Plaines de Kôchii

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Yuimen
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Plaines de Kôchii

Message par Yuimen » dim. 3 févr. 2019 10:12

Plaines de Kôchii



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Les alentours d’Oranan sont une terre fertile, sur laquelle les vents déposent le limon éolien provenu d’au-delà des mers. Le relief, relativement plat, permet une excellente visibilité, en particulier depuis les remparts de la cité. Si vous sortez de la ville au matin, vous apercevrez les vastes rizières dont une brume légère s’élève sous l’action des premiers rayons du soleil.

Les rizières sont une spécialité oranienne, qui ont à la fois le mérite de produire une nourriture qui tient au corps, et celle de ralentir les rares raid garzokes qui pourraient parvenir aux murs d’Oranan. Le terrain boueux est organisé en plusieurs sections : des petites buttes de terre vous permettront de circuler entre ces mares artificielles sans vous mouiller les pieds…si vous n’avez pas abusé du saké, l’alcool local produit grâce à cette culture. Les cours d’eau qui alimentent ces cultures proviennent des Cimes Sifflantes et de la forêt d’Ynorie, ainsi que du lac de Moura. Chose étonnante, le goût du riz est lui aussi différent selon la source de l’eau. Si les plus fins cuisiniers marient habillement les saveurs, la préférence des oraniens va en général au Rana-gohan, la variété qui pousse dans l’eau vivifiante des Cimes Sifflantes.

Un peu plus loin de la cité, sur des terrains un peu plus vallonnés, mais toujours scrutés avec attention par les sentinelles ynoriennes, vous pourrez vous balader parmi les épis dorés du blé du soleil et ceux, plus piquants, de l’orge verte. Ces cultures permettent l’autonomie de la cité et des villages paysans qui les entretiennent. Du fait de la surveillance oranienne, vous n’aurez pas grand-chose à craindre dans ces champs, bien qu’il ne faille pas exclure la possibilité d’un troll isolé ou d’une poignée de gnoll perdus, ou de jeunes natheira que la milice oranienne n’a pas encore eu le temps d’éliminer. Attention également aux mâche-pieds, peu dangereux mais courants, et aux hérissons enragés. Ne vous en faites pas trop cependant : vous croiserez bien plus souvent des nigris, harneys ou bouloums, à la limite quelques sarinsas ou les imprononçables kaeashs.

Au delà de ces terres agricoles, parsemées de quelques hameaux paysans, des collines vertes presque montagneuses s'étendent du nord au sud-est. La surveillance stricte des gardes oraniens s'amoindrit à mesure que vous vous éloignez de la cité : vous pourrez alors craindre les incursions Garzokes et Gobelines en vous approchant de la ligne de front, toujours active...

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Hatsu Ôkami
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » dim. 10 févr. 2019 13:58

En route pour Bouhen

Sitôt les portes de la ville franchies, les deux compagnons de routes se dirigèrent sur la route du Sud avec l’intention de rallier le comté de Bouhen. Le temps ensoleillé jurait avec les jours précédents qui n’avaient été que grisaille et pluie et c’est le cœur rempli d’excitation qu’Hatsu commença le voyage à la recherche du précieux métal dont avait besoin le forgeron qu’elle escortait. Elle espérait une aventure plein de rebondissement avec des rencontres improbables mais intéressantes et la possibilité de devenir une archère aguerrie en s’entraînant et chassant régulièrement. Elle déchanta très vite devant le mutisme froid et distant de son compagnon de route et la monotonie des premières heures de route qui se passèrent dans un silence pesant, simplement rythmé par les sabots du cheval, les piaillements des oiseaux et le bruit des quelques cours d’eau qu’ils traversèrent. Tout cela ennuyait la jeune femme mais elle prit son mal en patience. Après tout ils n’étaient partis que depuis quelques heures, elle se doutait bien que tout le voyage ne serait pas péripéties sur péripéties. Elle se contenta donc d’admirer le paysage qu’elle n’avait pas souvent l’occasion de voir.

Les grandes plaines qui accueillaient les immenses rizières servant à nourrir le peuple d’Ynorie scintillaient sous le soleil matinal et bien que le paysage soit totalement plat et sans grand intérêt, Hatsu apprécia la vue. Elle était souvent montée sur les remparts d’Oranan pour assister au spectacle quand elle était enfant, amusant ses parents et les quelques soldats qui la voyaient s’extasier pour ce qui, au final, n’était rien de plus que des rizières. Ils finirent par croiser quelques travailleurs qui furent superbement ignorés par Onoda mais à qui Hatsu rendit leur salut, s’attirant les moqueries de son compagnon.

- On fait connaissance avec la plèbe ?

- Eux au moins ils font un travail vraiment utile pour le pays.

Point sensible s’il en est, Onoda vit rouge et se tourna vers la jeune femme, le regard empli d’un pur mépris qu’il ne fit pas mine de cacher.

- Une fillette dans votre genre n’a pas à juger mon travail. Vous êtes une ignorante si vous arrivez à comparer leur travail à mon art. Vous n’êtes qu’une pimbêche qui se sert de son nom pour obtenir ce qu’elle veut alors n’essayez pas de me faire croire que le sort de ses bouseux vous importe.

- Et n’essayez pas de me faire croire que vous pensez sérieusement valoir plus qu’eux. Vous n’êtes qu’un vaniteux chez qui j’attends encore d’apercevoir la moindre parcelle de talent. Si toutefois votre réputation n’est pas montée de toute pièce.

Les deux se foudroyèrent du regard et chacun retourna dans son mutisme buté. Hatsu rumina les paroles du forgeron qui, malgré tout, l’avaient heurté davantage que ce qu’elle ne laissait paraître. Était-elle vraiment si hypocrite ? Elle dut reconnaître que oui, elle avait de nombreuses fois utilisé son nom pour obtenir ce qu’elle voulait des autres. Si elle s’en fichait depuis des années, les récents événements lui avaient ouvert les yeux. Elle était ce qu’elle cherchait à fuir, une noble qui usait de son statut. Elle avait tenté de corriger ça depuis son pacte avec Loup, usant uniquement de son prénom mais nombreux étaient ceux qui la connaissaient et elle n’était jamais sûre d’avoir obtenu ce qu’elle voulait grâce à ses compétences ou parce qu’on l’avait reconnu et qu’on espérait que les Ôkami s’en souviennent. Même contre les mercenaires elle avait tenté d’utiliser son nom pour les inciter à la laisser en paix et c’était bien la première fois que cela ne fonctionnait pas.

Perdue dans ses pensées, Hatsu mit quelques secondes à remarquer qu’Onoda avait fait arrêter le chariot et qu’il commençait à installer un bivouac pour le repas du midi. Elle leva les yeux au ciel. Ne pouvait-il pas manger en avançant, ce n’était pas comme si il devait faire un effort pour rester assis sur le chariot. Mais elle garda ses commentaires pour elle, ne souhaitant pas envenimer une relation déjà plus que tendue. Elle n’appréciait pas le forgeron et il lui rendait bien. Elle savait que cela ne serait pas facile mais elle avait malgré tout espéré qu’il mette un peu d’eau dans son vin pour la bonne marche du voyage. Cela ne faisait qu’une demi-journée et ils étaient déjà en train de s’ignorer l’un l’autre. Elle regarda le forgeron manger tout en grignotant elle-même une boule de riz qu’elle confectionnait depuis qu’elle sortait en forêt. Un repas peu exaltant niveau papilles mais extrêmement nutritif et c’est tout ce dont elle avait besoin. Elle avait de quoi tenir une semaine, après quoi elle allait devoir trouver autre chose, elle se promit donc de chasser à la première occasion.

Ils reprirent la route et la monotonie de voyage refit surface, pour le plus grand malheur d’Hatsu qui s’ennuyait ferme. Mais le silence fut brusquement interrompu par le forgeron qui souleva une question fort intéressante, elle dut le reconnaître.

- Comment nous organisons-nous pour la nuit ? Même si vous vous surestimez sans doute, vous n’êtes pas stupide au point de croire que vous parviendrez à rester éveillé en permanence. Alors ?

Il avait le don de dire ça de la manière la plus blessante possible mais Hatsu ravala les remarques désobligeantes qui lui brûlaient les lèvres et elle prit un instant pour réfléchir avant de donner une réponse qui lui parut satisfaisante.

- J’imagine que demander l’hospitalité dès que possible serait le plus pratique. Mais lorsque nous devrons dormir à la belle étoile, il serait dangereux de ne pas monter la garde, surtout dans certains endroits. Vous pourriez prendre le premier quart et je veillerais le reste, je dormirais le matin à l’arrière du chariot, j’ai emmené un couverture, cela devrait suffire.

Le forgeron la détailla un instant et hocha la tête, mais non sans lâcher quelques paroles peu amènes.

- J’espère que nous ne tomberons pas chez des bouseux, je refuse de dormir sur de la paille moisie.

La jeune femme roula des yeux mais n’ajouta rien. Elle se redressa et se cala à l’arrière du chariot où elle entrepris de se faire une paillasse suffisamment confortable pour ne pas être bringuebalée par les soubresauts du chariot. Elle l’essaya et, satisfaite, retourna près du forgeron qui avait les sourcils froncés. Elle suivit son regard et aperçu un petit nuage de poussière qui se déplaçait dans leur direction. Après une dizaine de minute, elle vit plusieurs cavaliers arriver au galop sur eux et l’un d’eux, probablement le chef, s’arrêter, ordonnant de la main aux autres de faire de même. Elle reconnut l’uniforme de la ville d’Oranan, ils devaient être des soldats en patrouille. Le forgeron se chargea de les saluer et de les présenter avant même que le capitaine n’ait à ouvrir la bouche pour leur demander des informations. Le grand moustachu eut l’air surpris de voir ainsi deux nobles qui battaient la campagne sans escorte et il proposa son groupe comme tel, arguant que des bandits sévissaient dans la région. Hatsu se prépara à refuser mais Onoda ne lui en laissa pas le temps et accepta, au grand dam de la jeune fille qui le lui fit remarquer.

- Nous sommes censés nous débrouiller seuls ! C’est de la pure tricherie !

- Bien sûr que non, je ne fais qu’accepter l’aide volontaire de soldats, ce n’est pas de la triche. Et puis c’est provisoire.

- L’honneur est une notion qui vous échappe on dirait…

- Elle m’est plus familière que ne l’est la logique pour vous. Soyez réaliste Dame Ôkami, si nous sommes attaqués, pensez-vous vraiment réussir à tenir plusieurs hommes en respect avec votre arc ?

Hatsu tiqua et se leva avant de s’installer à l’arrière du chariot, le plus loin possible de cet imbécile qui ne comprenait pas le caractère honteux de son acte et à quel point cela était déshonorant. Il l’exaspérait à toujours remettre en doute ses capacités. Hatsu avait presque envie qu’ils soient attaqués pour lui prouver qu’il avait tort… Presque.

Les soldats les encadrèrent et ils reprirent la route sous bonne escorte, Hatsu restant obstinément cloîtrée à l’arrière du chariot, ignorant les regards curieux des soldats qui devaient se demander ce qu’elle fichait là. Elle entendait Onoda discuter avec le capitaine, les deux parlant fort et rigolant comme de vieux compagnons. Onoda ne semblait hautain qu’avec elle. Méprisait-il les femmes en plus d’être un insupportable prétentieux ? Rien n’était moins sûr. Elle entendit son nom être prononcé et leva des yeux orageux vers le forgeron qui affichait une mine ravie. Mais c’était le capitaine qui tentait d’établir le contact.

- Que fait l’aînée des Ôkami sur ces routes ?

- Je l’accompagne, je suis là pour lui éviter de se ridiculiser en fuyant comme un lâche.

Le sourire d’Onoda se flétrit et les deux compagnons de route se foudroyèrent de nouveau du regard avant que le capitaine ne s’esclaffe.

- Vous avez du répondant ! je vois que vous utilisez un arc. Si vous le souhaitez, dame, notre tireur d’élite, Kirio, se fera une joie de s’entraîner avec vous.


Le tireur en question, un homme d’une trentaine d’année aux cheveux courts et aux yeux sombres perçants, lui fit un geste de la tête en souriant, visiblement d’accord avec les paroles de son capitaine. Hatsu étudia la proposition mais ne put s’empêcher d’hésiter. Ils n’étaient pas supposés recevoir d’aide. Mais le capitaine la devança, probablement parce qu’Onoda avait expliqué les réserves de la jeune fille

- Ne vous en faites pas, cela n’a rien de déshonorant que de nous laisser vous accompagner. Nous avons nos ordres et ne pourrons pas aller bien loin, mais protéger les citoyens est notre mission et si un autre concurrent se présente, nous ferons de même, je peux vous l’assurer.

Hatsu hocha la tête et accepta donc la proposition du capitaine. Elle allait pouvoir montrer à Onoda qu’elle savait se débrouiller et apprendre quelques ficelles intéressantes. Une pierre deux coups.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le lun. 4 mars 2019 00:58, modifié 2 fois.
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Hatsu Ôkami
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 11 févr. 2019 18:56

Ils évoluèrent pendant plusieurs heures sur la route des plaines, croisant villageois, transporteurs et marchands. L’escorte ne semblait guère utile pour Hatsu mais peut-être cela avait un effet dissuasif plus que convaincant, comment savoir ? Elle finit par se réinstaller près du forgeron, non sans que celui-ci ne montre son mécontentement d’un haussement de sourcil dédaigneux qu’elle ignora superbement. Certains des soldats bavardaient joyeusement et Hatsu se demanda si ces hommes avaient déjà connu le front et les combats. Elle était à peu près certaine que le capitaine de l’escouade était un vétéran au vu des cicatrices qu’il portait et des gallons qu’ils portaient fièrement. Voir les cicatrices lui fit repenser à Kage et elle se demanda s’il n’avait pas été soldat avant d’être… ce qu’il était actuellement. Elle se surprit à rougir en repensant au geste qu’elle avait eu en voyant ses cicatrices et cela n’échappa pas à son voisin qui, pour une fois, ne se montra pas désobligeant.

- Votre teint m’indique qu’un homme occupe probablement vos pensées. Votre futur mari ?

Elle le regarda avec suspicion mais il ne fit que lui accorder un bref regard avant de concentrer de nouveau son regard et son attention sur la route et sur le cheval qu’il devait diriger. Il n’y avait pas eu la moindre trace de moquerie dans sa voix et Hatsu hésita avant de répondre.

- Non, je ne pense pas à lui. Mais ça n’a pas d’importance.

- Qui donc est l’heureux, ou malheureux, élu dans ce cas ?

- En quoi cela vous intéresse ?

- En rien, c’est juste histoire de faire la conversation.

Le regard d’Hatsu était équivoque, elle ne croyait pas un mot de ce qu’il racontait et il soupira, mais n’ajouta rien pour le plus grand bonheur de la jeune femme. Voilà qu’il lui posait des questions personnelles maintenant ! Pour qui se prenait-il ? D’abord il l’insultait ouvertement, puis se moquait d’elle et désormais il voulait connaître sa vie privée. Elle se dit qu’elle aurait dû se renseigner davantage sur les autres forgerons, elle aurait peut-être pu tomber sur un qui aurait été aimable. Pas question de lui donner en plus matière à ce qu’il se moque d’elle par la suite, elle ne voulait pas qu’il en apprenne sur sa vie privée.

La petite troupe s’arrêta finalement une heure avant le coucher du soleil et les soldats dressèrent des tentes en rond autour d’un feu de camp. Cela ne leur prit que quelques minutes, prouvant qu’ils avaient l’habitude de ce genre d’exercice. Lorsque ce fut fait, le tireur de la troupe, Kirio, s’approcha de Hatsu qui installait son couchage et il s’inclina maladroitement, faisant apparaître un léger sourire sur le visage de la jeune archère. Il lui proposa donc de s’entraîner avec lui et elle accepta, suivant l’ynorien un peu à l’écart où ils pourraient tirer sans risquer de blesser un des autres soldats ou le forgeron. Un arbre faisant office de cible, le tireur commença par démontrer un talent certain et fit une moue approbatrice et légèrement surprise lorsque Hatsu lui montra ce qu’elle savait faire.

- Je n’imaginais pas que l’on vous ait entraîné.

- Ce n’est pas le cas, j’ai appris seule.

Il opina du chef sans rien ajouter et entreprit de lui donner quelques conseils sur les différents éléments à prendre en compte, sur comment anticiper les déplacements adverses puis il lui montra une technique qu’il assura employer régulièrement. Prenant appui sur un genou au sol, il banda puissamment son arc et la flèche s’enfonça avec force dans l’arbre, la pointe et une partie de la tige disparaissant dans le tronc. Hatsu émit un petit sifflement admiratif en voyant le résultat et passa l’heure suivante à tenter de faire de même. Son arc était un arc basique et peu puissant mais elle reproduisit les mouvements du soldat, posant un genou à terre, tenant l’arc légèrement de biais pour qu’il ne touche pas le sol et ramena l’empennage de la flèche jusqu’à son oreille plutôt que sa joue, appréciant la différence de puissance qu’elle pouvait déployer avec un appui plus stable que lorsqu’elle se tenait debout. Par contre cette technique était à double tranchant, elle le comprit très vite et ne put qu’acquiescer lorsque Kirio la mit en garde.

- Mieux vaut ne pas être trop près d’un adversaire en utilisant cette technique. Vous mettriez trop de temps à réagir et risqueriez de prendre un méchant coup. Si vous parvenez à être hors de portée, ou mieux, hors de vue, je ne donne pas cher de celui qui se prendra votre flèche.

Une heure et de nombreuses flèches plantées dans le pauvre tronc d’un arbre innocent plus tard, Hatsu se promit de continuer à pratiquer, elle aimait l’idée de pouvoir donner plus de puissance à ses flèches tout en restant cachée comme elle avait l’habitude de le faire. Le reste de la soirée puis la nuit furent calme et Hatsu profita d’un long sommeil, les soldats insistants pour assurer eux-mêmes la surveillance nocturne. Elle roula des yeux lorsqu’ils lui dirent qu’elle n’avait pas à faire ça mais elle obtempéra, ne voulant pas argumenter. De toute façon elle savait qu’elle aurait à le faire par la suite et elle fut plutôt contente de pouvoir profiter d’une nuit de sommeil complète.

Ils reprirent la route le lendemain et continuèrent ainsi pendant deux jours supplémentaires, Hatsu s’entraînant chaque matin et chaque soir pour maîtriser la technique de Kirio dans diverses situation. Le forgeron semblait avoir sombré dans un mutisme buté pour le plus grand bonheur de la jeune femme et elle appréciait finalement la présence des soldats qui les accompagnait. Ils étaient tous très différents les uns des autres et elle se prit à écouter avec amusement et bienveillance les rêves et aspirations de chacun.

En milieu de journée, le quatrième jour de voyage, le capitaine fit arrêter la petite troupe et donna des ordres brefs, les soldats se préparèrent à rebrousser chemin, le capitaine expliquant qu’il ne pourrait les accompagner plus en avant, ils avaient des ordres. Le forgeron murmura un borborygme qui fit rouler les yeux d’Hatsu, dessinant un léger sourire sur le visage du capitaine qui, après leur avoir souhaité bonne chance, reprit la tête de sa petite troupe et repartit vers Oranan. Kirio fit un signe de la main auquel répondit la jeune ynorienne sous le regard empli de jugement de son compagnon de route.

- Si vous séduisez tous les hommes que nous rencontrons, nous aurons rapidement une armée à notre service.

Elle soupira, tâchant de garder son calme et se tourna vers le forgeron, levant un sourcil hautain, un sourire narquois plaqué sur son visage.

- Vous êtes jaloux ?

Il s’empourpra mais Hatsu retourna à l’arrière du chariot sans lui laisser le temps de répliquer, mettant fin à une conversation qui n’allait de toute façon pas aboutir à grand-chose de constructif, elle en était convaincue. Le reste de la journée se passa dans un silence buté de part et d’autre. Hatsu remarqua cependant un panache de fumée qui montait dans le ciel dans la direction d’où il venait et en informa le forgeron qui ne se retourna même pas, faisant souffler la jeune fille d’exaspération. Lorsque la nuit arriva, ils s’installèrent et Hatsu se mit à surveiller les environs une fois le repas englouti. La visibilité devint quasiment nulle au bout d’un moment et elle ne se fiait qu’à ses autres sens, sans rien percevoir. Elle lutta longtemps pour ne pas sombrer dans le sommeil, parvenant à rester éveillée tout la nuit, à défaut d’être aux aguets.

Lorsque les premiers rayons du soleil percèrent le voile d’obscurité, elle réveilla le forgeron qui se leva de mauvaise grâce, traînant les pieds et râlant contre ce voyage, arrachant un sourire amusé à Hatsu qui bailla longuement avant de s’installer au fond du chariot où elle s’endormit rapidement. Elle fut réveillée, alors que le soleil atteignait le zénith, par le forgeron qui affichait un air inquiet. Il lui pointa le bord de la route et elle comprit son inquiétude. Une carcasse à moitié dévorée avait été laissée là, de grosse mouches tournant autour. Elle descendit et étudia la dépouille sans y toucher, se bouchant le nez dans une vaine tentative de masquer l’odeur qui se dégageait du cadavre. Il était relativement récent et les traces de crocs et de griffes suggéraient plusieurs attaquants. Elle se releva et scruta les alentours, sans rien percevoir. Le forgeron l’interpella d’une voix où transpirait l’inquiétude.

- Il y a une meute de loup dans les parages ? Ou des Garzoks ?

- Non, les loups n’auraient pas laissé la proie ainsi, et je doute que les Garzoks mangent leurs proies à même le sol sans la cuire… je penche pour des chiens errants.

Le léger soulagement qu’elle vit sur le visage du forgeron la fit tiquer. Il n’y connaissait donc strictement rien. Elle se chargea de retirer toute couleur sur le visage déjà pâle de Onoda.

- Les chiens sont plus dangereux que les loups. Les loups ont peur des humains, mais les chiens ont vécu à leur côtés, ils les connaissent et en viennent à les haïr s’ils ont été abandonnés ou maltraités, ce qui les rends plus agressifs… il faut partir. Nous sommes vulnérables, surtout s’ils sont nombreux.

A peine peut-elle mit le pied dans le chariot qu’un aboiement, suivi de plusieurs autres, confirma ses dires. Une meute de chien courrait vers eux à toute allure, babines retroussées et bave aux lèvres. Poussant un cri de frayeur, le forgeron fit claquer les rênes avec empressement et le cheval partit au galop. Les chiens ignorèrent la dépouille, préférant s’intéresser à la cible mouvante qu’ils se mirent donc en tête de chasser.

(Amusant…)

(Je m’en serais passé !)

Le ricanement de Loup arrondit la commissure de ses lèvres, dans un léger sourire alors que la meute se rapprochait inexorablement. Elle allait devoir montrer qu’elle n’avait pas usurpé sa place de protectrice.


(((Début d'apprentissage de la compétence à distance "Appui" (1/3))))
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le jeu. 14 mars 2019 03:05, modifié 2 fois.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » mer. 27 févr. 2019 01:17

Le chariot filait aussi vite que les sabots du cheval le tirant le lui permettait, mais les chiens se rapprochaient inexorablement, mues par la faim ou par un désir de violence, une soif de sang propre aux animaux maltraités par leurs maîtres, poussés à la cruauté dès leur plus jeune âge. Le forgeron ne cessait d’inciter Hatsu à agir, d’une voix d’où transpirait la peur. Mais la jeune archère attendait, flèche encochée, un genou posé dans le chariot. Elle n’avait pas beaucoup de flèches, chacune devait compter, et viser une cible en mouvement quand vous êtes vous-même en train de vous déplacer à vive allure n’est pas aussi simple que de rester cachée à attendre une proie et la tuer sans qu’elle ne vous remarque. Il y avait cinq chiens qui suivaient un sixième, une espèce de monstre musculeux et trapu. Hatsu était certaine que ces chiens avaient été élevés pour chasser, traquer et tuer, et probablement ensemble, vu leur coordination. Elle avait lu des choses similaires sur les meutes de loups qui agissaient comme un seul être, guidés par l’instinct de la meute et par la volonté du chef. Et c’est lui qu’elle devait abattre en premier. Elle visa, inspirant longuement tandis que sa flèche atteignait son oreille, profitant de l’appui de son genou pour mettre le plus de force possible dans son tir. Elle visa l’animal de tête, expira et lâcha la flèche qui fila comme le vent.

Comme mu par un instinct étrange, le chien bondit sur le côté et la flèche ne l’effleura même pas, s’écrasant au sol avant de se faire piétiner par le chien suivant. L’archère, incrédule, pesta silencieusement et recommença, avec un résultat similaire, lui faisant froncer les sourcils. Comment un chien pouvait anticiper ce genre d’attaques ? Mais elle n’avait pas le temps de tergiverser puisque le premier arriva à hauteur du chariot. Elle ne se débina pas, encochant une nouvelle flèche qui alla se ficher dans le crâne d’un des cinq suiveurs, qui ne fit même pas un mouvement pour l’éviter, contrairement à l’animal qui les guidait. La tête du chien s’écrasa au sol, faisant culbuter le corps à cause de la vitesse avant qu’il se s’arrête totalement, ignoré par le reste de a meute. Si elle ne pouvait pas tuer le chef ainsi, Hatsu se contenterait de réduire leur effectif. Une nouvelle flèche fut tirée et un autre chien mordit la poussière. Elle s’apprêtait à recommencer lorsqu'un bruit sourd lui fit tourner la tête. Le monstre canin avait sauté sur le chariot et se préparait à bondir sur elle. Elle cria au forgeron de venir l'aider, mais celui-ci refusa de bouger, cramponné qu'il était aux rênes qu'il ne cessait de faire claquer, martyrisant le pauvre cheval. Hatsu ne pouvait compter que sur elle-même, son compagnon de route n'étant pas de ceux qui affrontent le danger. Puis le chien passa à l'attaque.

L’action se passa comme au ralentit. Le bondissement du chien, sa flèche qui partait, les crocs aiguisés qui se dévoilaient à mesure que la mâchoire s’ouvrait, le sang qui gicla lorsque la flèche atteignit le chien au poitrail, la douleur et le cri d’Hatsu lorsque les mâchoires se refermèrent sur la jambe avec laquelle elle s’était propulsée sur le côté. Les deux adversaires retombèrent lourdement sur le chariot, le chien lâchant la jambe de l’ynorienne qui encochait une autre flèche. Le grondement sourd du chien lui fit froid dans le dos et il se jeta sur elle. La flèche manquait de puissance mais elle l’atteignit dans la mâchoire et il couina de douleur avant de tenter de mordre l’archère à la gorge, celle-ci se protégeant avec son arc, le plaçant sous les mâchoires du chien pour l’empêcher de l’atteindre. Sa jambe la lançait et ses bras faiblissaient à vue d’œil devant la violence du canidé enragé. Un objet massif s’abattit sur le crâne du chien qui couina et recula. Elle eut juste le temps d’apercevoir le forgeron brandir une pioche dans les mauvais sens, le visage ravagé par la peur, lâchant la pioche dès que le chien grogna, culbutant presque en voulant fuir à reculons. Hatsu, elle, ne réfléchit pas, encochant une flèche qu’elle tira à bout portant dans l’œil du canidé qui se préparait à bondir de nouveau. Il s’écrasa sur le plancher du chariot, tressautant. Vigilante, l’archère le cribla d’une deuxième flèche, puis d’une troisième et, lorsqu’il cessa de bouger, elle se rapprocha du bord pour constater que les autres chiens avaient abandonnés la poursuite. Elle poussa un soupir de soulagement accompagné d’un gémissement de douleur lorsqu’elle s’appuya bêtement sur sa jambe blessée. Elle informa le forgeron de l’abandon de la poursuite, mais celui-ci semblait atteint d'un peur indicible et mit un moment avant de ralentir l’allure et de stopper complètement le véhicule et de se tourner vers Hatsu tandis qu’elle récupérait ses flèches sur la carcasse du chien avant de le traîner tant bien que mal et de le pousser hors du chariot, regardant le corps sans vie s’écraser sur le sol.

La jeune fille était couverte de sueur et haletait, grimaçant à chaque mouvement impliquant sa jambe blessée. Elle remonta lentement son pantalon et observa la blessure. Ce n’était pas beau à voir, mais elle survivrait, il fallait juste que cela cicatrise. Elle craignait surtout les infections que ce genre d’animal pouvait transporter. Elle se saisit d’une gourde et nettoya les contours en sifflant de douleur, fouillant dans le chariot pour prendre des bandages et panser ses plaies du mieux qu’elle pouvait. Elle regrettait de ne pas avoir pris d’onguents pour cicatriser plus rapidement. Elle avait horriblement chaud et sa jambe la lançait, rendant la pose des bandages difficile. Une fois cela terminé, elle se désaltéra avec empressement et se laissa retomber sur le plancher du chariot avant qu’une voix ne s’élève, mauvaise et sifflante.

