Les Navires Marchands (X1)

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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » jeu. 20 mars 2025 23:55

Ulric déboula dans les quartiers du capitaine d’une façon qui, en temps normal, lui aurait probablement valu des coups de fouets. Faisant voler les battant de la porte ouvragée dans son empressement, il découvrit une salle richement meublée. Un lit et une table à manger, petite mais ciselée de motifs élégants, se trouvaient sur son côté, à moitié dissimulés par un rideau pour offrir un peu davantage d’intimité, alors que, devant lui, un bureau de bois poli et luisant trônait au milieu de la pièce, juste en dessous d’un candélabre de cristal. Plusieurs tableaux ornaient les murs, ainsi qu’une bibliothèque munie de portes en verre, solidement cadenassées pour interdire tout mouvement à leur contenu, alors que le fond de la pièce s'ouvrait à l'extérieur par une grande verrière qui laissait entrer la lumière du jour et offrait une vue plongeante sur l'océan. Tout était solidement cloué, que ce soit au sol ou aux murs, si bien que le roulis toujours perceptible du navire n’en perturbait rien. Le contraste entre cette pièce et les simples banquettes réservées à l’équipage était pu être une source de rage, si la situation n’était pas aussi urgente.

Les clés, les clés ! Où ce chien de capitaine pouvait-il bien les avoir cachées ? Ulric se jeta sur le bureau, espérant que le capitaine ne les portait pas sur lui en ce moment même. Il ouvrit les tiroirs à la volée, envoyant cartes, lettres et livres de compte planer dans toute la pièce comme un vulgaire bandit, renversant les encriers rangés avec soin et palpant les surfaces à la recherche d’un compartiment secret, mais sans succès. Peut-être qu’un des tableaux dissimulait quelque chose, se demanda l’apprenti mage en lorgnant la riche décoration de la cabine.

Ainsi, il étendit son vandalisme au reste de la pièce, l’adrénaline du combat qui résonnait encore à l’extérieur rendant sa recherche frénétique. Il devait faire vite, s’il voulait encore descendre tout en bas du navire et en remonter avec son futur « associé », pour en suite trouver un moyen de décamper, et il n’avait aucune idée de combien de temps l’équipage tiendrait encore. Pas longtemps, sans doute.

Il arracha un énième tableau du mur, le portrait d’un aristocrate dont il n’aurait pu moins se soucier, seulement pour découvrir des planches de l’autre côté. ((Merde !)), pesta-il en jetant le lourd cadre sur le côté comme un déchet trop encombrant. Il avait déjà perdu trop de temps ici, il trouverait une autre façon d’ouvrir les geôles. Il les crochèterait, il improvisera un levier ; peu importe, il trouvera bien un moyen en bas.

Ulric ressortit de la cabine en trombe, profitant que personne ne lui demande des explications sur son comportement erratique dans le chaos ambiant, descendit quatre à quatre les marches de l’escalier vers le pont inférieur, s’empara d’une lanterne, puis continua sa descente dans la cale. Il ne lui fallut pas longtemps pour retrouver son chemin vers les geôles, sans personne pour se mettre dans ses pattes. Il trouva Kristobald debout, visiblement secoué par les bruits de combats au-dessus de lui.

« Mais bon sang, que se passe-t-il là-haut ? », demanda l’érudit paniqué dès qu’il vit entrer Ulric.

« Pirates. », lui répondit-il laconiquement alors qu’il inspectait la porte de la cellule.

La porte en fer forgé semblait aussi solide que lourde, bien trop pour qu’il la force. Quant à la crocheter… Il n’avait aucune idée de comment procéder, et il n’avait pas le temps d’expérimenter. Cependant, les gonds avaient l’air plutôt simples, comptant seulement sur le poids de la porte pour les maintenir en place. S’il parvenait à la soulever avec un levier, peut-être qu’il arriverait à la faire sortir de son cadre.

« Grands dieux, misère… » se lamenta l’érudit avant qu’une étincelle ne vienne se rallumer dans son regard, « As-tu trouvé les clefs ? Si tu me fais sortir d’ici, ce sera peut-être notre seule occasion de nous sauver. »

« Non, il faudra faire sans », répondit Ulric en balayant des environs du regard.

Il y avait un banc dans la seconde cellule inoccupée, ça suffirait peut-être comme levier. Posant sa lanterne, Ulric poussa la seconde porte qui, par chance, n’était pas verrouillée, et s’empara du siège avant d’en fourrer une extrémité sous la porte qui retenait Kristobald. Un tonneau vint ensuite faire office de pivot, et Ulric poussa de toutes ses forces sur son levier improvisé.

« Ecarte-toi, si tu n’as pas l’intention de m’aider ! »

Même aidé de son engin de fortune, la porte semblait toujours peser une tonne. Il lui fallut mettre tout son poids dessus pour qu’elle commence enfin à bouger et la soulever de quelques centimètres qui parurent interminables, avant qu’elle sortît finalement de ses gonds, s’écrasant à l’intérieur de la cellule dans un vacarme métallique assourdissant, en ratant de peu d’écraser Kristobald qui se blottissait contre un mur.

« Bien pensé, jeune homme. Maintenant, il faut absolument que tu… »

Ulric ne le laissa pas terminer sa phrase et le bouscula violemment contre la paroi de sa cellule. L’érudit s’écrasa, l’air incrédule avant qu’Ulric ne se saisisse du diadème de fer qui lui ceignait toujours le front, l’arrachant d’un coup sec, en espérant que cela suffise à briser l’enchantement de servitude qui le maintenait docile depuis le début de sa captivité.

« Ça, c’est fait. Tu es à nouveau libre de tes actions, maintenant ? »

« Je… Je crois », répondit-il avec hésitation, « Oui, je ne sens plus son effet, merci pour ça. Que fait-on, maintenant ? »

« On remonte sur le pont, et on s’introduit sur une chaloupe, ou un radeau si ce n’est pas possible. La côte est encore proche, dès que nous aurons touché terre, nous pourrons chercher un autre navire pour Nosvéris dans la ville la plus proche. Un plus rapide, de préférence. »

« Vers Nosvéris ? Même après ça, tu veux toujours courir après le tombeau de Bertha Verdandi ? Ce sera déjà un miracle si nous survivons cette journée libres et en vie, et tu continuer de te jeter dans la gueule d’autres dangers ?»

