Re: Lande Noire
Posté : ven. 1 déc. 2023 01:32
C'était le plus étrange des rêves. J'étais assise, à table. Hrist était avec moi, nous étions toutes deux entourées de nombreux inconnus, tous affairés à se goinfrer. C'était un gigantesque buffet, les tables étaient surchargées, les bancs de travers à force de voir les mangeurs se dresser sur leurs jambes dans l'effort d'atteindre quelque chose situé loin de leur portée qu'ils saisissaient à pleine main pour les porter sans attendre à leur bouche.
Les victuailles semblaient fraiches, il y avait des poissons qui frétillaient encore dans des cagettes portées en vitesse par de nombreux valets. Plus singulier encore, c'était les volailles, des animaux autrefois à plume, complètement écorché qui gigotaient dans tous les sens, les muscles à vif, la gueule ensanglantée, plissée comme une vieille noix autour d'un bec rouge de sang au dessus duquel brillait d'un air mat un oeil noir et triste.
Ma jumelle et moi nous étions toutes deux assises en silence, aucune d'entre nous ne touchait aux victuailles, pourtant délicieusement attirantes. Des tartes aux fruits, de gros fromages suintant de gras, des confiseries chocolatées qui avaient commencé à fondre et nous enduiraient les doigts d'un cacao gras et tiède qu'on aurait plaisir à lécher d'un petit air coupable.
Hrist me fixait, l'air neutre. Autour d'elle, des mangeurs, gros, ruisselants de sueur qui ingurgitaient des quantités colossales sans même prendre le temps de mâcher. Aurais-je juré avoir vu un homme se dresser pour gober un saucisson aux pistaches devant les encouragements en choeurs de ses compagnons de table ? Il fit glisser la charcuterie le long de sa gorge qui se déployait comme un pélican pour accueillir l'énorme morceau. J'aurai pu avoir des haut-le-coeurs, mais quiconque a connu l'odeur des charniers en plein air, surtout en temps de peste n'est plus trop incommodé par quoique ce soit. Hrist était là, j'aurai pu avoir envie de lever la corne et de trinquer avec elle - quoiqu'il arrive j'étais immunisée contre les poisons, jumelle certes, mais pas folle non plus -
C'est alors qu'au milieu de ces voraces, Hrist m'adressa un sourire. C'était là quelque chose de tout bête, ça passait totalement inaperçu pour nos voisins de table, au contraire, c'était plutôt notre manque d'appétit qui les concernait, ils s'étaient montrés polis au début, puis finalement des mains grasses venaient saisir ces fromages, ces confiseries, ces magnifiques tartes. De vilaines paluches encore grasses d'avoir mangé à main nue toutes les victuailles. D'autres venaient me saisir les bras, j'essayais de résister, de me débattre, de chasser ces voraces qui semblaient avoir un appétit pour autre chose que les plaisirs de la table, ma robe se fit alors tirer sur les côtés jusqu'à craquer, jusqu'à ce que ma peau apparaisse. Hrist ne bougeait pas, les mains, des dizaines de mains me malmenaient, caressaient mon ventre et mes cuisses, saisissaient ma poitrine comme de la pâte à pétrir et mes hurlements étouffés par des rires ne parvenaient même pas à mes oreilles.
D'avoir fermé les yeux si forts, mon crâne me fit mal. Lorsque je les ouvris, j'étais de nouveau assise. Ma robe n'avait rien. Hrist était toujours en face de moi, souriante comme elle l'était avant mon agression. Mais plus de rires.
Plus de plaisiri.
Plus de chanson.
Plus de mangeurs.
Je n'avais pas vu les mains de ma Jumelle, rougies de sang, à ses côtés, un linge avait servi à essuyer une bonne quantité de sang mais le tissus trop imbibé ne parvenait plus qu'à rougir légèrement ses mains. Autour de nous, les tables étaient jonchées de cadavres. Les ripailleurs éventrés comme des pourceaux. Il y avait tout un évantail de cruauté et de barbarie. Des fourchettes enfoncées dans des gorges, des orbites vides dans lesquelles on avait enfoncé un os, des hommes éventrés, les tripes à l'air grouillantes de mouches bleues qui avaient quitté les poissons pour préférer la moiteur d'intestins frais. Les gorges étaient lacérées, les visages grimaçants, aucun grognement de douleur, aucune supplique, aucun appel à l'aide... Seul le bourdonnement des mouches remplissait l'espace.