- Si de simples chiens vous donnent autant de mal, je serai d’avis de retourner immédiatement à Oranan. Vous allez nous faire tuer tous les deux.

Elle soupira et ignora la remarque le temps de reprendre son souffle, préférant passer sous silence l'héroïsme incroyable du forgeron qui avait attendu que le chien soit occupé sur elle pour tenter quelque chose avant de fuir de manière pathétique. Elle se redressa, croisant le regard du forgeron qui oscillait entre la colère et le mépris. Mais elle était lasse et voulait simplement se reposer.

- C’étaient des chiens entraînés à tuer et probablement tuer des choses bien plus grosses que des humains. Estimez-vous heureux qu’ils n’aient pas attaqués lorsque nous nous sommes arrêtés, nous aurions finis en charpie. Je me demande même si ce n’était pas des chiens entraînés pour la guerre. Reprenons la route, rien ne nous dit qu’il n’y en a pas d’autres qui traînent dans les parages.

Elle vit le forgeron blêmir en entendant ces derniers mots et il s’installa sur son siège avant de claquer les rênes, le chariot se mettant en branle immédiatement après. Hatsu ressassa un moment les paroles mauvaises d’Onoda. Elle détestait admettre qu’il avait en partie raison. S’il tombait sur des créatures plus dangereuses, ils étaient finis. Et encore, elle avait eu de la chance. De la chance qu’il intervienne. Elle se redressa, se rapprocha en traînant du forgeron, pour finalement s’asseoir à ses côtés.

- Merci, d’avoir détourné l’attention du chien.

Il eut un rictus narquois.

- Si vous étiez morte, je serais mort aussi, c’est surtout pour ça que j’ai agi. Et même si je survivais, je devrais des explications à votre famille, et je préfère m’en dispenser, ce serait une sacrée perte de temps. N’allez pas croire que j’ai fait ça pour vos beaux yeux.

Hatsu soupira de frustration et plongea dans un mutisme qui tira un sourire moqueur au forgeron. Elle le remerciait et lui s’en fichait ? Mais dans sa tête, Hatsu savait ce que cela signifiait. Elle avait une dette envers lui. Elle avait une dette envers cet homme qui représentait une grand partie de ce qu’elle détestait. Et ça, elle avait du mal à l’encaisser.


((( Suite de l'apprentissage de la compétence à distance "Appui" (2/3 )))
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » mer. 27 févr. 2019 02:45

Elle courrait, courrait à perdre haleine, tentant d’échapper à quelque chose. Elle ne se souvenait pas de quoi, simplement que cette chose la voulait, elle, et que s’il l’attrapait, c’en était fini, elle était finie. Elle courrait, sans savoir où elle allait, dans un décor vide, inconnu et angoissant. Aucun son, aucune autre sensation que ses pieds nus sur un sol froid et lisse. Elle courrait, sans relâche, sans fatigue, sans but, mais sans vouloir s’arrêter. Puis quelque chose la fit se retourner. Un rire. Un rire caverneux, semblant venir de partout à la fois, l’entourant. Une ombre se déplaça au loin. Deux flammes apparurent, hypnotisant la jeune femme qui ne pouvait en détacher les yeux. Deux pupilles d’un jaune saisissant qui surmontaient une gueule pleine de croc, ouverte et prête à l’engloutir, fondant sur elle à la vitesse de l’éclair, une voix d’outre-tombe lui parvenant avant que les crocs ne se referment sur elle pour la déchiqueter.

(A jamais réunis, Ôkami !)


Hatsu hurla, se réveillant en sursaut, faisant tomber la couverture qui la recouvrait et le linge humide qui était sur son front. Il faisait jour et elle était dans le chariot du forgeron. Ce dernier arrêta d’ailleurs le véhicule et l’observa d’un air étrange avant de se lever et de s’approcher. Hatsu était confuse, elle n’arrivait pas à mettre de l’ordre dans ses pensées. Avait-elle dormi ? Elle ne se rappelait pas s’être allongée. Sa jambe lui faisait toujours mal et elle transpirait à grosses gouttes. Elle vit le forgeron s’approcher et s’accroupir avant de la pousser sans délicatesse afin qu’elle se rallonge, remontant la couverture sur son corps. Elle remarqua enfin qu’elle n’avait plus ses vêtements, qu'elle était simplement vêtue de ses sous-vêtements et, rougissante, elle foudroya le forgeron du regard, une menace pesant dans sa voix.

- Vous m’avez déshabillé ?

Elle reçut un sourire goguenard de sa part, avant qu’il ne réponde.

- Oui. Vous vous êtes effondrée et vous déliriez, en plus d’avoir de la fièvre. Il fallait faire baisser votre température. Comment vous-sentez-vous ?

Elle fut étonnée qu’il ne se moque pas d’elle et répondit de bonne grâce, toute trace de colère envolée.

- Mieux j’imagine. Combien de temps ai-je dormi ?

- Environ trois jours. J’ai bien cru que j’allais devoir ramener votre corps sans vie à vos parents. Quel dommage que je me sois trompé.

Elle ne savait pas trop s’il plaisantait ou non, alors elle se contenta d’un hochement de tête, peu encline à créer une dispute maintenant. Elle n'en avait ni l'envie, ni la force.

- Merci…

- Tout le plaisir était pour moi. Votre corps fut une récompense plus que satisfaisante. J’imagine que votre physique voluptueux compense vos sales manières et votre faible intelligence.

Elle le regarda avec des yeux ronds et, avisant l’objet le plus proche, elle lui envoya au visage. Mais son corps étant encore faible, il ne fit que s’écraser lamentablement devant lui, lui tirant un nouveau sourire.

- Que seriez-vous sans moi ? Restez allongée, vous n’êtes de toute façon d’aucune utilité dans votre état. Il y a de quoi manger à côté de vous. Oh et, pour votre gouverne, cela fait deux fois maintenant, j’espère que vous vous en souviendrez, parce que je ne risque pas de l’oublier, Dame Ôkami.

Il retourna à son siège et fit de nouveau avancer le chariot, laissant Hatsu le maudire, lui et ses manies de la rabaisser dès qu’il en avait l’occasion. Deux fois qu’il lui sauvait la vie. Il n’avait pas omis ce détail la première fois, il attendait juste de s’en servir pour l’ennuyer. Et il avait réussi. La jeune femme pesta, sentant une envie folle de lui écraser son sourire d’un coup de poing, mais elle se contint, restant allongée. Elle se sentait fatiguée et le songe étrange qu’elle venait de faire la perturbait. La voix ne lui était pas inconnue, elle ressemblait à celle de…

(Loup ?)

(Jeune louve ?)

(Ce rêve, c’était toi n’est-ce pas ? Qui était la jeune femme ? Ce n’était pas moi.)

Il y eut un silence, simplement troublé par le bruit des sabots du cheval et des roues sur le chemin, des piaillements des oiseaux et du bruissement du vent. Enfin, Loup brisa ce qui était devenu une attente insupportable pour Hatsu.

(La Première Chasseresse, et le Premier Loup. Pas de Pacte, une fusion. Mais c’est du passé, tout est différent.)

(Tu l’as tuée ?)

(Non… Elle fut la première, tu en es la descendante. Un simple événement passé, rien de plus.)

(Mais…)

(Un jour… pas aujourd’hui !)

Le ton plus sec de Loup fit taire Hatsu qui soupira néanmoins, convaincue qu’elle devait savoir. Elle finirait par savoir.

Elle grignota le « repas » laissé par Onoda et resta allongée une bonne partie de la journée, oscillant entre rêve éveillé et sommeil réparateur. Lorsque la nuit fut sur le point de tomber, elle see leva et s’habilla, la fièvre l’ayant quittée, avant de s’approcher du forgeron. Elle ne dit rien et il lui tendit les rênes avant d’aller se coucher à son tour, sans un mot. Lorsque la nuit tomba pour de bon, elle préféra arrêter le chariot, l’obscurité n’aidant guère à avancer et à manœuvrer. Elle s’installa également dans le chariot et patienta, les sens aux aguets. Mais la nuit fut tranquille, à son grand soulagement.

Ils repartirent au petit matin, le soleil perçant difficilement la voûte nuageuse qui s’était installé durant les dernières heures d’obscurité, n’augurant rien de bon pour les prochaines heures. Une fine pluie commençait à tomber lorsqu’ils aperçurent une masure au milieu de nulle part. Il décidèrent d’un accord tacite de s’y abriter avec la permission des habitants. Avisant un toit, il garèrent le chariot en dessous, protégeant les provisions et les outils des trombes d’eau qui n’allaient pas tarder à leur tomber dessus, et frappèrent à la porte. Porte qui s’effondra lorsque Hatsu tambourina après qu’aucune réponse ne leur soit parvenue. Les deux compagnons se regardèrent et Hatsu entra, sur ses gardes. La maison, déjà dans un état décrépit de l’extérieur avec ses murs lézardés et son lierre qui y grimpait sur une bonne partie, n’était guère plus accueillante à l’intérieur. Mais au moins le toit semblait intact et c’est tout ce qu’ils demandaient. Ils installèrent donc leurs affaires après avoir vérifié que l’intégralité de la petite masure était vide. Il n’y avait qu’une grande pièce surmontée d’une mezzanine qui faisait la moitié de la pièce principale. Ils se cantonnèrent au plancher, peu enclins à vérifier la solidité des marches après avoir vu l’état de la porte qu’ils avaient dû remettre à sa place. Ils s’installèrent donc pour la nuit après avoir attaché le cheval et rentré leurs provisions et leurs biens à l’intérieur de la masure, pour plus de sûreté.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le lun. 4 mars 2019 01:14, modifié 1 fois.
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Vohl Del'Yant
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 19:18

Alors qu’ils s’éloignent au milieu des paysages parsemés de neige, survolés par quelques-uns de ces oiseaux qui passent les rudes saisons près de l’océan. Le chariot en branle semble être le seul bruit alentour, résonant dans le paysage vide comme une machine infernale, ou le grincement de quelque golem rouillé. Le protecteur prend le temps d’observer les alentours, prenant très au sérieux la mission pour laquelle il s’est porté volontaire. Ne voyant rien bouger, il se sent soulagé de la crainte d’être suivi par des compétiteurs de l’Erementarîfôji au comportement moins sportif que ce qu’il a montré avec Hatsu Ôkami.

Il sourit en repensant à la petite aventure qu’ils ont partagée tous les deux. C’est avec ce sourire qu’il relance la conversation avec le puiné des Himatori.

« Hïo, je pense qu’il est temps à présent que tu me dises comment tu comptes procéder. Où souhaites-tu aller pour la faerunne ? »

Le forgeron tourne une tête pensive vers lui.

« Lors de mon voyage avec mon ami d’enfance, Cherock, nous en avions trouvé un filon dans les montagnes de Mertar. L’entrée de ce filon était bien cachée, et je pensais que commencer par cette piste serait intéressant. De toute façon, c’est dans les mines thorkines que nous aurons le plus de chance d’en trouver ! »
« Pourquoi si loin ? Il existe des mines et des souterrains bien plus proches que le peuple des montagnes ! »
« Ha ! Je comprends ce que tu veux dire. Mais la faerunne ne demande pas des mines classiques. Elle est formée par l’exposition de fer à des mouvements d’air brutaux. Elle se forme donc en surface, ou dans les artères de mines qui canalisent les courants d’airs : les mines de Mertar sont le meilleur endroit pour réunir ces conditions. »

Vohl secoue la tête.

« Les Cimes Sifflantes ne permettent-elles pas déjà de répondre à ces critères ? »
« Elles ne sont pas aménagées. Il est possible qu'il y en ait sur la montagne de Rana, bien sûr. Mais si la faerunne était plus facile à dénicher ici que dans la chaine de Karathren, je ne me serais pas ennuyé à aller jusque Mertar avec mon ami. La veine que nous avons trouvé est relativement bien cachée : pour dire vrai, j'escompte que les nains n'aient pas découvert la cascade cachée. »
« Nous ferions mieux de faire route vers le Sud, en ce cas. Nous pourrions passer par le royaume de Kendra Kar, avant de nous attaquer à la chaine du Karathren. »

Un pli soucieux barre le front du protecteur, car ce n’est pas la direction dans laquelle les fait cheminer Hïo. Or cela ne laisse que deux possibilités, qu’il n’apprécie guère dans les deux cas. Le forgeron sort de son sac une carte qu’il a pris soin d’emporter. Il désigne la zone ynorienne et pointe successivement du doigt les tracés, massifs et les différents points qui intéressent sa démonstration. Vohl tâche de rester à sa hauteur, tout en maintenant un écart entre leurs deux montures.

« Prendre ce chemin nous ferait faire un trop gros détour. Nous n’avons pas beaucoup de temps car la faerunne est un métal élémentaire qui demande un travail délicat : j’aurai besoin d’être de retour avant les quatre jours imposés. Je ne pense pas que nous aurons trop de mal à en trouver…toutefois, mieux vaut gagner tout le temps possible. En passant par le défilé d’Aîsunidoriu, nous gagneront un temps précieux. Cela nous permettra également de nous ravitailler si besoin à Luminion, avant de faire route vers Mertar.»

Au grand dam de Vohl, il semble particulièrement satisfait du plan qu’il a prévu. Plan qui, constate son protecteur, consiste globalement à foncer droit sur les dangers des montagnes en plein hiver.
Alors qu’il s’apprête à le lui faire remarquer, le forgeron lui coupe l’herbe sous le pied : il en appelle à l’honneur familial, et à la fierté de son clan.

« Je tiens à ce que ma famille gagne ce concours, en particulier cette année, en ces temps troublés. Elle a toujours su donner les armures et les armes de la meilleure facture. Je ne peux pas perdre la face. Je dois être le meilleur. »

Une courte pause appuie ses paroles.

« C’est pourquoi nous traverseront le massif, directement. »
« Hïo, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Nous sommes en plein hiver, et cette chaine ne compte plus les vies qu’elle a prises. Ne serait-ce que le Défilé d’Aîsunidoriu, sera presque impossible à franchir. Je le sais puisqu’en j’en reviens ! Quant à progresser vers Mertar depuis Luminion… » Vohl regarde à nouveau la carte pour confirmer son affligeant constat. « Ton optimisme te rend honneur. Je me dois, moi, de protéger ta vie. Et j’affirme la chose suivante : progresser en pleine montagne dans des conditions que tu n’imagines visiblement même pas sera un calvaire de tous les instants. »

L’inquiétude de Vohl est palpable. Son retour, et en particulier sa descente des pics qui ceignent le défilé, a été catastrophique et n’eut été les surprenantes propriétés de sa monture, il n’en serait pas sorti vivant. Il avait en effet découvert à ce moment-là que son destrier pouvait planer en cas de chute. Ses mots semblent faire réfléchir brièvement son interlocuteur ; il regarde à nouveau la carte. Le protecteur est soulagé. Hïo prend de nouveau la parole après un petit temps de réflexion, opinant pour lui-même au plan qu’il vient de valider.

« Soit. Je ne me suis jamais rendu dans ces zones en hiver, et tes conseils m’ont l’air de bon sens. Nous éviterons la montagne. Nous suivrons donc cette route-ci. »

Vohl regarde le tracé que son jeune protégé lui désigne. Son cœur se fige. Hïo lui désigne la route qui passe au nord des montagnes. Ils éviteront ainsi la rudesse du climat montagnard…en risquant leurs vies sur le terrain de jeu préféré d’Oaxaca. La route d'Astérök. De pire en pire.

« Hïo. Cette route nous fera passer au travers des lignes de front et dans le territoire d’Oaxaca sur des centaines de kilomètres. Tu ne peux pas être sérieux ? »

Aucun doute dans le regard du forgeron cependant.

« Et comment ! Regarde : nous progresseront plus rapidement que sur les chemins dont tu m’assures qu’ils sont impraticables, et en plus, nous nous écarterons à peine de la ligne droite ! C’est bien mieux que le chemin que j’avais initialement prévu ! »
« C’est bien pire ! Nous aurons déjà du mal à franchir nos propres lignes sans qu’ils ne vous prennent pour un déserteur ! Et que dire des garzoks et de leurs maudits cousins rabougris massés à la frontière sur le commandement de la déesse noire ? Nous serons morts avant de faire trois pas. »
« Pourquoi la déesse du mal s’intéresserait-elle tant à moi ? Nous ne sommes que deux, nous passeront inaperçus ! »
« Je t’en conjure, Hïo ! Affronter les avalanches sera plus sûr ! »

Hïo arrête l’avancée de son poney. Vohl fait de même, constatant avec bonheur que son protégé revient à la raison et fait faire demi-tour à son attelage.

« Je suis heureux que tu suives mes conseils. Même si Kendra Kar ne nous facilitera pas la tâche, ils nous poseront moins de problèmes que les hordes noires. »
« Nous n’allons pas à Kendra Kar. »
« Je voulais parler de la frontière que nous allons devoir franchir… »
« Nous ne prenons pas la route d’Akinos. Je repars à Oranan. »
« Que... »

Hïo lui décoche un regard furieux.

« Malgré ton retard ce matin, j’étais loin de me douter que tu étais un pleutre. J’aurais dû ouvrir les yeux. »
« Je ne suis pas un… »
« Oh que si. Crois-tu que je ne te voyais pas ? Toujours jetant des coups d’œil à droite et à gauche, comme si tu craignais quelque chose ! »
« Je ne voulais que… »
« Je sais fort bien ce que tu voulais. La gloire, l’appât du gain. Nous repartons à Oranan. De tous les lâches qu’il peut y avoir parmi les mercenaires et les vautours qui veulent participer à l’évènement, il a fallu que le pire des couards sans honneur se propose de m’accompagner. »

Le fils Himatori est calme, mais couve une colère réelle. Aussi réelle que celle qui bouillonne dans le sang de Vohl. Il hausse le ton.

« Je te protège ! Passer dans les troupes ennemies signerait ton arrêt de mort ! Crois-moi lâche si tu le souhaite, mais ne t’engage pas contre la marée noire ; tout mercenaire qui te promettrait qu’il ne t’arrivera rien serait un charlatan ! »
« Kage, que représente cet évènement pour toi ? Crois-tu qu’il ne s’agisse que d’un concours de la plus belle ou de la plus solide création ? Bien sûr que non. Sinon, on nous donnerait immédiatement le métal que nous devons forger. Il s’agit aussi de faire ses preuves en courage et en loyauté. Mais tu ne sembles pas comprendre cela. »
« Je…je n’avais pas songé à cet aspect. Vous fournissez l’armée oranienne depuis tant de temps… comment le conseil peut-il douter de votre engagement ? »
« Il ne s’agit pas de douter. Il s’agit de prouver, de renouveler notre allégeance. Aucun des métaux élémentaires n’est aisé à récupérer. J’ai étudié plus en profondeur le sujet depuis mon aventure précédente. Tous les textes qui se rapportent aux rares expéditions évoquent des contrées hostiles et des monstres terrifiants…lorsqu’ils sont revenus. C’est pourquoi j’ai besoin d’un protecteur, et non d’un guide des zones non dangereuses. Quoi qu’il advienne, nous serons exposés au danger. Je n’ai pas besoin d’un pleurnichard qui s’enfuira en voyant le danger arriver. »
« Hïo Himatori. Je jure que je donnerais ma vie pour te protéger. L’honneur de mon nom en dépend. Traversons les hordes noires. Je ne te promettrai pas qu’il ne t’arrivera rien. Mais avant que tu tombes, mon âme devra déjà s’être gelée.»

Un silence.

« J’ai douté de toi : j’ai cru que tu étais inconscient, que tu n’avais pas connaissance des dangers auxquels tu t’exposais. Pardonne-moi pour cela. J’ai passé l’entretien face au monocle de Sirius Gale. Il a vu l’amour que je porte à mon pays. C’est ce lien qui m’a conduit à essayer de te faire éviter le danger. Oranan se doit de préserver un forgeron qui possède ton talent. Prenons l’itinéraire que tu veux ; mais promets-moi de ne pas risquer ta vie inutilement. »

Hïo détaille le visage de l’homme en face de lui. Il prend une longue inspiration, les yeux hésitant entre les larmes de colère et de soulagement. Le choix de l'itinéraire lui tient à cœur et il semble y avoir mûrement réfléchi. Il prend le temps de digérer le plaidoyer de Vohl. Puis redresse le menton, aussi fier et altier qu'il peut l'être avec son jeune âge. Avec une franchise brute et une volonté affirmée, il reprend la parole.

« Alors faisons demi-tour ! Et si les garzokes se mettent en tête de nous empêcher de passer…nous leur ferons gouter l’acier ynorien ! »

Vohl tend une main amicale.

« A ta survie. Et à ta victoire lors de cet Erementarîfôji. »

Hïo la saisit avec vigueur.

« A notre survie. Et à notre victoire. »

Le mercenaire rit franchement au retour de son toast, et est bientôt rejoint par le forgeron. Ils font encore demi-tour, cette fois pour de bon. La route qui les mènera au front s’étend devant eux. Ils s’y engagent côte à côte, étudiant de nouveau la carte pour conforter leur nouvel itinéraire. Vohl présentent des aspects stratégiques nouveaux pour le jeune forgeron.

« En général sur ce front, les troupes sont déployées en andins d’opposition ferme : c’est-à-dire que les armées se font face, le plus souvent protégées par des camps de fortune. Les troupes sont mobiles et tentent de surprendre l’ennemi sur ses points faibles supposés...un jeu de bluff, jusqu’à ce qu’une enfoncée majeure permette de briser l’une ou l’autre des lignes de front. L’inconvénient de cette technique, c’est qu’elle étire la ligne de front jusqu’à ce qu’elle se heurte à des reliefs ou des obstacles qui ne permettent pas aux postes d’être contournés. Pour nous, cela signifie la Forêt d’Ynorie et le nord de la Chaine du Karathren. Faire un détour par la forêt serait inutile et dangereux. En revanche, en longeant d’assez près les montagnes, nous pourrions éviter de croiser le gros des troupes. En plus, cela nous fera sans doute gagner un peu de temps. »

Hïo acquiesce ; il regarde cependant Vohl d’un air étrange.

« Tu sembles connaître les arts de la guerre, Kage. Et tu parles de la situation comme si tu y avais pris une quelconque part. »
« Je suis un mercenaire, Hïo. La guerre a été mon commerce pendant suffisamment longtemps pour que j’aie pu croiser ces situations. J’ai pris part à certaines batailles…des événements m’ont fait quitter le front. »
« Fort bien. Nous ne nous en sortirons pas si nous ne nous faisons pas confiance, de toute façon. Nous nous rapprocherons des montagnes lorsque nous verrons les premiers camps oraniens. D’ici là, il sera plus simple de suivre la route. Mon chariot pourrait nous bloquer sur certains sentiers. »

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Re: Plaines de Kôchii

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 19:55

Les deux hommes avaient progressé pendant plusieurs journées au milieu des plaines de cultures endormies. Les toiles emportées par Hïo permettaient de bâcher le chariot, en faisant un abri relativement confortable et coupé du vent. En milieu d’après-midi, ils aperçoivent plusieurs volutes de fumées qui ponctuent l’horizon.

« Nous arrivons à la ligne de front. »
« Continuons d’avancer autant que nous le pouvons. Nous bifurquerons dans les bois lorsque les premiers forts seront en vue. »

Les deux hommes poursuivent leur route et ne tardent plus à découvrir devant eux les fortifications érigées avec efficacité mais aussi avec les matériaux qui semblent leur être tombés dans les mains. De loin, ces constructions de fortune semblent composées essentiellement de terre. Conformément à leur échange, ils s’engagent sous les branches nues, en direction de la montagne. Une sente, probablement empruntée par les cervidés de la région, est visible à quelques dizaines de mètres. Les ornières de sortie du chemin sont les plus dures à passer, mais les petits cahots lorsque le chariot passe sur des racines ou des cailloux font atrocement grincer l’ensemble. Hïo hèle son protecteur.

« Je vais laisser le chariot ici. »
« C’est une bonne idée. Nous serons plus mobiles, en plus de gagner en discrétion. »
« Attends quelques minutes. »

Hïo s’affaire à détacher son poney de l’attelage. C’est l’histoire d’une dizaine de minutes, pendant lesquelles Vohl remplit les sacoches de son propre destrier du mélange qu’Itsuko Yukashi leur a vendu. Le forgeron achève de faire de même pour l’une des sacoches de son poney, les autres étant garnies d’outils divers et variés. Une fois ceci fait, ils s’apprêtent à laisser le chariot derrière eux, lorsque l’ancien soldat suggère de finir le premier sac en laissant leurs deux montures se nourrir autant qu’elles le souhaitent ; ceci afin de pouvoir emporter la toile imperméabilisée dont les mérites leur ont été loués par l’écuyère. Le forgeron approuve, et ils laissent bientôt leurs deux montures prendre des généreuses bouchées du mélange alors qu’ils passent le sac de toile sur la selle d’Hïo.

Après avoir abandonné le second sac dans le chariot, sans grand espoir de le revoir un jour, ils reprennent les rênes de leurs montures respectives pour s’éloigner du chemin. Vohl passe devant, plus par précaution que par besoin : leurs guides, les hautes cimes, apparaissent largement entre les arbres dénudés, et le risque de croiser des garzoks ici est très mince – ou très mauvais signe.

« Nous croiserons sans doute quelques éclaireurs oraniens : je te laisserai présenter la situation, si tu le veux bien. »
« Pourquoi ? »

S’attendant à la question, le protecteur avait déjà une réponse en tête.

«Ton visage leur sera plus familier que le mien. Si tu leur parles de l’Erementarîfôji, ils comprendront la situation. »

Vohl espère surtout qu’ils n’auront pas à croiser les militaires ynoriens. Mais si cela devait se produire, il ne tient pas à être le point de mire des fantassins. Il mise sur le fait que l’Erementarîfôji, renommée, focalisera l’attention des gardes sur le jeune forgeron. Le destin semble toutefois clément, puisqu’aucun éclaireur ne vient à leur rencontre. Le chemin disparaît bientôt derrière eux, masqué par les troncs. Ils progressent à une allure raisonnable, couvrant chaque jour environ quatre-vingts kilomètres. S’ils étaient restés sur le chemin principal, le trot des chevaux leur aurait sans doute fait gagner une précieuse vingtaine de kilomètre... mais le sentier tortille et le sol meuble peut être glissant, rendant plus prudent un pas rapide, mais calme. Le sentier sauvage qu’ils ont rejoint est suffisamment clair pour que leurs montures n’aient presque pas à être guidées. Le sous-bois est relativement clair ; Vohl s’y attendait, depuis qu’il a traversé la forêt d’Ynorie, il y a maintenant environ un mois. Seules les plantes coriaces maintiennent leur structure pendant la période hivernale : ronces, grandes berces, arbustes et lianes. L’hivers fait disparaître les hautes graminées qui auraient pu les camoufler, effeuille les buissons normalement denses qui auraient pu les abriter.

Chaque mouvement peut être détecté à près de cinquante brassées à la ronde. C’est un miracle qu’ils n’aient pas rencontré de sentinelle oranienne jusqu’ici. Des chevreuils en quête d’un lichen savoureux attirent l’œil du protecteur. La présence des bêtes et le chant grinçant de quelques mésanges et celui, plus fluté, d’un couple de harneys, achèvent de convaincre Vohl que la zone est libre. C’est le cœur plus léger, bien que toujours vigilant, que l’ancien soldat avance sous les frondaisons branchues. Sous le pas de leurs montures, le sol est boueux : les dernières pluies ont fait fondre le peu de neige qui avait été laissé par les passages a priori fréquent d’animaux de tous poils.

Après une bonne demi-heure de route vers les montagnes, ils obliquent enfin. La pente est devenue plus marquée et il ne leur est pas nécessaire de s’engager sur les coteaux. Ils progressent en silence, l’un penché sur des pensées de stratégie militaire et cherchant à comprendre l’inexplicable absence de patrouilleurs ynoriens dans cette zone, l’autre songeant probablement à la chaleur de la forge qui doit commencer à lui manquer. Bien que le soleil ait du paraître depuis un moment à l’horizon, les nuages lourds l’empêchent de réchauffer l’air ambiant : la température n’est guère au-dessus de zéro, et les deux compères sont emmitouflés dans leurs habits.

Le sentier se divise régulièrement en plusieurs branches, qui parfois se rattrapent l’une l’autre au bout de quelques centaines de mètres. A chaque intersection, Vohl prend vers les montagnes puis, lorsqu’il estime qu’ils s’en sont suffisamment rapprochés, prend la direction du Nord. Son jeune protégé le suit sans prendre la parole. L’assassin jette un parfois des regards dans sa direction, vérifiant qu’il ne s’assoupisse pas et que le poney suit encore l’allure de Mahô. En dirigeant de nouveau son regard par devant lui, il arrête brusquement sa monture. Le poney docile d’Hïo s’arrête également, surprenant son cavalier.

