à son aise en entendant se rapprocher le vrombissement des sabots.

Lui revinrent alors à l'esprit tous ces précédents combats en groupe. Puisqu'ils eurent lieu au sein du clan de pillards où grandit, c'était toujours lui qui attaquait et il n'avait jamais eu à tenir cette position défensive. Ce mur de bouclier lui sembla d'ailleurs familier, trop familier. Les gardes humains avaient, en effet, tous ce réflexe de s'attrouper, mais cela ne les sauva dans aucun de ses souvenirs. À chaque fois ou presque, leur formation fut brisée par une charge où ses anciens frères d'armes se jetaient sur les boucliers à corps perdu pour déstabiliser la formation et permettre aux suivants de l’anéantir. De grosses gouttes de sueur froide perlèrent sur le dos du prêtre de Thimoros lorsqu'il comprit que sa situation était pire encore. Ils étaient certes bien assez nombreux pour ne pas se faire traverser par la cavalerie, mais ils subiraient à coup sûr de lourdes pertes, surtout dans les premiers rangs où il se trouvait. Sachant qu'il était trop tard pour reculer, il chercha désespérément une solution. S'il avait déjà vu une formation défensive retenir une charge, ce fut toujours en impressionnant l'ennemi par un mur de piques infranchissables, or ici, ils étaient cachés dans les fourrés et les humains ne les verraient qu'en les percutant. Il fallait donc stopper la charge de cavalerie en effrayant les humains avant l'impact s'il voulait diminuer les pertes et potentiellement sauver sa vie. Mais il ne pouvait cependant pas le faire trop tôt pour ne pas gâcher l'effet de surprise et la tentative d'encerclement... C'était pourtant sa seule chance : prendre l'initiative et charger hors des fourrés au tout dernier moment pour surprendre et arrêter l'ennemi une fois que celui-ci était trop avancé pour faire demi-tour.

Kurgoth s'avança alors d'un pas, se relevant pour voir par-dessus les buissons. Il ne craignait pas d'être repéré, sachant que les humains ne voyait guère dans le noir et qu'ils le prendraient de toute manière pour l'un des chasseurs qu'ils poursuivaient. Ils n'étaient déjà plus qu'à une centaine de mètres. Le chevalier abaissa sa visière, vérifia une dernière fois ses protections et s'agrippa à son arme, prêt à se lancer. Il ne restait que cinquante mètres. Il prit une grande inspiration, rassemblant tout son courage. Vingt mètres. Il se rua hors des fourrés en hurlant :

"POUR THIMOROS !"

Avec le bruit assourdissant des sabots, il n'avait aucun moyen de savoir si les autres le suivaient, mais il était déjà trop tard. Dans une fraction de seconde, il saurait si sa charge était héroïque ou suicidaire, lorsque lui et le premier des cavaliers se percuteront de plein fouet de leurs armes. Son destin était à présent entre les mains de Thimoros.

[HRP: Charge hors de fourrés au tout dernier moment pour surprendre et faire piler la cavalerie en espérant être suivit. + début apprentissage de la CC Sacrifice]
741mots

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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 19 oct. 2019 13:58

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

IV

Shirel :

Le sort de soin du mage de lumière fit son effet, et la plaie sembla se résorber partiellement. Pas totalement soignée, mais plus si grave qu’elle ne paraissait précédemment. Kano, grimaçant, posa une main virile su l’épaule du soigneur pour le remercier, et fit mine de se redresser pour aller quérir son arme. L’ordre de leur capitaine était clair : ceux qui pouvaient se battre devaient se regrouper. Shirel avait pu avoir conscience de la charge de cavalerie lancée après ces raiders orques, précédemment, et il pouvait voir maintenant, dans la ligne de cette charge rapide, les troupes ynoriennes venues des autres camps adjacents se rassembler en une troupe organisée, parées à subir un nouvel assaut, voire à se mettre à leur tour à la poursuite de ceux qui auraient échappé à la cavalerie ynorienne. Kano semblait vouloir faire partie de ceux-là. Il se tourna vers Shirel avec conviction :

« Viens, camarade. Tes pouvoirs pourraient être plus qu’utiles, là-bas. »

Et sans attendre, il se tourna vers les troupes se rassemblant une cinquantaine de mètres plus loin. Shirel ne voyait que leurs ombres s’amasser dans la pénombre crépusculaire. Un terrain de jeu peu recommandé, pour les hommes si faibles dans l’obscurité.



Endar :

Son loup lancé au pas de course parvenait à tenir le rythme des créatures dangereuses qui contournaient la charge des cavaliers. Autour de lui, chiens infernaux en grand nombres, et de plus rares massives créatures canines, chargeant dans l’obscurité avec silence et rapidité. Lui, tout comme les bêtes, purent rapidement repérer que les ynoriens n’avaient pas juste lancé une cavalerie à la poursuite des chasseurs garzoks. Non, ils s’amassaient désormais en rangs serrés de piétons prêts à défendre âprement ces quelques campements avancés. Des troupes plus nombreuses, quoiqu’infiniment moindre que le nombre de garzoks et bêtes présentes au total. Les animaux décidèrent apparemment de ne pas prêter attention à la cavalerie, laissant cette première charge aux orques… Ils poursuivirent donc leur course dans l’obscurité, poursuivant leur large mouvement d’encerclement pour prendre en tenaille ces troupes piétonnes également… Ils n’avaient pas encore été repérés, mais ça ne tarderait sans doute plus. L’horreur de leur présence suffirait-elle à impressionner les ynoriens sans qu’ils subissent eux-mêmes trop de pertes ? Endar devant maintenant choisir la manière dont il mènerait cette charge, la façon avec laquelle il tenterait de découper ces rangs serrés.