Elle posa ses mains ensanglantées sur les accoudoirs et recula sa chaise jusqu'à enfin se lever. Elle marchait avec lenteur le long de cette table, enjambant les corps des pourceaux pourfendus et vint alors prendre mon visage entre ses mains pour porter à mon front un baiser froid comme une morsure de serpent.
" Je suis là maintenant, tu n'as plus rien à craindre. "
Sa voix était douce, rassurante, presque aussi chaude qu'une lampée d'hydromel lors d'une froide soirée d'hiver. J'aurai voulu la prendre dans mes bras et la serrer aussi fort que je l'aimais, mais un vertige me l'interdit et je compris que par son baiser, elle m'avait renvoyé sur terre. J'ouvrais les yeux pour découvrir Samor au loin, manifestement inquiet.
J'avais plus ou moins saisi ce qui venait de se passer, Hrist m'était revenue. Je ne savais ni comment ni pourquoi mais elle était bien là, présente, avec moi. Je savais que je pouvais, si je le voulais, la faire venir. J'ignorais encore comment cela se serait déroulée, mais je résistais à l'envie de tendre mon bras et... De me couper l'esprit pour la faire venir. L'esprit se coupe-t-il ? Comment ferait-elle ? Je sentais de nouveau sa présence, ce noyau sombre que la corruption avait rendu tangible. Je sentais toutefois qu'elle était encore fatiguée d'avoir tant lutté, il serait plus sage de la laisser reprendre ses forces en mon sein un temps. Juste un temps...
Je voulais tellement la faire venir juste pour pleurer sur son épaule et lui dire combien je l'aime et à quel point son absence fut une torture. Mais je résistais, je fis face et faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Samor et moi gagnons la surface pour y retrouver les autres aventuriers que j'avais délaissé si longtemps.
" Mon cher. " Avais-je dit à Ibn qui fut le premier à venir à ma rencontre. Je lui adressais une révérence polie, peut-être exagérée, je ne sais pas si ce mage appréciait les courbettes mais c'était dans ma nature. Je ne savais pas grand chose à son sujet mais j'étais heureuse de le voir en meilleur forme que lorsqu'on l'avait retrouvé dans le désert, en compagnie de notre bon vieux Ficus Fou.
" Dois-je vous présenter ? " Demandais-je à Ibn et Samor, celui-ci me répondit brièvement que oui, ils ne semblaient donc pas se connaître.
" Samor, Ibn, Ibn, Samor, Sissi, Hrist, Samor, Ibn, Sissi, Ibn, Hrist, Samor. " Mon doigt alternant tantôt sur le mage, tantôt sur le violeur de cervelet et tantôt sur moi, la dualité même. J'étais si heureuse de mentionner le nom de Hrist, j'aurai adoré qu'on me pose des questions, assez pour m'encourager à l'invoquer pour la montrer au monde, à quel point j'étais fière d'elle, mais je savais que Hrist détesterait être prise pour une bête de foire.
Nous gagnions alors de concert le reste des aventuriers, Yliria et Jorus discutaient encore à l'écart mais n'allaient sans doute pas tarder à nous rejoindre.
" Guérie ! " Avais-je dit toute contente comme si cela suffirait à éteindre leur curiosité " Grâce à Samor. Il pénètre l'esprit des vivants. " Envoyant un clin d'oeil à Samor, toujours aussi distant, presque mal à l'aise. Visiblement, Dracaena avait aussi subit le même sort mais faute d'un buisson à raviver, celui-ci n'avait pas eu un résultat aussi bénéfique que le mien
" C'quand même très intrusif, il est pas délicat ce petit Samor. "
J'étais d'excellente humeur, j'avais envie de commencer mille et une choses et de n'en finir aucune faute d'une motivation continue. J'approchais Dracaena, mon nouveau chouchou pour lui envoyer un petit coup de coude dans les " côtes " avant de me rappeler que ce vilain Ficus était bel et bien en bois et que je venais de m'éclater le coude sur son écorce.