« Qu’est ce qui se passe ? »

Devant l’ancien soldat, un éclaireur les menace clairement d’une lance ynorienne.

« Identifiez-vous ! »

L’instant de surprise passé, Hïo prend la parole d’un ton ferme.

« Hïo Himatori, frère de Takoido Himatori, neveu d’Akido Himatori. Je participe à l’Erementarîfôji. Devant vous, mon protecteur attitré : Kage... »
« Kage No’Otoko. Le conseiller Sirius Gale m’a confié la protection de Hïo pendant l’évènement. »

Les sourcils de leur interlocuteur se défont de leur froncement. Le visage de l’homme reste cependant fermé. Conscient de l’importance de sa tâche, il ne baisse pas sa garde.

« Sire Himatori, mes salutations. De même, protecteur. Je suis toutefois navré, je ne peux pas vous laisser continuer. »
« Nous devons faire route par le Nord. Le délai imparti file et nous devons trouver la faerunne avant son expiration. »
« Protecteur, je suis étonné que vous ayez proposé cet itinéraire. La frontière nord est en guerre. »

Le ton réprobateur du soldat indique clairement ce qu’il pense du choix. Vohl baisse le menton, en un simulacre d’excuse. Il s’apprête à insister lorsque Hïo intervient de nouveau.

« Nous n’avons pas le choix, soldat. La route vers la faerunne est longue et nous ne pouvons nous permettre de contourner la frontière. »
« Sauf votre respect, je ne peux pas assumer la responsabilité de perdre un Himatori. »

Il semble réfléchir un bref instant. Il baisse enfin sa garde, et s’incline pour déguiser son ordre en demande.

« Je vous prie de bien vouloir me suivre. »
« Il nous semblait avoir été clairs. Nous ne pouvons pas... »

Vohl interrompt Hïo. La décision du militaire lui semble justifiée : il doit en référer à son supérieur. Il comprend, mais répugne à appuyer dans ce sens. Il craint en particulier de retrouver certains de ses anciens camarades. Mais ils n'échapperont pas à cette formalité.

« Nous perdrons moins de temps à suivre ses directives qu’à parlementer. Et plus vite il pourra reprendre sa ronde, plus vite nous pourrons passer. »
« Bien. » Puis, vers le garde : « Nous vous suivons. »

L'homme les conduit pendant une dizaine de minutes au travers des bois. Les cavaliers doivent démonter, par crainte que leurs montures ne se blessent sur le sol irrégulier et parfois trompeur de la forêt. Ils arrivent à un campement établi, de moindre importance. Vohl estime la capacité du camp à une trentaine de personnes. Actuellement, il semble y avoir moins d’une dizaine de personnes. Surement une dizaine, se corrige mentalement Vohl, si l’on compte les sentinelles postées en affut sur le pourtour du camp. Il en ignore le nombre exact, mais ne doute pas de leur présence. Elles sont simplement indétectables à ses yeux.

Le soldat s’arrête à quelques pas du campement. Il chuchote quelque chose, semblant parler dans le vide. Après avoir fait signe aux deux hommes d’attacher les rênes de leurs montures à un arbre à l’entrée du camp, il s’engage dans le cantonnement faisant signe aux voyageurs de le suivre. Il progresse sans hésitation entre les tentes pour les amener vers l’une d’entre elle en particulier. Rien ne distingue cette tente des autres : d’un blanc crème, simple, d’une capacité de quatre personnes. En un mot, une tente fonctionnelle. Un homme interpelle leur guide depuis l’une des tentes adjacentes. Après lui avoir demandé quelques informations sur la ronde, il reprend son poste de garde pendant que son camarade s’annonce.

« Sergent ! Soldat Hige, au rapport de ronde. »

La voix lui réponde depuis la tente.

« Soldat Hige, un imprévu ? »
« Sergent, deux civils au contact ! Sergent, ils sont ici ! »
« Soldat Hige, entrez. »

L’homme leur fait signe de rester devant la tente tandis qu’il en rabat l’entrée. Durant la minute qui suit, les échanges des deux hommes sont à peine audibles et clairement inintelligibles. Les deux hommes échangent quelques mots, sous l’œil vigilant du garde placé sur la tente d’en face.

« Convainquez-le de l’importance de la mission. En tant qu’Himatori, vous aurez un meilleur poids que
moi. Insistez sur l’avantage d’être deux et mobiles. Ne parlez pas des montagnes de Mertar. Dites-leur que nous devons aller vers la côte. Trouvez une explication si besoin. »


Le jeune forgeron opine sèchement du chef, avant de déglutir bruyamment. Il n’est pas à l’aise.

(On le serait à moins – je lui demande de mentir à un gradé, après tout. Enfin, il ne s’agit 'que' d’un sous-officier. Espérons que tout se passe pour le mieux... et qu’il ne soit pas sous le commandement de Talabre.)

Vohl doute très largement de sa dernière hypothèse. Les lâches ne viennent pas sur le terrain, ils préfèrent y envoyer leurs alliés. Et s’ils sont pris de courage, leur besoin de briller pour cela les emmène loin des tâches pénibles de surveillance qui valent bien moins d’honneur que d’aller au front. Le soldat Hige réapparait alors que le protecteur suit ce raisonnement. Le visage toujours fermé, il ne s’embarrasse pas de formules de politesse pour leur intimer d’entrer dans la tente.

Les deux aventuriers passent le fin mur de tissu imperméabilisé. L’intérieur est sombre, de minces raies pâles filtrant des interstices des tentures. Une lampe tempête éclaire l’intérieur, posée sur une table de bois devant laquelle on voit trois chaises. Sur la table est posée une carte et sur ses bords se trouve une pile de copeaux de plusieurs couleurs, utilisées pour les simulations de manœuvres militaires. D’un geste, le sergent les invite à se rapprocher et prendre place sur les chaises en face de lui. L’éclairage de la lampe lui donne un air sinistre, malgré des yeux d’un brun doux.

« Messieurs. Vous ne pouvez pas passer par ici. Nous sommes en zone de conflit : les déplacements civils sont hautement règlementés. »
« Hïo Himatori. Ma famille fournit l’armée depuis des années. Pour vous fournir les meilleures protections et les meilleures armes, nous devons affirmer notre maitrise des arts de la forge. M’illustrer à l’Erementarîfôji est crucial dans votre intérêt comme dans le mien. »

Le nom de l’illustre famille ne tire même pas au sergent un haussement de sourcil. Les mots suivants plissent son front.

« Vous allez droit au but, jeune Himatori. J’aime ça. Je vais également être direct : vous mettre en danger compromettrai notre relation privilégiée avec votre famille. »
« Ma famille a accepté les dangers que j’encours lorsqu’ils m’ont donné leur aval pour m’inscrire à cette compétition. Cela a fait l’objet d’une discussion rapide : il est question d’assurer l’avenir de notre famille. »
« Si votre famille dépend à ce point de fournir l’armée oranienne, comme vous le dites, n’ai-je pas intérêt à vous bloquer ici et vous faire perdre cette compétition ? Vos prix chuteraient et nous pourrions recruter davantage de forces pour rayer définitivement Omyre du continent. »

De stupeur, Hïo reste bouche-bée. Vohl écarquille devant ce qui peut être au choix une imbécillité crasse ou une foi aveugle. Il prend la parole.

« Sergent, vous n’êtes pas sérieux. Nuire ainsi au fournisseur exclusif de l’armée oranienne pourrait conduire à la pire des tragédies. Ils connaissent mieux que quiconque les forces et faiblesses de notre armée, les limites de leur équipement ! Voulez-vous vraiment les inciter à trouver une autre source de revenus ? Cela pourrait avoir l’effet tout à fait inverse au renforcement des troupes oraniennes... Sauf votre respect, forgeron... Il me parait préférable de renforcer cette collaboration ! »

Hïo se garde bien d’approuver des paroles qui pourraient lui valoir d’être accusé de haute trahison face à la République.

« Je ne vous permets pas ! Ma famille a été fidèle à Oranan depuis bien plus longtemps chacun d’entre vous ! Elle ne sera jamais félonne et soutient l’armée dans l’honneur de leur lutte ! Apprenez à rester à votre place, protecteur ! »

Sa tirade semble refaire prendre de l’assurance au gradé, mais le pli soucieux qui marque son front marque tout de même qu’il a fait siennes les réserves de Vohl. Il réfléchit encore quelques instants avant de reprendre la parole.

« Vous avez raison, jeune Himatori, et l’honneur de votre lignée répond à l’honneur de l’armée. Je ne peux néanmoins vous autoriser à franchir nos lignes. Pas avec le danger que cela représente, d’autant que vous connaissez dorénavant l’emplacement de ce camp. Je vais donc vous attribuer quelques hommes pour éviter que ces informations ne tombent entre les mains des peaux-vertes qui patrouillent également dans le secteur. Car elles patrouillent, soyez-en sûr. »

Il fait planer un instant de suspense.

« Je vais vous attribuer le soldat Hige et le soldat Kagame. »

(Kagame ? Merde !)

« A vos ordres. Kagame...euh...Le soldat Kagame doit être au camp, je vais le chercher. »

(Non !)

« Sergent, nous ne pouvons pas. Le règlement de l’évènement impose que chaque forgeron n’ait qu’un seul protecteur...justement afin d’évaluer la véritable dévotion des artisans, sans faciliter la tâche à ceux de renoms... »

(Rana soit louée...vive le règlement.)

A ces mots, le sergent affiche une moue pensive. Il est vrai que l’accompagnement exprès du forgeron par des militaires détachés de leur mission initiale constituerait une entorse au règlement, puisque cela pourrait être considéré comme une faveur faite en lien au nom Himatori.

« Soit. En ce cas, je vous somme de cheminer, vous et non mes hommes, le long des circuits de ronde, afin que nous puissions vérifier que vous ne donnez pas sciemment d’informations à nos ennemis. »

Le militaire est fier d’avoir pu retourner la situation. La différence est subtile, mais sans doute suffisante : les hommes ne font qu’un parcours routinier prévu. Tous les autres concurrents auraient pu profiter de la protection en calquant leur parcours sur celui des militaires... Vohl a toutefois bien compris que l’homme compte envoyer ses soldats devant eux, afin de se prémunir d’un événement fâcheux tel que la mort du forgeron.

Mais Vohl craint autre chose qu’un garzok : le soldat Kagame était avec lui en classes militaires. Dire qu’ils ne s’aimaient pas est un tendre euphémisme. Le protecteur avait déboité l’épaule de l’odieux bonhomme alors qu’il demandait à une jeune prostituée de lui remettre une partie de ses gains pour éviter de finir en cellule. Le bonhomme avait voulu prétexter une 'opposition au maintien de la paix civile', face à quoi Vohl n’avait pu retenir une réaction. L’homme avait provoqué Vohl dans une rixe, qui avait alors abouti au résultat connu... S’en était suivi une longue période de brimades : le jeune militaire avait découvert que son coreligionnaire avait fait passer le mot auprès de ses amis pour lui pourrir la vie... voire davantage. Vohl avait été pris à parti brutalement dans une ruelle ; il s’était défendu, marquant la joue de l’avare militaire d’une cicatrice nette avant d’être secouru par deux amis. Plus âgé que Vohl, le militaire légèrement bedonnant en avait gardé une rancune féroce. Il le reconnaîtrait à coup sûr.

Alors que le protecteur cherche une excuse valable pour s’esquiver qui paraisse crédible auprès des militaires comme de son protégé, le sergent les fait sortir de la tente. Hige est resté en faction, et lorsque le sergent lui donne l’ordre d’aller mander Kagame, Vohl saute sur l’occasion.

« Je vais aller en repérage. Je serai plus mobile et plus discret qu’en cheminant à quatre, dont deux en armures de maille. »

Le sergent ne semble pas convaincu, Vohl abat donc sa carte suivante.

« Hïo, tu seras donc sans protection pendant un moment. Je reviendrai aussitôt que nous quitterons de façon le parcours de ronde des soldats. »

Il ne laisse pas le loisir de répondre, ni au soldat, ni à Hïo, ni au sergent. Pendant qu’il s’éloigne, il entend le forgeron justifier sa conduite peu protocolaire.

« Veuillez le pardonner. Il est un peu impulsif, mais Sirius Gale a jugé bon de me placer entre ses mains. »
« Si le Conseiller au monocle... »

Le reste se perd dans ses bruits de pas. La réputation du Conseiller jouera sans doute en sa faveur, mais il n’en saura pas davantage. D’autres sujets le préoccupent. Il se dépêche de rejoindre Mahô. Deux hommes apparaissent au détour d’une tente, progressant en sens inverse. Le protecteur n’a pas l’occasion de changer d’itinéraire sans éveiller les soupçons. Un coup d’œil confirme ses craintes : l’un des deux est le soldat Hige. Il baisse aussitôt la tête, évitant à tout prix de croiser le regard de celui qu’il suppose être Kagame.

Il fait mine de passer une main pour se frotter les yeux, afin de cacher son visage. Les deux soldats le croisent, sans que rien ne se passe. Une hésitation d’un des deux soldats. Vohl prie avec ferveur. Entrainés par leur parcours et pressés de répondre à l’ordre du sergent, ils continuent sans l’interpeller. Vohl souffle discrètement. Il arrive en lisière du camp : il détache alors Mahô, et s’éloigne du camp afin de retourner là où son protégé et lui ont croisé la route du soldat Hige.

Il n’a guère le choix : il ne peut pas prendre le risque d’être vu par Kagame. Il s’éloigne du bivouac rapidement. Une fois arrivé à l’endroit décidé, il s’arrête un instant. La forêt calme lui renvoie son inquiétude. Il entend bientôt le son d’une conversation : les gardes, à hauteur de Hïo, semblent faire peu de cas de la surveillance à laquelle ils sont affectés. Du coin de l’œil, Vohl capte un mouvement. Invisible au trio insouciant, portant un camouflage couleur brun sombre, un garzok plaqué contre un tronc vise les trois hommes avec une arbalète.

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Vohl Del'Yant
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 20:16

Le protecteur note rapidement que le forgeron ne sera pas la cible : il est à pied et tient son poney par la bride, sans doute par correction afin de ne pas regarder de haut les soldats. Les militaires encadrent Hïo, absorbés par les informations qu’il semble leur communiquer. Les hommes en armes constituent des barrières qui empêcheront les carreaux de toucher son protégé.

Vohl projette en avant sa monture dans une gerbe de neige alors qu’il s’écarte du sentier. Le garzok est à une bonne cinquantaine de mètres. Malgré la vitesse de Mahô, il ne pourra pas y être avant que le carreau ne soit tiré. A mi-distance, le garzok le remarque, tout concentré qu’il soit sur son objectif. Il oriente alors son arme vers le cavalier.

L’ancien soldat connaît les dégâts que peut causer une arbalète, qui plus est à cette distance. Il s’éjecte de sa monture, roulant sur la neige. Il se relève directement et se plaque derrière un tronc. Le carreau émet un bruit mat lorsqu’il vient se planter dans l’arbre endormi.

“Contact !”

Son cri résonne : il est à peu près certain que les soldats l’ont entendu. Le cri de signal pour un début d'affrontement sur le front : de quoi faire réagir tout soldat de métier qui se respecte. Au remue-ménage qui se fait entendre dans le sous-bois, les garzoks ne sont pas les seuls. D’autres barbares verts émergent de derrière les troncs.

(Il y en a tant ! Une escouade garzoke !)

Les soldats, même en comptant Vohl, sont à deux contre un. Ils ne sont pas de taille à les vaincre : résister mobilisera sans doute déjà toute leur force. Vohl reconnait que Kagame a la force de l’expérience - ce compliment mental lui arrache un sourire acide – et il n’est pas du genre à fuir. Il reste incertain sur Hige, espérant le meilleur, redoutant un planqué d’arrière ligne. Ils sont armés de masses, de larges épées. Des couteaux et des fioles pendent à leur ceinture. Seuls deux sur les huit qui émergent ont des armes à distance : l’un une arbalète, l’autre un arc de corne. Vohl se souvient de son dernier affrontement contre un garzok : la douleur de ses contusions avaient mis des semaines à partir, et il n’avait affronté alors qu’un seul adversaire. Ceux-ci semblent relativement plus chétifs, mais cela ne suffit pas à lui donner envie de retenter l’expérience.

Il entend les pas nombreux de ses adversaires qui font crisser la neige. Avant qu’ils n’arrivent jusqu’à lui, l’ynorien fait le tour du tronc, et saute en avant, utilisant l’élan que lui procurent ses bottes vertes. Il s’élève à deux mètres, augmentant de fait la distance parcourue par son saut. Il atterrit sur la neige juste à temps pour voir que l’arbalétrier a fini de recharger. Il se baisse par instinct pour éviter le carreau sifflant qui emporte un filet de sang en frôlant son bras. L’instinct ne paie pas toujours.

Conscient qu’il n’aura plus l’opportunité d’utiliser ses munitions, son adversaire laisse retomber l’instrument à sa ceinture, en même temps qu’il dégaine de l’autre main un coutelas à la lame épaisse. Il se jette sur Vohl, qui pare le coup. L’autre ne s’arrête pas là, utilisant son inertie pour bousculer l’assassin, qui roule dans la neige. Le garzok ne se fait pas prier pour profiter de l’avantage qui lui est offert par la providence, et se rue vers le jeune homme. Alors qu’il se redresse, le barbare se fend d’un coup violent en direction de la tête ynorienne. Vohl bat en retraite, le temps de se remettre d’aplomb. L’autre ne le lâche pas, voulant à tout prix garder l’avantage de l’initiative.

Chaque mouvement qui passe donne à ses adversaires davantage de temps pour s’approcher. Et ils approchent vite : les premiers laissent leur compagnon se charger de finir son adversaire, et courent vers les soldats...et Hïo. Dans l’urgence, Vohl décide d’essayer de prendre son ennemi à contrepied. Alors que celui-ci approche une nouvelle fois, il se jette contre son adversaire. Le temps presse. Ses lames trouvent le chemin de la chair adverse en même temps qu’il voit la dague noire le frôler. Le garzok pousse un cri rauque, entrant dans une frénésie rageuse. Il martèle de coups violents la garde de l’assassin, qui ploie sous l’assaut sauvage. Il doit cesser de se laisser dicter le rythme du combat !

A l’issue d’une parade plus énergique, il allonge dans un même mouvement un coup vers la gorge de son adversaire. Vif, ce dernier esquive. Le second mouvement trouve le chemin de la carotide. Aussitôt, Vohl se détourne pour observer la situation derrière lui. Les deux gardes sont venus à bout d’un garzok chacun, mais la situation est désespérée. Encerclés par deux fois leur nombre, un cri d’agonie prend fin dans un craquement d’os retentissant. Selon Vohl, le second ne tardera pas. Le poney de Hïo est hors de vue. Un sombre pressentiment enceint le cœur du soldat. Il n’est pas de poids face aux quatre peaux-verte. Seul l’archer isolé peut encore être neutralisé. Ce dernier n’est pas en vue.

(Où es-tu?! Où es-tu, par Rana !?)

Son inquiétude grandit ; dans ces bois, ne pas connaître la situation d’un archer est aussi dangereux que de lui tourner le dos ! Il ne peut être que caché par un tronc. D’un coup de talon au sol, Vohl atteint les branches de l’arbre au-dessus de lui. Il observe de tous côtés, attendant de percevoir un mouvement qui lui indiquera la présence de l’envahisseur. Ici ! De sa nouvelle position, il voit l’archer...et le forgeron, qui dirige son poney à pleine vitesse vers le garde survivant – et le quartet olivasse. Mais au moins un des garzok l’a vu venir : l’archer darde sur l’intrus un regard venimeux et encoche une flèche. L’adrénaline de Vohl atteint des sommets. Il se catapulte sur l’arbre en surplomb de ce dernier, brisant moult brindilles et branches séchées par l’hiver.

Intrigué par le déluge d’écorces et de petit bois qui lui atterrissent dessus, il lève ses yeux porcins. Vohl remet en pratique ce qu’il a expérimenté lorsqu’il a secouru Hatsu Ôkami. Il saute de l’arbre, pieds joints, la griffe déployée en avant, visant les yeux étonnés de son adversaire. Aucun cri ne s’échappe de la bouche du guerrier. Les lames transpercent la face de l’archer, crevant les yeux et hachant le cerveau de la bête. Le poids de Vohl, reposant sur les lames, fait claquer les cervicales dans un bruit sec et morbide.

Il amortit le choc de son atterrissage en ployant les genoux. Il devra travailler cet aspect : la chute était peu haute mais résonne dans sa colonne vertébrale. Il se rend compte de la chance d’être tombé sur ses adversaires lors de son périple à Oranan : d’une hauteur pareille, s’il était resté droit, les dommages auraient pu être terribles. Un hennissement et des cris courroucés le font sortir de ses considérations : Hïo a manifestement mené à bien sa charge. Vohl se précipite vers Mahô, qui s’est arrêtée à proximité lorsqu’il a engagé le combat. A peine en selle, il dirige son destrier à fond de train vers le lieu du combat, quelques jets de pierres plus loin.

Presque arrivé sur les lieux, il constate que la manœuvre du forgeron a été couronnée de succès : le soldat Hige ne se trouve plus aux prises que de deux opposants, devant lesquels il bat en retraite, cédant du terrain à chaque coup. Le protecteur s’en désintéresse et se fige de stupeur en s’apercevant que son protégé s’apprête à réitérer l’expérience. Ce gamin a besoin d’une bonne leçon de stratégie militaire ! Encourageant Mahô d’une franche pression des genoux, il pousse sa monture à ses limites. Le bras armé dessine un arc meurtrier lorsque les garzoks, alertés par le bruit, se retournent. L’un d’eux s’effondre en se tenant la gorge, tandis que l’autre saute vers l’arrière. La solide monture de Hïo le percute alors de plein fouet. Dans le feu de l’action, Vohl constate que le jeune forgeron a fermé les yeux et est plaqué à l’encolure de son destrier, ses poings fermés avec force sur la crinière du poney. Un brin de fierté traverse le cœur de Vohl alors qu’il se soucie finalement du dernier endroit où le combat se poursuit.

Le deuxième soldat est toujours sur la défensive. Vohl reconnait le visage de Kagame. Un frisson le parcours. L’envie de laisser durer le combat afin de ne pas se salir les mains. Il ne doit rien à son ennemi : ni l’honneur, ni le sang, encore moins la vie. Son sens de l’honneur le pousse néanmoins vers le combat. Presque sans y penser, il plonge ses lames dans le dos vert qui se redressait, encore étourdit par le choc contre le destrier du forgeron. Il retombe aussitôt au sol, luttant pour remplir ses poumons percés. Condamné à une mort douloureuse et lente, à l’écart de tous les regards.

Vohl s’approche dans le dos des deux guerriers garzoks qui tiennent en échec le soldat aguerri. Ses lèvres sont fendues et de multiples écorchures marquent son visage. Sa tenue est percée en plusieurs endroits. Ses yeux ne sont pas résignés : il n’est pas ce genre d’homme. Non, c’est la furie du combat qui le maintien pour l’instant en vie. Lorsqu’il voit le protecteur approcher dans le dos de ses adversaires, un sourire narquois fait saigner ses lèvres blessées. Puis il reconnait le visage du jeune homme. La furie qui l’anime redouble, à tel point qu’il arrive à placer des coups d’estoc contre ses adversaires. Comme s’il refusait de devoir son salut à celui qu’il sait être un paria.

Mais Vohl n’en a pas l’intention. Il observe le combat, du haut de sa Cerfe. La rage dans les yeux de Kagame s’éteint progressivement, laissant place à une froide méthode, puis à une sombre résignation. Une nouvelle blessure recouvre la cicatrice de sa joue. Une autre vient entailler sérieusement son bras, duquel tombe le katana réglementaire qu’il maniait. Plus guidé par son honneur que par son envie, le jeune homme se laisse tomber au plus profond de lui, prêt à commettre un acte qu’il sait déjà regretter. Concentrant sa force dans son point, il relâche la tension accumulée en même temps qu’il fait bondir sa monture en avant.

Le dos d’un des garzoks est déchiqueté sous l’impact des lames. Il se retourne, et son cerveau refusant l’information de mort imminente, parvient à agripper la cheville de Vohl pour le jeter à terre. L’autre garzok se retourne pour voir son camarade s’effondrer. Le plat de sa hache vient exploser aux tempes de l’assassin. Les étoiles filantes défilent sur un fond noir d’encre devant les yeux de Vohl. Il se laisse envoyer rouler, espérant ainsi suivre le coup qui va logiquement suivre pour le décapiter. La hache siffle devant lui. Cherchant le sol et un appui au touché, il tente de retrouver le sens de l’équilibre, à l’aveuglette. Un tranchant mort sa cuisse. Superficielle. En tout cas, rien qui ne lui éclaircisse les idées comme une douleur intense. Il perçoit des mots, bien qu’il n’arrive pas à leur donner un sens.

“Il est à moi !”

Le bruit d’un nouveau corps s’écroulant lui parvient. Dans le même temps, ses yeux distinguent de nouveau la scène. Kagame a manifestement réussi à désarmer le garzok et l’a abattu de sa propre hache. Vohl a mené à bien le sauvetage, même si une partie a reposé sur l’habileté de Kagame. Ce dernier s’avance vers lui, encore tétanisé par le manque d’équilibre.

“Je savais que c’était toi ! Je l’ai dit à Hige. Il ne m’a pas cru. Un foutu déserteur qui accompagnerait un forgeron Himatori... La blague hein ! J’en ai eu la confirmation en posant quelques questions à ce garçon… La vengeance est un plat qui se mange froid. La mienne est glacée, mais le plaisir de voir ta tête rouler en valait la peine. Par une hache garzoke, qui plus est ! Hilarant, non ?”

Le regard froid du soldat se pose sur lui. Vohl le savait. Sauver cet homme était une grave erreur.

(En voilà un qui est passé d’assassin à soldat, lui...)

“Seuls les imbéciles ont cru que ton père était mort par accident. Mais personne n’en avait rien à foutre. Et maintenant, tu es mort. Ça va faire plaisir à Talabre. Et me faire gagner des yus.”

Le jeune ynorien se résigne. Avec son étourdissement, il n’est pas en mesure d’opposer une quelconque résistance à l’ennemi qu’il vient de sauver. Face à ce dilemme insoluble, il lui vient l’envie de créer une expression...passer d’Oaxaca à Phaïtos? Le tranchant de la hache se lève. Et retombe. La pointe d’une flèche dépasse de sa gorge. Vohl bascule en arrière en même temps que le soldat, renonçant à se maintenir assis. La silhouette floue s’approche de lui.

“Au moment décisif, l’honneur d’un homme se mesure à ses actes.”

Hïo. Le forgeron est pied à terre. Malgré son ton sûr, il tremble comme une feuille, et ses doigts pleins de sang se nouent convulsivement en un poing qu’il presse contre son ventre, comme si ses tripes allaient lui échapper. Son assurance le déserte définitivement lorsqu’il arrive près de son protecteur. Il bégaie plus qu’il n’articule. Voir et donner la mort l'a clairement perturbé.

“Je … je suis … content … qu’un homme comme toi ... se soit porté … volontaire ... pour me protéger.”

Vohl peine à répondre tant sa bouche est pâteuse du choc reçu. Il se résigne à rester au sol, après avoir essayé sans succès de se redresser sur ses coudes.

“Merci. Et moi de n’avoir pas choisi Fuji Onoda.”

La réputation de lâche du noble forgeron n’avait rien à envier à sa maitrise des métaux. Son protégé tire une grimace en même temps qu’il se reprend, se frottant vigoureusement les joues. Il parcourt les alentours jonchés de cadavre d’un œil vitreux.

“Je ne te pensais pas en état de faire de l’humour.”

Ses changements d’états alertent Vohl. Il se souvient de sa fébrilité, lorsqu’il avait éteint sa première vie. Et encore, ce n’était qu’un garzok. Le jeune forgeron vient de faire couler le sang d’un homme. En y ayant réfléchi. Vohl voit le visage perdu du garçon, barbouillé de sang. Il se redresse, puis se relève, s’appuyant précautionneusement sur Mahô. Il s’approche de son protégé.

“Aujourd’hui, tu t’es fié à ton instinct. Ne perds pas ton temps à te demander s’il s’agissait de courage ou de lâcheté. Tu as fait ce qu’il te semblait juste. Et tu as ma reconnaissance pour cela.”

Le forgeron semble reprendre contenance.

“Je...vous...tu...tu es vraiment un renégat ?”

Le visage de Vohl s’assombrit.

“Nous parlerons de cela après nous être remis en route.”

Il passe devant les cadavres, qu’il fouille sommairement. Il espère trouver entre autres un symbole d’appartenance, pour se faire une idée des forces massées sur cette partie de la frontière. Il se redresse bientôt sans plus d’informations. Tant pis. L’escouade oranienne se doutera bientôt que deux de ses soldats ont eu un problème : ils doivent se remettre en route.