« Bien sûr ! », répondit le jeune mage, outré qu’il puisse insinuer qu’il rentrerait la queue entre les jambes chez lui, où que ce soit, « Et tu viens avec moi ! Nous avions un accord ! »

« Nul besoin de s’énerver, je te suis. Ce n’est pas comme si j’avais d’autres choix. J’avais seulement espéré… Enfin, sortons d’ici. »

Ulric enfuit le diadème de servitude dans son sac, tout en tendant l’oreille vers les combats qui se déroulaient toujours au-dessus de sa tête. Il aurait bien voulu étudier l’objet, comprendre comment il fonctionne… peut-être même en recouronner immédiatement son nouveau compagnon pour s’assurer sa coopération, mais il fallait faire vite. Il entendait encore des cris, des pas, mais entre les craquements du navire et les deux ponts qui les séparaient de l’air libre, il n’arrivait pas à en tirer quelque chose de cohérent.

« Bien, suis-moi, et en silence. »

Ils retraversèrent la cale sur le qui-vive mais Ulric ne pouvait s’empêcher de se demander comment ils mettraient une chaloupe à la mer à deux seulement, au milieu d’un combat. Le radeau serait peut-être finalement la meilleure solution. S’ils arrivaient à retourner dans les quartiers du capitaine sans encombre, ils pourraient jeter n’importe quoi qui flotte par les fenêtres et évacuer le navire à l’abri des regards. Par les dieux, à ce point-là, ce n’était même plus de l’improvisation, mais quelque chose encore en dessous ! Mais, pour l’instant, il ne voyait rien d’autre.

Ils remontèrent rapidement sur le pont inférieur, faiblement illuminé par la lumière qui filtrait par la trappe de chargement en dessinant un damier sur le sol. D’ici, il entendait mieux ce qu’il se passait à l’air libre. Des ordres étaient beuglés, des talons martelaient le pont, des blessés criaient leurs suppliques, mais le choc de l’acier contre l’acier, ou contre la chair et les cris de douleurs abrupts qui les suivaient, eux s’étaient tus. La bataille était-elle déjà terminée ?

Comme pour confirmer ses soupçons, il vit la silhouette d’un homme sortir de la pénombre, hache en main. Un air de féroce satisfaction déformait son visage, malgré de multiples entailles qui tâchaient çà et là sa tunique d’écarlate. Ulric n’eut pas le temps de reculer pour se dissimuler que leurs regards se croisèrent, bien assez longtemps pour qu’il puisse voir une lueur sauvage s’ajouter à la satisfaction dans les yeux de son adversaire, comme un prédateur qui venait juste de trouver de nouvelles proies.

L’apprenti mage fût le plus rapide à agir, cependant. Puisant dans ses fluides avec une soif qui n’avait fait que grandir depuis le début des combats, Ulric conjura une ombre épaisse qui vint voiler la face trop vite satisfaite de son adversaire. Surpris par la soudaine apparition, celui-ci recula d’un pas avant de hurler :

« ICI, HEY ! ILS ONT D’AUTRES M… »

Ulric ne voulut pas le laisser finir son appel à l’aide. Sortant sa dague, il se jeta, dague en avant, sur son obstacle beuglant. Il était certain que ce marin savourerait la douce ironie de finir vidé comme un poisson. Cependant, il n’eut pas le temps d’achever sa charge maladroite qu’il vit un pic de glace le dépasser en sifflant dans l’air pour s’écraser sur la tête du pirate, perçant ombre, chair, os et cervelle dans un craquement macabre, le réduisant finalement au silence.

Surpris, Ulric se retourna pour découvrir Kristobald, les mains devant lui après avoir écrit une passe arcanique dans l’air. Il avait déjà commencé à considérer son compagnon comme une sorte de princesse en détresse de compagnie, si ladite princesse était un homme grisonnant et potelé, en plus de son ticket personnel vers un puissant artefact, et voilà qu’il venait de fracasser un crâne !

Devant son regard incrédule, l’érudit protesta, comme pour se défendre :

« Je ne suis pas mage de bataille, jeune homme, mais n’allez pas croire que je suis sans défense. J’ai enseigné à l’Université de Pohélis, tout de même ! »

« L’histoire de la magie, je sais… », murmura Ulric, sans grande conviction.

Mais si son compagnon pouvait se révéler un allié, il ne cracherait certainement pas sur son aide. Surtout qu’il pouvait déjà entendre davantage de pas se diriger vers eux. L’idiot qui gisait le crâne perforé au sol n’avait peut-être pas fini sa mise en garde, mais ses geigneries étaient parvenues à attirer ses congénères.
Modifié en dernier par Ulric le lun. 24 mars 2025 12:42, modifié 1 fois.

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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » ven. 21 mars 2025 22:25

De nouvelles silhouettes surgirent bientôt de la pénombre ; un homme à la peau bleue et à la barbe rouge arriva en premier, armé d’un bocle qui semblait avoir sa place aux côtés d’une rapière mais se voyait ici accompagné d’une masse. Un autre homme le suivi, armé d’une pique certes courte pour une arme d’hast mais qui, dans le milieu confiné d’un navire se révélerait un obstacle formidable. L’air wielhois, il portait une tignasse brune détrempée de sel qui lui descendait jusqu’aux épaules et une moustache tombante qui lui dissimulait la moitié de la bouche. Enfin, un orc vint fermer la marche, armé d’une arbalète tendue, déjà prête à relâcher son carreau.