" Hey quand même, Akichou s'il prend la foudre et perd ses cheveux, on pourra l'appeler Akichauve, tu crois ? "
Dracaena entamait de son côté l'importante entreprise de contacter le Sans-Visage, mais je m'étais dit que je pouvais toujours le taquiner un petit tandis qu'il parlait à celui qui nous avait sauvé de la mort.
" Et s'il fait un sourire ca fera Akichauve-souri "
Les aventuriers étaient maintenant, à l'exception de Xël, notre Chef et puissant Dirigeant à tous, Glorieux plus grand mage de tous les mondes confondus, au complet. L'objectif, si je comprenais bien, était de rejoindre par tous les moyens notre lieu d'arrivée en ce monde, là où git un Titan mort, lieu désormais de rassemblement de Titans. Et par " tous les moyens " j'entendais bien sûr le plus confortable, le portail comme ceux que Xël pouvait invoquer. Il faudrait user de notre magie pour pouvoir invoquer quelque chose qui canalisé par Vaisselier nous permettrait de pouvoir traverser le monde rapidement.
" Mon gros Dracouille, je ne comprends rien. On va devoir imiter la magie de Xël pour aller là où sont rassemblés les titans ? Mais si on sait où ils se trouvent, le Gragon pourrait en avoir connaissance aussi. "
Plus bas, je dis " J'ai vraiment envie de tuer quelqu'un. C'est un peu comme une envie de sucre, sauf que je veux du sang. Tu saignes, toi, mon gentil Dracounet ? " J'observais son écorce en me demandant comment un être pouvait vivre sans qu'un sang palpite en son sein. Est-ce qu'un Oudio a des artères ? Est-ce qu'il a un organe vital ? Je ne comprenais pas trop d'où venait cette envie, j'avais le besoin de tuer quelque chose ou quelqu'un.
"Pour s'que vous disiez m'dame Silméria: ouais, selon m'sieur Sans-visage, si nous on sait qu'les titans sont la bas, Brythagon l'sait probablement aussi. Donc... ouaaais, t'nez vous tous prêt à revoir s't'amalgame cauch'mardesque une fois la bas. Faut espérer qu'six titans ça soit aller pour la r'pousser si elle pointe le bout d'son nez.
...ça s'appelle un "nez" le truc avec lequel ils sentent, les dragons? Erm, non, oubliez, on verra ça plus tard.
Et donc, ouais m'dame Silméria, et tout l'monde en fait: on devrait ptet, pour la téléportation, essayer d'se faire not' propre portail de Xël ? Tout l'monde ici sait à quoi ils r'semblent, on devrait pas avoir d'mal à visualiser un truc en commun comme ça."
Il se pencha un peu pour murmurer, cette fois :
"Nan, j'saigne pas, mais j'suis sur qu'on vous trouv'ra un truc plein d'sang à zigouiller sur l'chemin. S'pas s'qui a manqué jusqu'à présent.
Au pire si vous avez vraiment b'soin d'boire du sang doit bien rester une carcasse de monstre pleine de fluides bien frais. Mes racines s'en souviennent..."
Oh, c'était tout à fait charmant, il était persuadé que je voulais boire du sang. C'est vrai que mon gentil Ficus Fou n'avait pas forcément une grande connaissance des usages des vivants, enfin de ceux qu'il appelle parfois avec beaucoup de clairvoyance " sacs de chair ". Je n'avais pas envie de boire du sang, juste de le sentir sur mes mains. Je ne sais pas, peut-être pense-t-il aussi que je dors dans un cercueil et que je sors à la nuit tombée pour boire le sang de jeune vierge ou de nourrissons avant de laisser leurs corps exangue pour provoquer la panique et l'effroi dans le coeur des hommes.
C'est vrai qu'un Oudio comprendrait pas pourquoi on prend un de ses cousins pour l'abattre, le couper sous la forme de planches pour en faire un cercueil, y mettre un cadavre pour ensuite l'enterrer. Si ça a un sens quelconque pour nous, Dracaena aurait posé mille questions sur le pourquoi du comment et nous regarderait avec des yeux ronds comme des glands en demandant si ce n'était pas plus simple de directement enterrer la personne ? Qui a besoin d'avoir un oreiller et quatre planches pour l'accompagner dans la mort, sérieusement ?