“Allons-y. Rapprochons nous davantage des montagnes... ça nous évitera de tomber sur une nouvelle troupe.”

Il désigne les cadavres des peaux-vertes en se remettant en selle. Il attend que Hïo reprenne un peu ses esprits avant de le presser davantage. Le forgeron semble peser le pour et le contre de la poursuite de sa quête du métal élémentaire.

“Il faut y aller, Hïo. Tu auras le temps de méditer sur ce moment pendant le voyage.”

Le jeune forgeron se met en mouvement lentement, comme si chacun des gestes qu’il fait représentait un effort colossal. Lorsqu’il est enfin sur sa monture, Vohl prend les rênes de cette dernière. Ils poursuivent leur chemin, continuant vers le Nord. Pour le moment, le protecteur a d’autres préoccupations que d’occuper les pensées du jeune homme : celle d’éviter toute nouvelle surprise, par exemple. Ils s’écartent ainsi de la sente principale pour se rapprocher encore davantage des montagnes. Au bout de quelques heures, la pente devient suffisamment marquée pour que le meneur décide de recommencer à contourner les contreforts acérés.

Sortis du sentier principal qu’ils ne voient désormais plus en contrebas, leur progression est ralentie par les multiples branchages et les zones d’éboulis, qu’ils se résolvent à contourner avec moult précautions. La stratégie, mieux appliquée qu’il y a quelques heures, semble porter ses fruits : aucun garzok ne vient à leur rencontre. L’ombre projetée par les pics voisins les renseigne sur l’avancée de la journée : Vohl estime que leur périple leur a fait perdre une poignée d’heures, mais rien d’extravagant.

Jugeant que son partenaire s’est ancré dans son mutisme depuis suffisamment longtemps, il prend la parole, la voix enrouée de n’avoir pas parlé depuis la scène d’affrontement. Il se veut rassurant, mais n’a aucunement l’intention de taire ce qu’il s’est passé. La confiance naissante entre son forgeron et lui doit être préservée.

“Bien. Nous n’allons pas tarder à entrer sur les terres d’Oaxaca. Dis-moi ce qui te pèse, Hïo.”

Le jeune homme ne répond tout d’abord rien, les yeux dans le vague, figés sur le sol sans sembler le voir. Vohl descend de sa monture, et tapote la cuisse du jeune homme.

“Forgeron, il est temps que tu fasses sortir ce qui te mine.”

Au stimulus physique, le cavalier redresse les yeux vers son accompagnateur. Dans ces yeux, le combattant voit la peur et le doute. La fierté, aussi, derrière les autres sentiments. Le dos du forgeron, déjà droit, se raidit, comme offusqué que l’on puisse penser qu’il souffre.

“Je... je n’ai rien. Tout va bien...”
“Bien sûr que tout va bien. D’ailleurs les garzoks diraient la même chose. Hïo, seul un imbécile irait bien après ce qui s’est passé. Et tu n’en es pas un. Discutons.”

Cela leur fera sans doute perdre une heure, peut-être la soirée. Mais avant que les arbres ne se raréfie et qu’ils n’aient à progresser sous le feu croisé des troupes kendranes et omyriennes, il vaut mieux pour eux deux qu’ils aient vidé leur sac. C’est en tout cas ce que pense le garde du corps. Le ferronnier semble regagner en vitalité alors qu’il prend la parole d’un ton plus ferme.

“Es-tu un déserteur ?”

Il semble avoir la ferme intention d’obtenir des réponses. Et Vohl a la ferme intention de lui en fournir... lorsqu’il le peut.

“Mon cas est un peu...particulier. Un de mes supérieurs veut me tuer. Je n’ai pas eu le choix de quitter l’armée. J’ai participé à plusieurs batailles, et j’y serais encore sans cet évènement.”
“Qui était ton supérieur ?”

Vohl hésite un peu.

“Hïo, t’entrainer dans ce conflit ne t’attirera rien de bon et pourrait affecter ton travail : je préfère ne pas te le dévoiler.”
“Tu crois que mon art ne pâtira pas du doute que tu fais planer ? Le coup de hache que tu as pris doit encore te perturber. Dis-le moi, ou je te dénonce à peine arrivé à Oranan !”

Vohl soupire. Il craignait d’en arriver là. Toutefois, le forgeron a raison. Que tout soit clair dans son esprit est peut-être nécessaire.

“Il s’agit du capitaine récemment promu de l’armée...Capitaine Talabre.”

Le jeune Himatori hoche la tête. Il marmonne, ne parlant presque que pour lui, rehaussant la voix pour une autre question.

“Je ne l’aime pas beaucoup. Il a l’air toujours en colère, mais quelque chose cloche avec lui. Kage est-il ton vrai nom ? Mon frère a fait une tête étrange lorsque je lui ai rapporté que tu t’étais inscrit pour m’accompagner.”
“Hïo. Si tu souhaites connaître mon nom, et je te le dévoilerai sans doute un jour, je te demande d’attendre que je règle cette situation.”

Vohl doute qu’il s’agisse d’une réelle question : son nom a probablement été prononcé par Kagame lorsqu’il accompagnait le jeune homme.

(C’est pour ça que les deux militaires semblaient s’intéresser à ce que disait Hïo... ils essayaient de savoir si c’était moi.)

Il s’agit donc peut-être d’un test. Mais dans le doute, mieux vaut que le forgeron ne connaisse pas son nom. Si vraiment il souhaite le connaître, il pourra facilement l’avoir en regroupant les informations dont il dispose à son sujet. Le forgeron soupèse la situation avant de sembler accepter le marché et de s’enquérir d’un nouveau renseignement.

“Ai-je eu raison de … de te sauver ?”

Le regard bienveillant affronte celui, interrogatif mais désormais ayant repris un peu d’assurance, du Himatori.

“Oui. Je sers la cause de la République. Sirius Gale l’a reconnu, c’est pour cela qu’il a accepté que je te protège.”
“Mais j’ai tué un homme...”

Vohl le coupe avant qu’il ne puisse se flageller davantage.

“Tu as protégé un homme. Selon les lois Ynoriennes, le meurtre est un crime. J’étais à la merci de Kagame. Il aurait pu m’immobiliser, me conduire en procès. Mais il a voulu se venger lui-même, pour une vieille histoire qu’il n’a pas digérée. Tu as donc empêché un meurtre.”

Il souligne le mot ‘empêché’, traçant une ligne imaginaire du doigt. Le forgeron replonge dans ses pensées. Il délibère intérieurement.

“De quoi voulait-il se venger ?”
“Tu te souviens la cicatrice qu’il avait sur le visage ?”
“Oui...”
“Je la lui ai faite lors d’un duel qu’il m’avait lancé. Son honneur n’a jamais accepté que j’étais plus adroit avec les lames que lui.”

Un silence suit. Vohl a opté pour la version allégée. Rien ne sert d’ensevelir son protégé sous une somme de détail qui, au final, ne lui seront d’aucune utilité. Le forgeron pèse une nouvelle fois les informations, se demandant sans doute si elles sont véridiques. N’ayant pas d’autre choix pour l’instant que de les croire ou pas, il pose une autre question qui lui permettra sans doute de trancher. La question est implicite, mais Vohl en comprend tout de suite la teneur : il doit une justification.

“J’ai cru que tu ne le sauverais pas...tu as pris tout ton temps pour avancer jusqu’à lui.”
“Même ceux qui ont déjà connus les conflits peuvent douter. Mon anonymat est crucial à ma survie et au travail que je fais pour Oranan. J’ai hésité à sauver un concitoyen qui préférait me voir en traître qu’en sauveur... la suite m’a prouvé que j’avais raison. Je serais mort, si tu n’étais pas intervenu.”

Son interlocuteur semble convaincu, et sans se rengorger plus que nécessaire, la fierté timide que Vohl avait détectée anime maintenant ses yeux. Le protégé cherche néanmoins à comprendre les motivations de son mercenaire :

“C’était ton ennemi, et tu es tout de même allé le sauver, au final ?”
“Comme pour toi, voir quelqu’un perdre la vie n’est pour moi pas anodin... j’ai espéré qu’il ait changé... je ne sais pas exactement ce que j’attendais de ce geste. Je suppose que j’ai vu assez des miens pourfendus par des Garzoks... et il était lui aussi, malgré tout, un protecteur d’Oranan. Je pense que quoi qu’il advienne, je protègerai toujours ceux qui ont cette fonction...quels que soit les rancœurs qu’ils peuvent avoir à mon égard.”
“Même Talabre?”

Hésitation.

“...Je ne sais pas. Lui, je ne sais pas. Il n’est pas digne de sa charge, selon moi. Il y a un fossé entre ce qu’il cherche et ce qu’il devrait chercher... Je suppose que je ne le saurai que quand la situation se présentera.”

Vohl ne s’avance pas plus ; son protégé lui a posé une bonne question. Il élude ses pensées d’un geste évasif de la main : il aura le temps d’y réfléchir plus tard.

“Je pense que je commence à comprendre comment tu agis... j’ai sans doute eu raison de faire ce que j’ai fait. C’est juste que... ce sang sur mes mains... je l’ai tué sans réfléchir ! J’ai toujours cette impression d’avoir commis quelque chose d’horrible ! Je savais que ce modèle de casque ne comportait pas de gorgerin...la flèche était plantée dans le sol... Il a soulevé la hache, et tu étais au sol... Je n’ai pas eu le temps de réfléchir.”

Le protecteur lui laisse le temps de tarir son flot de paroles. Il lui pose une main apaisante sur l’épaule et lui tend une main fraternelle.

“Parfois il faut agir sans réfléchir, en se fiant à son instinct. Si l’on réfléchit trop face à des dilemmes apparemment insolubles, on reste paralysés et on perd l’occasion de faire un choix. Je pense qu’il faut surtout garder ça en tête : faire un mauvais choix que l’on devra assumer par la suite et mieux que de constater que le pire est arrivé car on n’a pas eu le courage d’agir.”

Le jeune forgeron lui serre la main en plantant ses yeux bruns dans les siens.

“Merci de m’avoir fait parler. Ça va surement encore me trotter dans la tête un long moment, mais je pense que j’avais besoin de m’en décharger un instant.”
“Je suis ton protecteur : je peux bien supporter quelques jacasseries d’un novice !”

Le novice en question esquisse une frappe amicale, puis remonte sur le dos de son poney. Il reprend un ton sérieux.

“Tu as beaucoup tué ?”
“Non...très peu... et la plupart le méritaient. Le plus souvent, c’était des garzoks.”
“Mais ces garzoks...ils pouvaient avoir une famille, des amis...non ?”

Décidément, ce gamin a l’art de mettre les pieds dans le plat.

“Les garzoks ont une conception tout à fait différente du monde que la nôtre. C’est pour cela que nous nous battons. Ils défendent leur point de vue, nous défendons le nôtre. Si nous avons conclu une alliance...c’est peut-être un peu fort … disons une trêve, avec Kendra Kar, c’est que leurs valeurs sont suffisamment proches des nôtres. Ça n’arrivera jamais avec les garzoks. Ne confond pas les ennemis et les criminels.”
“Je vais méditer là-dessus.”
“Tu le feras en route. Nous devons repartir. Mais avant ça ; il faut que nous parlions de la suite. Nous allons traverser une minuscule partie du territoire d’Oaxaca. Nous devrons être prudents dès que nous en serons là. Nous y passerons le moins de temps possible. D’après la carte, nous en avons pour environ un jour et demi. Nous avancerons à un trot soutenu pendant la journée. Puis tu dormiras en selle, et je guiderai les deux montures pour que nous avancions de nuit. Toi, moi, Mahô et ton poney, nous nous reposerons à Luminion, une fois franchie la frontière kendrane. Ainsi, nous en aurons pour moins d’une journée.”
“Tu crains tant que ça les peaux-vertes ? J’aurais cru un ancien militaire plus courageux.”

Un reniflement de dédain accompagne le sarcasme. Vohl sent le wasabi lui monter au nez.

“Je ne les crains pas ‘tant que ça’... la guerre est tout pour eux. Je n’ai pas envie de mourir, et ce sont des guerriers expérimentés, qui acquièrent leur expérience sur les champs de bataille ou dans les escarmouches. Si tu ne veux pas mourir, tu ferais bien d’intégrer ce point : juge ton adversaire à sa juste valeur. Si quelques-uns nous tombent dessus, je pourrai essayer de m’en défaire. Mais si une escouade nous prend par surprise...soyons lucides : ce sera la fuite ou la mort.”
“Bon...et comment saurai-je si nous sommes entrés en omyrhie?”

Un air sombre passe sur le visage de son protecteur. Il garde un sacré souvenir des opérations qui l’ont amené à passer du côté sombre du continent. Mais comment décrire en quelques mots suffisamment clairs l’atmosphère pesante, le vent semblable au souffle des morts, l’absence de vitalité du sol, conduisant à une végétation rachitique et hostile, ce sentiment oppressant d’attendre à chaque tournant, un cadavre ou un laissé pour mort au milieu du chemin ? Rien ne le préparera véritablement au paysage pelé, morne et morbide.

“Oh, tu sauras... crois-moi ! En route !”

Il ne leur faut que quelques heures pour arriver à l’orée de la forêt encore ynorienne. Au-delà s’étendent les paysages désolés : le forgeron ouvre des grands yeux face au spectacle. Un sentiment nauséabond s’élève de la terre ravagée. Le jeune homme s’écarte pour vomir derrière un arbre. Vohl serre les dents pour ne pas l’imiter. Il y a quelque chose, sur cette terre, qui refuse le droit aux vivants de la traverser. Une magie ancestrale, encore puissante, qui meurtrit ceux qui ne peuvent l’accepter.

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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » sam. 2 mars 2019 03:03

Comme ils l’avaient craint, un déluge s’abattit bientôt sur la campagne environnante, accompagné du tonnerre qui grondait au loin, s’approchant inexorablement, la nuit s’illuminant soudainement lorsqu’un éclair déchirait le ciel. Allongée à même le sol, Hatsu changeait les bandages de sa jambe, soulagée de constater que rien n’avait enflé et qu’il ne semblait pas y avoir la moindre infection. Onoda restait dans son coin, les bras croisés, plongé dans un mutisme que la jeune ynorienne avait appris à ignorer. Une semaine seulement qu’ils étaient partis, il leur faudrait autant de temps pour arriver en vue de Bouhen où ils se ravitailleraient. Hatsu avait besoin de récupérer des flèches, son carquois étant à moitié vide.

Commençant à avoir faim, Hatsu se décida à préparer quelque chose, utilisant le foyer central pour faire un feu avec les restes du mobilier qu’elle cassa à l’aide de la pioche du forgeron. Un feu agréable prit bientôt forme et elle s’attela à préparer un repas chaud pour changer de la viande séchée froide et des rations des derniers jours. Elle prépara un potage en y ajoutant un peu de viande. Elle avait évidemment appris à cuisiner, sa mère y avait veillé, et passer des journées en forêt lui avait appris à dénicher des herbes et autres épices pour agrémenter un peu ce qu’elle mangeait. Elle remuait doucement le contenu de la marmite lorsqu’Onoda se décida à bouger et à s’approcher, reniflant dédaigneusement ce qui mijotait.

- Vous essayez de m’empoisonner ?

Elle leva les yeux au ciel et se servit un bol en ignorant le forgeron. Elle grignota une boule de riz en plus, satisfaite du goût, même s’il manquait quelques épices selon elle. Elle vit Onoda se servir avec retenue, comme s’il essayait de ne pas se salir. Elle le regarda s’asseoir et sourit en le voyant avaler sa cuillère. Il fit un moue étonné mais se renfrogna en surprenant le regard de la jeune femme et reposa le bol au sol.

- Ouais… c’est mangeable. Rien d’extraordinaire.

- Vous ne pouvez pas juste dire « Merci Hatsu Ôkami, c’est délicieux et aimable de votre part d’avoir préparé un repas chaud » ?

Il émit un ricanement en reprenant une cuillère.

- Pour ça il faudrait appeler ça un repas. De toute façon il manque quelque chose pour agrémenter ce… Oh !

Hatsu le vit retourner vers ses affaires après que son visage se soit éclairé comme s’il avait reçu une soudaine révélation de Rana. Elle continua de manger avant de l’entendre revenir. Elle leva les yeux lorsqu’il lui tendit une coupelle d’un blanc laiteux. Elle haussa un sourcil mais la prit avant qu’ils ne servent un alcool qu’elle devina être un alcool de riz. Cela la surprit. Mais elle ne dit rien, attendant qu’il se serve à son tour avant de trinquer avec lui. Ils vidèrent tous les deux d’un trait la coupelle et les lèvres d’Hatsu formèrent une grimace face au goût aigre de la boisson. La première gorgée avait toujours un peu de mal à passer. Le forgeron les resservit et elle le sirota cette fois, elle préférait boire de cette manière. Elle buvait de temps à autre, loin du regard de ses parents, mais l’alcool avait au moins le mérite d’être un adoucissant pour son esprit combatif, elle était plus détendue avec un peu d’alcool et se déridait plus facilement. Aussi n’allait-elle pas trop boire avec Onoda, elle ne lui faisait pas assez confiance pour ça. Lui par contre enchaîna une deuxième puis une troisième coupelle sans faiblir tout en mangeant avec appétit. Puis ils en vinrent à discuter après un moment, la bouteille d’alcool ayant bien diminué et Hatsu s’étant laissé emporter malgré sa réticence initiale. Et évidemment le sujet dériva sur sa vie privée et sur ses choix, mais elle s’y attendait, prenant la chose avec humour.

- Mais pourquoi vous ne voulez pas vous marier ? Il est si moche que ça ?

Hatsu pouffa en reprenant une lampée de saké.

- Mais non, il est plutôt séduisant d’ailleurs, il faut l’avouer…

- Plus que moi ?

Elle éclata d’un rire franc avant de répondre avec un sourire amusé.

- Bien plus !

- Je n’y crois pas, les femmes tombent à mes pieds, je suis un des joyaux d’Oranan !

- Ce n’est pas la vanité qui vous étouffe en tout cas…

- Je connais mes qualités très chère Hatsu ! Mais passons, votre réponse !

- Je n’en ai pas envie voilà tout. Je veux décider de ma vie et choisir celui que je souhaite épouser si l’envie m’en prend !

- Et peut-être que vous préférerez les femmes après tout, sait-on jamais.

- Non, je suis sûre de préférer les hommes !

- Vraiment ? Seriez-vous plus entreprenante que tout le monde ne le croit ?

Elle leva le menton d’un air provocateur.

- J’ai déjà passé une nuit avec un homme voyez-vous.

L’expression de total ahurissement sur le visage du forgeron fut telle qu’Hatsu se mit à pleurer de rire. Il lui fallut un moment pour se calmer, mais le forgeron n’en revenait toujours pas.

- Vous ? Avec un homme ?

- Une longue histoire, mais oui. Mais ne faites pas cette tête enfin, il ne s’est rien passé de compromettant. Je ne suis pas une fille facile, j’ai des principes. Bon et vous alors ? L’amour vous a-t-il frappé en plein cœur ?

Elle avait dit ça d’un ton théâtral, tirant un sourire au forgeron qui laissa filer l’information précédente. C’était de bonne guerre.

- Je saurais vous tirer les vers du nez… mais en ce qui me concerne, l’amour est pluriel et toutes les plus belles femmes d’Oranan sont mes amantes, ou le seront, ce n’est que question de temps, je suis un homme fort occupé voyez-vous. Le talent a cela de terrible qu’il est jalousé et qu’il attire tant de demandes que c’en est presque ingérable, même pour moi.

Hatsu leva les yeux au ciel mais le sourire amusé sur ses lèvres ne trompait personne.

- Le grand Onoda croule donc tellement sous le travail qu'il peut passer de son si précieux temps dans la Maison Rouge ?

- Vous n’imaginez pas à quel point cela est épuisant de donner des ordres… J’ai bien le droit à un peu de réconfort, non ?

Le regard lubrique qu’il lui lança la fit soupirer en roulant des yeux, et elle se décida à cesser la conversation avant que cela ne dérape et qu’elle ne perde le contrôle. Onoda était peut-être plus agréable quand il avait bu, mais il n’en restait pas moins un homme prétention et imbu de lui-même. Elle ne voulait pas l’encourager à voir des avances là où il n’y avait qu’une politesse de circonstance, même débrider par quelques verres. Elle reposa la coupelle au sol et souhaita une bonne nuit au forgeron avant de s’éloigner pour se coucher à même le sol, son sac servant d’appui-tête. Elle bailla, bue de longues gorgées d’eau pour s’hydrater et se coucha, vérifiant que le forgeron faisait de même avant de fermer l’œil.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » dim. 3 mars 2019 12:31

Le réveil ne fut guère agréable pour Hatsu qui se sentait nauséeuse. Elle n’avait pas de migraine mais elle avait légèrement abusé de l’alcool la veille. Elle savait pourtant que l’alcool de riz était fourbe mais elle s’était laissée prendre au jeu avec Onoda et elle le regrettait. Mais en voyant l’expression du forgeron, qui semblait avoir une migraine terrible, elle se dit qu’elle s’en sortait bien. Elle raviva le foyer pour réchauffer ce qu’il restait de la veille au soir et en tendit un bol au forgeron qui l’accepta sans rien dire, lâchant un grommellement inintelligible en guise de remerciement, bien loin de son ton hautain habituel. Ils mangèrent en silence avant de ranger leurs affaires et de repartir sous un ciel vierge de toute grisaille. Seule l’herbe trempée et les quelques flaques d’eau témoignaient du déluge qui s’était abattu sur la région durant la nuit.

Le trajet reprit, monotone et en grande partie silencieux, comme si la soirée de la veille n’avait jamais existé pour les deux compagnons. Le forgeron gardait son air buté et ses remarques désobligeantes et Hatsu ne chercha pas à renouer contact devant l’agressivité du forgeron. Leur bref instant de camaraderie autour du feu paraissait bien lointain et la jeune femme se demandait pourquoi il réagissait ainsi. Mais elle laissa tomber, elle n’avait pas envie de créer une dispute avec l’homme qu’elle devait protéger.

Elle profita du trajet pour examiner sa jambe. Elle n’était pas une guérisseuse, mais elle se disait que cela cicatrisait bien et qu’elle n’aurait sans doute pas de grosses séquelles visibles. Une chance que le chien n’ait pas cherché à mâchouiller sa jambe, il l’avait aussitôt lâché pour attaquer sa gorge, preuve qu’il était entraîne à tuer des créatures humanoïdes. Elle changea ses bandages une dernière fois, espérant pouvoir trouver un onguent à Bouhen qui ferait disparaître tout ça. Elle aurait sans doute de légères cicatrices, de quoi exhiber fièrement si on remettait en doute sa détermination.

Elle rangea ses affaires dans son sac, veillant à ne pas abîmer la fleur de lotus ensanglanté. Le sang avait légèrement noircie mais le pliage restait en place. Elle se surprit à la sortir et à repenser à cette fameuse soirée, un léger sourire aux lèvres. Elle se demandait ce qu’il pouvait bien faire en ce moment. Il devait être en route avec son forgeron lui aussi. Il avait parlé de Himatori… Elle se tourna vers son forgeron qui boudait toujours.

- Dites, Himatori, il s’occupe de quel métal ?

Elle le vit parfaitement se crisper, mais il répondit néanmoins, avec son ton supérieur.

- Ce jeunot arrogant et bien trop encensé malgré son talent discutable ? Il s’occupe de la Faerunne, le métal de l’air. Pourquoi cette question ?

- Rien d’important…

La Faerunne… le métal de l’air. Elle n’y connaissait pas grand-chose à ce sujet.

- On trouve-t-on de la Faerunne ?

Le forgeron poussa un soupir, répondant de mauvaise grâce.

- Je dirais que le plus évident serait les mines de Mertar, encore faut-il y parvenir et que les Thorkin n’aient pas déjà tout exploité. Mais en quoi cela vous intéresse ? Vous vous inquiétez pour ce jeune coq ?

- Hein ? Non, je suis simplement curieuse…

Le forgeron se tourna vers elle, montrant clairement qu’il n’était pas dupe et ses yeux tombèrent sur le lotus que la jeune ynorienne gardait dans sa main, le caressant distraitement du doigt. Un fin sourire apparut sur le visage du forgeron.

- Cela a-t-il un rapport avec l’homme avec qui vous avez passé la nuit et qui vous a laissé ce souvenir ?

Hatsu s’empourpra et cela suffit au forgeron qui afficha un sourire moqueur.

- Vous êtes facile à lire bien que vous tentiez de rester de marbre. Je me demande ce que vous trouvez à ce jeune homme.

- Ce n’est pas… je m’inquiète pour son protecteur, c’est un ami.

Le forgeron se fit silencieux avant de reprendre.

- Si votre ami est avisé, il passera par la région de Kendra Kar et la route ne devrait pas être trop dangereuse. Mais connaissant le jeune Himatori…

- Allez-y, ne me faites pas languir !

- La Faerunne est un métal délicat qui peut-être long à travailler, s’il veut gagner du temps pour être prêt, il passera par les montagnes, ou au nord de celles-ci…

Le nord… Hatsu sortit précipitamment sa carte et elle n’aima pas du tout ce qu’elle y vit. Elle soupira et adressa une petite prière à Rana, dans l’espoir que Kage revienne sauf. Cela n’échappa pas aux oreilles d’Onoda.

- Pourquoi prier pour la réussite d’un concurrent ? Priez plutôt Rana de vous accorder le talent d’enfin toucher vos cibles.

Elle soupira d’exaspération, faisant ricaner le forgeron qui se reconcentra sur l’attelage, laissant Hatsu avec ses pensées. Elle s’inquiétait, pourtant elle n’avait passé que peu de temps en sa compagnie. Mais il lui avait sauvé la vie et elle avait fait de même, ce genre de lien est différent et elle-même ne le comprenait pas vraiment.

(Loup ?)

(Jeune Louve ?)

(Penses-tu qu’il s’en sortira ?)

(Chasseur fort et efficace. Il reviendra...)

(Je l’espère.)

(…faire des louveteaux.)

(Oh mais c’est pas vrai…)

Le ricanement amusé de loup lui tira néanmoins un sourire. Loup ne se trompait jamais lorsqu’il affirmait que quelqu’un était efficace et cela la rassura. Elle rangea le lotus avec précaution. Elle devait elle aussi accomplir sa mission et revenir avec son odieux compagnon de route. Un vent léger se leva, comme une bénédiction envoyée par Rana et Hatsu y vit un signe en sa faveur. Elle oublia simplement que parfois, le vent n’apportait pas toujours que des bonnes nouvelles.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 12:31

Intriguée par les runes, Hatsu les observa un instant avant d’écouter le mage lui expliquer ce qu’elles signifiaient. Il déposa quelques dizaines de yus pour l’orbe qui disparut dans l’enchevêtrement de livre et parchemins autour de lui. Elle le remercia et sortit tandis qu’il retournait à son grimoire sans plus de cérémonie, l’ignorant superbement. Elle rangea les runes dans sa bourse en y ajoutant les quelques yus et retourna à l’auberge, repassant par la place du marché où l’activité s’était encore intensifiée depuis son dernier passage. Elle retrouva le forgeron dans la salle principale et ils se préparèrent à partir aussitôt. Ils avaient encore une quinzaine de jours à passer sur les routes pour retourner à Oranan, et malgré l’extension temporelle dont ils avaient été gratifiés, partir au plus tôt ne serait pas une mauvaise chose, d’autres imprévus pouvaient encore les attendre au tournant.

Ils quittèrent donc l’auberge puis la ville avec un empressement à peine dissimulé. Onoda semblait avoir hâte de commencer à travailler sur le métal qu’il jugeait « fascinant ». Hatsu, en revanche, appréhendait quelque peu son retour. Son départ n’avait pas été des plus calmes et ses parents avaient accepté de mauvaise grâce. Sa mère avait d’ailleurs toujours été opposée à ce que son unique fille quitte le cocon familial dans lequel elle étouffait pourtant. Seul son père avait été suffisamment lucide pour comprendre qu’empêcher Hatsu de partir ne mènerait qu’à un conflit familial qui aurait pu totalement briser le fragile équilibre pour lequel il se battait. C’est donc moins enthousiaste qu’Onoda que Hatsu s’installa dans le chariot et qu’elle regarda la ville de Bouhen se réduire à l’horizon au fur et à mesure de leur avancée.

Elle imaginait que le voyage serait monotone et le début fut clairement à la hauteur de ses attentes. Le paysage plat, les champs à perte de vue et les voyageurs silencieux qu’ils croisaient n’offraient rien pour divertir ne serait-ce qu’un instant la jeune femme. Elle appréciait le calme après toutes les péripéties et les dangers qu’ils avaient vécus, mais elle s’ennuya rapidement après une journée passée à ne rien faire dans le chariot. Ce ne fut que lorsqu’ils s’arrêtèrent pour la nuit qu’Onoda proposa quelque chose. Ou plutôt qu’il remit un certain sujet sur le tapis.

