VII.9 Rencontre à la commanderie.
Même si j’ai eu du mal à trouver le sommeil, la qualité du lit ajouté au fait que je me sois couché tôt, ont compensé cette brève insomnie. C’est avec un léger trac que je pose les pieds au sol. Suis-je ne serais-ce que digne de servir dans un tel ordre ? Plutôt que de prendre cette mission pour un test, je décide d’y voir une opportunité de défis. Je doute qu’on me lance dans une tâche insurmontable. En moi, une partie du trac se meut en excitation. Ma faéra profite de notre solitude pour disparaître et s’envoler hors de la commanderie.
(Il te reste encore un peu de temps avant les premières lueurs du jour.)
(Parfait !)
J’entame donc une séance d’échauffement avant de passer aux d’étirements puis de partir. Je multiplie les positions debout et assis au sol. J’use des lits inoccupés pour y poser le pied et étirer les muscles sous la cuisse. Ceux-là sont particulièrement douloureux car les plus sollicités lorsque je réalise mes acrobaties. Presque tout est fait. Il ne me reste plus qu’à écarter les jambes de plus en plus, jusqu’à faire toucher mon bassin contre le sol. Viens ensuite l’épreuve terrible qui consiste à me pencher en avant, pour faire toucher le torse contre le sol. Avec une douleur à la limite du supportable, je parviens à atteindre mon objectif.
(Bon sang, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas étiré de la sorte !)
Ma faéra réapparaît et vient s’assoir à quelques centimètres de mon visage.
(Je n’ai jamais compris pourquoi tu t’infligeais un traitement aussi douloureux !)
(Tout le monde n’est pas un être éthéré capable de traverser autant les murs que les lames. Cependant, si tu connais un moyen pour que j’y arrive je suis tout ouïe !)
(Nope ! Pas de mémoire de faéra en tout cas !)
Pendant que je reste là à tenir la position autant que possible, ma faéra danse et virevolte avec amusement sous mes yeux.
(N’as-tu donc aucune compassion pour moi ?)
(Non, pas d’un pet d’belette ! Si tu as mal, tu n’as qu’à t’arrêter !)
Elle enchaîne de petits pas puis sautille en l’air avec une triple rotation.
(Triple axel ! Le public est en déliiiire !)
(Je ne comprendrais jamais tous ces trucs qui ne veulent rien dire !)
Elle effectue divers saluts devant un espace complètement vide.
(Il existe bien des mondes Jorus. Chacun à ses coutumes et son histoire. Mais je ne prendrais pas le temps de t’expliquer cela, il me faudrait l’éternité !)
(Pourquoi il y en a tant que cela ?)
(Rien à voir. C’est juste que tu es assez lent d’esprit ! Hihihi !)
(Monstre que tu es !)
La porte du dortoir se met à grincer et avec une vivacité inégalée, Ysolde disparaît dans mon médaillon, même si ce n’est peut-être qu’un courant d’air. Je prends le temps de me relever sans me faire mal. Mes affaires étant déjà prêtes, je les ramasse et me dirige vers le réfectoire pour une brève collation. Lorsque la porte s’ouvre, je fais face à la même Sindel qui m’avait accosté avec ses camarades la veille. Elle ne doit pas être de service car elle ne porte pas son armure aujourd’hui, mais un ravissant ensemble qui met en valeur ses lignes.
"Tiens quelle surprise !" Lui dis-je en détaillant ses courbes malgré-moi.
(Mais c’est quoi son problème à celle-là ? Et toi arrête de la reluquer !)
(Haaa ! Oui maman !)
"Vous avez attendu jusqu’à ce que je me lève ? Je dois avoir bien plus de charme que je ne le croyais !" Fais-je en bombant grossièrement le torse.
(C’est marrant ça, quand tu bombes le torse ça fait aussi grossir tes chevilles !)
"Hahaha ! Vous ne vous séparez jamais de votre humour à ce que je vois !" Me répond-elle en portant sa main à la bouche pour mimer une fausse gêne.
(Pfff, poufiasse !)
La situation m’amuse, autant par la présence de l’elfe grise que par les réactions de ma faéra. J’en profite donc pour en remettre une couche.
"Je vous l’ai dis, j’ai de nombreux talents et certains nécessitent la présence de la gente féminine !"