Une lueur de rage s’alluma dans le regard écarlate du Sang-Pourpre lorsqu’il découvrit le macchabé de son frère d’arme qui commençait à déverser sa cervelle sur le sol, et ses meurtriers juste derrière. Levant sa masse, il gronda :

« Vous n’auriez pas pu vous rendre comme tous les autres pleutres qui passent par ici ? Tous ces morts sont de votre faute ! »

Les deux humains s’avancèrent. De concert, bouclier et pique formaient un mur qu’Ulric ne franchirait jamais avec sa dague, ni pour attaquer, ni pour s’échapper. Mais ce fut l’orc qui épaulait son arme qui attira son attention. Dans un milieu aussi étroit, il n’avait guère de place pour tirer sans embrocher ses confrères dans le dos, mais ceux-ci avaient déjà commencé à se déporter sur le côté pour lui laisser le champ libre.

Un claquement sec retentit, et Ulric évita de peu un carreau qui frôla son visage, laissant un vrombissement dans son oreille.

« Kristobald, essaie de garder ces crétins entre toi et l’arbalète ! », invectiva le jeune mage à son compagnon, tout en essayant de suivre son propre conseil.

« Blah, blah, blah ! », se moqua le piquier, « Te prends pas pour un général, on est trop nombreux pour vous. Couche toi juste par terre et crève, ça reviendra au même ! »

Alors que les deux pirates continuaient de rapidement clore la distance entre eux tout en maintenant leur formation, Ulric canalisa ses fluides, en ne leur conférant d’instinct que le simple désir de tuer. Le souffle de Thimoros jaillit du bout de ses doigts en une brume d’un noire d’encre qui vint se jeter sur le piquier trop bavard. D’un réflexe vif, il se protégea de son bras gauche, relevant momentanément son arme, mais le sort lui arracha tout de même un cri de douleur lorsqu’il pénétra sa chair.

De son côté, Kristobald s’était remis à dessiner des glyphes invisibles devant lui. Une lueur glacée brilla au bout de ses doigts et soudain, le sol devant se mit à geler sur plusieurs mètres, comme si une plaque de verglas venait de se former spontanément juste sous les pieds de leurs assaillants.

« Reste près de moi, Ulric ! Ce sera plus facile de se défendre depuis ici ! »

« Je n’ai pas besoin qu’on m’explique que ce n’est pas le moment de faire du patin ! », siffla le jeune mage, bien qu’il dût bien admettre que le sortilège de son compagnon le sauverait peut-être.

Les deux pirates n’eurent cependant pas de mal à traverser la plaque de verglas, avec le pas sûr de ceux qui ont passé leur vie à maintenir leur équilibre sur un navire. Le bras du wielhois tremblait, mais il puisa dans ses forces pour projeter son arme d’un coup d’estoc, droit sur Ulric.

« Crève, sorcier ! »

Le coup était incertain après la blessure qu’il avait reçue, mais le fer visa juste et vint mordre profondément dans le bras du mage. La loi du talion avait livré son verdict impitoyable, et Ulric recula sous le choc en serrant son bras contre lui. Le Sang Pourpre, lui tourna son attention vers le cryomancien en projetant son bouclier vers son visage pour tenter de l’assommer, mais le pirate, tentant de maintenir son équilibre sur la glace, frappa trop court et le coup manqua sa cible. Kristobald prépara un nouveau sort pendant que, de l’autre côté de l’affrontement, le son mécanique d’une arbalète réarmée se faisant entendre. Le Sang Pourpre ramena son bouclier à lui pour se protéger, mais ce fut le piquier qui vit son bras droit geler. Avec un bras soudainement inutile, et l’autre ayant encore à peine assez de force pour tenir son arme, une faille sans précédant venait de s’ouvrir dans la défense de leurs ennemis. Il ne fallait plus que l’exploiter.

« C’est le moment, Ulric ! », l’incita inutilement Kristobald.

Tenant son bras blessé toujours contre lui, l’apprenti mage contourna l’arme d’hast tachée de son sang, avant de décocher un large coup de taille de son bras valide. Il visait la gorge de son ennemi, espérant la trancher nette, mais il ne parvint qu’à laisser une estafilade sans grande conséquence sur le visage du Wielhois, lacérant sa peau mate de la mâchoire jusqu’à sa moustache trempée de sueur. Un claquement retenti, et un carreau frôla les deux combattants. L’orc était prudent de ne pas toucher ses frères d’armes, mais il ne laisserait passer aucune opportunité, semble-t-il.

Kristobald reçu bientôt sa récompense pour son esprit d'équipe lorsque le Sang Pourpre, profitant que son attention se soit détournée de lui, pour lui décocher un violent coup de masse qui vint s’écraser sur son épaule, mais sans parvenir à briser l’os. L’érudit n’endurerait cependant pas cette correction longtemps, déjà affaibli par sa captivité qu’il était.

Protégeant instinctivement sa tête de ses bras, Kristobald répliqua : murmurant une incantation, il conjura un soudain coup de vent glacial et chargé de neige qui vint frapper les deux loups de mer. Le Sang Pourpre ne sembla affecté, mais le Whielois serra les dents alors qu’il lâcha sa pique devenue inutile pour se saisir d’une grosse dague qui pendait à sa ceinture, avec son bras qui venait tout juste de retrouver ses fonctions.

Ulric ne lui laissa pas le temps de sortir son arme et frappa d’estoc, cette fois-ci, droit dans les tripes. Le pirate hurla quand le fer entra dans sa chair, juste avant de s’effondrer sur la glace glissante qui recouvrait le sol derrière lui.

((Un de moins !)), pensa Ulric en se tournant vers le Sang Pourpre.

Se voyant à présent acculé à deux contre un, ce dernier se mit à reculer son bouclier devant lui, tout en maintenant son équilibre sur la glace.

« Gurthar, embroche-les, nom d’un chien ! », cria-t-il à l’arbalétrier.