Mais Hrist disait toujours, " Les héros étincelant font de splendides mausolées "
" On va encore en parler pendant si longtemps que Xël aura le temps de venir à pieds, tu crois ? "
Mon humeur noircissait déjà, j'entendais des contestations de toute part, des avis qui divergeaient et partaient à gauche, à droite, oubliant d'avoir queue et tête.
" Allons-y ? " Demandais-je en un souffle comme pour espérer donner un élan de réactivité au groupe. Mais certains préféraient redoubler de prudence, est-ce qu'il fallait les en blâmer, je ne pense pas.
"Deux minutes, deux minutes m'dame Silméria, on finit d's'organiser et on y va. Vous inquiétez pas, dès qu'on s'ra prêt, vous aurez d'quoi vous occuper, kéhéhéhé!"
" Allez Dracouille, fais nous voir de quel bois tu te chauffes ! " Dis-je pour le motiver, je l'avais même saisi par le bras mais celui-ci devait manifestement continuer son entretien avec le Sans-Visage. Ayant perdu mon soutien, ma vieille branche, ma bûche cramoisie, je me glissais entre les aventuriers pour amorcer la magie lorsqu'une vision vint troubler ma concentration légendaire.
Glaë et Bartez ! Ils peinaient à maintenir leur magie. Qu'est-ce que ça pouvait dire ? Qu'ils ne parvenaient plus à créer l'illusion des plaines d'or et qu'ils feraient malgré eux apparaître le cadavre du Titan devant l'assemblée Titanesque qui pourrait - contre toute attente mal le prendre - ?
C'était dangereux d'être haut comme un grain de riz face à un troupeau de colosse hauts à en croquer les nuages s'ils décidaient de taper du pied de contestation. S'en suit alors un échange contre Akihito concernant l'importance de rester sur place pour réagir convenablement, que manifestement trente secondes étaient trop peu pour jauger la situation et trouver une action concrète. Ca je voulais bien les croire, j'étais presque sûre que je serai morte de vieillesse d'ici la fin de cet échange.
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Lie sa magie à celle des aventuriers au signal du glorieux Akihito
Les victuailles semblaient fraiches, il y avait des poissons qui frétillaient encore dans des cagettes portées en vitesse par de nombreux valets. Plus singulier encore, c'était les volailles, des animaux autrefois à plume, complètement écorché qui gigotaient dans tous les sens, les muscles à vif, la gueule ensanglantée, plissée comme une vieille noix autour d'un bec rouge de sang au dessus duquel brillait d'un air mat un oeil noir et triste.
Ma jumelle et moi nous étions toutes deux assises en silence, aucune d'entre nous ne touchait aux victuailles, pourtant délicieusement attirantes. Des tartes aux fruits, de gros fromages suintant de gras, des confiseries chocolatées qui avaient commencé à fondre et nous enduiraient les doigts d'un cacao gras et tiède qu'on aurait plaisir à lécher d'un petit air coupable.
Hrist me fixait, l'air neutre. Autour d'elle, des mangeurs, gros, ruisselants de sueur qui ingurgitaient des quantités colossales sans même prendre le temps de mâcher. Aurais-je juré avoir vu un homme se dresser pour gober un saucisson aux pistaches devant les encouragements en choeurs de ses compagnons de table ? Il fit glisser la charcuterie le long de sa gorge qui se déployait comme un pélican pour accueillir l'énorme morceau. J'aurai pu avoir des haut-le-coeurs, mais quiconque a connu l'odeur des charniers en plein air, surtout en temps de peste n'est plus trop incommodé par quoique ce soit. Hrist était là, j'aurai pu avoir envie de lever la corne et de trinquer avec elle - quoiqu'il arrive j'étais immunisée contre les poisons, jumelle certes, mais pas folle non plus -
C'est alors qu'au milieu de ces voraces, Hrist m'adressa un sourire. C'était là quelque chose de tout bête, ça passait totalement inaperçu pour nos voisins de table, au contraire, c'était plutôt notre manque d'appétit qui les concernait, ils s'étaient montrés polis au début, puis finalement des mains grasses venaient saisir ces fromages, ces confiseries, ces magnifiques tartes. De vilaines paluches encore grasses d'avoir mangé à main nue toutes les victuailles. D'autres venaient me saisir les bras, j'essayais de résister, de me débattre, de chasser ces voraces qui semblaient avoir un appétit pour autre chose que les plaisirs de la table, ma robe se fit alors tirer sur les côtés jusqu'à craquer, jusqu'à ce que ma peau apparaisse. Hrist ne bougeait pas, les mains, des dizaines de mains me malmenaient, caressaient mon ventre et mes cuisses, saisissaient ma poitrine comme de la pâte à pétrir et mes hurlements étouffés par des rires ne parvenaient même pas à mes oreilles.