Kurgoth :

Et les cavaliers furent bientôt là. Sortant du couvert de ses buissons comme une furie, il fut seul un court instant face à la charge se ruant vers lui. Un puissant sentiment de vulnérabilité put s’emparer de lui, mais son initiative fit quelques émules néanmoins. Si les guerriers aux boucliers et les piquiers restèrent pour la plupart sous le couvert des plantes, plusieurs autres combattants orques semblèrent satisfaits de la mort héroïque et sanglante qu’il leur proposait. Ils sortirent à leur tour des buissons, armés de grandes haches, d’épées larges et tranchantes, et se ruèrent vers les cavaliers qui n’eurent bien entendu pas le temps de dévier leur route, pris de surprise devant une telle résistance alors que l’instant d’avant ils étaient de simples poursuivants d’un gibier déjà défait.

Le choc fut rude, et parmi ces courageux, téméraires guerriers inconscients, peu survécurent à ce premier choc. Les chevaux en écrasèrent la plupart, quand d’autres furent simplement pénétrés de lances acérées. Rares furent ceux à parvenir à passer la première ligne de cavalerie… Ce fut son cas : se lançant vers l’ennemi à découvert, il reçut un coup de lance en plein poitrail… D’une violence folle. La pique fut cependant déviée : son manche se brisa, incapable de pénétrer son armure. Sous le choc, il dut s’arrêter, et ne put assister que passivement au spectacle du cheval qui arrivait à pleine vitesse sur lui. A ce destrier qui le percuta avec force. Le choc envoya cheval, garzok et cavalier rouler sur le sol avec violence, sur plusieurs mètres. Le cheval n’était pas mort, remuant au sol sans parvenir à se relever. Le cavalier suffoquait, cage thoracique défoncée d’être passé plusieurs fois sous son canasson. Kurgoth, lui, s’en sortait plutôt bien, quoique ses membres étaient douloureux de quelques contusions. Il était fait d’un argile plus solide, celui dans lequel on forgeait des guerriers d’exception.

Sa stratégie, bien qu’éminemment mortelle pour ceux qui se portèrent négligemment volontaires, s’avéra finalement efficace, puisque la cavalerie fut fortement freinée par leur sacrifice, permettant dès lors une charge générale des garzoks surgissant de la lisière toutes armes dehors, face à une cavalerie ayant perdu de la vitesse, et sous l’effet d’une angoissante surprise. Les piques se plantèrent dans les poitrails animaux et humains, les boucliers rompirent des jambes équines et les crânes humains qui tombaient de haut. La mêlée était là. Mais des cavaliers encore debout, il y en avait bien autour de lui, qui le menaçaient de leurs piques et sabres ynoriens.

[HJ : Petit combat libre pour toi, Kurgoth. Tu es encerclé par trois cavaliers encore montés qui vont s’en prendre à toi en même temps. Je te laisse décider librement du résultat de ce combat à trois contre un, de tes blessures et des leurs, du résultat final de ce quadruel, qu’il soit une victoire totale de ta part, de la leur ou quelque chose de plus mitigé, car nul ne sera là à temps pour t’aider, tes camarades étant un peu plus à l’arrière bien occupés avec leurs propres cavaliers. Je prendrai la suite dans la prochaine màj.]

[Shirel : 0,5 (soin)
Endar : 0,5 (contournement)
Kurgoth : 0,5 (charge initiée) L’apprentissage sera noté quand il aura été mené à terme.]
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Endar
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Endar » mer. 23 oct. 2019 21:07

Aucune lueur fantomatique ne venait éclairer la course des chiens de Karsinor dont le cou était entouré d'un encombrant collier, à sans nul doute leur maître devait-il les tenir fermement en laisse. Aucun rai de lumière lunaire ne venait également éclairer ces rares mastodontes de la taille dépassant largement celle de son loup ou d'un chimera. Ces dernières créatures semblaient être des béliers sur pattes avec leurs longues défenses qui dépassaient de leur mâchoire de félin. Endar n'avait connu que les abominations créés par Vallel, l'un des treize désormais emprisonné dans les Landes Tanathéennes. Ce n'était pas un lieu agréable, son âme ayant à plusieurs reprises ressentie le fort magnétisme de cet endroit maudit. Lorsque ses yeux ocres se reposèrent sur la meute qui l'encadrait, il songea que pour la première fois de sa vie, ces satanés bestioles ayant subies des mutations se trouvaient dans son camp. Lui, le shaakt asservi par les matriarches de Khonfas, avant d'être adoubé Sauveur d'Aliaénon, se retrouvait au côté d'une partie de l'armée d'Oaxaca, la fille du dieu qu'il servait. Sirat, le champion de Zewen en personne, n'avait jamais cru qu'au Destin, tout était écrit selon lui et peut-être avait-il raison. Longtemps, Endar avait lutté contre sa nature profonde et avait cherché à devenir un être qu'il n'était pas: un héros. Ce simple mot le faisait grimacer, son visage se tordant sous l'effet du profond mépris qu'il ressentait envers ces êtres assurés de faire le bien, promettant mille et une merveilles pour mieux cacher leur hypocrisie. Aujourd'hui, il allait montrer aux ynoriens que nul héros ou autre figure majestueuse ne viendrait les sauver de sa sombre colère. Sa lame boirait le sang des forts comme des faibles et l'être déchu aux ailes atrophiées leur rappellerait pourquoi il fallait craindre l'obscurité. Depuis des siècles, la civilisation se réunissait autour de feu pour s'éclairer et éloigner les créatures de l'ombre, il était désormais temps d'éteindre toute lumière.