- Il serait bon de dresser cette maudi… hmm… Yoru, vous ne pensez pas ?

Le sombre destrier était toujours avec eux, restant attaché au chariot et progressant sans rechigner en suivant le duo. Hatsu grimaça, peu enthousiaste à l’idée de devoir de nouveau embrasser le sol après un refus du cheval de se laisser chevaucher.

- Vous vous débinez ?

- Onoda… si vous pensez que je vais réagir à une provocation si évidente, vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

Le ricanement du forgeron la laissa de marbre. Elle se contenta de détacher l’animal pour l’emmener à côté de celui d’Onoda pour qu’il puisse se nourrir et se reposer. Elle aida le forgeron à préparer le repas du soir, ravie de constater qu’il avait acheté des provisions fraiches à l’aubergiste, leur assurant de manger autre chose que des rations de voyages sèches et peu agréables. Alors que seul le feu perçait l’obscurité, les deux compères discutaient de la fin du voyage.

- Et après ? Que ferez-vous ?

La question prit la jeune femme de court et s’est pensive qu’elle mastiqua la bouchée qu’elle venait d’enfourner avant de répondre.

- Pour être honnête, je n’en sais rien. J’imagine que ma famille voudra reparler de cette histoire de mariage.

- Vous ne comptez toujours pas vous marier alors ?

- Non. Ce n’est pas la vie que je souhaite mener. Je laisserai volontiers la tête de la famille à mon frère, mais il s’est engagé dans l’armée.

- Pourquoi ne pas vous engager vous aussi ? Vous avez certains talents…

- Vous plaisantez ? Si je refuse de me soumettre aux ordres de ma propre famille, ce n’est certainement pas pour obéir à d’autres.

- Et pourtant dès que l’on parle mal de votre famille, vous vous insurgez, vous êtes contradictoire.

Elle secoua la tête pour infirmer la chose.

- Ce sont deux choses différentes. J’aime ma famille, je ferai tout pour elle, mais j’estime que j’ai le droit de vivre ma vie telle que je l’entends et ne pas devoir ruiner ma vie pour une histoire de politique qui n’est en plus pas indispensable. Je suis leur fille, pas un vulgaire pion que l’on place pour obtenir des avantages.

- Vous espérez quoi ? Un mariage d’amour ?

- Pourquoi un mariage forcément ? Sous prétexte que je suis une femme je dois me marier et pondre une descendance et passer ma vie enfermée ?

- C’est la tradition dans les vieilles familles nobles comme la vôtre.

- Je sais. Mais si la tradition voulait qu’on se mette tous à courir nus dans les rues lors du solstice d’hiver, le feriez-vous ?

- Tout dépendrait du nombre de femmes qui participeraient.

- Evidemment…

La réaction de la jeune ynorienne tira un sourire au forgeron.

- Je comprends votre réticence Ôkami, mais on ne fait pas toujours ce que l’on veut.

- Je sais, mais mon corps n’est pas une marchandise. Et puis… qui dit mariage dit… enfin… enfin vous voyez, il faut le consommer. Et faire ça avec un homme que je n’aime pas, ça me donne envie de vomir. Je préfère encore être déshéritée.

L’ynorien s’esclaffa de bon cœur devant l’air à la fois outré et dégouté de la jeune femme.

- Oh Ôkami, vous me surprendrez toujours. La jeune fille de bonne famille est prude… comme c’est touchant et étrangement prévisible.

- C’est ça, moquez-vous ! Tout le monde n’est pas obsédé comme vous.

Le forgeron posa sa main sur son cœur, mimant une douleur et un air profondément outré qui tira un sourire à Hatsu.

- Comment osez-vous ? Moi qui suis si pur et innocent, la perfection au masculin.

- La perfection n’englobe pas la modestie dans votre cas.

- Seuls ceux qui manquent de talents sont modestes. Et du talent, j’en ai à revendre.

- Gagnez la compétition déjà, on reparlera de votre talent après.

- Je ne parlais pas forcément de ce talent-ci, Ôkami.

La jeune femme plissa les yeux d’un air suspicieux face au ton langoureux du forgeron qui lui fit un sourire charmeur tout en haussant un sourire suggestif, la faisant soupirer d’un air exaspéré.

- Par Rana vous… rhaaa, je vais me coucher ! Insupportable, vous êtes insupportable.

L’éclat de rire du forgeron l’accompagna tandis qu’elle retournait se lover dans le chariot, s’enroulant dans sa couverture, le laissant veiller les premières heures. La conversation lui avait fait prendre conscience d’une chose. Si ses parents étaient on ne peut plus claires sur la façon dont elle devait agir, le reste de sa famille était un peu plus mitigée à ce sujet, notamment son oncle ou son frère. Mais ce dernier l’avait laissé seule affronter ses parents et avait rejoint l’armée. La jeune femme soupira. Son frère lui manquait de plus en plus au fil des mois. Et si ses parents commençaient également à laisser un vide après autant de temps loin d’eux. L’absence au quotidien de son jumeau lui laissait un trou béant que personne n’avait compris ou n’avait cherché à combler. Elle se demandait si lui aussi ressentait la même chose. Il était son petit frère, son jumeau né quelques minutes après elle et ils avaient toujours été inséparables jusqu’à son engagement dans l’armée. Décision qu’il avait pris sans lui en parler, le lui annonçant devant le fait accompli, disparaissant le lendemain, soi-disant pour ne pas lui faire de mal. Mais même ses parents étaient au courant, elle avait espéré un peu plus de confiance de sa part. Pourquoi pensait-elle à lui en ce moment précis ? Elle soupira, se demandant si elle pourrait le revoir bientôt, adressant une prière à Rana pour qu’il reste sain et sauf malgré le danger dont elle ne pouvait le protéger.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le lun. 15 avr. 2019 22:18, modifié 1 fois.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 12:48

Semblable à l’aller, le voyage en direction d’Oranan n’avait rien de passionnant et se déroulait souvent dans un silence à peine dérangé par le murmure du vent, le chant des oiseaux ou le bruit des sabots des chevaux sur la route. Le duo croisait bien quelques voyageurs de temps à autre, mais la plupart n’étaient guère bavard et passaient leur chemin sans se préoccuper de qui que ce soit. Lorsque, parfois, certains daignaient ouvrir la bouche, les discussions n’étaient guère réjouissantes, beaucoup parlant d’un raid Garzok plus au nord ou de quelques rumeurs concernant des individus drapés de noirs et montant de sombres destriers, chevauchant à la recherche de quelqu’un. Cela fit lever un sourcil à Hatsu qui comprit bien vite de qui les voyageurs parlaient. A croire que le Tonnerre d’Omyre avait envoyé plus d’un homme à la recherche des différents forgerons. N’ayant aucune idée de leur localisation ou de leur direction, Hatsu se tenait sur ses gardes en permanence, scrutant la route ou les abords avec suspicion au moindre mouvement, même infime, qu’elle percevait. Onoda semblait nerveux chaque fois qu’un voyageur racontait quelques rumeurs provenant du Nord et Hatsu ne pouvait lui en tenir rigueur.

Plusieurs jours passèrent ainsi, Hatsu ayant finalement choisi de tenter de dresser le fougueux destrier dès qu’elle en aurait l’occasion. A chaque arrêt, elle détachait le cheval et tentait, plus ou moins adroitement, de se hisser sur son dos. Chaque tentative se solda par un échec et, après quatre jours de ce régime, elle commença à perdre patience de nouveau, pestant contre l’animal réfractaire. Onoda ne perdait évidemment pas une miette du spectacle, piquant au vif la jeune femme comme à son habitude. Au cinquième jour, alors qu’elle détachait le sombre bourrin, elle fut tentée de le libérer pour de bon.

- Pourquoi es-tu si doux sauf quand il s’agit de te monter ?

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il réponde, mais elle trouvait ce cheval suffisamment intelligent pour qu’il sache qu’elle lui parlait directement. Les oreilles frémissantes de l’animal lui apprirent qu’elle avait vu juste. Elle passa un moment à lui murmurer des mots rassurants avant de tenter une nouvelle fois d’enfourcher le cheval qui la fit une nouvelle fois tomber avant même qu’elle ne puisse passer une jambe par-dessus la croupe du destrier. Allongée sur le sol, le postérieur et le dos endoloris, elle soupira.

- Probablement que vous vous y prenez mal.

Elle leva les yeux au ciel en se relevant.

- Merci j’avais remarqué, mais ça ne m’aide pas vraiment.

- Vous lui avez donné un nom, utilisez-le pour commencer.

Arquant un sourcil intrigué, elle s’épousseta et retourna vers le destrier qui patientait non loin.

- Bon… Yoru, ce serait bien que tu me laisses une chance, tu ne crois pas ?

Elle dessella le cheval, l’attachant au chariot comme d’habitude avant qu’ils ne reprennent la route. Régulièrement, elle s’adressait au cheval en utilisant le nom qu’elle lui avait donné, se sentant légèrement ridicule à parler avec un animal.

(Chasseresse…)

(Tu sais ce que je veux dire, il ne me comprend pas et ne répond pas. Et tu es un esprit !)

Le ricanement moqueur de Loup lui rappelant trop celui d’Onoda, Hatsu soupira, se disant que les deux étaient plus semblables que Loup ne voulait l’admettre, recevant un grognement en guise de réponse lorsqu’elle le lui annonça. Cela la fit sourire. Elle continua donc inlassablement, autant pour réussir à faire plier le destrier que pour occuper son esprit loin des pensées qui la prenaient déjà suffisamment une fois la nuit venue.

Le lendemain, tandis qu’ils traversaient une fois de plus une zone agricole sans réel intérêt, Hatsu perçut un mouvement en amont et plissa les yeux, croyant voir un cavalier se diriger vers eux à vive allure. Elle en informa aussitôt le forgeron qui hocha la tête tandis qu’elle encochait une flèche en prévision d’une potentielle hostilité. Au fur et à mesure que le cavalier approchait, elle pouvait voir son armure briller sous le soleil et fronça les sourcils. Elle doutait que les agents du tonnerre d’Omyre aient de tels attirails, mais rien ne disait que ce n’était pas une ruse. Elle resta vigilante, flèche encochée. Lorsque le cavalier arriva à leur hauteur, il s’arrêta brutalement et la jeune femme se tendit aussitôt.

- Vous là ! Déclinez vos identités !

Ce fut Onoda qui répondit et l’air hautain du cavalier disparut aussitôt. Il enleva son casque, révélant un visage buriné tout à fait ynorien, ainsi que de courts cheveux noirs.

- Mes excuses Messire Onoda, Dame Ôkami. Nous savions que vous étiez en voyage, pardonnez mon emportement. Auriez-vous aperçu des traces suspectes dans les parages ?

Alors qu’Onoda allait répondre que non, ils n’avaient rien repéré, Hatsu perçue un bruit qui la fit se dresser sur le chariot, arc en main, attirant l’attention du soldat et du forgeron. Mais avant qu’un seul des deux ne puisse dire quoi que ce soit, la jeune femme désigna un point précis.

- Je ne sais pas ce que vous cherchez précisément soldat, mais ne serait-ce pas ceci ?

A une cinquantaine de mètres apparut une petite troupe de peaux vertes, visiblement sortie d’un des nombreux bosquets qui parsemaient la région. Les guerriers se figèrent en voyant le chariot et un cri guttural sorti de la bouche de l’un d’eux, faisant réagir le soldat et le forgeron. Le premier fit faire volte-face à sa monture tandis que le deuxième allait ordonner au sien de se mettre en route. Il fut arrêté par Hatsu qui se rua à l’arrière du chariot, tranchant les liens du destrier avant de hurler à Onoda de les sortir de là. Alors que le chariot se mettait en branle, des hurlements attirèrent l’attention d’Hatsu. Elle pesta en voyant que plusieurs Garzok semblaient posséder des montures. Et pas n’importe lesquelles.

(Intéressant…)

(Oh oui, très ! Une Ôkami qui tue des loups, quelle ironie !)

Elle porta son attention sur le cheval qui semblait déterminer à les suivre coûte que coûte, malgré le danger évident. Se maudissant de ne pas avoir persévéré à le monter, Hatsu encocha immédiatement une flèche et se prépara à tirer sur le premier Garzok qui s’approchait à vive allure grâce à sa monture. Sa main se mit à trembler lorsqu’elle visa la verte créature qui se rapprochait dangereusement. Expirant lentement, elle changea de cible et lâcha la corde, atteignant le loup qui s’effondra en glapissant, précipitant son cavalier au sol dans un nuage de poussière.

- Ôkami !

La voix du forgeron la fit se retourner et elle comprit aussitôt. Certains des chevaucheurs leur arrivaient depuis le côté, fonçant droit sur eux. Hatsu en perçut trois qui se rapprochaient bien trop vite à son goût. Elle encocha immédiatement une autre flèche, fauchant un deuxième loup qui s’effondra au sol avec le Garzok qui le dirigeait. Alors qu’elle visait un autre loup, l’un d’entre eux percuta violemment le chariot, déséquilibrant l’archère qui chuta lorsqu’un autre fit de même, soulevant légèrement le chariot à cause de l’impact. Catapultée à l’extérieur, la jeune femme s’écrasa dans le fossé, roulant dans l’herbe pour amortir un tant soit peu la chute. Se retrouvant en dehors de la route, la jeune femme se redressa aussitôt, voyant nettement le chariot s’éloigner avec les loups aux trousses. Elle se remit debout et un hurlement la fit se retourner. Elle eut juste le temps de se jeter au sol avant qu’un loup ne passe près d’elle son cavalier donnant un coup de masse qui ne fit que l’effleurer. Le souffle court et le cœur battant la chamade, la jeune femme se redressa et encocha aussitôt une flèche. Sa respiration saccadée et la peur qui lui comprimait l’estomac rendaient ses gestes fébriles et ses mains tremblantes. Son tir manqua de force, ne faisant qu’érafler le loup qui dévia tout de même légèrement sous la douleur et percuta la jeune femme qui roula au sol en gémissant tandis que le loup et son cavalier s’éloignaient. Consciente de risquer gros, Hatsu se gifla mentalement, encocha une nouvelle flèche, attendant le moment où le loup serait face à elle. Elle posa un genou à terre, bandant l’arc de toutes ses forces. Lorsque le moment adéquat arriva, l’animal s’effondra, une flèche enfoncée dans son crâne, mort sur le coup, catapultant son cavalier sur le sol.

Peu désireuse de se mesurer à un Garzok, la jeune femme détala aussitôt, prenant une certaine distance de sécurité, mais un grognement lui apprit que le Peau-Verte n’allait pas la laisser s’en tirer comme ça. Encochant une flèche, elle fit volte-face, banda l’arc et relâcha le trait qui s’enfonça profondément dans le ventre de son adversaire qui tituba, regardant stupidement la flèche plantée dans son corps avant de hurler et de lui foncer dessus à toute vitesse, franchissant les quelques mètres les séparant en quelques enjambées avant d’asséner un coup de masse en visant le crâne d’Hatsu qui se jeta au sol pour éviter l’attaque, roulant au sol pour tenter de s’éloigner. Un coup de pied vint la cueillir dans le sternum alors qu’elle tentait de se relever, la jetant violemment au sol un bon mètre plus loin en lui coupant la respiration. Le Garzok profita de l’étourdissement de la jeune femme pour brandir sa masse qui faillit fracasse le crâne d’Hatsu. Seuls ses réflexes la sauvèrent, la jeune ynorienne roulant sur le côté en voyant son ennemi lever son arme. Elle asséna un coup de pied dans le genou de son adversaire, le déstabilisant juste assez longtemps pour lui permettre de se remettre debout et s’éloigner d’un bond, une flèche apparaissant dans sa main.

Les deux adversaires se jaugèrent un instant avant que le Garzok, faisant une bonne tête de plus que la jeune femme et dont les muscles saillaient, ne se mette à s’esclaffer. Pensant à une ruse, la jeune femme recula d’un pas, resserrant sa prise sur son arme improvisée. C’est étonnée qu’elle entendit le Garzok lui parler.

- La jeune humaine est brave bien qu’un peu faible.

- Et pourtant, je suis toujours en vie et toi, tu es blessé.

Son adversaire regarda sa flèche plantée dans son ventre et s’esclaffa de nouveau avant de la retirer, la lançant aux pieds de l’archère médusée qui en profita malgré tout pour encocher sa flèche et viser le Garzok. Celui-ci fit tournoyer sa masse, un large sourire dévoilant ses dents pointues.

- Amuse-moi un peu, jeune humaine !
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 13:06

- Montre-toi ! Tous les ynoriens sont-ils des lâches ?

Hatsu serra les dents, refusant de céder à la provocation du Garzok. Dès l’instant où il avait voulu se battre contre elle, la jeune archère savait qu’elle ne pourrait rien faire dans un face-à-face avec lui, alors elle avait cherché une échappatoire qui lui était venue sous la forme d’un large bosquet vers lequel elle s’était élancée, distançant le Garzok qui, blessé, ne put la rattraper. Elle en était là, usant de son avantage pour rester dissimulée le temps de trouver une faille chez son adversaire. Allongée au sol, elle respira doucement, forçant son corps à se calmer malgré les furieux battements de son palpitant. Chaque bruit qu’elle faisait semblait faire un vacarme assourdissant et elle fit de son mieux pour ralentir son cœur. Le Garzok la cherchait toujours et fouillait bruyamment les alentours, grognant de frustration. La jeune femme, habituée à rester immobile pour chasser, était aussi fixe que possible, attendant qu’il s’éloigne suffisamment pour tenter quelque chose.
Lorsqu’enfin le Garzok se déplaça en lui tournant le dos, la jeune femme se prépara à l’action, se relevant lentement, un genou au sol, elle banda son arc, visant le dos de son adversaire, amenant l’empennage de sa flèche jusqu’à son oreille, utilisant toute sa force pour plier l’arc. Le trait fusa, se fichant dans le dos du Garzok qui fut projeté au sol en hurlant de douleur. Consciente de ne pas l’avoir achevé et ne voulant pas s’approcher, Hatsu se déplaça latéralement tandis que son adversaire se relevait en chancelant, hurlant de rage et se ruant vers la position qu’elle occupait précédemment.

- Montre-toi !

Mais la jeune femme était déjà cachée ailleurs, flèche encochée et une fois de plus, un trait fonça vers le Garzok, atteignant son flanc, le faisant chanceler et grogner de douleur. Les flèches de l’archère commençaient à s’épuiser, elle ne pouvait décemment pas le trouer de toutes parts sans l’achever pour de bon, il fallait qu’elle vise un point précis qui mettrait fin au combat. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de changer de position, la masse du Garzok s’envola vers elle, lancé par son propriétaire enragé. Bien que la puissance du lancer soit amoindrie par les blessures et la distance, le choc de la masse contre son torse fit chanceler la jeune femme et lui coupa la respiration après qu’un cri de douleur se soit échappé de sa bouche. Le Garzok s’approcha donc, son sang dégoulinant des diverses blessures tandis que l’archère tentait de reculer en reprenant sa respiration. Elle empoigna la masse et la lança hors de vue avant qu’il ne se rue sur elle, espérant que, sans arme, il abandonne. Mais le coutelas qu’il dégaina la fit pâlir et, paniquée en voyant le Garzok approcher rapidement avec son arme, elle encocha une flèche malgré sa position précaire, allongée sur le sol, et tira aussitôt qu’il fut en vue alors qu’il se jetait sur lui. Une douleur cuisante à la cuisse la fit hurler de douleur tandis qu’un flot de sang tombait en cascade sur son bras gauche. Le Garzok s’effondra finalement, une flèche plantée dans la gorge, tenant toujours le coutelas qu’il avait planté dans la jambe de l’archère pour l’empêcher de fuir à nouveau.

Gémissant de douleur, la jeune femme s’écarta du corps tressautant de son adversaire, les yeux embués de douleur. Elle rampa quelques mètres afin de s’adosser à un arbre, posant son arc au sol, essayant de juguler la douleur comme elle le pouvait. Fébrilement, elle retira la lame de sa cuisse, gémissant et poussant des jurons qui ferait pâlir ses parents. Déchirant une de ses manches, elle se fit un bandage de fortune avant de respirer un moment, tentant de calmer son cœur et son esprit. Elle l’avait échappée belle et elle s’en félicitait, mais la situation était critique. Elle était séparée du forgeron sans aucun moyen de le rattraper, avec une meute de chevaucheur de loup Garzok entre eux. Se faisant violence, elle se força à se lever, grimaçant de douleur au moindre appui sur sa jambe blessée. Elle jeta un œil au cadavre et elle sentit la bile remonter dans sa gorge. Elle se força à inspirer de longue goulée d’air avant de s’approcher, récupérant deux flèches sur le corps, la troisième s’étant brisée. Elle sentit de nouveau cette sensation de contrition dans le ventre à la vue du cadavre et se hâta de le fouiller sans rien trouver d’intéressant à part le couteau qu’elle décida de garder, au cas où, ainsi qu’une petite bourse qu’elle prit en compensation.

Après avoir ramassé une longue branche pour s’en servir comme d’appui pour ménager sa jambe, elle sortit du bosquet et se dirigea vers la route, ramassant au passage deux autres flèches, témoins du combat qui avait eu lieu. Elle s’éloigna aussi vite qu’elle le pouvait et s’engagea sur la route, les sens aux aguets et le front perlé de sueur à cause de la douleur. Après une heure de ce traitement éreintant, elle sentit sa tête lui tourner et s’arrêta, se posant dans l’herbe sur le bas-côté de la route. Elle était complètement épuisée et toujours aucune trace du forgeron ou du soldat. Jusqu’où avaient-ils bien pu aller ? Haletant sous le soleil, elle sortit son outre et but une rasade, heureuse d’avoir au moins ça sur elle, à défaut de bandages ou de nourriture.

(Repos. Tu risques gros !)

(Et si les Garzok sont encore dans les parages ?)

(Inutile dans ton état.)

Il n’avait pas tort, elle l’avoua elle-même, mais elle était bien trop préoccupée par le sort du forgeron pour penser une seule seconde à s’arrêter pour se reposer. Une fois son souffle calmé et sa soif étanchée, elle se releva et se remit en marche. Le sang avait depuis longtemps imbibé le maigre bout de tissu qu’elle avait utilisé pour bander sa blessure, et elle sentait nettement un mince filet couler le long de sa jambe, créant une piste sanglante le long de la route à mesure qu’elle avançait. Ne voulant pas qu’on la suive à la trace, elle déchira une partie de son autre manche et refit son bandage, espérant que cela suffirait jusqu’à obtenir de vrais soins.

- Allez ma fille, on se bouge.

Alors que le soleil descendait de plus en plus vers l’horizon, Hatsu progressait toujours aussi lentement, pour sa plus grande frustration. Elle s’inquiétait pour le forgeron et son inquiétude se transformait en angoisse et en une certaine colère qui la poussait à avancer malgré sa jambe qui la faisait toujours souffrir. Elle scrutait les alentours en permanence, anxieuse à l’idée de trouver un corps sans vie à côté d’un chariot, mais l’absence de trace de combat la rendant encore plus anxieuse. Elle ne voulait pas échouer si près du but, pas alors qu’ils avaient réussi à échapper au Tonnerre d’Omyre et à extraire l’Olath ! Lorsque son corps lui hurla de s’arrêter et de se reposer en la faisant tituber de fatigue, elle s’effondra en poussant un grognement de frustration, s’allongeant sur le bas-côté de la route sans autre préambule. Le regard scrutant le ciel qui s’assombrissait, elle reposa quelques instants ses membres douloureux avant de se relever de nouveau, chancelante.

(Chasseresse…)

(Je n’ai pas le droit Loup. Je ne peux pas abandonner.)

(Cheval.)

La jeune femme releva la tête, cherchant à repérer de quoi Loup parlait avant d’apercevoir une silhouette familière. Le sombre destrier si retord était visible dans le champ d’à côté, la regardant de ses yeux sombres. Hatsu secoua la tête, croyant avoir mal vu, mais lorsque le cheval renâcla et s’approcha, elle se rendit à l’évidence et s’approcha également, flattant l’encolure de l’animal qui lui soufflait dessus.

- Que fais-tu là toi ? Où est…

Elle scruta les environs avec espoir, espérant apercevoir un chariot familier mais rien, que des champs et quelques arbres à perte de vue. Lorsque le cheval la poussa légèrement, elle tourna son attention vers lui. Il ne semblait pas blesser, mais davantage pressé. Il piaffait, comme s’il voulait quelque chose et la jeune femme le caressa dans l’espoir de le calmer. Lorsqu’un hurlement retentit, la jeune ynorienne se tendit et, regardant le cheval, tenta le tout pour le tout.

- Par Rana, soit sage s’il te plaît Yoru, ce n’est vraiment pas le moment de jouer aux capricieux.

Se postant sur le flanc de l’animal, elle se hissa à la force de bras, s’aidant de sa jambe valide pour se propulser, gémissant de douleur en passant sa jambe blessé par-dessus le dos de l’animal qui ne broncha pas une seule fois. Une fois installée, la jeune femme souffla de soulagement. Soulagement de courte durée lorsqu’un loup surgit à une trentaine de mètres devant eux, babines retroussées. Yoru fit volte-face sous l’impulsion de sa cavalière et se mit à galoper en direction de la route. Pas très à l’aise sans selle, Hatsu mettait toute l’énergie qu’il lui restait pour se maintenir sur le dos du destrier qui accéléra brutalement lorsque le sol devint plus lisse, distançant peu à peu le loup au fil de la cavalcade. Cramponnée à la crinière de l’étalon, Hasu était penchée aussi bas que possible, autant pour se maintenir que pour éviter de freiner le galop du cheval. Elle eut l’impression que des heures passèrent ainsi, mais ce fut seulement au bout d’une vingtaine de minutes d’une course folle que, au détour d‘un virage, un spectacle macabre se présenta. Cadavres de loups et de Garzok au sol obstruaient en partie la voie, précédant un groupe de soldats qui virent la cavalière foncer droit sur eux. L’un d’eux cria un ordre et plusieurs lances se brandirent vers la jeune femme et sa monture avant que le loup, toujours à leurs trousses, ne fasse son apparition. Un ordre bref et le loup fut rapidement fauché par une salve de flèches alors que Yoru s’arrêtait brutalement, réussissant presque à désarçonner sa cavalière.

Un soldat s’avança, l’air autoritaire et légèrement agressif. Hastu nota la cape et l’équipement, en déduisant qu’il devait s’agir d’un gradé. Il ne semblait guère content de la voir débarquer mais elle n’était pas en état de s’en offusquer. Mais avant même que le soldat n’ouvre la bouche, une voix bien connue perça le silence qui s’était installée.

- Ôkami ! Laissez-moi passer bande d’idiots, vous voyez bien qu’elle n’est pas une menace !

Le forgeron, jouant des coudes, fusilla du regard les soldats qui tenaient encore Hatsu en joue, ignorant superbement le gradé en s’adressant directement à la jeune femme toujours perchée sur le sombre destrier.

- La prochaine fois que vous décidez de plonger, assurez-vous qu’il y ait de l’eau et moins de Garzok !

Le ton agressif du forgeron ne trompa pas vraiment Hatsu qui lui rendit un sourire épuisé.

- Vous pouvez juste dire que vous êtes soulagé de me voir en vie.

Et soulagée, la jeune femme l’était assurément. Soulagée de le savoir en vie et sous la protection de l’armée du pays qui avait apparemment anéanti la petite troupe de chevaucheurs. S’entretenant rapidement avec le forgeron, le capitaine fit baisser les armes à ses soldats qui reprirent une formation moins agressive à l’encontre d’Hatsu qui put ainsi descendre, non sans mal, de sa monture. Le forgeron en fut d’ailleurs étonné.

- Il vous a laissé le monter finalement.

- Oui… à croire qu’il attendait que je sois en danger de mort pour se décider.

Le sifflement de douleur de la jeune femme lorsqu’elle appuya sur sa jambe fit baisser les yeux du forgeron qui écarquilla les yeux à la vue de la blessure de la jeune femme.

- Ôkami vous…

- Oui, je sais, je peux vous assurer que je la sens.

Surprenant la jeune femme, il se porta à son secours, passant un des bras de l’ynorienne autour de ses épaules pour lui permettre de s’appuyer sur lui. Il la conduisit ainsi jusqu'au petit campement des soldats, l’installant dans une des tentes avant d’aller quérir un médecin.

- Reposez-vous maintenant…

- Vous n’avez pas à être si angoissé Onoda, je ne vais pas mourir.

Le regard du forgeron lui serra un instant la poitrine avant qu’il ne s’éloigne, quelques paroles murmurées parvenant aux oreilles de l’archère qui sentit une vague de culpabilité l'envahir alors qu'il quittait la tente.