D'avoir fermé les yeux si forts, mon crâne me fit mal. Lorsque je les ouvris, j'étais de nouveau assise. Ma robe n'avait rien. Hrist était toujours en face de moi, souriante comme elle l'était avant mon agression. Mais plus de rires.
Plus de plaisiri.
Plus de chanson.
Plus de mangeurs.
Je n'avais pas vu les mains de ma Jumelle, rougies de sang, à ses côtés, un linge avait servi à essuyer une bonne quantité de sang mais le tissus trop imbibé ne parvenait plus qu'à rougir légèrement ses mains. Autour de nous, les tables étaient jonchées de cadavres. Les ripailleurs éventrés comme des pourceaux. Il y avait tout un évantail de cruauté et de barbarie. Des fourchettes enfoncées dans des gorges, des orbites vides dans lesquelles on avait enfoncé un os, des hommes éventrés, les tripes à l'air grouillantes de mouches bleues qui avaient quitté les poissons pour préférer la moiteur d'intestins frais. Les gorges étaient lacérées, les visages grimaçants, aucun grognement de douleur, aucune supplique, aucun appel à l'aide... Seul le bourdonnement des mouches remplissait l'espace.
Elle posa ses mains ensanglantées sur les accoudoirs et recula sa chaise jusqu'à enfin se lever. Elle marchait avec lenteur le long de cette table, enjambant les corps des pourceaux pourfendus et vint alors prendre mon visage entre ses mains pour porter à mon front un baiser froid comme une morsure de serpent.
" Je suis là maintenant, tu n'as plus rien à craindre. "
Sa voix était douce, rassurante, presque aussi chaude qu'une lampée d'hydromel lors d'une froide soirée d'hiver. J'aurai voulu la prendre dans mes bras et la serrer aussi fort que je l'aimais, mais un vertige me l'interdit et je compris que par son baiser, elle m'avait renvoyé sur terre. J'ouvrais les yeux pour découvrir Samor au loin, manifestement inquiet.
J'avais plus ou moins saisi ce qui venait de se passer, Hrist m'était revenue. Je ne savais ni comment ni pourquoi mais elle était bien là, présente, avec moi. Je savais que je pouvais, si je le voulais, la faire venir. J'ignorais encore comment cela se serait déroulée, mais je résistais à l'envie de tendre mon bras et... De me couper l'esprit pour la faire venir. L'esprit se coupe-t-il ? Comment ferait-elle ? Je sentais de nouveau sa présence, ce noyau sombre que la corruption avait rendu tangible. Je sentais toutefois qu'elle était encore fatiguée d'avoir tant lutté, il serait plus sage de la laisser reprendre ses forces en mon sein un temps. Juste un temps...
Je voulais tellement la faire venir juste pour pleurer sur son épaule et lui dire combien je l'aime et à quel point son absence fut une torture. Mais je résistais, je fis face et faisant contre mauvaise fortune bon coeur, Samor et moi gagnons la surface pour y retrouver les autres aventuriers que j'avais délaissé si longtemps.
" Mon cher. " Avais-je dit à Ibn qui fut le premier à venir à ma rencontre. Je lui adressais une révérence polie, peut-être exagérée, je ne sais pas si ce mage appréciait les courbettes mais c'était dans ma nature. Je ne savais pas grand chose à son sujet mais j'étais heureuse de le voir en meilleur forme que lorsqu'on l'avait retrouvé dans le désert, en compagnie de notre bon vieux Ficus Fou.