Ombre parmi les ombres, les cavaliers ynoriens ne les virent pas, mais Endar, de par ses dispositions naturelles, put les observer à sa guise. Le shaakt ressentait leur colère, leur haine envers leurs ennemis. L'odeur de la guerre planait en cette violente soirée et le serviteur de Thimoros s'en repaissait avec délectation. Il observa rapidement la charge se diriger vers les troupes lourdes, mais au lieu des nombreux porteurs de boucliers et des piquiers, il vit des garzorks menés une charge contre les cavaliers d'Oranan et cette initiative était apparemment celle d'un garzork qui avait crié le nom de Thimoros. Endar avait rapidement reconnu le timbre de la voix: c'était celle du garzork qui l'avait suivi jusqu'au campement avancé. Il arrêta immédiatement sa monture, tirant sur les rênes, et entreprit de suivre cette charge dévastatrice.

Au loin, les créatures de Karsinor continuaient leur chemin en direction des fantassins qui se formaient près des campements ynoriens. Apparemment les chasseurs orques en avaient laissé plusieurs vivants, un travail qui, à ses yeux, s'avérait être bâclé. Les troupiers n'étaient pas un danger dans l'immédiat. Le seul risque de les laisser encore en vie en ce moment était qu'ils alertent l'armée postée à Oranan et c'était le dernier de ses problèmes. Une fois dehors et sans autre information qu'un raid garzork, l'armée ynorienne s'avérait plus faible si elle était sur le terrain plutôt que campée derrière leurs murailles. Les cavaliers, eux, représentaient pour cette même raison, un danger bien plus grand.

Il sortit du bois, sa monture galopant à toute vitesse dans le dos des cavaliers ynoriens. Aucun cavalier ou fantassin ne regardait derrière eux pendant un affrontement, tout le monde était concentré sur ce qu'il pouvait se passer devant et non derrière eux. En fonçant sur eux, il sentit la noirceur voiler un peu plus son âme et une puissance nouvelle prendre forme. Il ne la vit pas, concentré sur ses propres ennemis, mais une chape d'ombre l'entourait à présent et celle-ci recouvrait tant son plastron, qu'une partie de ses épaulières. Il faisait finalement corps avec les ténèbres pour la première fois de sa vie. Son bouclier en position haute et son épée au clair, il chargea dans le dos des cavaliers.

(Charge dans le dos des cavaliers ynoriens et use de sa capa "Manteau de Thimoros")

Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » ven. 25 oct. 2019 19:02

Shirel sentit les fluides de lumière s'échapper de ses mains et illuminer un instant la plaie, cachant la chair déchirée et le sang qui s'était mis à couler dès qu'il avait retiré la flèche. Mais il avait suffisamment pratiqué ce sort pour qu'il fonctionne sans péril, contrairement à sa précédente tentative avec le cuistot : lorsque la lumière se dissipa et que l'obscurité nocturne reprit ses droits, la blessure s'était partiellement résorbée. Elle était probablement encore douloureuse, mais l'Ynorien fit mine de n'en avoir cure : bien que Shirel eût préféré le voir se reposer un peu et rester en convalescence - voire même bander la plaie avec ce qu'il trouverait pour permettre un plus prompt rétablissement -, Kano se redressa aussitôt et récupéra son arme.

Le Kendran haussa un sourcil, mais l'expression réelle de son visage était probablement peu visible dans les ombres qui s'amassaient. Il lui semblait absurde qu'un homme blessé parte à la poursuite des Garzoks terrifiants au milieu de la nuit : et pourtant l'attitude de Kano laissait peu de doutes quant à ses intentions. La charge de la cavalerie était passée et il se rendit compte qu'une armée de fantassins était en train de se rassembler dans la plaine, sous les ordres des capitaines de différents campements. Ils se rassemblaient et s'apprêtaient visiblement à partir à la chasse au Garzok à la suite de leurs compagnons montés. Ou alors se préparaient-ils à un nouvel assaut ? On ne voyait guère plus par ici, et cela augmentait l'angoisse naturelle du guérisseur. Partout, autour, les formes commençaient à disparaître dans les ombres, et l'horizon se raccourcissait à mesure que la nuit gagnait du terrain. La lumière provenait désormais essentiellement des braseros allumés pour prévenir de l'attaque, et des quelques torches que portaient certains fantassins, répartis dans la troupe en formation. Mais au-delà, dans la plaine et vers la forêt, il serait bientôt impossible de se repérer correctement, ce qui offrirait probablement un avantage important à leurs adversaires.

À vrai dire, Shirel ignorait à peu près tout sur les Garzoks, mais il avait intégré qu'il s'agissait de créatures de l'obscurité et partait du principe qu'ils pouvaient mieux voir dans la nuit que les humains - ou en tout cas que lui. Comme toutes les créatures des cauchemars et des contes, ils étaient apparentés à une force sournoise et donc nécessairement ténébreuse : un manichéisme certain et longuement développé l'empêchait de saisir la nuance des traits et se complaisait dans un tableau simpliste.

Dans tous les cas, Kano souhaitait visiblement faire partie du camp du bien, et notamment mettre son arme au service de cette lumière à protéger : avec assurance, il lui proposa de les rejoindre, avançant que les pouvoirs du Kendran sauraient leur être utiles. Shirel eut un mouvement de recul et son expression, qui s'était pourtant apaisée à la suite du lancement du sort, s'effondra à nouveau dans la peur.

« Mais... Je ne suis pas un soldat ! Je ne sais pas me battre... »

Il désigna les corps qui gisaient au sol, dont certains geignaient encore.