Ulric vit l’orc épauler son arme, prêt pour un nouveau tir. Il canalisa ce qu’il lui restait de mana pour invoquer une nouvelle ombre et bloquer la vue du tireur. Le carreau fila dans l’air sans transpercer rien d’autre que la pénombre ambiante puis, dans une répétition des évènements qui avaient ôté la vie au premier pirate, une stalactite de glace traversa l’air en sens inverse, frappant l’arbalétrier toujours accablé par son sort d’ombre.

Blessé mais pas mort, l’orc recula, lançant un « Je vais chercher des renforts ! », qu’on aurait davantage attribué à un sektheg, à son frère d’arme, avant de disparaitre. Abandonné par son dernier allié, le Sang Pourpre commençait visiblement à paniquer, continuant de battre en retraite à reculons sur le verglas. Profitant de ce début de déroute, Ulric commença à dessiner des arabesques dans l’air, imitant la façon dont Kristobald semblait canaliser ses sorts. C’était du bluff pur et simple ; il ne lui restait rien, ses réserves de fluides épuisées par le combat. Il pouvait déjà sentir le mal de crâne qu’il ressentait toujours à ces moments-là pointer le bout de son nez, malgré l’adrénaline et la douleur de son bras, mais s'il pouvait tromper son adversaire, il pourrait peut-être la pousser à la fuite ou à l'erreur.

Anxieux à l’idée de devenir à son tour la cible d’un sort, le Sang-Pourpre accéléra sa retraite et, enfin, dérapa sur le verglas, s’étalant sur son dos avec moults jurons.

Cessant sa duperie, Ulric se jeta aussi vite qu’il le pouvait sur son adversaire au sol, sans lui-même déraper. Trop impatient pour atteindre sa gorge, il le poignarda à la jambe et ce fut Kristobald qui, après avoir ramassé la pique du Wielhois, porta l’estocade.

Trois cadavres gisaient par terre, et un pirate était en fuite. Tous deux blessés et à court de sorts à lancer, Ulric ne se faisant pas de doute quant au fait qu’ils ne reproduiraient plus cet exploit. Pas aujourd’hui, du moins. Et avec plus d’ennemis qui ne tarderaient pas à arriver, il fallait partir de là, et vite. L’apprenti mage se permis cependant de palper le pirate à ses pieds et de lui arracher sa bourse. Ça lui suffirait comme trophée.

« Est-ce… vraiment nécessaire ? », demanda le cryomancien en laissant retomber son arme d’hast.

Sa voix était faible et tremblotante. Il s’était montré surprenamment féroce pendant le combat, mais celui-ci l’avait secoué. Il l’avait dit lui-même, il était un érudit, pas un mage de bataille mais, qu’il ait l’âme d’un tueur ou pas, sa maitrise de la cryomancie forçait l’admiration, bien que l’apprenti mage ne l’admettrait pas à haute voix.

« Nous aurons besoin de yus pour payer la prochaine traversée. La vie de marin ne me va pas, et je n’ai pas l’intention de m’engager de nouveau avec la poisse que ça m’a porté. »

« La prochaine traversée ? Tu es vraiment… » Obsédé ? Irrécupérable ? L’érudit qui, visiblement, espérait encore simplement voir la fin de cette aventure ne finit pas sa phrase. « Enfin, filons d’ici. »

« Oui, suis-moi. Ils ne t’ont pas frappé les jambes, tu sauras encore courir. »

Là-dessus, il reprit sa traversée du pont d’une course frénétique, laissant tomber la discrétion. Il n’avait qu’à atteindre la cabine du capitaine, fracasser les fenêtres et il serait libre, et avec sa prise. Et s’il devait nager jusqu’à la côte, accroché à un tonneau, il le ferait. Ils firent aussi vite qu’ils purent, passant même en courant un groupe d pirates déjà occupés à leur pillage, jusqu’à ce qu’ils arrivent à la cabine vandalisée.

Vandalisée, mais pas vide. Il y avait déjà six pirates présents, continuant les ravages qu’il avait lui-même initiés plus tôt. Ils levèrent la tête, abasourdis, lorsqu’il fit irruption, se demandant sans doute si c’était l’un de leurs collègues qui venait leur annoncer une catastrophe, ou si l’un des défenseurs avait perdu la raison. Il avait espéré la trouver encore vide, mais peu importe. Sa sortie était juste-là ! Profitant de la confusion, il traversa la pièce, prêt à faire éclater les grandes vitres qui laissaient voir les falaises derrière elles d’un coup de botte, avant de plonger.

Mais c’est alors qu’au milieu des hors-la-loi qui tiraient leurs armes de leurs fourreaux, Kristobald leva les mains en l’air et prononça le blasphème le plus immonde qu’Ulric n’avait jamais entendu :

« Je me rends ! »

« Idiot ! Notre sortie est juste là ! », se révolta l’apprenti mage en tirant sur le col de son compagnon.

Il le trainerait de force, s’il le faut ! Mais les quelques secondes qu’avait prises cet étalage de couardise furent de trop ; l’effet de surprise était passé, et ils étaient encerclés.

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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » mer. 23 avr. 2025 22:53

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Ulric déboula dans la capitaine du capitaine comme une tempête, les portes claquant dans un grand vacarme à son passage, nerveux à l’idée de récupérer -ou non- les quelques biens de valeurs qu’il possédait ; son précieux grimoire, sa collection de petites pierres magiques qui ne faisait que grandir… Et c’était à peu près tout. Ses yus, ses armes, il y en trouverait toujours d’autres mais, quitte à faire, autant les récupérer aussi.

La pièce, jadis pleine de tout le luxe auquel un capitaine pouvait prétendre, semblait avoir été vidée. Ce n’était plus le chaos qu’il avait lui-même semé durant l’attaque, dans sa recherche frénétique des clés pour sortir Kristobald des geôles du navire, cependant. Les tableaux qui ornaient les murs avaient été détachés, ceux qu’il avait arrachés avaient été ramassé. Tout le mobilier qui n’était pas cloué au sol avait disparu, déplacé ou jeté à la mer, laissant le bureau qui trônait au centre de la pièce comme un ilot solitaire au milieu d’une mer placide, privé de son fauteuil molletonné, de son tapis velouté, de ses cartes calligraphiées, de ses encriers. Seulement quelques livres de compte semblaient avoir été négligés, afin d’épargner aux pirates le travail d’inventorier ce qu’ils avaient capturé, sans aucun doute.