- Si vous étiez morte, jamais je ne me le serais pardonné.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 13:31

Il fallut de longues minutes et une bonne dose de courage à Hatsu pour que le guérisseur ne recouse totalement la plaie. La jeune femme ne lâcha pas le moindre cri de douleur, plus par fierté qu’autre chose, à la grande surprise du soigneur qui la rassura néanmoins, sa jambe guérirait rapidement. Il banda le tout avec des tissus imbibés de décoctions pour accélérer et faciliter la cicatrisation et la jeune ynorienne put enfin se reposer avec un sentiment de sécurité. Allongée sur le lit de camp qu’on lui avait attribué pour sa convalescence, elle entendit quelqu’un entrer dans la tente et fut surprise de voir, non pas le forgeron, mais le gradé qui l’avait plus ou moins mal accueilli. S’installant au chevet de la blessée, il se lissa l’épaisse moustache qu’il arborait, un air gêné sur le visage.

- Dame Ôkami… Je suis le capitaine Nori et je tenais à vous présenter mes plus sincères excuses concernant…

- Inutile capitaine, vous n’avez rien à vous reprocher.

Le soldat ne cacha pas son étonnement.

- Nous aurions pu vous tuer et…

- Et ce ne fut pas le cas. Vous veniez de combattre, votre méfiance était légitime… Vous craigniez que je ne fasse une scène une fois rentrée à Oranan ?

La mine du gradé tira un sourire fatigué à la jeune femme.

- Rassurez-vous, ce n’est pas mon genre. Vous faisiez votre travail…

- Je vous remercie. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous veillerons à vous le prodiguer... Si nous le pouvons. Je vais vous laisser vous reposer.

- Merci Capitaine.

Après un bref salut, le soldat tourna les talons et laissa la jeune femme seule. Elle put enfin laisser son esprit s’égarer avant de plonger au pays des songes. Elle se réveilla lorsque la lumière atteignit ses paupières, la faisant grogner et tirer la couverture sur sa tête pour tenter d’échapper à l’agression lumineuse dont ses rétines étaient victimes.

- Vous n’êtes vraiment pas commode au réveil.

Elle ne s’embêta pas à regarder son interlocuteur, sachant très précisément de qui il s’agissait, se contentant de grogner de nouveau en essayant de s’installer plus confortablement, arrachant un ricanement amusé à Onoda.

- Allons allons, une princesse doit savoir être parfaite en toutes circonstances…

- Vous savez ce qu’elle vous dit la princesse ?!

La réponse tira un éclat de rire au forgeron, suivit par un tintement qui intrigua Hatsu. Baissant doucement la couverture, elle vit qu’il lui présentait un bol de nourriture qu’elle prit après un bref remerciement. Elle se rendait compte qu’elle était affamée. Pendant qu’elle mangeait, le forgeron lui expliqua ce qu’elle avait « raté » après sa chute, expliquant que cela était passé relativement inaperçu dans le chaos ambiant et que c’est seulement lorsque les loups avaient été exterminés par la troupe du Capitaine Nori qu’il s’en était finalement rendu compte.

- Je suis navré… J’ai demandé à ce que l’on parte à votre recherche, mais le Capitaine ne pensait pas que vous ayez pu survivre… et j’avoue avoir craint le pire avant de vous voir débarquer comme une furie sur ce maudit canasson. Vous avez pris votre temps !

Hatsu lui raconta à son tour ce qu’elle avait vécu de son côté, tirant quelques grimaces au forgeron au fur et à mesure du récit.

- J’imagine que vous vous en tirez relativement bien…

- On peut dire ça. Mais je ne suis pas pressée de retenter ce genre d’expérience. Et d’où sortaient tous ces chevaucheurs ?

- Le capitaine pense qu’ils s’agissaient d’éclaireurs et qu’ils venaient de se rejoindre pour retourner sur les terres d’Omyre. Autant dire que nous avons manqué de chance en tombant dessus.

- Ou alors nous en avons eu beaucoup en évitant qu’ils ne retournent chez eux.

- C’est une façon de voir les choses. Comment vous sentez-vous ?


- J’ai mal partout, notamment à cause de la chevauchée et…

- Je ne parlais pas de ça…

Le regard et le ton plus grave du forgeron tirèrent un soupir ennuyé à Hatsu qui se massa le front d’un air gêné.

- Ce fut… ce fut plus facile. Je ne sais pas si c’est dû au fait que ce soit un Garzok ou si parce que je l’avais déjà fait mais… ce fut plus facile. J’y ai peu réfléchi depuis également, j’étais préoccupée par autre chose, ma survie et la vôtre notamment. J’aviserai lorsque j’aurai eu le temps de mettre de l’ordre dans mon esprit.

Onoda hocha la tête d’un air entendu, souhaita un bon rétablissement à la jeune femme en lui tapotant le pied, s’attirant un regard noir qui le fit sourire avant qu’il ne sorte, la laissant de nouveau seule. Elle ne tarda pas à somnoler avant de se rendormir de nouveau. Une fois de plus, elle se réveilla sans avoir de souvenir d’un quelconque rêve, se redressant sur sa couche en examinant le bandage. Si la plaie ne saignait plus, sa jambe était toujours douloureuse, bien qu’il n’y ait pas d’inflammation, la rassurant sur son état. Elle posa délicatement le pied par terre, grimaçant légèrement lorsque sa cuisse la lança, mais elle parvint à se mettre debout et à s’habiller avant de sortir en boitant. Il faisait jour depuis plusieurs heures et les soldats vaquaient à leurs occupations au cœur du petit campement. Disposées selon un tracé bien défini dont elle n’avait pas connaissance, les tentes étaient toutes identiques et les soldats allaient des unes aux autres, portant des armes ou des caisses. D’autres montaient la garde, certains mangeaient un repas en discutant autour d’un des trois feux qui avaient été allumés.
Restée à l’entrée de sa tente, la jeune femme observa les allées et venues quelques minutes avant d’apercevoir le forgeron qui semblait occupés avec le chariot. Elle s’approcha de lui, attirant quelques regards curieux des soldats qui la croisaient.

- Que faites-vous debout Ôkami ? Vous devriez rester couchée.

- Je ne suis pas en sucre Onoda. Le chariot a été endommagé ?

- Quelque peu, mais rien de grave et rien n’a été perdu.

- Parfait. Quand repartons-nous ?

Le forgeron soupira.

- Je me doutais que vous ne resteriez pas en place très longtemps. Vous ne voulez pas attendre votre guérison avant de repartir ?

- Et combien de temps cela va prendre ? Nous n’avons pas un temps illimité. Plus vite nous serons rentrés, plus vite je pourrais me reposer. Et puis le guérisseur était compétent, cela cicatrise bien.

Voyant que la jeune femme avait réponse à tout, il soupira et abandonna, grommelant qu’ils pourraient partir le lendemain. Hatsu proposa alors son aide à un forgeron médusé qui la renvoya se coucher, menaçant même de demander de l’aide aux quelques soldats qui regardaient avec amusement la scène qui se déroulait sous leurs yeux, les deux comparses se livrant à une joute verbale des plus distrayante et inattendue pour les soldats, certains prenant même discrètement des paris pour savoir si le forgeron allait réussir à se faire obéir de la jeune archère. Cela se solda finalement par l’arrivée du guérisseur qui fut plus qu’ennuyé de voir sa patiente debout et qui sut se faire obéir de la jeune femme à l’inverse du forgeron qui ne se fit cependant pas prier pour afficher un large sourire victorieux à l’attention de la jeune femme qui lui lança un regard furieux.

Une fois la jeune archère récalcitrante installée sur sa couche, le guérisseur se permit de la menacer de l’y attacher si elle recommençait à déambuler ainsi dans le camp avant la complète cicatrisation de sa blessure. Il changea les bandages et laissa la jeune femme après lui avoir fait promettre de se reposer. Plus qu’ennuyée par le fait de devoir rester allongée à ne rien faire, Hatsu broya du noir en prenant son mal en patience, passant la journée entière allongée sans rien d’autre pour s’occuper que ses pensées ou les passages éclairs de Loup dans son esprit. Elle pensa à beaucoup de choses. A sa famille qu’elle voulait revoir autant qu’elle appréhendait de revoir, à son frère, à sa situation, et surtout, aux vies qu’elle avait prises récemment.

Elle ne comprenait pas comment elle pouvait tuer des animaux sans remords à présent, mais que cela soit si difficile pour ses deux vies en particulier. Elle avait beau se répéter qu’elle n’avait fait que se défendre face à un ennemi qui souhaitait mettre fin à sa vie, elle sentait toujours ce poids dans sa poitrine et cette sensation d’avoir perdu quelque chose en même temps qu’eux avaient perdu la vie sous ses flèches.

(Chasseresse ? Esprit perturbé.)

(Peut-être que je ne suis pas faite pour ça Loup… l’aventure, le danger, la mort…)

(Chasseresse est l’amie de la mort. Laisse le temps. Esprit doit se reposer.)

(Je ne comprends toujours rien à ce que tu peux bien attendre de moi. Il faudrait que tu m’expliques davantage.)

(Le moment venu. Tout sera clair.)

(Mais…)

(Repos maintenant.)

Et Loup ne répondit plus à ses appels, la laissant de nouveau seule avec ses pensées. Mais la jeune femme finit par s’endormir de nouveau, son corps cherchant une fois de plus à récupérer des derniers événements éprouvants qu’elle avait vécu.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le mar. 16 avr. 2019 00:21, modifié 1 fois.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 22:06

A peine une heure après l’aurore, Hatsu et Onoda étaient prêts à partir malgré les mises en garde du guérisseur qui aurait préféré gardé la jeune femme au moins deux jours de plus pour parer à toute éventualité. Mais le temps pressait selon elle et elle déclina poliment, mais fermement, la proposition. Elle s’entretint rapidement avec le capitaine, lui assurant une nouvelle fois qu’elle ne lui tenait pas rigueur de son accueil et qu’une escorte n’était pas vraiment autorisée par la compétition. Visiblement rassuré, le capitaine leur donna quelques provisions et leur souhaita bonne chance tandis que le chariot s’éloignait progressivement du campement Oranien. Yoru toujours attaché à l’arrière du chariot, Hatsu préférant épargner à sa jambe une chevauchée, ils prirent la direction du Nord pour rejoindre Oranan. Moins d’une dizaine de jours les séparait de la capitale et le forgeron trépignait, ayant hâte de se mettre à l’ouvrage. Hatsu, de son côté, échafaudait de nouveau des plans pour la suite, cherchant une nouvelle échappatoire. Elle n’avait fait que repousser l’échéance cette fois-ci et devait trouver autre chose.

- Vous pourriez tout simplement convaincre vos parents que votre fiancé n’est pas un bon parti.

Ils déjeunaient près d’un ruisseau, profitant du cadre et du calme pour s’arrêter et prendre le temps de préparer un repas plus agréable qu’une ration mangée sur le pouce. Onoda essayait d’aider la jeune femme, mais sans succès jusque-là.

- Mais c’est un bon parti ! J’ai déjà fouillé, croyez-moi. Une famille noble, riche et vieille de plusieurs générations. Evidemment que tout le monde est ravi…L’alliance grâce au mariage créerait une immense fortune et un pouvoir politique important. Vous pensez bien qu’ils ont tout prévu.

- Et le fiancé en lui-même ?

- Il semble tout aussi ravi que les autres.

Elle frissonna en repensant au regard empreint d’un intérêt qu’elle avait trouvé déplacé et quelque peu trop enthousiaste à ses yeux.

- Je veux dire, a-t-il l’air correct ?

- Je ne l’ai vu qu’une fois… mais je dirais qu’il a hâte de m’avoir pour consommer ledit mariage. Ce qui ne le rend qu’antipathique à mes yeux. Le nom Koru Yamada vous dit quelque chose ?

- Yamada ? Je le connais de réputation seulement. Dans le monde des affaires ou de la politique c’est le genre d’homme à tout faire pour obtenir ce qu’il veut. Un homme influent et dangereux. J’imagine que c’est le fils qui est votre fiancé.

- Exactement. Il est bien plus vieux… et il ne m’inspire pas confiance.

- Je ne veux pas vous renforcer dans vos certitudes, mais soyez prudente. Les Yamada sont certes une famille noble et ancienne, mais Koru, le patriarche, et bien plus vicieux qu’on ne le pense. Il trouve toujours des moyens de forcer les gens à faire ce qu’il leur demande.

- Vous pensez que mes parents ont pu subir un chantage ?

- Je ne dis pas que c’est le cas, mais cela vous paraît-il plausible ?

Hatsu se mit à réfléchir, jugulant la colère qui montait doucement en elle. Elle n’avait jamais compris pourquoi ses parents avaient soudainement choisi de la marier de force alors que jamais il n’en avait été question. Et son frère qui s’éloigne juste avant pour rejoindre l’armée sans lui en parler. Avec cette information, tout devenait soudainement bien plus louche.

- C’est à envisager.

- Si vous parvenez à faire avouer vos parents, trouvez le moyen de pression et faites-le disparaître, vous serez libérée de toute obligation.

- Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle. Pour moi, les Yamada étaient d’une famille noble et…

- Et ils vivaient avec honneur ? Vous êtes naïve ! Nombreux sont les nobles qui conspirent dans l’ombre. Il y a des rumeurs, des meurtres déguisés en accidents, de fausses accusations de trahisons ou désertions, des disparitions. Vos parents vous ont trop couvée, vous n’avez pas le sens des réalités de ce monde, Ôkami. Mais tout cela reste une supposition. Faites vos recherches, discrètement, et démêler le vrai du faux. Je tâcherai de vous aider si…

- Non ! Je vous remercie Onoda, mais vous avez raison, je n’ai pas le sens des réalités, je dois trouver la vérité, sans votre aide.

- Ne refusez pas une aide qui pourrait vous sauver la vie Ôkami. Il n’y a pas de honte à l’accepter. Et croyez-moi, je ne compte pas me mouiller, ce ne sera qu’une aide de surface.

Cela fit sourire la jeune femme qui accepta néanmoins.

- Ou alors vous pouvez défier votre fiancé en duel…

- C’est un militaire de métier de ce que j’ai compris… Un capitaine de la garde oranienne. Je préfère éviter.

- Une flèche tirée depuis un toit pourrait…

- Ne finissez pas cette phrase Onoda ! Vous pensez vraiment que je pourrais…

- Je sais bien que non. Mais s’ils s’avèrent être réellement ceux que je pense qu’ils sont, vos adversaires ne seront pas forcément aussi regardant sur leurs méthodes. Je tenais juste à ce que vous compreniez dans quoi vous mettiez les pieds.

- Dans un putain de bordel sans nom.

- Tant de mots vulgaires sortant d’une si jolie bouche, c’est navrant. Vos parents seraient attristés.

Le ton ironique et le sourire narquois du forgeron firent rouler les yeux de la jeune femme qui termina son écuelle avant de retourner s’installer de nouveau dans le chariot après avoir flatté l’encolure de Yoru qui suivait toujours sans broncher. Les paroles du forgeron avaient fait mouche et son esprit tournait et retournait la situation dans tous les sens. La jeune ynorienne finit par être convaincue que quelque chose n’allait pas dans toute cette histoire et était à présent déterminée à en savoir plus et à régler le problème elle-même s’il le fallait. Si quelqu’un menaçait sa famille, elle n’allait certainement pas rester sans rien faire. Elle allait avoir une sérieuse discussion avec ses parents dès son arrivée. Il était hors de question pour elle que quiconque fasse d’elle un pion sur un échiquier politique dont elle n’avait jusqu’alors pas conscience. Savoir que quelqu’un souhaitait se servir d’elle et de sa famille la mettait dans une colère froide et elle voulait déverser cette colère sur quelqu’un. Et si ce quelqu’un pouvait être son futur ex-fiancé, elle n’allait pas se gêner.

Elle était néanmoins surprise de l’implication nouvelle d’Onoda. Certes ils avaient vécu énormément de choses et bien failli y laisser la vie à plusieurs occasions, mais il n’avait pas pu changer autant en un simple mois de voyage alors qu’elle-même n’avait pas tant changé que ça. Ce fut donc le lendemain que, intriguée, elle lui posa la question. Non pas qu’elle se méfiait de lui, elle avait appris à lui accorder sa confiance sur de nombreux points, mais elle voulait savoir ce qui avait changé entre eux.

- N’est-ce pas évident ? Vous manquez de discernement Ôkami.

A son grand regret, il était toujours aussi moqueur avec elle, mais elle avait appris à plus ou moins ignorer, comprenant que sa façon de faire était autant un moyen d’éluder certains points, que de la forcer à dire le fond de sa pensée véritable.

- Vous savez ce que je veux dire. Vous étiez un odieux personnage au début de notre voyage.

- Oh je suis donc remonté dans votre estime ? Quel honneur ! Vous me flattez.

- Soyez sérieux deux minutes par Rana ! J’essaie de comprendre…

- Il n’y a rien à comprendre Ôkami. Pourquoi ce besoin de toujours tout savoir, de toujours tout comprendre ?

- Ne changez pas de sujet. Et je n’ai pas besoin de tout savoir, c’est juste que j’aime ne pas être dans le flou.

Le forgeron soupira, se massant la nuque.

- Je vous l’ai dit, il n’y a rien à comprendre. J’ai fini par vous apprécier pour ce que vous étiez…

Un sourire fleurit sur le visage de l’archère, mais qui se transforma aussitôt en une grimace exaspérée en entendant la suite.

- … Une gamine pourrie gâté plus bornée qu’un thorkin, mais avec quelques talents et un certain don pour ne pas se laisser marcher dessus.

- J’imagine que c’est un compliment…

Le forgeron laissa échapper un petit rire, gardant un sourire amusé sur le visage, levant la petite coupe de saké qu’il venait de servir, comme s’il portait un toast.

- Savourez-le bien, je n’en offre pas si souvent.

]- Vous m’en voyez flattée….

- Le sarcasme vous va comme un gant, Ôkami. Encore un peu et vous seriez presque de bonne compagnie.

La jeune femme leva les yeux au ciel avec un sourire amusé et les deux comparses décidèrent de passer la nuit à l’arrêt près d’un bosquet. Ils n’avaient croisé personne depuis la troupe de soldats, mais, selon Onoda, ils ne tarderaient pas à rencontrer des habitations et pourraient monnayer une nuit au chaud contre quelques pièces ou provisions.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le mer. 17 avr. 2019 01:18, modifié 1 fois.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » lun. 15 avr. 2019 22:28

Les jours défilaient et se ressemblaient alors que le chariot allait bon train sur la route menant à Oranan. Au grand soulagement d’Hatsu, la blessure de sa jambe ne fut bientôt qu’un souvenir, laissant une fine cicatrice, probablement amenée à presque disparaître. Les seules blessures qu’elle possédait encore et qui se rappelaient à elle, étaient celles de sa conscience. Bien que son esprit ait commencé à assimiler l’idée que la mort était inévitable dans les deux situations et qu’elle n’avait fait que se protéger, repenser à ses actes la plongeait dans une certaine culpabilité dont elle ne se défaisait pas aisément. Elle n’en parla pas à Onoda qui avait pourtant essayer d’être d’une certaine aide pour la jeune femme. Celle-ci souhaitait davantage en discuter avec quelqu’un qui aurait vécu quelque chose de similaire.

Quelqu’un qui pourrait lui donner des conseils ou lui assurer que sa fixation était naturelle et finirait, bon gré mal gré, par s’évanouir, le temps faisant son œuvre.
Plus ils se rapprochaient d‘Oranan et plus les rencontres devinrent fréquentes. Paysans en partance ou de retour des champs, voyageurs et patrouilles se succédaient régulièrement, rassurant les deux voyageurs dont la vigilance se relâcha au fur et à mesure des rencontres. Hatsu restait malgré tout avertie dès que quelqu’un était en vue, mais ils ne rencontrèrent personne d’hostile, la plupart des personnes croisées les ignorant simplement, les prenant pour de simples marchands ambulants se rendant à Oranan, ce qu’Hatsu apprécia. Être incognito leur permettait d’éviter d’éventuels ennuis et la jeune femme en avait suffisamment vécu pour le moment lors de cette aventure, elle souhaitait surtout profiter du retour pour se reposer, réfléchir et préparer la suite. Ce qu’elle eut tout le loisir de faire.

Elle se mit également à chevaucher plus régulièrement Yoru lorsqu’elle décréta que sa jambe était suffisamment guérie pour supporter le traitement. Ne pouvant pas s’éloigner, elle ne pouvait profiter de la force de l’étalon mais elle apprenait peu à peu à le monter correctement et parvenait, bien que le destrier soit toujours d’un tempérament capricieux, à se faire obéir. Elle ne comptait toujours pas le garder, mais elle le ramènerait chez elle. Son père étant friand d’équitation, elle était certaine qu’il accepterait avec joie de s’en occuper et qu’il le traiterait bien.

Rencontre inattendue mais néanmoins bienvenue à quelques jours à peine de la cité ynorienne, le duo retrouva par hasard la patrouille qu’ils avaient croisée après leur départ d’Oranan. Le capitaine les salua et leur proposa de nouveau de les escorter, ce que les deux voyageurs refusèrent aimablement.

- Merci capitaine, mais ce ne sera pas nécessaire, il ne reste que trois jours de route, nous nous en sortirons.

- Comme vous le souhaitez. Ravi de vous voir sains et saufs.

Hatsu salua Kirio, le tireur d’élite qui lui avait appris quelques petites astuces et ils partagèrent un repas avec la petite troupe, narrant quelques passages de leur périple à des soldats médusés. Tous s’interrogèrent sur la façon dont le fulguromancien avait bien pu les retrouver, mais comme ils n’avaient pas été attaqués, personne n’imagina que la fuite venait d’ici. Comme à l’aller, les soldats insistèrent farouchement pour qu’Hatsu dorme tout son saoul, attirant le regard amusé du forgeron. La jeune femme ne protesta pas et la nuit, calme et reposante, fut précédée par quelques parties de jeux enthousiastes durant lesquelles Onoda faillit dépouiller tous les soldats de leur maigre solde, consentant à annuler leur dette en échange d’une bouteille de saké qui, bien que normalement interdite lors des patrouilles, était toujours présente dans un ou deux paquetages. Hatsu refusa de participer au jeu, ayant plus ou moins prévu que le forgeron en profiterait et elle se félicita de son instinct en voyant l’air déconfit du soldat qui donna la fameuse bouteille à un Onoda jovial, le tout sous le regard furibond du capitaine.

Après avoir quitté la patrouille le lendemain, soulagée de les savoir en vie, Hatsu s’interrogea sur la façon dont le mage avait pu aussi précisément les trouver et les suivre à la trace. Le forgeron avait une théorie bien à lui qui n’enchanta pas la jeune femme.

- Un traître ? Vous pensez vraiment que quelqu’un nous vendrait à Omyre ?

- Traître ou espion, mais oui je ne serai pas surpris. Vous n’avez jamais entendu parler de soldats qui désertent pour rejoindre les rangs d’Omyre ? Il y a eu un cas il y a quelques temps. Il aurait apparemment tué son propre père avant de fuir. Vous avez sûrement vu les affiches à son sujet. Ce genre d’individu ferait tout pour de l’argent ou pour son propre intérêt.

Hatsu se fit pensive. Pour elle, ce genre d’individu était la lie de l’humanité et méritait un châtiment exemplaire. Comment pouvait-on tuer sa propre famille et offrir ses services à un ennemi qui ne voulait rien d’autres que la destruction de la culture ynorienne et de sa population? Elle n’arrivait pas à se représenter la chose, aucune excuse n’était valable pour en arriver à un tel niveau de déshonneur.

- J’imagine que le conseiller Gale aura des informations. Je me demande comment le gouvernement a été mis au courant.

- De la même manière j’imagine, un espion est cependant plus plausible. Enfin je doute qu’il vous le dise même si vous lui posiez la question.

- Probablement pas en effet… je n’aurai jamais le fin mot de l’histoire j’imagine…

- Cela vous ennuie, pas vrai ? De ne pas savoir.

- Vous n’imaginez pas à quel point. Enfin, tout cela est derrière nous… Vous serez en sécurité chez vous ?

Le regard du forgeron se tourna vers la jeune femme assise à côté de lui. Un regard où se mélangeait étonnement, amusement et quelque chose de plus… moqueur.

- Pourquoi ? Vous souhaitez vous installer chez moi ? Suis-je devenu si indispensable ? A mon grand regret, je ne puis accepter, vous êtes hélas déjà promise à un autre. Ah, cruel destin que ceci !

Le ton théâtral et les mouvements exagérément pompeux du forgeron tirèrent un sourire à Hatsu qui n’insista pas, choisissant tout de même de taquiner le forgeron, le prenant à son propre jeu.

- Vous pouviez juste répondre « Non merci ma chère, même si vous me manquerez affreusement, votre place n’est pas avec un gueux de mon espèce. »

Le forgeron prit un air outré et un ton qui se voulait menaçant.

- Un gueux ? Ôkami…

- Onoda…

La façon dont la jeune femme imita le ton du forgeron le fit sourire et ils s’esclaffèrent de concert. Hatsu avait finalement fini par apprécier certaines façons de faire du forgeron. Depuis l’incident avec le fulguromancien, ils avaient tous les deux appris de l’autre et, même s’ils ne pouvaient pas se considérer réellement comme des amis, la jeune femme ne le considérait plus comme un personnage à éviter et avec qui chaque discussion devenait un combat. Pas un ami, mais un camarade qui pourrait s’avérer un allié précieux dans certaines circonstances.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Alfryda Bröhm » dim. 23 juin 2019 23:24

Le chariot roulait désormais loin de l'agitation de la ville, ma nouvelle employeuse assise à l'avant en guise de cocher. L'un des gaillards était assis à ses côtés tandis que l'autre s'était installé à l'arrière avec moi, trouvant tous les deux places assises sur les nombreux sacs de graines. Oranan s'éloignait peu à peu derrière nous, mais restait visible au gré de notre avancée. Nous n'étions pas partis depuis longtemps et le silence accompagnait chacun d'entre nous jusqu'à ce que mon voisin se décide à faire connaissance.

"C'pas commun, une Thorkine qui voyage seule. Surtout par ici. Qu'est-ce que t'es venue faire à Oranan ?"

"Trouver du travail, même si ce n'est pas toujours concluant. J'ai tenté ma chance à l'Erementarīfōji, comme garde du corps pour l'un des participants. Il a abandonné la nuit dernière et m'a lâché par missive."

"C'était ton premier boulot ?"

"Hors de Mertar, oui."

"T'as vu trop gros, voilà tout. J'travaille dans la protection d'caravanes d'puis longtemps avec mon frère, ça c'est tranquille. Tu voyages toute la journée, y s'passe quasiment rien et tu touches ta paye quand tu descends. La bonne affaire, quoi."

Je remarque un coup d’œil sévère de Madame Anya envers son employé, n'appréciant pas la remarque qu'il vient de faire. Elle ne lui en tient cependant pas rigueur et se concentre à nouveau sur la route. Je préfère ne pas abonder dans le sens du bonhomme, même si je n'en pense pas moins.

"Hm. Dans tous les cas, je verrais quoi faire une fois rentrée. Nous nous arrêterons d'abord à Luminion, c'est bien ça ?"

Cette fois-ci, Madame Anya reprend la discussion, préférant répondre elle-même plutôt que de laisser le mariole raconter une nouvelle connerie.

"Tout à fait. Nous y resterons quelques jours le temps que je refourgue une partie de mes stocks, puis nous reprendrons la route vers Mertar."

"Vous faites un long voyage pour vendre quelques sacs de graines. Les prix sont-ils plus intéressants vers chez les miens ?"

"D'après mes sources, oui. Le village d'Alkil a récemment subi une attaque Garzok et plusieurs champs ont été touchés pendant la bataille. Par conséquent, le ravitaillement vers Luminion est certainement compromis et ils ne tarderont pas à demander de l'aide à Kendra-Kâr. En anticipant ce ravitaillement, je peux vendre mes récoltes à presque quatre fois leur prix."

"Et bien, on peut dire que vous savez la jouer finement. Et Mertar ? La ville a été attaquée dernièrement ?"

"Pas aux dernières nouvelles, non. Mais j'ai déjà eu l'occasion de commercer avec les vôtres et si la plupart sont un peu rustres, ils n'en restent pas moins de bons clients."

"Je vois..."