« Il reste encore d'autres soldats à soigner ici... Je devrais... m'occuper d'eux... »

Il n'eut même pas le courage de demander à l'Ynorien de rester avec lui. Il lui semblait qu'il agissait principalement par lâcheté, quoique ses arguments fussent corrects. Il eut honte un moment de n'avoir pas suivi Kano, mais celui-ci était déjà parti, convergeant ainsi que d'autres vers l'armée qui, sous peu, serait partie en direction de la forêt. Il soupira et se détourna de cette vision pour s'affairer autour du camp, se dirigeant vers l'un ou l'autre des infirmes qui auraient besoin de son aide, avant de se raviser et de se diriger vers une tente pour d'abord récupérer du matériel. Il lui faudrait du tissu pour tenter des bandages, de l'eau pour tenter de nettoyer les plaies... Il doutait pouvoir soigner tout le monde avec le souffle de Gaïa, qu'il réservait à d'éventuels cas urgents pour la suite : en attendant, il faudrait se contenter de soins plus basiques.

Il ignorait à vrai dire s'il serait capable de réellement soigner qui que ce soit. Il connaissait certains gestes, il imaginait vaguement la marche à suivre, mais il était loin d'être un expert : cela dit, étant donné que tous les soldats en état s'en allaient pour le combat, il ne restait guère que lui pour s'occuper des blessés.

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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par TheGentleMad » ven. 25 oct. 2019 19:33

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Kurgoth émergea tout juste des broussailles, seul face à la cavalerie, que d'autre cris de guerre parvinrent à ses oreilles, signe qu'il était suivi. S'il put voir les humains surpris ralentir, il reçut du premier cavalier un coup de lance en plein torse et fut arrêté tout net dans son élan. Le choc fut tel qu'il brisa le manche de l'arme incapable de traverser son armure légendaire. Toute extraordinaire qu'elle soit cependant, l'antre de Balmor ne lui épargna pas d'être percuté par le cheval et emporté dans une culbute où garzok, humain et monture roulèrent l'un sur l'autre. Lorsqu'il se releva quelques mètres en arrière du point d'impact, la montée d'adrénaline embuait quelques peu ses sens et, malgré la douleur diffuse sur l'ensemble de son corps, il remercia son dieu de lui avoir épargné le sort du cavalier gisant à côté de lui, la cuirasse hideusement enfoncée à l'endroit où elle devait se bomber pour protéger les côtes.

Autour de lui, il put voir la plupart de ceux qui l'avaient suivi dans sa charge héroïque se faire empaler et piétiner par la cavalerie perdant sa vitesse à chaque nouveau pas. Dans son dos monta une clameur sauvage et guerrière, il avait réussi et, à présent, le reste de l'armée chargeait hors des fourrés, prenant l'avantage sur les humains immobilisés. S'il venait de prouver sa dévotion envers Thimoros, le temps de la mêlée sanguinaire était enfin là et avec elle le moment de prouver son efficacité au combat. Précédant de quelques mètres le reste de l'armée, il se mit lui aussi à charger en hurlant en direction des ynoriens. Voyant trois cavaliers foncer sur lui, le barbare mit à profit son entraînement pour enchaîner de brutales attaques sur ces derniers lorsqu'ils se croisèrent.

Parvenant à se glisser sous le naginata du premier, le garzok lui planta avec vigueur sa kitranche dans le tibia, lui arrachant un cri et lui faisant lâcher son arme de douleur. Kurgoth se jeta ensuite aussitôt sur le suivant, recevant un coup de lance en plein poitrail, à nouveau dévié par sa fabuleuse armure. Le choc du coup lui fit rater de peu la cuisse de l'humain, sa lame lacérant l'épaule de la monture qui s'effondra sous son propre poids en posant la patte au sol. Lorsqu'il se retourna pour frapper le dernier cavalier, celui-ci parvint à guider sa yari droit dans le bras de son ennemi, ne parvenant qu'à légèrement pénétrer sa chair au travers des mailles de sa manche, mais le maintenant au passage trop loin pour porter son attaque. Le violent coup de kitranche passa donc à seulement quelques centimètres des naseaux de l'équidé, mais ce denier, loin de remercier son maître de lui avoir sauvé la vie, se cabra de panique. Le barbare en profita pour se glisser entre ses sabots, l'un d'eux frôlant son casque, pour lui envoyer un vicieux coup de kitranche dans le bas du ventre, sur la partie intérieure de la hanche. Mû par l'énergie du désespoir, alors que sa monture s'effondrait, le cavalier humain parvint dans un ultime effort à planter sa lance à travers le pied du prêtre de Thimoros, le clouant au sol au passage. Bien qu'il endurât de plus terribles douleurs, Kurgoth ne put retenir un mouvement réflexe de son corps qui se plia en deux en sentant le métal froid traverser la chair de part en part. Sans qu'il ne le réalisât, cela lui permit d'esquiver miraculeusement et sans s'en rendre compte un coup de sabre mortel de son dernier ennemi monté. Alors qu'il s'apprêtait à décapiter la peau-verte, l'ynorien vit sa cible se dérober sous son arme et ne fit que quelques étincelles lorsque le bout de sa lame frotta contre le sommet de l'armet.

La douleur, en remontant le corps du garzok, se transforma en une rage féroce et enivrante. Rugissant comme un damné, Kurgoth enfonça sa lame dans la jambe de l'humain qui venait de le blesser avec tant de force qu'elle resta planté dans son fémur fendu au niveau du genou. Il ne s'attarda pas plus longtemps sur le soldat condamné à se vider de son sang sans pouvoir se relever et se libéra de la lance en l'arrachant du sol. Sa nouvelle arme en main, il vit le cavalier finir son demi-tour pour le charger une nouvelle fois. Cette fois-ci, il se tint prêt à le recevoir, entièrement concentré sur lui. Alors qu'il s'apprêtait à l'empaler sur sa lance, il reçut un violent coup de sabre sur l'arrière du crâne qui, s'il ne parvint pas à traverser le solide armet d'acier, se révéla suffisant pour lui faire rater son coup en le sonnant quelque peu, sa lance traversant donc l'animal de part en part plutôt que son cavalier. Furieux d'avoir raté une telle opportunité, s'il n'était pas déjà enragé par sa blessure au pied, le barbare fit volte-face en direction de son assaillant avant de réaliser que l'animal lui avait arraché la yari des mains.