Ce vide prenait fin soudainement sur le côté de la pièce, le long du mur où se trouvait auparavant une table à manger et un lit. Là, tout ce qui avait été capturé sur les marins du Roi Jaune après l’assaut avait été, non pas entassé, mais entreposé avec grand soin. Les armes, en majorité des sabres courts et des arbalètes, avaient été triées et arrangées en lots. Les tableaux qui ornaient jadis la cabine avaient été recouvert d’une toile et ficelés ensemble, avant de les appuyer contre le mur. Plusieurs coffres pour les plus petits objets étaient sagement ordonnés avec soin. Tout était parfaitement arrangé et prêt à être distribué aux membres d’équipage, dès que la galère rentrerait dans la crique sans nom où les forbans avaient installé leur port clandestin. Enfin, ça c’était sans doute le plan avant qu’Ulric n’y mette le feu. Honnêtement, il fut presque surpris que la bande de dégénérés puants qui l’avait capturé soit capable d’autant d’organisation, même quand il en venait à leur butin.

Mais cette surprise mourut bien vite à la vue du dernier élément de la pièce : le putain d’idiot qui lui tournait le dos, assis sur le bureau sculpté pour faire face aux larges fenêtres qui laissait voir la mer. Est-ce que ce crétin n’avait réellement rien entendu, rien vu de l’émeute qui avait secoué son propre navire ? Rien senti de la fumée, rien perçu des cris portés par le vent ? Et, soudain, Ulric perçu ce qui captivait ce débile, ce dégénéré, cet abruti, ce sot, cet imbécile ; brandissant sa main au-dessus de sa tête, il observait un petit objet qu’il tenait délicatement entre ses doigts à la lumière du jour. Un bourdonnement de réflexion stérile sorti de sa gorge, et son regard descendis vers un livre ouvert sur ses genoux. Même de là où Ulric se tenait, il pouvait reconnaitre une de ses runes. Essayait-il d’en estimer la valeur ? Sans doute. Il devait s’y connaitre suffisamment pour savoir que ces petites pierres avaient de la valeur, mais jamais il ne parviendrait à identifier celle-là, car même le vieux Moboutu avait peiné à la reconnaitre. C’était celle qui ressemblait à un œil de batracien. Ara : Jamais. Et jamais plus ce pouilleux ne remettrait ses sales pattes sur les possessions d’Ulric.

A grandes enjambées, l’apprenti mage clôt la distance entre eux deux. Il ne donna même pas la peine d’être silencieux : si le bruit de la porte ne l’avait pas sorti de sa transe, rien ne le ferait. Passant son bras en crochet autour de la gorge du voleur, il le tira en arrière pour le jeter par terre. Le pirate étouffa un cri de surprise avant de s’écraser sur le plancher comme une masse, catapultant son livre et la précieuse rune dans les airs. Posant des yeux écarquillés sur son agresseur, il leva les bras devant son visage flétri par des années passées en mer. L’homme semblait âgé, les beaux jours de sa jeunesse passé depuis longtemps. Le quartier-maitre de la galère, sans doute. Peu importe, il allait payer pour tous les autres.

Ses fluides à nouveau épuisés, Ulric se rabattit sur ses poings et ses pieds pour le ruer de coups. Ses membres manquaient de force, mais la colère lui prêta un sursaut d’énergie bien suffisant pour dominer un vieil homme déjà par terre. Le supplice manquait d’élégance, certes, mais il lui passa les nerfs. Une fois sa victime immobile, l’apprenti mage se redressa, les poings endoloris, pour aller ramasser sa précieuse rune. Il retrouva les autres dans leur bourse qui pendait à la ceinture du quartier-maitre, mort ou inconscient. Sa dague ornée de bronze parmi les armes, et deux autres de moindre qualité qui étaient interchangeables. Le masque d’airain qu’il avait pris comme trophée sur l’apprenti pyromancien dans l’un coffre, et il ne lui manquait plus que le plus important.

Il fouilla dans tous les coffres, enfouissant ses mains sans regard pour le matériel qu’il envoyait valser dans sa recherche frénétique. Si ces pouilleux de pirates avaient ouvert son grimoire et s’en était débarrassé par superstition, en l’offrant ou aux ondes de Moura ou aux flammes de Meno, il… il… Il ne pourrait même pas se venger, ils étaient déjà derrière lui. Il commençait déjà à regretter de ne pas avoir gardé celui qui gisait par terre en vie plus longtemps. Il aurait pu servir de cobaye pour ses expérimentations, ce n’aurait été que justice. Mais, alors que l’apprenti mage commençait à perdre espoir, il reconnut soudain la couverture de cuir usé de son précieux mentor inanimé sur le bureau, empilé avec les livres de compte du bateau. Tout occupé qu’il était à tenter d’estimer la valeur de ses runes, le quartier maitre de la galère n’avait sans doute pas eu le temps de parcourir tous les documents, ni de réaliser la nature de celui-ci.

Ulric s’empara du vieux tome et le serra un instant contre lui, comme s’il s’agissait d’une poupée offerte à un enfant pour le rassurer pendant la nuit. Il inspira l’odeur de parchemin et de cuir, avant de souffler de soulagement. Il n’avait rien perdu cette fois-ci, mais la chance ne lui sourirait pas toujours ainsi, se dit-il. Il devait impérativement redoubler d’effort pour déchiffrer les mots sibyllins de son grimoire, et apprendre tout ce qu’il renfermait. Le seul savoir qu’on ne pourrait jamais lui ôter était celui dans sa tête.