Après cet échange, le silence s'installe à nos côtés comme un vieux compagnon de voyage. Plusieurs heures s'écoulent durant lesquels nous vaguons à nos occupations, à savoir ronfler ou conduire. Incapable de fermer les yeux en me balançant au gré des bosses sur la route, je préfère observer les paysages qui nous entourent. Oranan n'est désormais plus visible et nous progressons lentement dans les plaines Ynoriennes, douces et verdoyantes à la fois. La circulation est beaucoup moins dense qu'aux environs de la cité et nous ne rencontrons qu'à quelques reprises un voyageur ou une autre caravane se dirigeant dans le sens inverse tout en nous saluant d'un signe de la main. Reposée, je me conforte à penser que ce travail est plus agréable qu'il n'en à l'air et trouve enfin le sommeil en posant ma tête sur l'un des sacs de graines à proximité.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Alfryda Bröhm » dim. 23 juin 2019 23:24

J'émerge d'une sieste qui s'est faite trop longue, réveillée par mon estomac et une faim grondante. Mon voisin de voyage est toujours présent, remarquant mon réveil alors qu'il fredonnait une mélodie de taverne. D'un léger signe de la tête, il salue mon éveil que je lui rends en baillant bruyamment, non sans me couvrir la bouche un brin honteuse. Madame Anya remarque l'agitation à l'arrière et arrête la caravane sur le bord du chemin pour finalement se lever et s'étirer le dos avec une petite grimace de douleur.

"Ahh...Changement d'équipe. Nous allons nous arrêter quelques temps, puis vous prendrez la relève à la conduite de l’attelage."

Tout le monde semble d'accord et nous descendons du chariot pour étirer nos membres endoloris par l'inertie. Le campement s'établit sur l'herbe, non loin de la route et des chevaux qui se nourrissent de verdure. Quelques fermiers nous saluent sans nous déranger davantage, mais Madame Anya semble apprécier l'attention. Nous prenons ainsi une pause bien méritée et je dois puiser dans mes vivres achetées plus tôt dans la matinée, me promettant de chasser lorsque nous aurons davantage de temps.

(Bon sang, je n'ai même pas acheté de ficelle pour me construire un piège à lapins ! Et sans arc, impossible d'attraper un cerf ou quoi que ce soit d'équivalent. Il va rapidement falloir que je trouve une solution.)

Le repas se passe tranquillement et l'air est agréablement frais. J'en profite pour faire davantage connaissance avec l'équipe en apprenant par la même occasion les noms des deux humains qui nous accompagnent. Celui qui a voyagé à l'arrière avec moi se nomme Hâthur et son frère, qui a voyagé aux côtés de Madame Anya, Godril. Ils m'expliquent qu'ils ont été embauchés à Bouhen où ils servaient autrefois de surveillants de champs et participaient occasionnellement à la milice locale. Je lance un discret coup d’œil à leur équipement qui me paraît usé par le temps, mais fiable.

(Un plastron en cuir sous la tunique et une épée courte à la ceinture. Plus un arc dans le dos de Godril. C'est correct, pour une protection de caravane.)

J'en profite pour m'attarder sur mon cas, constatant de mon manque flagrant d'équipement. Je trimbale un couteau depuis plusieurs mois sans même lui donner une once d'entretien. La lame coupe mal et je me suis déjà surprise à passer plusieurs minutes pour couper une corde, mais l'estoc est toujours vicieuse et menaçante.

(Et puis j'ai la poignée bien en main malgré le poids de l'arme. Et ces épaulettes ont l'odeur de la nature, pour ne pas dire qu'elles sentent la poussière et la sueur. Bah, ça trompe parfois le nez des Peaux-Vertes et j'peux m'approcher plus facilement des animaux, alors bon. Mais en y repensant, je ne serais pas contre du matériel plus récent.)

La pause se termine sur une note plus pressée et nous remontons rapidement dans le chariot, cette fois-ci en échangeant nos places. Hâthur me propose les rênes et je prends place au siège du cocher, reprenant la route sous l’œil attentif de mon voisin qui observe déjà les environs.
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Alfryda Bröhm » dim. 23 juin 2019 23:24

Voilà près de deux jours que nous voyageons et la troisième journée débute sous un ciel couvert et menaçant. Jusqu'ici, le voyage a été calme et sans surprises, le groupe prenant des pauses quand elles étaient nécessaires et roulant exclusivement sur la route principale. Mais cette pluie potentielle pourrait bien assombrir le trajet et Madame Anya demande déjà de lever le camp pendant qu'elle installe la toile au-dessus du chariot pour protéger son chargement de l'humidité. Habituellement, c'est elle qui conserve les rênes la première moitié de la journée, mais elle décide de chambouler cette habitude et me demande de conduire la caravane jusqu'à ce début d'après-midi, préférant s'assurer que les sacs sont correctement à l'abri. Ce début de matinée se déroule comme les précédentes et rien ne semble perturber le groupe, si ce n'est l'employeuse que je perçois plus tendue que d'ordinaire. Elle ne semble pas avoir mal dormi, mais soucieuse du déroulement de la journée.

"J'espère que nous n’essuierons pas d'averses aujourd'hui, voir même jusqu'à notre arrivée à Luminion. Je n'aimerais pas devoir baisser les prix si ma marchandise en prend un coup."

Avec l'aide de Godril, elle s'assure que les sacs sont correctement fermés, allant jusqu'à en défaire certains pour recommencer le nœud. Silencieuse, mais attentive, je l'observe par de rapides coups d’œils et cerne un peu mieux le personnage. Le zèle dont elle fait preuve me remémore ce que je connais au sujet des fermiers et des paysans, ne survivant que du profit de leurs récoltes lorsqu'ils en ont. Cette bonne femme cherche simplement à vivre de son métier et personne ne saurait le lui reprocher. Mais si je suis amenée à faire preuve du même zèle, c'est uniquement pour qu'elle puisse arriver à destination, vendre ses graines et me verser mon salaire.

(Le reste m'importe peu.)

Finalement, la pluie se dévoile un peu plus tard, peu avant l'heure du déjeuner. Au départ fine et plutôt calme, elle finit par s'intensifier et à taper lourdement sur le chemin, créant de larges flaques que je découvre au fil de ma progression. J'entends Madame Anya pester à l'arrière, peu satisfaite de la tournure que prend le voyage.

"Grumph... Bon sang. Ce foutu temps ne semble pas vouloir se rendre meilleur. Nous ne nous arrêterons pas pour manger, cette fois-ci. Godril et moi allons rapidement avaler quelque chose à l'arrière, puis nous échangerons nos places. Compris ?"

Les deux gaillards acceptent et je les suis rapidement d'un signe de la tête, me concentrant à nouveau sur la route qui devient plus difficile à suivre. L'eau sur le sol devient envahissante et si elle n'en est pas encore à l'averse, la pluie masque le tracé du chemin que je repère parfois au dernier moment. De son côté, Hâthur rajuste sa capuche et garde lui aussi les yeux sur la route, me prodiguant quelques conseils pour ne pas dériver du chemin. Il faut attendre plusieurs minutes pour que Madame Anya nous fasse signe et qu'elle reprenne la conduite de l'attelage tandis que nous nous glissons à l'arrière pour manger. Finalement installée, je tente de sécher mes vêtements et secoue mes cheveux d'une main, me maudissant de ne pas m'être mieux préparée pour le voyage. Nous avalons un frugal repas et mon voisin se laisse tenter par une sieste, dévoilant depuis quelques jours une attitude de paresseux. Pour ma part, impossible de dormir. Les nuits me suffisent et je préfère observer les environs, un brin soucieuse.

(Je ne suis pas rassurée, nous n'avons croisés aucune patrouille aujourd'hui. Et si Omyre se décidait à lancer une attaque surprise sur les terres d'Oranan ? Selon Madame Anya, c'est bien ce qui est arrivé à Luminion, récemment...)

Je chasse mes idées noires et reprend mon poste de surveillance, redoublant d'efforts lorsque les mauvaises pensées reviennent à la charge. Au gré de notre avancée, je me mets à imaginer nombres de dramatiques scénarios et me laisse emporter par une peur subite qui me fait voir ce que je ne désire pas. Mon esprit me fait voir des détails, des traces qui me font douter sur la présence de Peaux-Vertes. Un arbuste abîmée, des traces de pas dans la boue qui disparaissent en les observant de plus près, des bruissements de feuilles non loin de là. Je finis par craquer et fais part de mes inquiétudes au groupe.

"Attendez. ATTENDEZ ! Je crois qu'on est suivis !"

Sur ces mots, Madame Anya se retourne brusquement et tire sur les rênes des chevaux qui hennissent subitement. Hâthur se réveille soudainement et Godril tire son épée en scrutant minutieusement les environs.

"Quoi ?! Qu'est-ce qui se passe ?!"

"Nous sommes suivis ?! Comment ça ?"

Les mains serrant le bord du chariot, je pointe du doigt le premier détail qui me vient, une silhouette mouvante non loin derrière un petit bosquet.

"Regardez ! Là-bas, il y a quelqu'un ! Ce doit être un Garzok d'Omyre, j'en suis sûre !"

Tout le monde tente de voir où pointe mon doigt, toujours figé dans l'air en tremblotant, mais sans succès. C'est finalement Godril qui saute à pieds joints sur le sol mou, avançant à tâtons dans la direction indiquée. Alors qu'il arrive presque à l'arbre en question, il me regarde et me redemande confirmation d'un signe de la tête. Je lui réponds sans un mot, hochant la tête à mon tour en suant à grosses gouttes. L'homme reste sur place et fait quelques moulinets de son arme, avant de foncer subitement derrière le tronc, là où il nous est impossible de le voir. Quelques secondes d'une tension lourde s'écoulent et finalement, il réapparaît dans une attitude plus paisible.

"Il n'y a rien."

(Mais j'ai pourtant vu quelque chose ! J'en suis persuadée !)

"Il a dû s'enfuir ! Il doit y avoir des traces, quelque chose qui trahit sa présence !"

Godril reprend son inspection et après un instant, il range son épée et s'accroupit pour observer de plus près. Il finit par se relever et revient vers nous, me regardant suspicieusement.

"Il n'y a vraiment rien. Pas de traces, d'objets abandonnés, de verdure piétinée. Rien."

"Je... je ne comprends pas."

Et pourtant, une partie de moi en est consciente. J'ai certainement imaginé quelqu'un ou quelque chose au loin. Tandis que Godril remonte à l'avant, je sens son frère s'approcher de moi et poser sa main sur mon front. Je la rejette d'un revers et le fixe avec des yeux noirs, mais il retente sa chance en indiquant clairement ses intentions.

"Je veux seulement m'assurer que tu n'as pas pris froid. Tu dors sans couverture depuis notre départ d'Oranan et la pluie doit avoir aggravé ton état."

Un court silence s'installe et je laisse mes mains tomber le long de mon corps, lui indiquant qu'il peut essayer à nouveau. Sa main touche mon front et il remarque aussitôt la différence de température.

"Je m'en doutais, tu es brûlante. La fièvre doit te monter à la tête et te faire voir des choses. Tu ferais mieux de t'allonger et de dormir, au moins pour aujourd'hui."

Tous les regards sont braqués sur moi, je déteste cette sensation. Le poing serré, je vois Madame Anya qui mime l'exaspération et se retourne vers les chevaux qu'elle relance au pas. Hâthur se décale sur le côté et me laisse la place la plus confortable, celle qu'il occupait avant ma fausse alerte. Ma tête est lourde lorsque je la pose sur le sac qui fait office d'oreiller et c'est en bataillant contre la migraine que je finis par m'endormir, à la merci des cauchemars.
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Alfryda Bröhm
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Alfryda Bröhm » lun. 24 juin 2019 22:57

Le cinquième jour de voyage s'annonce comme plus indulgent que les deux derniers, tant au sujet de ma santé que du climat. La migraine a disparue à force de siestes et de repas plus fournis que les vivres. En effet, Hâthur s'approche souvent des fermières pour leur demander quelques rations, usant de sa belle gueule et de sa facilité à séduire pour négocier les prix. Nous participons tous à cette dépense commune et Madame Anya se porte volontaire pour nous préparer des soupes épaisses qui me font un bien fou. Malgré la maladie, je tente de participer à la surveillance commune de la caravane, essuyant tout de même de nombreux refus de la part de mes collègues lorsque je me propose pour conduire l'attelage. Au fil de notre progression, les terres cultivées se font moins denses et la population d'ouvriers agricoles diminue alors que nous nous approchons des montagnes, là où les bonnes âmes nous mettent en garde contre la possible présence de Peaux-Vertes. L'incident d'il y a quelques jours me revient en tête et un soupçon de honte me serre l'estomac.

(Une fois remise, je ne ferais plus d'histoires.)

------------------------------

Le lendemain, j’émerge de ma nuit avant tout le monde. Les autres sont toujours endormis et le soleil se lève à peine, me laissant le bonheur de retrouver la sensation d'humer l'air à plein nez. La migraine n'est plus qu'un lointain souvenir et c'est affamée que je plie la couverture offerte par Madame Anya. Il faut dire qu'il s'agissait à la base d'une couvrante pour les chevaux, mais mon état a incité mon employeuse à me l'offrir. J'ai bien insisté pour la lui payer, mais on dirait que j'ai rencontré plus têtue que moi. Je profite de mon réveil précoce pour m'autoriser un petit tour dans les environs en emportant un frugal petit déjeuner à déguster sur le pouce.

(Bon sang que ça fait du bien.)

Le vent est doux et frais, empli des senteurs des montagnes adjacentes. Je m'éloigne peu à peu des sentiers tracés, en direction d'une basse colline couverte de verdure. L'ascension me réveille les jambes et me fait vite oublier les multiples crampes subies à rester assise, atteignant le sommet en quelques minutes qui me laissent à bout de souffle. D'un revers de la main, j'essuie la sueur sur mon front et contemple le paysage qui me fait face, embelli par un soleil naissant. De là où je me trouve, je peux presque tout voir. Le campement où dorment encore mes collègues, la route qui gagne en hauteur et les montagnes que nous nous apprêtons à franchir. Luminion est encore loin et nous avons à peine parcouru la moitié du trajet. Dans les montagnes, la progression sera plus lente et il faudra s'habituer à faire moitié moins de route en une journée. Aujourd'hui est notre dernier jour dans les plaines agricoles de l'Ynorie et ce soir, nous passerons certainement notre première nuit dans la Chaine du Karathren.

Je reste près d'une heure assise sur ma colline, humant l'air qui me provient tantôt d'une maisonnette à l'horizon ou des monts enneigés. Un regard vers mon groupe m'indique qu'il sont déjà réveillés, Hâthur et Godril occupés à s'habiller tandis que Madame Anya émerge à peine. Ils ne paraissent pas inquiets de mon absence et c'est lorsque je repère l'un d'entre eux scruter l'horizon que j'attire son attention en agitant les bras, signe que l'homme me rend à son tour. Le soleil n'est pas complètement découvert et le temps a rapidement changé, virant du ciel vide à une mer de petits nuages qui masquent la lumière sur les plaines de Kôchii. Je profite de mes derniers instants sur la colline pour suivre les ombres célestes sur le paysage qui s'étend, repérant par ailleurs de petites silhouettes relatives aux humains, à quelques centaines de mètres de là. Étonnée, je me relève et plisse les yeux pour y voir plus clair. Je laisse bien une vingtaine de secondes s'écouler avant de mieux identifier de quoi il s'agit.

(C'est étrange. Il n'y a plus d'habitations si proche de la frontière Kendranne, ça ne peut pas être des enfants. Ce ne sont non plus pas des animaux, ils se déplacent sur deux pattes. Qu'est-ce que... )

Le soleil leur passe finalement dessus et éclaire ma lanterne, inspirant de surprise lorsque je découvre la menace. Longues oreilles, petits et malingres, la peau verdâtre et une façon de marcher qui m'est familière. Des gobelins, certainement en vadrouille pour piller quelques fermes et voler le bétail des Ynoriens. Leur plan change soudainement lorsque l'un d'entre eux agite le doigt dans ma direction, chargeant subitement l'arme à la main. Pour ma part, la retraite vers le groupe ne se fait pas attendre. Je dévale la colline le plus rapidement possible, tentant de ne pas trébucher et de m'étaler sur le sol. Une fois à portée de voix, je préviens mes collègues de la menace qui s'approche.

"GOBELINS ! GOBELINS EN APPROCHE !"

Je remarque les trois silhouettes se retourner, captant mon message quelques secondes après. La réaction de Godril et Hâthur ne se fait pas attendre, les deux hommes attrapant leurs armes et me rejoignant au pas de course. Madame Anya se rue vers la caravane et attrape les rênes des chevaux, éloignant son gagne-pain du futur combat. Derrière moi, les Peaux-Vertes sont déjà au sommet de la colline et découvrent la situation et les renforts que je finis par rejoindre.

"Alfryda ! Tu n'as rien ?!"

"Non, *pfff* tout va bien !"

"D'où ils viennent ? Et combien ils sont ?"

Godril s'emparait déjà d'une flèche dans son carquois lorsqu'il me posa la question. Je le laisse quelques secondes sans réponse, reprenant mon souffle le plus rapidement possible jusqu'à être capable de respirer par le nez sans couper le fil de mes paroles.

"*Fiou* Cinq ou six. Je les ai aperçus non loin des montagnes. Ils se dirigeaient vers l'intérieur des terres Ynoriennes, de là où nous venons."

Le groupe de gobelins n'attend pas davantage pour charger, piaillant tout en agitant leurs armes au-dessus de leurs têtes. Notre archer réagit brusquement et encoche une flèche qui file droit vers eux, accompagnée de nos espoirs de la voir frapper sa cible. Elle finit par s'enfoncer dans la terre, sifflant près de l'oreille d'un des enragés qui gagnent du terrain. Ma main attrape le couteau à ma ceinture et Hâthur empoigne fermement son épée qui fait facilement la taille de nos adversaires. Godril retente sa chance une dernière fois et encoche une nouvelle flèche, conscient qu'il devra ensuite sortir sa lame pour se défendre. Cette fois, le tir fait mouche et abat un des gobelins sans que je sois capable de dire sur quelle partie du corps il a été touché. Ce sont donc cinq Peaux-Vertes qui parviennent jusqu'à nous, défenseurs de la caravane et déterminés à n'en laisser passer aucun.
Modifié en dernier par Alfryda Bröhm le lun. 15 juil. 2019 17:02, modifié 2 fois.
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Alfryda Bröhm
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Alfryda Bröhm » mar. 25 juin 2019 16:44

Je recrache un peu de terre avalée par inadvertance et écarquille les yeux, reprenant mes esprits. J'ai les oreilles qui sifflent, le nez qui saigne et la vue trouble, étalée comme une pauvre loque au milieu de la verdure. La charge des gobelins a été plus dévastatrice que prévue et je ne chicane pas en disant que j'en ai fais les frais, perdant mon couteau je-ne-sais-où. D'un petit mouvement du bassin, je bascule sur le dos, juste à temps pour découvrir l'un des assaillants se jeter sur moi tel un chien sur son repas.

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La créature est physiquement plus répugnante que celles rencontrées au cours de ma carrière de trappeuse. Le visage semble être le fruit de l'union d'un porc et d'un dégénéré de leur espèce, là où je parviens d'ordinaire à retrouver quelques traits humains en eux. Son accoutrement est purement primitif et je comprends qu'il ne s'agit pas d'un envoyé d'Omyre, mais plutôt d'un sauvage des cavernes qui survit par le vol et le pillage. Tout en lui me rappelle à quel point j'ai horreur de ces dégueulasseries et comme j'aimerais planter mon couteau dans son œil si je l'avais encore en main.

"DÉGAGE ! DÉGAGE !"

Aux prises avec le Peau-Verte, je lutte pour l'éloigner à coups de pieds et de poings dans l'espoir de me relever, mais il n'est clairement pas de cet avis. Rythmé par ses horribles piaillements, il se pose sur moi et attrape l'un de mes poignets, serrant et abîmant ma peau de ses ongles sales et abîmés. Long couteau dans sa main libre, il tente de me frapper au torse, mais ma paume bloque l'attaque de justesse et un duel de force démarre entre nous malgré ma mauvaise posture. La lame n'est qu'à quelques centimètres de ma poitrine, mais la salive qui coule de sa bouche grossière s'étale sur mon visage déformé par l'effort. La pointe tremblante finit par toucher mon sein et le gobelin s'emballe, relâchant mon poignet et appuyant à deux mains pour m'achever d'un coup en plein cœur. Plus réactive que lui, je parviens à lui étaler ma main sur le visage et à le repousser sur le côté d'un cri de rage, mais sa tentative paye et son couteau s'enfonce dans mon épaule, glissant sur l'os et terminant sa course dans le sol. Je hurle subitement de douleur et redouble de mouvements brusques pour l'éloigner, l'enflure se décidant à cesser de me chevaucher.

Déboussolée, je me relève rapidement et couvre la blessure de ma main qui s'imbibe de sang. La plaie me pique atrocement et je peste contre l'inutilité de mes épaulières qui auraient dû me sauver la mise. Cependant, la créature ne me prend pas en pitié et charge à nouveau vers moi, déterminée à liquider une proie qu'elle juge trop persistante à mourir. Je ne peux qu'observer le sol à la hâte, toujours à la recherche de mon arme qui s'est envolée au début du combat. Incapable de la retrouver, je me prépare à encaisser le poids du gobelin et, d'une habile esquive, l'accueille d'un puissant contre de l'épaule en pesant sur mes jambes telle le flanc d'une montagne. L'impact de son crâne résonne jusque dans mes doigts et ma blessure n'apprécie guère l'idée, m'obligeant à céder sous le poids de la créature qui me renverse une nouvelle fois en arrière. La chute n'est pas des plus agréables et je ressens une douloureuse gêne sous mon dos en m'étalant au sol, convaincue d'être tombée sur une pierre ou une branche. N'attendant pas la même lutte au corps à corps, je repousse l'enflure qui gueule le souffle coupé lorsque mon talon s'enfonce dans son estomac. La bestiole recule de quelques pas en serrant son bas-ventre et j'en profite pour attraper la pierre présumée qui me griffe le râble. Un souffle de surprise s'échappe de ma gorge lorsque je reconnais mon couteau, désormais bien à l'abri dans ma main ensanglantée.

Déterminée à ne plus le perdre, je me relève une nouvelle fois et tiens en joue mon adversaire qui hésite après s'être remis de mon vilain coup dans le bide. La douleur de mon épaule s’amenuise alors que l'adrénaline coule dans mes veines et gonfle mon cœur d'un courage nouveau. Je me permets quelques coups d’œils hâtifs vers mes camarades, toujours aux prises avec les assaillants qui n'en démordent pas. Le gobelin rage et claque la mâchoire en dévoilant ses dents moisis, piaillant et braillant une langue que je ne comprends pas. Je ne le sous-estime pas et lui aussi comprend qu'une proie est toujours plus dangereuse lorsqu'elle est blessée, animée par la force du désespoir. Mais du désespoir, j'en suis vide et pour l'heure, c'est une vive colère qui anime mes jambes lorsque je me lance sur mon adversaire. Ce dernier se renverse sur le sol et je m'écrase sur lui de tout mon poids, évitant sa main qui tente de bloquer mon bras armé. La mienne est parvenue à l'immobiliser facilement et la tendance s'inverse lorsque je lève mon couteau en l'air pour l'abattre sur le flanc de son cou, un point vital trop souvent à découvert. Le piaillement du gobelin se transforme en gargouillement et la force qui mouve son corps s'atténue à mesure qu'il meurt, sa langue grotesque pendue hors de sa tanière. Un sang chaud recouvre le sol et je m'affale à côté de son cadavre, levant les yeux vers mes camarades tout juste victorieux. La bataille se conclue enfin et bien que la caravane soit sauve, je me sens incapable de fêter ça.
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Anastasie Terreblanc
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Anastasie Terreblanc » dim. 11 août 2019 23:18

Il prit presque trente jours à Anastasie pour voir le bout des gigantesques Plaines de Kôchii. Si elle avait pu gagner quelques jours en montant à bord du chariot d'un marchand de retour vers son village, elle avait dû, en l'absence de paquetage lui permettant de passer d'agréables nuits dehors, faire quelques détours pour s'arrêter dans des fermes ou auberges au cours de son voyage, lui faisant perdre son avance. Elle n'était cependant pas pressée, voulant profiter de cette solitude ô combien rare pour elle à Kendra Kâr pour discuter avec Zekiel, qui se faisait plus silencieux que jamais. Elle avait pu le sentir peu à peu reprendre ses forces, au cours des quelques derniers jours en Ynorie, mais son esprit était maintenant bien trop entraîné et décidé pour qu'il ne puisse reprendre l'ascendant sur elle. Sans doute étudiait-il minutieusement ses failles mentales, prêt à lui vriller le crâne une fois de plus jusqu'à pouvoir prendre pleinement possession de son corps... Mais sa position d'observateur ne devait rendre que plus claire pour lui l'inévitable : il n'aurait jamais les forces nécessaires pour chasser la jeune femme de son propre corps. Leur duel mental était terminé et il ne restait à Anastasie qu'à le détruire complètement. Une certaine compassion était cependant née pour le Vaahs'Umbra après les épreuves qu'ils avaient traversé, aussi ne jugeait-elle pas nécessaire d'écourter plus encore sa vie.

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Merci à Itsvara pour la signature.

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Jorus Kayne
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Jorus Kayne » dim. 1 sept. 2019 16:13

Ishikawa est une petite ville au sud d’Oranan. Il y a effectivement un bois à quelques minutes en courant direction le sud. Un peu excentré des plantations les plus proches et juste assez dense pour opérer une transaction illégale. Personne ne semble s’y intéresser puisque cela vaut un détour inutile pour ceux partant ou arrivant d’Oranan à pied. Je pénètre les lieux aussi discrètement que possible. Au bout de longues minutes, je suis prêt à faire demi-tour pour retourner rosser l’homme sur lequel j’ai eu le plaisir de m’exercer, jusqu’à ce que j’entende des bruits suspects. Je m’approche lentement en prenant soin d’éviter sur mon chemin tout ce qui peut engendrer du bruit. Quelques tas de mousses sont d’ailleurs les bienvenus.

J’arrive derrière un arbre qui me cache en grande partie. Au loin je vois plusieurs hommes en train de discuter. Un homme richement vêtu et non loin de lui quelqu’un qui doit être son garde du corps avec son ensemble de cuir des pieds aux épaules et son corps parsemés de lames en tout genre. Impassible à la conversation, il reste de marbre mais guette le moindre mouvement des deux hommes en face. Ces deux-là ressemblent à l’homme que j’ai croisé dans les rues d’Oranan. Un grand manteau cache ce qu’il y a dessous, mais avec les gestes, je perçois qu’il n’y a pas le même accoutrement grotesque en dessous. Au vu des gestes vifs, le ton semble agressif et le mécontentement est palpable, pourtant je ne parviens pas à comprendre correctement ce qu’ils se disent.

"Ce n’est …que …avons convenu ! …apprécie …changement …contrat initial." S’insurge l’homme riche.

"…comprends …inquiétude, …vous …aussi …que moi …ce …de produit est …et cela …prix !" Répond plus calmement l’un des deux hommes avec l’ample vêtement et rend plus difficile la compréhension.

"…somme exorbitante …exigez-là !" Reprend l’homme richement vêtu.

"C’est …voir, …pas le seul …recherche …marchandise. Si …pas d’accord …prix, …forcerais pas …. …vous recontacterais …obtenons d’autres …vous intéresser." Déclare le second interlocuteur avec le manteau alors qu’il semble rebrousser chemin.

"D’accord c’est entendu !" Hurle le riche, me permettant de comprendre qu’un marché semble conclu.

Le riche homme sert la main d’un de ses interlocuteurs, tandis que le second s’en va chercher quelque chose pour revenir avec.

(Castamir !)

Je vois la taurionne ligotée et emmenée de force vers l’attroupement. Ses vêtements sont déchirés en plusieurs endroits et du sang coule au niveau de ses mains. Il y a de forte chance qu’elle ait tenté de se libérer plus d’une fois. Alors que sur ordre de son riche maître, l’homme de main jusque-là impassible s’en va chercher ce que je pense être une bourse de yus, la colère refait de nouveau surface avec cette horrible vente d’esclave.

Je regarde autour de moi s’il n’y aurait pas quelque chose que je puisse utiliser, mais hormis de la végétation rien ne me saute aux yeux. Je reporte mon attention sur l’échange et vois l’individu désirant acquérir l’elfe verte, l’empoigner par les cheveux et l’approcher de son visage. Il n’en faut pas plus à Castamir pour lui cracher au visage, provoquant la colère de son éventuel acheteur. Ce dernier brandit sa main pour la punir et la colère prend le dessus sur mes actes. Je quitte mon point d’observation pour aller dans leur direction et hurle à un hypothétique groupe derrière-moi.

"Gardes, ils sont ici !"

Les quatre hommes sont surpris par mon intervention et si la majorité ne semble pas réagir, l’homme de main bien équipée, dégaine déjà son arme.

(Ce n’est pas bon ça ! Il est clair que cet homme est expérimenté. Le p’tit richou se ne prêtera pas au combat, mais je risque d’avoir de gros problèmes si je l’affronte son garde avec les deux autres guignols. A moins que, je n’arrive à tous les faire fuir !)

"Venez vite avant qu’ils ne s’enfuient !"