" Dois-je vous présenter ? " Demandais-je à Ibn et Samor, celui-ci me répondit brièvement que oui, ils ne semblaient donc pas se connaître.
" Samor, Ibn, Ibn, Samor, Sissi, Hrist, Samor, Ibn, Sissi, Ibn, Hrist, Samor. " Mon doigt alternant tantôt sur le mage, tantôt sur le violeur de cervelet et tantôt sur moi, la dualité même. J'étais si heureuse de mentionner le nom de Hrist, j'aurai adoré qu'on me pose des questions, assez pour m'encourager à l'invoquer pour la montrer au monde, à quel point j'étais fière d'elle, mais je savais que Hrist détesterait être prise pour une bête de foire.
Nous gagnions alors de concert le reste des aventuriers, Yliria et Jorus discutaient encore à l'écart mais n'allaient sans doute pas tarder à nous rejoindre.
" Guérie ! " Avais-je dit toute contente comme si cela suffirait à éteindre leur curiosité " Grâce à Samor. Il pénètre l'esprit des vivants. " Envoyant un clin d'oeil à Samor, toujours aussi distant, presque mal à l'aise. Visiblement, Dracaena avait aussi subit le même sort mais faute d'un buisson à raviver, celui-ci n'avait pas eu un résultat aussi bénéfique que le mien
" C'quand même très intrusif, il est pas délicat ce petit Samor. "
J'étais d'excellente humeur, j'avais envie de commencer mille et une choses et de n'en finir aucune faute d'une motivation continue. J'approchais Dracaena, mon nouveau chouchou pour lui envoyer un petit coup de coude dans les " côtes " avant de me rappeler que ce vilain Ficus était bel et bien en bois et que je venais de m'éclater le coude sur son écorce.
" Hey quand même, Akichou s'il prend la foudre et perd ses cheveux, on pourra l'appeler Akichauve, tu crois ? "
Dracaena entamait de son côté l'importante entreprise de contacter le Sans-Visage, mais je m'étais dit que je pouvais toujours le taquiner un petit tandis qu'il parlait à celui qui nous avait sauvé de la mort.
" Et s'il fait un sourire ca fera Akichauve-souri "
Les aventuriers étaient maintenant, à l'exception de Xël, notre Chef et puissant Dirigeant à tous, Glorieux plus grand mage de tous les mondes confondus, au complet. L'objectif, si je comprenais bien, était de rejoindre par tous les moyens notre lieu d'arrivée en ce monde, là où git un Titan mort, lieu désormais de rassemblement de Titans. Et par " tous les moyens " j'entendais bien sûr le plus confortable, le portail comme ceux que Xël pouvait invoquer. Il faudrait user de notre magie pour pouvoir invoquer quelque chose qui canalisé par Vaisselier nous permettrait de pouvoir traverser le monde rapidement.
" Mon gros Dracouille, je ne comprends rien. On va devoir imiter la magie de Xël pour aller là où sont rassemblés les titans ? Mais si on sait où ils se trouvent, le Gragon pourrait en avoir connaissance aussi. "
Plus bas, je dis " J'ai vraiment envie de tuer quelqu'un. C'est un peu comme une envie de sucre, sauf que je veux du sang. Tu saignes, toi, mon gentil Dracounet ? " J'observais son écorce en me demandant comment un être pouvait vivre sans qu'un sang palpite en son sein. Est-ce qu'un Oudio a des artères ? Est-ce qu'il a un organe vital ? Je ne comprenais pas trop d'où venait cette envie, j'avais le besoin de tuer quelque chose ou quelqu'un.
"Pour s'que vous disiez m'dame Silméria: ouais, selon m'sieur Sans-visage, si nous on sait qu'les titans sont la bas, Brythagon l'sait probablement aussi. Donc... ouaaais, t'nez vous tous prêt à revoir s't'amalgame cauch'mardesque une fois la bas. Faut espérer qu'six titans ça soit aller pour la r'pousser si elle pointe le bout d'son nez.