***


Un peu de temps passa pendant qu’Ulric se rééquipait dans la cabine, prenant son temps pour profiter d’un peu de calme et de solitude qui lui manquait terriblement en mer. Lorsqu’il ressortit sur le pont, il découvrit avec satisfaction les voiles baissées et déjà gonflées de vent, et la galère pirate qui s’éloignait petit à petit. La colonne de fumée qui s’en échappait n’était pas aussi épaisse qu’il l’aurait espéré, et il doutait que l’incendie qu’il avait orchestré suffise à l’engloutir dans les flammes, mais il suffirait amplement à leur interdire de les prendre en chasse. Couplé à l’efficacité dont les marins libérés avaient fait montre dans leurs manœuvres pour s’éloigner de leurs agresseurs, la situation actuelle finit de rassurer Ulric. Ils allaient pouvoir reprendre leur voyage vers le Nosvéris, et il pourrait préparer sa recherche à l’artefact magique dès qu’ils toucheraient terre. Tout rentrait dans l’ordre.

Cependant, alors qu’il pensait ça, il vit un petit attroupement à l’avant du bateau. Un mélange de marins de l’équipage originel du Roi Jaune et des nouveaux venus fraichement libérés. Il vit Kurz au milieu, le garzok dominait aisément la foule malgré son amaigrissement, et la peau bleue de l’earion dont il ignorait toujours le nom qui tranchait au milieu des tons beiges et mat des marins, en majorité humains. Ulric était trop las pour se soucier de quoi ils parlaient, mais les voix commençaient à s’élever.

A peine étaient-ils libérés, que déjà ils se disputaient. Il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour deviner quel était la cause de l’esclandre : le capitaine était mort ou disparu, et son trône était à prendre. Les deux plus gros chiens n’avaient pas attendu un seul instant pour commencer à aboyer. Peuh, idiots ! Tous autant qu’ils sont ! Ulric s’en foutait bien, tant qu’ils continuaient leur route. Mais, justement, un fragment de ce qui se disait parvint à ses oreilles, laissant entendre que cette seule condition à sa satisfaction était remise en cause.

« … nous devons impérativement retourner à Kendra Kâr, et contacter… »

Le reste de la phrase se perdit dans le vent marin, mais c’était bien plus qu’assez pour faire tiquer Ulric.

(Non, non, non, non.)
, martela-t-il dans sa tête, (Hors de question qu’on fasse demi-tour.)

« A Kendra Kâr ? Moi ? Es-tu stupide, ou veux-tu que je finisse avec ma tête au bout d’une pique ? », beugla le garzok alors qu’Ulric approchait à grand pas.

Autant la raison pour laquelle l’elfe aquatique voulait soudainement retourner au port si soudainement lui échappait (ça ne pouvait quand même pas être la première fois qu’il affrontait des dangers en mer, non ?), autant il n’était pas compliqué de deviner pourquoi Kurz ne souhaitait pas débarquer dans la capitale kendranne. Se mêlant à la conversation sans invitation, Ulric fit valoir ce point, surtout qu’il voyait également deux sektegs dans les rameurs réunis derrière Kurz.

« Tous les peaux-vertes parmi nous se feront abattre s’ils sont vus à Kendra Kâr. Tu ne peux pas sérieusement t’attendre à ce qu’ils t’y suivent, surtout après qu’ils se soient battus avec nous pour retrouver nous libérer ! »

Il espérait que leur évasion commune aurait effectivement fait naitre un début de camaraderie entre les deux moitiés du nouvel équipage, juste assez du moins pour contrebalancer le poids des conflits entre toutes ces races. Cependant, il ne connaissait l’elfe pratiquement que de vue, il ignorait si l’approche avait des chances de porter ses fruits.

« Si ce n’est que ça, nous n’aurons qu’à les descendre sur une chaloupe avant d’arriver à bon port. Ils seront en sécurité, ainsi. »

« Alors, c’est ça ma récompense pour m’être battu pour vous ? Être abandonné sur le premier caillou qui convient ou au pieds d’une falaise ? », fulmina le garzok.

De toute évidence, les épreuves traversées ensemble avaient échoué à créer le moindre lien entre ces deux-là. L’apprenti mage s’était, semble-t-il, montré un peu trop optimiste. Peu importe, nouvelle approche : essayer de comprendre pourquoi môssieur bleu voulait faire volte-face, pour commencer.

« Et pourquoi on devrais retourner à Kendra Kâr ? »

« Parce que tous nos officiers sont morts ou portés disparus. Notre armateur reconstituera une chaine de commandement et nommera un nouveau capitaine. En tant que senior de l’équipage, je prendrais le commandement jusque-là. »

Donc, toute cette scène était vraiment juste pour savoir qui serait le chef. Si, au moins, ils avaient trouvé un casus belli plus original pour se disputer, tout l’échange aurait au moins été moins ennuyeux. C’était quand même un comble que ce soit Ulric qui se retrouve à jouer les intermédiaires dans cette affaire, lui qui n’en avait strictement rien à cirer de qui est aux commandes, tant que le bateau avance. En y réfléchissant un instant, c’était même encore pire qu’ennuyeux : l’earion ne voulait pas juste monter en grade, il voulait l’accord d’une hiérarchie qui était à des lieues de là, et un joli parchemin cacheté de cire par un quelconque bourgeois kendran pour assurer sa place. Quel gentil toutou. C’était pathétique.

« Si tu veux la place du capitaine, prends-la, elle est libre. Pourquoi tu aurais besoin d’autorisation ? On a encore assez vivres pour atteindre Pohélis. Termine le voyage, tu pourras officialiser ta position plus tard. », offrit Ulric.

« Je n’ai pas besoin d’autorisation ? Nous sommes tous sous contrat, ici. Enfin, les membres de mon équipage », précisa-t-il pour exclure les rameurs libérés. « Il y a des règles à respecter. Je ne peux pas juste me déclarer capitaine. Qui plus est, Pohélis est un port hostile depuis plus de dix ans. »

Alors ça, c’était nouveau. Pohélis avait été leur destination depuis le début. Ulric avait déjà observé que l’équipage préférait en savoir le moins possible sur les accords… discutables, dirons-nous, de feu leur capitaine, mais il ne pouvait pas croire que ça s’étendait jusqu’à ignorer vers quel port ils naviguaient. Cet elfe feignait l’ignorance, ou alors il le prenait pour un idiot.