Désarmé face à un humain maniant un long sabre à deux mains, il comprit qu'il allait devoir réfléchir vite et bien s'il voulait s'en sortir. Rester à distance ne ferait qu'avantager l'ynorien qui avait une plus grande allonge grâce à son nodachi, il lui fallait donc rentrer dans sa garde le plus vite possible. Même si ses neurones s'activaient à plein régime, il se devait de rester concentrer sur cet ennemi qui entendait bien le découper avant de lui laisser le temps de trouver une arme ou un plan de secours. L'ynorie tenta un grand coup vertical destiné à fendre en deux le garzok, mais ce dernier parvint à esquiver in extremis. Ce dernier compris cependant, en retombant sur son pied blessé, qu'il s'épuiserait vite à ce petit jeu et qu'il devait mettre ce spadassin hors combat au plus vite avant que le cavalier dont il venait de tuer la monture ne rapplique à son tour. À un contre deux et désarmé, il était mort. Il devait s'en débarrasser au plus vite, rentrer dans sa garde et le neutraliser d'un coup mortel pour pouvoir continuer le combat contre le dernier des trois cavaliers. Le prêtre de Thimoros se jeta donc sur l'humain sans même essayer d'esquiver une riposte, mais l'arme de ce dernier le maintint à distance, la pointe bloquée contre l'armure qu'elle ne pouvait pénétrer. Pestant intérieurement en voyant son autre ennemi se relever, Kurgoth dût cependant attendre que son adversaire tente une technique pour venir lui enfoncer son gros poing brun dans le ventre, sentant la cuirasse se plier et les côtes se briser lors de l'impact.

Mais alors qu'il pensait pouvoir se tourner vers le dernier ennemi, il sentit la morsure froide et cruelle du métal perforer son mollet. Dans son dos, presque à l'agonie, celui qu'il pensait hors de combat venait de le poignarder. Rugissant de colère contre cette vermine qui osait le déranger alors qu'elle aurait dû être morte, le barbare le saisit à la tête d'une main et de l'autre le frappa le visage jusqu'à lui fracasser et aplatir le crâne. Dans sa fureur, il ne s'interrompit que lorsqu'il sentit un coup rebondir sur l'antre de Balmor. Cela lui rappela qu'il restait un ennemi, un idiot qui aurait du prendre son temps pour le toucher ailleurs, à la tête par exemple, pour le décapiter. Mais il était trop tard pour lui, grognant et la gueule écumant de bave à travers les trous de respiration de son armet, Kurgoth se retourna en ramassant le nodachi au sol. Il vit alors l'ynorien perdre son teint jaune pour devenir livide, nez à nez à seulement quelques centimètres de cette vision infernale alors qu'il sembla paralysé l'espace d'un instant. Lorsqu'il sembla reprendre ses esprits, l'humain perdit toute bravoure et suivit son instinct qui lui dictait de fuir, mais il était trop tard. À peine avait-il le dos tourné que le garzok profita de la longue lame qu'il venait d'acquérir pour lui trancher la tête sans même avoir à le poursuivre.

[HRP:
-Enchaînement brutal rang 2 (-4PE)
-Blessure légère au bras et à la tête
-Blessure grave au pied et au mollet
-Apprentissage Sacrifice
-Récupère un nodachi
-1 soldat laissé avec blessure incapacitante au torse, 1 mort avec crâne en miettes et 1 mort décapité]
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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 26 oct. 2019 10:32

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

V


Shirel :

Kano ne se retourna guère, filant faire son devoir en épaulant les siens. Les fantassins des camps alentours furent bientôt rassemblés en une longue triple ligne d’assaut, qui commença à avancer dans l’obscurité. Mais alors que le jeune soigneur farfouillait les tentes pour trouver du matériel de soin, qu’il dénicha sans mal, gourdes d’eau, compresses de tissu et bandages de diverses tailles, des sons étranges lui parvinrent : des sortes de jappements infernaux, suivis de cris, bien humains ceux-là. S’il levait la tête, il pourrait voir des sombres silhouettes quadrupèdes, canines, bondir dans les rangs des ynoriens pour les déchiqueter, bien que ces derniers ne se laissant pas faire leur répondaient avec acharnement.

Lui, pour l’instant, était sauf. Mais le camp n’offrait pas un beau spectacle : cadavres et moribonds se confondaient dans la terre boueuse suintant du sang des blessés. Certains gémissaient, oui, qui ayant un bras coupé, le ventre tranché d’où s’écoulait ses propres tripes, la cuisse ouverte, la cage thoracique enfoncée ou la jambe écrasée et offrant des angles tout sauf naturels. Il était dans un charnier plus que dans un hospice pour blessés, et ceux qui étaient autour de lui étaient des morts en devenir.

Endar et Kurgoth :

Kurgoth, relevant à peine le nez de son précédent combat, partiellement blessé ne vit pas venir vers lui un cavalier isolé qui chargeait avec puissance dans sa direction, lance en main, prêt à le transpercer. Mais ce que ne vit pas ce cavalier, ce fut le retour d’Endar, lancé au grand galop sur son loup géant, qui vint cueillir le cavalier sans qu’il s’y attende, le tuant sur le coup d’un puissant coup tranchant de sa lame. Endar était limite reconnaissable, vêtu d’un manteau d’ombre impressionnant, semblable à une apparition du puissant dieu de la guerre et de l’ombre en personne. Ou en tout cas le paraissait-il au cœur d’un violent combat.

