La voix d'outre tombe fut entendue avec sérieux et ils furent escortés au centre du campement, où une grande palissade avait été dressé. C'était un endroit dégagé où régnait une atmosphère martiale. Ils furent accueilli avec égards par le garde de l'enceinte, qui les pria de se hâter car Karsinar, le Seigneur des Os, n'allait plus tarder. Ils venaient de toute évidence d'obtenir une audience auprès du commandant des troupes.
Ils s'introduisirent dans un clos où l'herbe n'était pas encore totalement piétinée, et où l'agitation du campement devint une rumeur lointaine. Patientaient plusieurs personnes et, à la manière dont ils furent dévisagés, Daemon se demanda s'ils n'avaient pas interrompu une discussion. Arrivaient-ils au mauvais moment ? En tout cas une certaine hostilité planait dans l'air, et le shaakt ligoté et gisant au sol en était peut-être la raison.
Un visage familier retint alors l'attention du semi-elfe. Un jeune homme blond — au physique plutôt agréable — le toisait interrogateur, lui, puis Azra qui le devançait. Son visage ne lui était pas inconnu. Il l'avait déjà vu, c'était certain, sans parvenir à se rappeler où. Des bribes de souvenir lui revinrent alors : des étendues sauvages, un long fleuve sous d'étranges étoiles, des écailles mauves... Oui, cela lui revenait ! C'était Ezak, un compagnon de voyage en Aliaénon et aussi une ancienne connaissance d'Azra. Le guerrier se désintéressa rapidement d'eux et son compère ne le salua guère, peut-être ne l'avait-il pas vu ou feignait-il de ne pas l'avoir remarqué... Peu importait, Daemon suivit la conduite d'Azra et s'installa en silence.
Le reste de la troupe était constitué d'un garzoke lourdement équipé et à l'apparence hideuse, d'un haffiz juvénile dont le teint mât lui rappela immanquablement celui d'Asad, ainsi que d'un dernier homme, blond, coiffé d'une queue de cheval, qui ne lâchait pas Azra des yeux.
Un mouvement ample se devina alors dans une tente, et en sorti un garzoke aux dimensions considérables, même pour une peau-verte. Un sentiment d'effroi investit Daemon lorsque ses yeux rouges passèrent sur lui sans le voir, balayant l'assistance avec hauteur, pour s'arrêter sur l'elfe noir étendu au sol. D'un pas lourd il s'en approcha et, avec une indolence terrible, lui brisa le crâne avec le pied. Daemon se détourna juste à temps pour fermer les yeux, sans échapper aux craquements et bruits visqueux. Un tressaillement parcourut tout son corps. L'idée que le meurtre puisse être aussi anodin et futile, d'une infini banalité, plongea le semi-elfe dans un état second. Le craquement osseux résonnait encore dans ses tempes, simple prélude à la symphonie guerrière que la voix grave allait leur servir. La guerre était là, tonna le seigneur, et bientôt des rivière de sang teinteront les plaines et les mers d'Yonries. Un carnage allait avoir lieu au nom de la divine Oaxaca et il fallait que l'ennemi le comprenne. La terreur devait être diffusée et c'était justement ce qui les amenait. S'il avait rassemblé ses mercenaires, c'était pour adresser un message : un message de peur, un message de mort. Une mission à la fois simple et impossible les attendait : ils allaient devoir s'infiltrer dans le camp ennemi et récolter les têtes dirigeantes de Kendra Kar.
Une femelle lickor prit alors la parole d'une voix sifflante. Daemon n'avait même pas remarqué son arrivée, tant la présence du Seigneur des Os l'ébranlait. Elle expliqua plus en détail et de façon méthodique le déroulement de ce projet fou. L'objectif était de profiter de la confusion de la bataille navale pour s'emparer d'un vaisseau ennemi et de battre en retraite vers leur port temporaire. Une fois sur place, l'expédition devra être aussi brève que punitive, seulement garantie par l'effet de surprise. La Lickor convint sans sourciller qu'il s'agissait d'une mission suicide, mais la gloire à tirer de pareils trophées était éternelle...
Karsinar dégaina une dague de son ceinturon et saigna la paume de sa main, avant de la tendre aux autres pour sceller ce secret d'un pacte de sang.
Daemon se tourna vers Azra avec appréhension. Cette mission ne lui disait rien qui vaille. La gloire était le dernier de ses soucis et le salut des mercenaires était le dernier de Karsinar... Trop tard. Il devait se rendre à l'évidence : impossible de se retirer en ayant pris connaissance du plan.
Déjà l'homme à queue de cheval se précipitait pour s'entailler, que l'idée de la mort investissait Daemon. Après tout, il était venu ici en connaissance de cause. Les batailles seraient inévitables alors autant s'y mettre dès maintenant. Seule l'idée de mêler son sang à l'assemblée l'inquiétait. Il n'oubliait pas que Karsinar était un des treize nécromant, et passer un pacte sacré avec l'un d'eux ne le rassurait guère.
Il se saisit de la dague en dernier et ouvrit sa main droite en serrant les dents, puis mêlant l'écarlate, il prêta serment :
« Mort à nos ennemis. »
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