« Tu payeras juste le pot-de-vin pour entrer. C’était le plan de votre capitaine, non ? Je suis sûr qu’il y a un coffret dans sa cabine avec la somme déjà prête. »

« Tu oses insinuer que je sois une vermine corrompue qui traite avec l’ennemi ? Je te mettrais au fer pour ça, mousse ! »

« Ne me prends pas pour un idiot. », siffla Ulric qui commençait à perdre patience, « Je sais très bien ce que vous avez fait. Que vous commercer avec des ports ennemis, que vous avez abrité une bande de shaakt pour qu’ils enlèvent quelqu’un en plein milieu de Kendra Kâr, et mis leur prisonnier au fer sans poser la moindre question. Qu’est-ce que ça change que vous l’ayez fait vous-même, ou que vous ayez juste fermé les yeux sur ce que faisait votre capitaine ? Vous êtes une bande de vermines, vous êtes juste trop lâches pour l’admettre. »

Le visage de l’earion passa de la colère à la perplexité. Il ne s’attendait visiblement pas à ce que le « mousse » qui venait de rejoindre l’équipage il y a juste un peu plus d’une semaine de cela soit aussi bien au courant de ce qu’il se passait sur leur navire. Sans doute qu’ils avaient l’habitude de laisser les nouvelles recrues dans le brouillard, le temps de voir si elles étaient le genre à fermer leur gueule ou non.

Devant l’elfe bouche bée, Ulric en eut assez. La diplomatie avait échoué, il allait à présent passer au chantage. Il se déplaça pour se ranger du côté des rameurs, auprès de l’orc. Plus nombreux, il espérait que leur masse ajouterait du poids à ses paroles.

« Je suis sûr que la milice de Kendra Kâr serait très intéressée par ce que je pourrais leur raconter à votre sujet… Je ne suis jamais que le nouveau mousse, après tout, je suis venu les prévenir dès que j’ai su ! Ce serait quoi, votre excuse ? »

Une menace en l’air, car il espérait se tenir aussi loin de la milice qu’il le pouvait, mais qui se montrerait peut-être suffisamment intimidante. L’earion et les membres d’équipage derrière lui se tinrent immobiles un instant, laissant un silence tendu tomber sur la troupe. Ils pourraient essayer de lui faire la peau, ou de le balancer par-dessus bord pour le faire taire mais, malgré toutes leurs activités illégales, ils restaient un équipage de marchands, pas de tueurs. Ils n’auraient pas le cran, surtout avec Kurz et ses rameurs à ses côtés. Ulric était prêt à parier là-dessus. Surtout que, dans l’absolu, il ne leur demandait que de continuer ce qu’ils avaient prévu de faire depuis le début.

Ce fut Kurz qui brisa finalement le silence. S’avançant d’un pas autoritaire, il pointa sa masse vers la tête de l’earion avant de clamer d’un ton autoritaire :

« Cap sur Pohélis. »

L’elfe capitula finalement devant la menace physique. Enfin, ils étaient de retour sur le bon chemin. Maintenant, Ulric espérait avoir le moins affaire possible avec cette bande de crétins pour le reste du trajet.

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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » sam. 10 mai 2025 22:33

« Douce Yuia… Mais qu’est-ce que c’est que ce fouillis ? »

Un air de consternation ne semblait s’être emparé du visage de Kristobald, ne relâchant son emprise même après qu’il ait refermé le grimoire d’un claquement sec, laissant le tome reposer, inerte, sur le bureau auquel il s’était installé. Depuis que la hiérarchie à bord avait implosé, faute d’officier encore présent, ils s’étaient arrogé la grande cabine du pont inférieur, là où les pyromanciens avaient également pris leurs quartiers jusqu’à leur disparition lors de l’attaque. Moins luxueuse que la cabine du capitaine, elle offrait tout de même un espace privilégié et une intimité qui se faisait cruellement rare ailleurs sur le navire.

Une semaine s’était écoulée depuis le dernier incident où Ulric avait failli perdre sa vie ou sa liberté, et l’ambiance restait tendue à bord du navire. Les membres d’équipage se méfiaient de lui depuis sa tentative de chantage, ressentaient Kurz pour sa prise de pouvoir, et préféraient ne pas se mélanger aux rameurs plus que nécessaire, et ils leur rendaient volontiers la pareille. Le côté positif, c’était qu’ils laissaient Ulric en paix. Il avait fait usage de ce temps et de cette isolation pour se replonger dans l’étude de son grimoire. Pas nécessairement pour apprendre un nouveau sort, pas dans l’immédiat du moins, mais pour continuer d’en apprendre davantage sur sa magie et ce dont elle était capable. Bien qu’il lui répugnât de l’admettre, il n’en savait pas tant que ça à ce sujet… Le mépris traditionnel des kendrans pour les ombres ne lui avait laissé que quelques contes et légendes comme source de savoir sur la magie noire pendant la grande majorité de sa vie. Un crime à son encontre qui, à ses yeux, justifiait bien tous les siens.

C’était bien pour ça qu’il avait si vite développé cette quasi-obsession pour son grimoire. Le vieux tome lié de cuir usé était tout ce qu’il avait eu jusqu’à présent. Ce qu’il avait de mieux, malgré les textes sibyllins, les descriptions obscures, les diagrammes incompréhensibles… Pour un jeune mage qui en était encore à ses balbutiements, le manuscrit se révélait souvent être un adversaire coriace plus qu’un mentor. Ça prendrait du temps de le déchiffrer pour en apprendre tout ce qu’il pourrait en extraire, certes, mais Ulric était tellement impatient. Alors, depuis ces derniers jours, il avait débattu intérieurement s’il devait chercher de l’aide auprès de Kristobald. Sa fierté de tout accomplir seul s’était mesurée à son empressement, mais ce dernier avait fini par l’emporter. Et puis, le cryomancien avait été enseignant, non ? Qu’il serve à quelque chose !