Mais les deux comparses n’eurent guère le temps de se parler : trois nouvelles menaces s’imposèrent à eux, et pas des moindres : là où les précédents cavaliers ayant attaqué Kurgoth étaient des soldats de base de la cavalerie ynorienne, là ils avaient à faire à trois cavaliers d’élite, sans doute des gradés, en armure complète de samouraïs.


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Le premier chargea vers Kurgoth avec hargne, son yari pointé en avant, lançant sa monture au grand galop pour augmenter la force d’impact. Les deux autres, impressionnés par le spectacle qu’offrait Endar, se lancèrent tous deux dans sa direction, face à lui dans sa charge, de telle sorte qu’ils se croiseraient sous peu, chacun de part et d’autre du shaakt monté. Ceux-là étaient respectivement armés d’un tachi, sabre de cavalerie, et l’autre d’un Kaginawa qu’il faisait tournoyer dans sa main libre, bien qu’un tsuguri, une épée à double tranchant, était encore engainée à son côté. Sans doute avaient-ils des lances, avant, mais celles-ci doivent s’être perdues dans les corps d’orques morts au combat.


[HJ : Phase de combat dirigé au tour par tour pour vous deux. Les màjs peuvent être plus rapide, dépendamment de vos RP. Dès que vous avez tous les deux posté, je peux répondre à nouveau, afin de ne pas perdre de temps.]







[Endar : 0,5 (Charge spectaculaire)
Shirel : 0,5 (récupération de matériel)
Kurgoth : 3 (Combat contre les 3 cavaliers). Apprentissage non validé : j'ai pas vu où tu avais inséré les autres parties d'un apprentissage au sein de ton post. Je te valide le nodachi]
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TheGentleMad
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par TheGentleMad » sam. 26 oct. 2019 19:59

-----K-----


Venant de décapiter le dernier combattant qui s'en pris à lui, Kurgoth ramassa sa kitranche, toujours plantée dans la jambe de celui qui le poignarda avant d'avoir le crâne écrasé. Une fois son arme rangée, fin prêt pour découper de l'ynorien à l'aide du nodachi fraîchement ramassé, le barbare se retourna, entendant un bruit de sabot se rapprochant. En une fraction de seconde, sa vie défila devant ses yeux, un cavalier au galop étant sur le point de l'empaler. Au dernier instant, cependant, une ombre massive traversa son champ de vision, tuant l'humain juste avant qu'il ne puisse porter son coup. Cette ombre salvatrice ne s'attarda pas près de lui et continua au galop son chemin vers deux autres cavaliers. Restant un instant interdit devant la scène, le garzok supposa qu'il s'agissait de la créature ailée qui lui avait parlé, seule unité montée qu'il avait vu au sein de leur vague d'assaut, et se promit de le remercier une fois sortis vivant de cette boucherie.

Cela s'avérerait cependant plus facile à imaginer qu'à faire. À la recherche, d'une prochaine victime, le chevalier remarqua immédiatement un cavalier à l'armure rutilante foncer droit sur lui. Contrairement aux autres, celui-ci semblait bien mieux équipé que les trois qu'il venait d’occire et était très probablement un officier. Tant mieux pour Kurgoth, le prestige de l'avoir abattu n'en serait que plus grand. Voyant l'ennemi arriver, il se mit en position pour l'accueillir et leva son nodachi au-dessus son épaule, prêt à frapper de toutes ses forces. Loin d'être impressionné, l'ynorien fit accélérer sa monture au grand galop et point son yari droit devant en direction du garzok. Ce dernier n'avait cependant pas l'intention de se faire transpercer. Au dernier moment, il fit un pas de côté pour que la tête de la monture gêne son cavalier et frappa l'animal plutôt que l'humain. Il se rappelait l'état du premier cavalier qu'il avait percuté, retrouvé la cage thoracique écrasée par le poids du cheval, et comptait bien se débarrasser de celui-ci de la même façon s'il le pouvait. C'est un moyen rapide et efficace de tuer, parfait pour une bataille comme celle-ci.

[HRP: Pas de côté pour que le cavalier soit gêné par la tête du cheval au dernier moment + Attaque simple sur le cheval]
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Endar
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Endar » dim. 27 oct. 2019 20:39

Le chaos, voilà ce qui définissait à la perfection la guerre. En dépit de toutes les stratégies inventées par les plus grandes stratèges, en dépit des formations militaires censées rendre plus performant les troupes au combat, le chaos s'avérait être la quintessence de tous les affrontements. A l'instant, Endar était habitué à tout ce désordre, il avait été entraîné, il avait survécu et le shaakt laissait volontiers son instinct le guider. Heureusement pour le garzok l'ayant suivi jusqu'ici, son instinct le guida à l'endroit exact où un cavalier ynorien muni d'une langue lance le chargeait. Chargeant dans son dos, il ne le vit pas venir et sa lame trouva la tendresse de la chair là où son cou était exposé. Le mouvement était suffisamment fluide, précis et rapide pour le tuer sur le coup. La gorge du cavalier recracha son liquide vitale, le liquide carmin venant s'écouler en de grosses gouttelettes sur son destrier et le sol humide de la forêt. Sa lance tomba et se planta presque à la verticale alors que le canasson continuait sa course, entraînant au loin son cavalier mort dont le pied était resté coincé dans l'étrier.