...ça s'appelle un "nez" le truc avec lequel ils sentent, les dragons? Erm, non, oubliez, on verra ça plus tard.
Et donc, ouais m'dame Silméria, et tout l'monde en fait: on devrait ptet, pour la téléportation, essayer d'se faire not' propre portail de Xël ? Tout l'monde ici sait à quoi ils r'semblent, on devrait pas avoir d'mal à visualiser un truc en commun comme ça."
Il se pencha un peu pour murmurer, cette fois :
"Nan, j'saigne pas, mais j'suis sur qu'on vous trouv'ra un truc plein d'sang à zigouiller sur l'chemin. S'pas s'qui a manqué jusqu'à présent.
Au pire si vous avez vraiment b'soin d'boire du sang doit bien rester une carcasse de monstre pleine de fluides bien frais. Mes racines s'en souviennent..."
Oh, c'était tout à fait charmant, il était persuadé que je voulais boire du sang. C'est vrai que mon gentil Ficus Fou n'avait pas forcément une grande connaissance des usages des vivants, enfin de ceux qu'il appelle parfois avec beaucoup de clairvoyance " sacs de chair ". Je n'avais pas envie de boire du sang, juste de le sentir sur mes mains. Je ne sais pas, peut-être pense-t-il aussi que je dors dans un cercueil et que je sors à la nuit tombée pour boire le sang de jeune vierge ou de nourrissons avant de laisser leurs corps exangue pour provoquer la panique et l'effroi dans le coeur des hommes.
C'est vrai qu'un Oudio comprendrait pas pourquoi on prend un de ses cousins pour l'abattre, le couper sous la forme de planches pour en faire un cercueil, y mettre un cadavre pour ensuite l'enterrer. Si ça a un sens quelconque pour nous, Dracaena aurait posé mille questions sur le pourquoi du comment et nous regarderait avec des yeux ronds comme des glands en demandant si ce n'était pas plus simple de directement enterrer la personne ? Qui a besoin d'avoir un oreiller et quatre planches pour l'accompagner dans la mort, sérieusement ?
Mais Hrist disait toujours, " Les héros étincelant font de splendides mausolées "
" On va encore en parler pendant si longtemps que Xël aura le temps de venir à pieds, tu crois ? "
Mon humeur noircissait déjà, j'entendais des contestations de toute part, des avis qui divergeaient et partaient à gauche, à droite, oubliant d'avoir queue et tête.
" Allons-y ? " Demandais-je en un souffle comme pour espérer donner un élan de réactivité au groupe. Mais certains préféraient redoubler de prudence, est-ce qu'il fallait les en blâmer, je ne pense pas.
"Deux minutes, deux minutes m'dame Silméria, on finit d's'organiser et on y va. Vous inquiétez pas, dès qu'on s'ra prêt, vous aurez d'quoi vous occuper, kéhéhéhé!"
" Allez Dracouille, fais nous voir de quel bois tu te chauffes ! " Dis-je pour le motiver, je l'avais même saisi par le bras mais celui-ci devait manifestement continuer son entretien avec le Sans-Visage. Ayant perdu mon soutien, ma vieille branche, ma bûche cramoisie, je me glissais entre les aventuriers pour amorcer la magie lorsqu'une vision vint troubler ma concentration légendaire.
Glaë et Bartez ! Ils peinaient à maintenir leur magie. Qu'est-ce que ça pouvait dire ? Qu'ils ne parvenaient plus à créer l'illusion des plaines d'or et qu'ils feraient malgré eux apparaître le cadavre du Titan devant l'assemblée Titanesque qui pourrait - contre toute attente mal le prendre - ?
C'était dangereux d'être haut comme un grain de riz face à un troupeau de colosse hauts à en croquer les nuages s'ils décidaient de taper du pied de contestation. S'en suit alors un échange contre Akihito concernant l'importance de rester sur place pour réagir convenablement, que manifestement trente secondes étaient trop peu pour jauger la situation et trouver une action concrète. Ca je voulais bien les croire, j'étais presque sûre que je serai morte de vieillesse d'ici la fin de cet échange.
--------------------------------
Lie sa magie à celle des aventuriers au signal du glorieux Akihito