« Je sais que c’est le bordel. Je ne demanderais pas de l’aide sinon. »

« Ma foi… De nombreuses sections me semblent typiques de ce genre de documents illicites. Volontairement obscurs afin de donner le moins d’information s’il est capturé. D’autres semblent juste manquer de rigueur ou de savoir académique. Puis-je savoir où tu l’as obtenu, exactement ? »

« Je l’ai volé. »

« Ah… Je ne mentirais pas en disant que je suis surpris. », se contenta de répondre l’érudit qui commençait à cerner la nature de son interlocuteur. « Et tu as commencé ton apprentissage avec ça ? »

« Oui. Soit en le lisant, soit en expérimentant moi-même. »

Il avait aussi appris un sort grâce à un nécromancien qu’il avait rencontré dans les égouts de Kendra Kâr mais, dite comme ça, l’anecdote semblait tellement absurde qu’Ulric préféra la garder pour lui.

« Très bien. Il est toujours préférable de varier les méthodes d’apprentissage. L’expérimentation seule mènera un mage à manquer de compréhension de son art, et la théorie seule ne t’apportera jamais la maitrise pratique nécessaire à contrôler tes sorts. Maintenant, pour revenir à ton grimoire… »

Kristobald s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Sa voix prenait un débit rapide et énergique lorsqu’il parlait de magie, tout en restant clair et sûr. Clairement, il appréciait cette petite conversation, ce qui déboussolait quelque peu Ulric, malgré qu’il en soit l’instigateur. Il avait tellement l’habitude de cacher son don pour la magie d’ombre que de voir quelqu’un analyser son grimoire sans révulsion le laissait médusé. Kristobald était lui-même un mage certes, et il lui semblait normal qu’il soit plus ouvert d’esprit que le badaud moyen mais, tout de même… Il était certain que s’il s’était présenté à la tour de thaumaturgie pour y commencer un apprentissage, il aurait fini à la milice, mages ou pas. A moins que les varrockiens soient tellement différents des kendrans ?

« Je voudrais que tu comprennes tout d’abord une chose concernant la magie, quel que soit l’élément : la méthode pour modeler les fluides en un sort est toujours très personnelle, très intime même. Parfois, il vaut mieux découvrir ce qui marche pour soi-même plutôt que de copier les méthodes d’autrui. C’est pour ça qu’il faut un mage expérimenté pour réellement enseigner la magie. Ce qui m’amène à ce que je voulais dire : je ne pense pas que les personnes qui ont rédigé ce grimoire ont ce niveau. »

« Il est inutile, alors ? », la voix d’Ulric se faisait cassante de frustration, mi colère, mi-déception.

« Non, je n’ai pas dit cela. Si, comme tu l’as dit, tu veux commencer par en apprendre plus sur les capacités de ta magie, j’ai vu quelques passages qui pourraient t’aider dans ce sens. »

Du mouvement adroit d’une personne qui a passé la majeure partie de sa vie dans les livres, Kristobald rouvrit le grimoire et le feuilleta un instant avant de le retourner et de le pousser sur le bois poli du bureau, vers Ulric. Tapotant d’un doigt sur le texte, il attira l’attention de l’apprenti mage sur un extrait en particulier.

« J’en ai vu plusieurs dans ce style. Ils constitueraient un bon début. »

Ulric se pencha sur le tome pour découvrir un passage bref et sec, dans un style qui n’avait pas réellement attiré son attention lors de ses lectures jusqu’à présent. Rédigé à la première personne, il narrait en quelque phrases comment l’auteur avait envoyé une moitié de son ombre traquer une bête dont le nom ne lui évoquait rien, avant de conclure avec une humilité déconcertante quand l’ombre revint à lui lorsque sa proie gagna trop de terrain. C’était davantage un compte-rendu, plutôt que les "recettes" ou modes d’emploi dont le reste du grimoire prenait souvent forme.

Le passage manquait du spectaculaire qu’il retrouvait ailleurs dans le grimoire, mais voilà qu’en quelques lignes seulement il découvrait un nouvel usage de sa magie auquel il n’avait pas encore pensé. Il lui restait à trouver par lui-même comment le reproduire, mais avec un objectif clair pour le guider. Ce n’était pas la solution facile et rapide qu’il avait espérée, mais la suggestion de Kristobald semblait avoir du bon.

« J’ai bien peur que je ne saurais t’aider plus que cela pour l’instant, à moins que tu ne prévoies d’absorber des fluides de glace. », reprit l’érudit alors qu’il se plongeait dans le texte, « Cependant, je connais quelques sorts défensifs que, je pense, tu devrais être capable de reproduire même avec des fluides d’ombre. De ce que j’ai vu de ta tendance à te jeter dans les ennuis d’abord, et de réfléchir à comment les surmonter après, ça ne te fera sans doute pas de mal, jeune homme. »

Cette dernière remarque, référence à peine voilée à comment il avait fait irruption dans la vie de l’érudit pour se lancer dans une chasse à la relique sans la moindre préparation, le fit tiquer. Relevant la tête de son livre d’un coup brusque, il ne put s’empêcher d’aboyer :

« Je sais ce que je fais ! »

Il ne reprit le contrôle de sa langue que trop tard. Il avait encore besoin de Kristobald et, maintenant qu’il se montrait coopératif, il n’avait aucune raison de se l’aliéner, surtout quand il lui proposait de l’assister dans son apprentissage. Il tenta de rectifier le tir par un ton plus civique, bien que des excuses lui restèrent coincées dans la gorge.

« Je suis sûr que ce serait utile. Quand est-ce qu’on commence ? »

« Viens me retrouver demain matin, et nous pourrons commencer. Sur ce, je te laisse à ton grimoire, j’ai bien besoin d’un peu d’air frais. »

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