Lorsqu'il se retourna, il fit face à deux cavaliers, le troisième ayant isolé Kurgoth qui se battait présentement avec lui. Les deux cavaliers, l'un portant une sorte de sabre de cavalerie et l'autre portant à la fois une épée à double tranchant, mais surtout une étrange arme qu'il faisait tournoyer dans les airs. Ils s'élancèrent peu après vers lui, chacun le flaquant. L'être ailé et cornu n'avait pas besoin de réfléchir, il connaissait cette tactique et savait qui était le plus dangereux des deux : celui à l'arme la plus longue qui lui servirait à l'immobiliser pendant que le second l'achèverait d'un coup d'épée dans le dos. Que cela soit leur stratégie ou leur équipement, tout suggérait qu'il s'agissait là d'officiers. C'était une bonne chose pour démoraliser la troupe de cavaliers ynoriens, mais l'objectif était de n'en laisser aucun de vivants. Par ailleurs, Endar était l'un des seuls à avoir vu de nombreux fantassins se regrouper et former des lignes défensives. Les créatures de Karsinar les occuperaient pendant qu'il finissait son combat en ce lieu.

Fonçant vers ses ennemis, il fit bifurquer légèrement sa monture pour ne pas se retrouver au milieu des deux cavaliers. Les muscles puissants du loup noir lui permettaient d'être plus rapides sur de courtes distances que leurs chevaux. Il se plaça sur le côté du premier cavalier pour que le second soit gêné lors de son lancer. Plaçant son lourd pavois sur le côté gauche de sa monture, à mi-hauteur, il plaça ensuite sa lame sur le sommet de son bouclier attendant le choc. Une fois que le sabre allait heurter son bouclier, sa propre épée glisserait le long de son pavois pour frapper l'officier de cavalerie.

(Utilise la vitesse de sa monture pour ne pas se retrouver au milieu des deux cavaliers mais sur le côté du premier cavalier au sabre, puis coup simple de son épée sur l'ennemi.)

Shirel Benevent
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Shirel Benevent » mer. 30 oct. 2019 14:44

En farfouillant parmi les tentes déchirées, Shirel dégota sans mal quelques compresses, de quoi faire des bandages convenables, et même des gourdes d'eau salubre pour nettoyer les plaies. C'était un maigre butin après le raid Garzok et le départ de toutes les troupes valides vers le point de rassemblement : il avait l'air d'un pilleur des champs de bataille, qui profitait de l'anéantissement d'une armée pour récupérer sur leurs cadavres encore chauds de quoi subsister. Il ne lui manquait qu'un corbeau de Phaïtos sur l'épaule pour parfaire le personnage. D'ailleurs, toute son attitude embrassait nettement celle d'un de ces pillards de tombes : il avait le teint excessivement pâle, le regard fuyant et alerte, comme s'il avait peur d'être surpris par un soldat valide ou une créature tapie dans l'ombre, les gestes brusques et saccadés. Lorsqu'il s'immobilisait pour observer l'état des troupes ynoriennes qui formaient à présent une triple ligne, avançant vers la forêt en perçant la nuit de leurs lames.

Ils étaient grandioses, héroïques même. Lui, rabaissant ses yeux vers les affaires étalées au sol par la charge d'un Garzok et dispersées dans la fange et la crasse, ressentait cette curieuse sensation d'inutilité et de malaise qui l'accompagnait depuis son premier et unique entretien avec le capitaine du campement. Il n'était pas à sa place : venir ici avait relevé de l'inconscience des dangers et il semblait que la mission qu'on lui avait confiée - celle de “messager” - était aussi adaptée à ses maigres talents que nécessaire sur un tel charnier. Le capitaine n'avait de toute façon pas cru bon de lui transmettre le moindre message à porter, même après l'attaque des Garzoks qui avait pourtant causé tant de morts : il eût pourtant sans doute préféré pouvoir se carapater à Oranan, dans un endroit sûr, faire son rapport sur place, et profiter de l'occasion pour remettre sa démission, et rentrer au Royaume. Ce qu'il entrevoyait de la fameuse République, ce n'était pas l'architecture exotique, la nature splendide ou les mœurs délicates, c'était l'horreur de la guerre, et par simplicité les deux se fondaient et se confondaient, comme s'il n'y avait jamais eu en Ynorie que cette guerre affreuse et ces massacres terribles.

Il avançait en traînant des pas, observant autour de lui avec angoisse les corps qui, parfois, gémissaient. Il ne voyait que du sang, des cadavres qui bougeaient à peine. Il ne pouvait pas soigner cela. Leur mort était signée et imminente, sinon déjà accomplie pour quelques rares chanceux : il continuait son chemin, bredouille, espérant tomber par hasard sur un blessé qu'il serait en état de sauver. Mais il n'y avait rien qu'un charnier atroce, aux émanations immondes et écœurantes. Les ombres, par bonheur, adoucissaient partiellement cette vision en en gommant certains traits, et par malheur l'imagination et la terreur remplissaient aisément ces vides d'inventions encore plus sinistres. Il atermoyait, hésitait entre un cadavre ou un autre, apercevait la cervelle qui dégoulinait d'un trou sanglant dans l'occiput et reculait vivement, effrayé. Quand il entendait les gémissements des souffrants et que leur mal lui semblait trop profond pour être purgé, il adressait une courte prière à Gaïa et, par lâcheté, n'osait pas achever ces pauvres hommes qui tremblaient dans les ombres, attendant que la mort les cueille avec cette avidité de râles et de détresse qui caractérise les grandes souffrances. Ils n'avaient plus la dignité des vivants : leur seul souhait était de faire cesser cette douleur immense qui les dominait et leur broyait le corps autant que l'esprit : pourtant, Shirel n'avait pas la force de tuer un semblable et, malgré toute la foi qu'il accordait à Gaïa, les laissait crever la gueule à l'air, comme les chalands qui ignorent avec une indifférence monstrueuse les mendiants couchés dans les rues de Kendra Kâr.