Hurlant de nouveau derrière-moi, je créé un nouveau doute dans l’esprit des hommes. Si comme je l’espère le plus dangereux est aussi professionnel qu’il en a l’air, il va...oui ! Armé de sa longue épée en main, il empoigne son maître et le pousse à quitter les lieux, fuyant dans la direction opposée. Les deux autres individus qui ont capturé Castamir sont dans le plus profond désarroi, hésitant s’ils doivent fuir également dans la même direction, abandonnant leur marchandises ou fuir avec, et ce qu’ils doivent faire de cette bourse de yus qui s’est ouverte au sol. Ils sont encore dans le doute lorsque j’arrive à leur niveau, allumant leur instinct de conservation en dégainant leurs armes. L’un possède une rapière et un bouclier moyen tandis que l’autre est armé de deux dagues. Je fais de même et m’équipe de mes deux mains.

(Donc ils ont choisi un affrontement ! Dommage, je serais bien parti clopin-clopant avec Castamir. )

Ils se préparent à subir mon assaut et voyant que ces deux hommes se positionnent de sorte à ne pas se gêner l’un l’autre, ils doivent être habitués à combattre ensemble. L’homme à la rapière sur ma gauche et l’autre avec les deux dagues à ma droite. Ils lancent une attaque coordonnée me forçant à une pirouette sur le côté gauche pour me dérober à leurs lames. Bien entendu je ne compte pas me laisser faire de la sorte. Alors qu’ils se ruent à nouveau sur moi, je mobilise mon énergie interne et attends qu’ils arrivent à moi. Animé avec la puissance de toute la force intérieure que je suis capable de concentrer en une fois, mon bras principal atteint une vitesse époustouflante. Donnant l’illusion qu’une quantité innombrable de coups, bien plus que ce que je ne porte en réalité, je parviens à toucher les deux hommes avec un coup chacun, celui avec les dagues à l’épaule droite et son comparse à la jambe gauche. Malheureusement je ne m’en sors pas complètement indemne. Même si la rapière est la seule à m’atteindre, elle m’ouvre une blessure sur le flanc gauche et m’arrache un cri de douleurs. Cela va me forcer à serrer les dents à chaque fois que je solliciterai cette partie de mon corps.

Pourtant j’ai connu un combat plus déséquilibré encore. Aux côtés de la jeune Yurlungur, nous avons affronté six énormes molosses dans la Lande Noire. Ce n’est clairement pas ces deux malandrins qui vont me causer problème, même si je n’ai pas affaire à des cabots débiles. Les deux hommes m’attaquent à nouveau et j’évite d’une pirouette sur la droite qui déstabilise leur assaut. Je grince des dents pour ne pas montrer que ma récente blessure me fait un mal de chien. Au lieu de ça, ma nouvelle position me permet de n’avoir qu’un adversaire l’espace de quelques instants, celui avec les dagues. Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour le toucher au bras gauche, tandis que son bras opposé manque de peu de me crever un œil. Le retour du comparse avec sa rapière m’oblige à nouveau à éviter un coup d’estoc d’un salto arrière.

Je les vois commencer à souffrir de leurs blessures, c’est bon signe sachant que j’arrive à tenir le coup malgré leur supériorité numérique. A nouveau ils tentent de m’encercler, rapière à droite et dagues sur la gauche cette fois-ci. Je décide de m’échapper en me focalisant sur mon adversaire avec les fines lames. Non seulement il n’a pas l’allonge de son camarade, mais de surcroît il est davantage blessé. Rengainant la dague que je tiens de ma main gauche, je m’éloigne de l’homme à la rapière et profite d’un arbre près de moi pour empêcher mon second adversaire de s’approcher de moi. Profitant d’un obstacle visuel, je saisis mon boomerang et le lance une fois l’arbre passé sur l’homme aux dagues. Mon arme de jet l’atteint au poignet et la surprise du coup lui fait perdre sa lame. Son comparse profite de sa position pour charger à nouveau, mais son coup manque de rapidité et je parviens à dévier sa lame avec ma dague de glace.

Craignant que notre proximité ne soit un trop grand avantage entre son arme longue et la mienne, il place son bouclier entre nous pour le prémunir d’un coup probablement mortel. Pourtant ce n’est pas ce que je vais viser dans l’immédiat. J’attrape la base de son manteau et m’élance à droite, m’éloignant de son p’tit copain et tirant comme un damné. Je grince encore des dents lorsque la blessure se fait de nouveau ressentir, mais mon action a l’effet escompté. Forcé par la rotation que j’impose à son vêtement, je lui fais perdre complètement l’équilibre. Il tente de garder une position aussi stable que possible, mais il flanche complètement lorsqu’il s’appuie sur sa jambe déjà blessée et choit dos au sol. Son ample manteau déchiré, je m’aperçois qu’il est équipé de tout un attirail de maille. Une paire de bras d’armure et un plastron de maille, mais ce sont ses jambières de mailles qui retiennent mon attention. Je comprends mieux pourquoi mes coups ne leur ont pas fait grands mal et leur manteau, plus fin qu’il ne semble être, n’est là que pour dissimuler leurs équipements et surprendre leurs opposants. Au final, seule la tête n’est pas protégée et le temps qu’il comprenne ce qui lui est arrivé, je le frappe définitivement à la gorge.

Je m’attends à subir un coup de mon dernier adversaire, mais celui-ci s’en est allé ingurgiter une potion, après avoir ramassé son arme. Il devait s’agir d’une potion de soin car il semble en meilleur état pour se battre, il se défait de son ample manteau et me fait de nouveau face avec ses deux lames. Contrairement à son homologue, celui-ci possède un attirail de cuir, plus adapté aux mouvements vifs et souples. Heureusement que mon arme de jet à atteint la main car je doute qu’elle ait pu faire le moindre dégât sur ses avant-bras. Il ne possède pas non plus de protection à la tête, mais son plastron de cuir et ses bottes montant jusqu’aux genoux sont de meilleures factures que mon équipement, composé de restes provenant de protection de Sektegs. Je dégaine ma petite dague et reçois l’homme qui veut se venger de son ami mort. Visiblement sa potion et son désir de vengeance lui donne une force nouvelle. Il enchaîne les attaques et je parviens jusque-là à le tenir à distance. Il m’est difficile de porter moi-même un coup sans risquer de me faire trouer la peau. Pourtant c’est bien ce que je vais devoir faire. Attendant un assaut qui vient de la gauche, je frappe la main qui cherche à me toucher et le blesse méchamment. Cependant je ne vois pas le coup venir de son autre main. Celle-ci me plante sa lame à la cuisse droite. Je tente un coup à la gorge, mais il se dérobe loin de moi.

La situation se complique. Ma blessure au flanc est sévère et celle à la jambe va me poser de gros problèmes pour me déplacer. La tension monte alors que nous nous regardons les yeux dans les yeux. Après quelques instants, la main que j’ai frappée commence à trembler. Je maintiens mes armes devant moi pour le dissuader d’attaquer. Il est clair que la blessure que j’ai infligée avec ma dague s’aggrave. Il ne me reste plus qu’à attendre que sa blessure soit trop handicapante pour ne manier plus qu’une seule arme. Néanmoins, mon opposant ne semble pas vouloir attendre. Il se rue sur moi et tente le tout pour le tout. Nos armes s’entrecroisent et se neutralisent, transformant notre duel en une épreuve de force. Ma jambe blessée devient un véritable fardeau. La douleur est trop forte et je plie ma jambe malgré moi sous la pression.

Ce n’est qu’une question de temps avant que je ne flanche complètement. Du moins jusqu’à ce qu’une partie de mon boomerang dépasse derrière-lui. Il relâche soudainement la force qu’il exerce et je profite de l’occasion pour libérer ma dague de glace et la lui planter sous l’aisselle droite, évitant soigneusement son armure. Je repousse le corps qui se vide lentement de son sang jusqu’à ce que la vie s’en échappe à son tour. A quelques mètre de moi, je croise la semi elfe que je suis venu sauver.

"Y’a pas d’quoi !" Me lance-t-elle avec un petit sourire narquois.

Je me laisse tomber au sol et l’elfe verte arrive à ma hauteur, examinant mes blessures.

"C’est assez vilain, mais je crois pouvoir stopper le flot de sang et diminuer la douleur." M’explique-t-elle.

Elle disparaît dans la forêt pour revenir avec une sorte de bouillie verdâtre. Elle déchire les vêtements du dernier homme qui vient de mourir et place la pâte verte à l’intérieur.

"Ca peut piquer un peu." Me prévient-elle alors qu’elle pose cette chose sur moi. La douleur est atroce et je fais fuir tous les oiseaux aux alentours. "Ca peut aussi faire très mal !"

"Quelle chochotte tu fais, j’ai rarement entendu un homme se plaindre de la sorte !" Se moque-t-elle après quelques instants où la douleur ne fait plus mal.

"Ce n’est pas ce que l’on dit à son sauveteur !" Dis-je en ricanant.

"Ha parce que ça c’est un sauvetage ? Heureusement que tu me l’as dit, je ne l’aurais pas parié." Continue-t-elle avec un sourire en coin.

"Non c’est ma faute, je n’ai pas remarqué que toi et tes p’tits copains vous vous apprêtiez à danser autour d’un feu de joie. La prochaine fois je m’abstiendrais lorsque je te verrais participer à une séance torride avec des cordes. Arg !" Un pic de douleur me prend lorsqu’une forte pression se fait sur ma blessure.

"Quelle maladroite je fais !" Grogne-t-elle peu convaincante. "Tu es venu pour moi ? Pourquoi ?"

"Ben je ne sais pas ce que tu as fait de mon cheval. Il fallait bien que je te retrouve !" Dis-je ironisant à mon tour.

"T’as pensé à faire un tour à l’écurie ? Il paraît que les gens laissent d’étranges créatures qu’ils montent généralement !" Me répond-elle narquoise. Elle termine mon bandage et reprend. "Alors tu as fait quoi ces trois derniers jours ?"

"Trois jours ?" Je m’étonne. Elle m’aide à me relever et je la regarde dans les yeux. "Je crois que ça va te surprendre !"

4 - le guérisseur.

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Hatsu Ôkami
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Hatsu Ôkami » sam. 12 oct. 2019 00:52

Au coeur des cîmes

Le soleil se levait à peine sur les murailles d’Oranan tandis qu’Hatsu les observait une dernière fois avant de leur tourner le dos. Elle avait précipité son départ et la veille au soir avait été la soirée d’adieu. Une retenue toute oranaise, mais les regards inquiets de ses parents et de son frère lui avaient suffit et elle leur avait promis de revenir dès qu’elle en aurait l’occasion. Elle se sentait libre, finalement, bien que la raison de son soudain départ n’était en rien une bonne chose. Elle avait demandé à ce qu’ils fassent croire qu’elle était alitée, afin qu’elle gagne quelques jours sur l’homme qui ne manquerait pas de la poursuivre, elle en était convaincue. Aussi, après une longue inspiration, elle se mit en route, emmitouflée dans son manteau pour se protéger du vent automnal qui amenait une brise fraîche, bien que légère, sur son visage. Elle avait décidé de sa route la veille et savait suffisamment s’orienter seule pour ne pas douter de parvenir là où elle le souhaitait. Ce n’était pas la première fois qu’elle quittait Oranan, mais c’était la première fois qu’elle s’en allait seule, livrée à elle-même et, si l’expérience valait selon elle la peine d’être vécue, une légère appréhension se faisait tout de même sentir dans son ventre, un nœud de doute qu’elle choisit d’ignorer pour se concentrer sur la route.

Route qui serait longue et qui, au bout de quelques heures, lui parut déjà d’une monotonie mortelle. Elle ne croisait pas grand monde et la plupart des voyageurs ou marchands avaient le visage grave et les yeux méfiants tandis qu’il la croisait. A croire qu’elle avait l’air d’un bandit de grand chemin. Elle était partagée entre l’amusement et l’agacement à ce propos, mais n’essaya pas une seule fois d’affirmer ou infirmer quoi que ce soit. Elle n’avait pas envie de perdre son temps et marchait d’un pas déterminé, faisant de petites pauses pour se sustenter avec les rations qu’elle avait emmené. De quoi tenir un mois, à vue de nez, avec tout ce que sa mère lui avait forcé à prendre. Cela afficha un sourire tendre sur son visage avant qu’elle ne reprenne finalement la route. Les jours passèrent et se ressemblèrent. Parfois, Loup venait interrompre la monotonie de la marche en faisant allusion à telle ou telle chose, parlant la plupart du temps d’aller chasser, mais la jeune femme arguait qu’il lui fallait aller au plus vite et qu’elle ferait ça une fois dans les montagnes, là où il serait bien moins aisé de retrouver sa trace.

Les champs de cultures laissèrent bientôt place aux plaines verdoyantes tandis que les montagnes s’approchaient lentement, trop lentement au goût de la jeune femme qui regretta un peu de ne pas avoir pris un cheval, se rappelant pourtant qu’elle n’aurait pas su quoi en faire une fois dans les montagnes ou en peine forêt. Il était bien plus pratique de voyager à pied, même si cela la ralentissait. Tandis qu’elle apercevait le lac Nostyla, au sud, la route bifurqua. Une longeait le lac, vers le sud et l’autre se rendait vers l’est, vers le défilé d’Aisunidoru, Luminion et Omyre. Elle savait qu’elle allait devoir s’approcher, voire même pénétrer sur les terres du sombre empire, ennemi de son peuple, mais elle n’hésita pourtant pas, prenant aussitôt la route de l’est. Lentement, mais sûrement, le paysage changea, la route se fit plus rocailleuse, les arbres plus éparses et la verdure plus clairsemée. Au détour du sentier, une patrouille vint à sa rencontre. Tous Ynoriens, juchés sur leurs chevaux. Deux d’entre eux descendirent, la main sur la garde de leurs armes, tandis que lajeune femme, prudente et n’ayant rien à se reprocher, levait les mains et les fixait d’un regard neutre, mais où un léger agacement se faisait sentir. Il lui fallut une bonne vingtaine de minute pour se débarrasser d’eux pour pouvoir ensuite continuer sa route, non sans avoir indiquer une fausse identité et une raison tout à fait banale de voyager dans la région. Elle n’avait pas envie que ces soldats aiguillent Talabre vers elle et fut donc très prudente.

Le soir venu, elle se rendit compte que trouver du bois s’avérait bien plus complexe qu’elle ne l’avait pensé dans cette région. Elle ne réunit qu’une maigre fagot après presque une heure de recherche et soupira devant le minuscule foyer qui peinait à la réchauffer face au froid qui se faisait de plus en plus mordant à mesure qu’elle progressait. Elle se morigéna, se trouvant stupide de ne pas avoir pensé à prévoir du bois et s’enroula dans sa couverture, s’endormant roulée en boule, la tente au bord de la route. Le réveil fut quelque peu étrange lorsqu’elle entendit un bruit régulier, comme si on frappait à une porte. Elle ouvrit un œil, puis se redressa vivement en constatant qu’une silhouette se tenait non loin de la tente, son ombre se voyant à travers le tissu tendu. Silencieusement, elle saisit son arc et encocha une flèche. L’inconnu n’avait visiblement pas l’intention d’entrer, mais elle était méfiante et sortit par l’autre extrémité de la tente, mettant aussitôt en joue un… elfe ? Un Hinïon lui faisait face, immobile, regardant la pointe de la flèche avec une appréhension dans le regard. La jeune femme soupira et baissa son arme, offrant un sourire d’excuse avant d’incliner la tête.

- Navrée pour cet accueil.

L’Hinïon lui répondit d’un sourire, une voix aux accents chantants emplissant soudainement l’air.

- Il est rare de croiser pareille compagnie dans cette région. Et ne vous en faites pas, vous n’êtes pas la première à réagir ainsi. Je me nomme Firaël et vous êtes…

- Shimi…

- Enchanté. Seriez-vous d’accord pour partager un petit repas ? Je vous avoue que voyager est agréable mais la compagnie fort peu commune et converser est toujours un plaisir.

La jeune femme hésita, mais l’elfe sortit divers ingrédient et elle finit par hausser les épaules avant de démonter sa tente tandis qu’il préparait un repas. Elle s’installa en face de lui, le feu les séparant et il commença à parler, expliquant qu’il était barde et conteur et qu’il voyageait pour porter nouvelles et messages en chanson, ce qui avait un intérêt pour le peuple, mais aussi les puissants qui requéraient parfois ses services.

- Un métier intéressant. Dangereux aussi, non ?

- Oui, mais je sais me défendre, ne vous en faites pas. Et vous, que faites-vous par ici ?

- Je ne fais que passer, je me rends plus à l’est, dans les montagnes. J’ai… un intérêt personnel qui se trouve dans la région.

Cela laissa l’Hinïons pensif quelques instants, laissant à Hatsu le temps de terminer l’excellent ragoût qu’il avait préparé.

- Soyez prudente, les temps sombres approchent et les montagnes sont loin d’être sûres, surtout si vous êtes seule.

- J’en suis consciente, mais je ne vais pas rebrousser chemin maintenant.

Elle avait quelque chose à accomplir et elle comptait bien réussir. Ils discutèrent quelques minutes puis l'Hinïon reprit finalement la route, saluant une dernière fois la jeune femme qui fit de même, avant d'entrer finalement dans le défilé.
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
Première Née des Ôkami
Réceptacle de l'esprit de Loup
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Armoiries des Ôkami:
l'Or pour la fortune, le Loup pour la noblesse d'âme et la flèche pour le passé guerrier.

Shirel Benevent
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Re: Plaines de Kôchii

Message par Shirel Benevent » lun. 11 nov. 2019 19:07

Shirel s'arrêta une première fois lorsqu'il parvint à la route principale qui liait Oranan aux Duchés. Après un effort continu pendant une bonne heure, il était essoufflé, haletant au beau milieu de la nuit, dans un silence de mort. Il s'adossa à la borne qui indiquait le nombre de lieues qui le séparaient de son objectif, les poumons en feu. Autour, il n'y avait rien de plus qu'une légère brise qui soufflait dans les épis. Tout le fracas de la bataille s'était estompé. En fait, cela faisait un moment qu'il n'entendait plus de hurlements affreux, d'épées qui s'entrechoquent et de grognements féroces. Il y avait d'abord sa respiration, qui s'était faite de plus en plus sifflante à mesure qu'il avançait, qui couvrait tous les bruits qui pouvaient encore être perçus : et puis, à mesure qu'il s'éloignait, c'était tout simplement le calme qui était revenu. Bien qu'on se battît à peut-être un kilomètre de là, il n'y avait rien qui puisse l'indiquer ici. L'herbe y poussait verte et le vent y soufflait, paisible, poussant quelques nuées devant le halo lunaire.

Bien sûr, cette absence de menace immédiate n'avait pas empêché Shirel de continuer à courir. Mécaniquement, puisqu'il se fatiguer, sa vitesse diminuait, sans pourtant que son effort ne soit moins important. Il n'avait ni le physique d'un bon coureur, ni l'habitude de tels périples. Mais l'adrénaline avait mis du temps à se consumer : et même ainsi, assis là, sa tête d'or perdue entre deux mains tremblantes, le bruit d'une chouette qui hulula soudain au loin le fit sursauter et se redresser en catastrophe.

Était-ce un envoyé d'Oaxaca ? La chouette signalait-elle la venue d'une troupe Garzok ? Les Ynoriens étaient-ils défaits ? Ou pire, y avait-il l'une de ces bêtes affreuses qui l'avaient poursuivi jusqu'ici, au flair, percevant sa terreur comme une fragrance exquise, et s'apprêtait à lui fondre dessus, depuis les ténèbres les plus noires ?
Il est aisé de se forger de telles images quand on est habitué à lire des tas d'histoires.

« Je n'ai pas le temps de niaiser, » se dit-il avant de reprendre sa course.

Course est un bien grand mot : il s'agissait d'un trot. Il ne pouvait de toute façon pas continuer à maintenir le rythme précédent, du fait de la fatigue, et plus la bataille s'éloignait, plus la raison lui revenait. Après tout, il risquait de chuter aisément, comme il ne voyait pas grand-chose ; et il ne fallait pas précipiter les choses, parce qu'il devrait être en état de parler quand il arriverait à Oranan. Pour l'instant, il ne voyait pas la ville, mais ça devrait arriver bientôt. Alors, il pourrait accélérer, montrer qu'il avait l'étoffe d'un héros, malgré sa lâcheté sur le champ de bataille... Et puis c'était pour le bien d'Oranan. La ville serait bientôt en vue, non ?

***

La ville n'avait pas apparu de toute la nuit. Alors que les premières lueurs du jour se manifestaient, colorant d'un rose tendre les champs où bientôt surgiraient des Garzoks sanguinaires, Shirel se demanda s'il n'avait pas pu louper la capitale ynorienne.
L'idée était absurde. Il l'oublia vite, et se dit qu'il était en fait encore bien loin d'Oranan.

Il commençait à avoir faim. Il avait à peine mangé la veille au soir, l'attaque ayant eu lieu trop brusquement : et en partant, il avait pris avec lui son vieux grimoire mais pas de quoi remplir son estomac vide. C'était un calcul digne d'un ecclésiastique de Gaïa.
Cette gêne encore n'était pas trop grave : il avait l'habitude de jeûner quelquefois, de manger moins que les autres, il saurait se retenir. Et puis, il trouverait bien quelque chose pour son repas, dans une auberge, sur la route... Il en avait croisé une, pourtant, mais par orgueil, il avait imaginé qu'Oranan était proche et qu'il ne pouvait se permettre de s'arrêter ici : en plus elle était petite, et trop proche des Garzoks, et les volets étaient fermés à cette heure-là, et il n'y avait pas de lumière... Il se reprochait sa lâcheté à présent.
Ce n'était pas qu'il commençait à avoir mal aux jambes, mais qu'ils les sentaient à peine. De même ses poumons respiraient machinalement un air qui les perçait et les glaçait. Alors que le jour se levait, il commençait à marcher, d'un pas qu'il voulait rapide, mais qui était finalement assez irrégulier. De toute façon, il allait presque aussi vite en marchant qu'en courant. Il suffirait d'accélérer un peu à l'approche d'Oranan... Cette idée ne le quittait pas : mais il aurait eu bien du mal à la concrétiser. Mais il s'imaginait qu'à l'approche de son objectif, des forces nouvelles lui viendraient, par l'opération du saint-esprit de Gaïa. Il était difficile de faire comprendre à un fervent calotin même les concepts les plus basiques de biologie et de pragmatisme. (Après tout, une fois qu'il serait arrivé là-bas, pourquoi Gaïa s'amuserait-elle à intervenir ?) Mais en sus d'avoir faim et d'avoir mal, il était fatigué, mais il ne le savait pas encore, et toute la marche de sa pensée s'en retrouvait bouleversée. Gaïa n'était-elle pas suffisamment grandiose pour l'aider à atteindre son but ? Ne fallait-il pas que les gentils gagnent et que les Garzoks soient repoussés ? La tension qui montait ne se retrouvait-elle pas dans tous les contes et histoires, juste avant qu'un chevalier blanc ne surgisse pour sauver la situation ? (Il n'en démordait pas.)

C'était en pensant à tout cela qu'il trébucha et tomba la tête la première dans une rizière, alors que le chemin dérivait légèrement vers la droite.

« Aaah ! s'écria-t-il. Ça mouille... »

Il se releva en grelottant. Il était trempé et venait de faire une découverte majeure, comme le souligna un observateur qu'il n'avait pas daigné remarquer jusqu'ici.

« Crédieu, mon garçon, m'en voilà vingt ans qu'j'ai pas vu d'gars aussi pressé qu'il en tombe dans la rizière, eh. »

C'était un Ynorien barbu, les braies retroussées, qui avançait dans l'eau, le fixant d'un regard bleu pétillant. Son poil était gris et sa peau couverte de taches brunes : il lui tendit la main pour l'aider à se relever.

« Doucement, jeune homme. Vous n'êtes pas d'ici, eh, du Royaume, eh ? Qu'est-ce qui fait qu'un gars comme vous vienne par chez nous, et soit aussi pressé ?
- Je... Je... »

Il tremblait.

« Il faut absolument que j'avertisse Oranan que... »

Il s'interrompit, porta sa main à sa bouche et éternua.

« Oh-là ! Doucement. Eh, par ici, au village, on va te sécher, eh. »

Shirel commençait à remarquer que l'Ynorien aimait bien cette injonction, “eh”, mais sentant venir un repas (gratuit ?), il ne se sentit pas la force de résister et se laissa guider. Même les messagers ont besoin d'un peu de repos (l'yronie venant du fait que de son repos dépendait celui de toute l'Ynorie).

***

On le sécha alors qu'il protestait vaguement, expliquant qu'il y avait urgence, puis il suggéra qu'il avait faim et, tout en expliquant à nouveau à quel point il était pressé, on lui offrit généreusement un bol de riz. Il ne courait plus, il était assis : il parlait, d'une voix qu'il voulait autoritaire, pour souligner toute l'urgence et le poids du message dont il était porteur, mais ça ne prenait pas tellement. On le prenait pour un fou, ou pour un enfant égaré. Après tout, il avait l'air bien jeune, se disaient les femmes du village : il s'est peut-être enfui, et ces histoires de monstres dans la nuit doivent lui venir de n'avoir pas pris assez de sommeil. On avait un peu de pitié pour lui, mais on ne le montrait pas et on opinait du chef quand il parlait, comme quand un gosse essaie de raconter une histoire fantastique.

Bien sûr, il y avait un peu d'inquiétude toutefois. C'était l'Ynorie : on n'ignorait pas qu'Oaxaca logeait à la porte d'à côté, que les raids étaient nombreux, qu'il y avait toujours un risque. Mais ce que racontait Shirel, en déformant amplement la vérité pour rendre sa fuite aussi courageuse que possible, c'était tout de même assez invraisemblable. Si Oaxaca avait à ses ordres des géants, toute une armée de Garzoks montés sur des fauves qui faisaient trois fois sa taille au garrot, et encore plus de fantassins qu'une année de production agricole de l'Ynorie ne pouvait pas nourrir une seule journée, ça se saurait. Shirel tentait maladroitement d'impressionner son auditoire, comptant sur la crédulité des gens de basse extraction pour leur faire avaler n'importe quoi - il serait toujours temps d'être honnête une fois qu'il aurait devant lui des officiels d'Oranan -, et prenait leur air attendri et leurs hochements de tête pour autant de signes qu'il avait bien compris la mentalité de cette bourgade.

Il s'en fallut de peu qu'un mouvement de panique ne survienne. Une fois son repas fini, il en vint à demander un cheval pour faire le reste de la route, et on lui rit au nez, en lui conseillant de prendre un peu de sommeil : comme il s'obstinait et disait que les Garzoks seraient bientôt là, on voulut le calmer - pour son bien naturellement - et certains, en s'éloignant, demandaient à celui qui l'avait trouvé de s'occuper de cet énergumène. Confus, Shirel eut pourtant la présence d'esprit de tirer de sa poche le vieil ordre de mission (un peu déchiré par endroits) qu'il avait de Luminion.

L'Ynorien le saisit, le lut avec incrédulité, puis trembla un peu à son tour.

Shirel aurait bien voulu que tout le monde comprenne qu'il était un envoyé officiel de Luminion, mais heureusement pour la réputation du duché et pour une organisation plus saine de la défense du village, l'Ynorien l'en dissuada. Il lui rendit ses papiers et lui indiqua la prochaine auberge sur le chemin d'Oranan : là-bas, il y avait toujours quelques soldats en faction, ou des miliciens, à qui il pourrait s'adresser. Il fallut organiser des tours de garde à proximité, pour vérifier qu'aucun Garzok ne traînait dans le coin, et se carapater dès qu'ils en apercevraient. (Après tout, il y avait toujours la possibilité que Shirel ait un peu inventé, mais il fallait se méfier.)

Shirel quant à lui parvint rapidement, un peu plus frais et dispos qu'une heure plus tôt, à l'auberge sus-indiquée. Là, il trouva effectivement trois soldats, et réquisitionna brillamment leur aide pour se rendre à Oranan. Ils avaient une monture pour trois, qu'ils consentirent de mauvaise grâce à lui céder après avoir relu quelques fois l'ordre de mission, tout en pestant contre l'interventionnisme luminionais (qui était pourtant relativement faible, considérant que seul Shirel avait été envoyé). C'est à peu près à ce moment que Shirel se souvint qu'il ne savait pas monter à cheval.

Il fallut s'organiser différemment. L'un des soldats consentit à l'accompagner, le prenant en croupe, tout en avertissant qu'ainsi, le trajet serait nécessairement plus court et qu'il faudrait prendre quelques pauses, pour la monture : mais ils seraient à Oranan en fin d'après-midi. C'était parfait : Shirel exultait, et s'endormit sur l'épaule de son guide au cours du voyage, les paupières doucement tirées par un sommeil manquant.

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