Soudain, un cri et des jappements ramenèrent son attention vers les troupes fantassines qui avaient stoppé leur élan purgateur vers l'ombre. Ceux-ci étaient attaqués par des bêtes à l'allure infernale : des chiens tirés des Enfers de Phaïtos, bondissant parmi les rangs ynoriens pour les déchiqueter de leurs crocs. Ils avaient la prunelle fauve et avide de chair : leurs babines dégoulinaient de bave et de sang, tandis que leur poil noir et strié qui s'était fondu dans la nuit ressortissait sur les armures ynoriennes éclatantes, sous l'éclairage des torches qui donnait à l'ensemble une allure de tableau mouvant, issu de l'imagination délirante d'un peintre fou. C'étaient des créatures issues des cauchemars d'un gosse - peut-être de ceux de Shirel - il trembla d'appréhension et, figé sur place, sentit derechef son visage se tordre dans une grimace de détresse.

C'en était trop. Il avait le vague pressentiment que cette bataille était perdue d'avance : il se souvenait avec une clarté insoutenable de la retraite savamment organisée des Garzoks, plus tôt, de l'abandon tactique du chef de guerre qui, d'un seul ordre, avait convaincu toutes ses troupes de battre en retraite avec lui, sans aucune protestation ni retard de la part de ses subsides qui, pourtant, dominaient alors leurs ennemis. Ces bêtes-là, elles n'étaient pas présentes au moment de l'assaut, qui, évidemment, avait eu lieu en soirée, afin que l'avantage des troupes sombres augmente à mesure que la luminosité baisse. C'était un traquenard : un pur traquenard, et si Shirel restait là, il allait se faire tailler en pièces. Il songea à sa mission première, celle de “messager” : il imagina qu'il fallait qu'il prévienne l'état-major, les chefs, Oranan, de cette attaque qui allait anéantir leur première ligne de défense. Il pensa qu'il ne serait peut-être pas si lâche de redevenir “messager”, puisque cela revêtait dès lors une importance cruciale afin de permettre à la cité de se préparer à la défense.

Cela, c'était la version officielle, celle que Shirel tentait de mettre en place dans son esprit, consciemment, alors qu'en-dessous la terreur le faisait grelotter et le poussait avec hargne à s'enfuir au plut tôt. Il ne pouvait extraire cette volonté de sa chair : s'enfuir ; et puisque sa conscience lui offrait une justification adéquate pour l'abandon de ses alliés sur le champ-de-bataille, puisque ce n'était pas tant une traîtrise ou une désertion qu'un mouvement tactique, il se retrouva bien vite à courir, haletant davantage de peur que de faiblesse, dopé par l'adrénaline que lui insufflait la peur de mourir.

Il se dirigeait vers la route qu'il avait empruntée à l'aller, pour accéder au camp : mais il comptait, une fois qu'il aurait retrouvé la route principale, s'engager du côté qui lui était inconnu, celui qui menait à Oranan. De l'autre, il n'y avait rien d'autre que quelques refuges ou auberges de voyage sur toute la distance qui le séparait de Luminion, à peu près ; mais de l'autre côté, il ignorait à vrai dire de combien de temps il aurait besoin avant d'arriver jusqu'à une zone habitée, jusqu'à Oranan même, jusqu'à ce qu'il puisse trouver une aide quelconque. Il fallait qu'il prévienne de la situation, de la bataille qui commençait et qui risquait, si Omyre l'emportait, de mener à la chute de la République toute entière.

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Gamemaster9
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Re: La Forêt d'Ynorie

Message par Gamemaster9 » sam. 2 nov. 2019 09:07

De Fer et de Sang – Promenons-nous dans les Bois.

VI

Shirel :

À la faveur de la nuit, le jeune guérisseur put se dérober aux dangers d’une bataille trop violente, virulente, mortelle et brutale pour lui. Sur la route, vers Oranan, il allait remplir le rôle qui lui avait été confié : celui de messager. Funeste messager.

[HJ : Tu sors de la partie dirigée de l’event, de la bataille. Tu repasses donc en « libre », le temps du trajet vers Oranan. Tu ne quittes pas l’événement pour autant, pénétrant désormais dans sa dimension « semi-dirigée » dans laquelle je fais intervenir les personnages importants. Lorsque tu seras à Oranan, demandant de voir un responsable du conseil ou de l’armée, préviens-moi : je m’occuperai de l’intervention.]

Kurgoth et Endar :

Le cavalier qui fonçait vers le garzok devait s’attendre à une tentative d’esquive de la part de ce dernier, car il réajusta sa frappe au dernier moment… En vain hélas, car le coup échoua lamentablement. Kurgoth, lui, ne manqua guère le cheval, usant de sa nouvelle arme pour commettre une blessure monstrueuse à l’animal, qui chut au sol tête la première avec une violence folle, le poitrail entaillé jusqu’à presque avoir arraché ses deux pattes avant.

La violence du choc avait fait lâcher son arme à Kurgoth, toujours coincée dans le désormais cadavre équestre. Le cavalier, lui, fut renversé de sa monture, roula quelques mètres plus loin, vers l’avant. Mais il ne semblait pas plus affecté que ça par l’accident, et commençait déjà à se relever en s’appuyant sur son arme…

Du côté d’Endar, la charge des deux cavaliers ne se passa pas comme prévu : la voie qu’il dévia plutôt que de passer entre eux mit l’un d’eux complètement dans le vent, sans qu’il puisse frapper. L’autre, en revanche, tenta un coup rapide de son sabre, qui ne fit que heurter le grand bouclier du shaakt. Son propre coup, hélas, manqua sa cible, et les trois combattants montés durent faire demi-tour. C’est ce que firent en tout cas les deux cavaliers, faisant pivoter leur monture pour tenter aussitôt une nouvelle charge…


[Endar et Kurgoth : notation à la fin du combat. Je n'ai pas pu faire de màj supplémentaire cette semaine, mais c'est toujours possible si vous postez vite !
Shirel : 0,5 (départ) et j’ajoute une rune à ton inventaire pour la qualité du post. Très très prenant.]
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