(Bon sang, le voilà qui se sent plus pisser !)
"Est-ce une proposition que je perçois ?" Déclare-t-elle en se penchant davantage vers moi, en m’offrant de la sorte une meilleure vue sur son décolleté. Nos visages sont désormais très proches l’un de l’autre et un doux parfum s’échappe d’elle.
(Beuarg ! J’vais vomir !)
Cette proximité me rappelle Castamir, la taurionne que j’ai laissée derrière-moi à Oranan ainsi que ce tendre baiser que nous avons échangé.
"Non merci, j’ai trop à faire aujourd’hui !" Lui dis-je avant de tourner la tête vers la gauche puis de partir pour le réfectoire sans attendre de réponse et surtout avant qu’elle ne remarque ma gêne.
"Si vous souhaitez voir dame Llyann'tar Thelwë, c’est le chemin opposé !" Déclare-t-elle.
Je lui réponds sans arrêter de marcher.
"Pas tout de suite, il faut d’abord que je me restaure !"
"C’est aussi le chemin opposé !" S’amuse-t-elle.
(Et c’est un nouveau record de Jorus Kayne qui dépasse les limites connus de la honte !)
Je m’arrête brusquement, puis fait timidement demi-tour pour reprendre tête baissée ma route.
"Vous êtes décidément un phénomène sieur Kayne !" Rit la Sindel qui marche à mes côtés.
Surpris, je réduis ma cadence et la regarde suspicieux.
"Comment connaissez-vous mon nom ?"
"Il n’y a pas beaucoup d’humain actuellement sur le Naora et un seul dors dans la commanderie." Explique-t-elle.
(Oui vue comme ça, je risque de ne pas passer inaperçue !)
"Sans vouloir vous vexer, ce ne sont pas pour vos « charmes » que je suis venue. Vos histoires avec les dragons, elles étaient vraies n’est-ce pas ?" Continue-t-elle.
J’accueille la remarque sans vraiment être déçu.
(Menteur !)
Bon mon égo en prend peut-être un coup finalement, mais je m’intéresse plus à comment elle peut croire une histoire aussi difficile…à croire en fait.
"Vous avez croisé Sibelle ?"
"Non, je crois qu’elle est déjà partie. Cependant, j’ai toujours eu plus d’aisance à discerner les mensonges de la vérité ! Vous acceptez de me narrer cette bataille ?" Demande-t-elle visiblement très curieuse.
"Tout ce que vous voulez, tant que vous ne m’empêchez pas de manger !" Dis-je en souriant.
Une fois dans le réfectoire, j’attends d’être assis pour commencer mon récit sous le regard impatient de…
"Au fait je ne connais toujours pas votre nom !"
"Saëthil Arwiëne. Vous allez me raconter ou pas ?" Implore-t-elle presque.
Je prends le risque de parler la bouche plus ou moins pleine. Je lui narre mon arrivée à Aliaénon et la présence des membres du conseil, la demande de retrouver un elfe disparu du nom de Naral Shaam, puis l’incroyable voyage sur le dos du dragon d’or avant de rencontrer le dragon noir.
"C’est là que le combat a débuté ?" M’interrompt-elle.
"Non, mais le dragon noir était impliqué dans l’affrontement."
Je reprends mon récit avec la rencontre de Simaya et de son horrible créature, ainsi que la façon dont j’ai utilisé mon grappin attaché à ma corde, pour sauver in extrémis un Shaakt et comment j’ai fait pour détruire cette chose, grâce à un autel qui générait des explosions magiques. J’évoque ensuite la traversée de la Lande Noire avec Yürlüngür, ses montagnes de cadavres et le combat avec les étranges chiens. Puis je détaille notre arrivée à la Tour d’Orsan, l’apparition d’’autres aventuriers grâce à une divinité nommée le Sans-Visage, l’inspection de la tour, l’elfe noir qui réapparaît aux portes de la mort, Puis la découverte du Shaakt dans un nouveau corps. Accrochée à mes lèvres, Saëthil ne me lâche pas une seconde du regard.
Pendant quelques instants, je mange sans reprendre le cours de mon récit et cela agace fortement la Sindel qui veut connaître la suite. Je raconte ensuite la disparition de la magie ambiante, la ruée à l’extérieur pour retrouver Simaya, le mage Xël, mais surtout Sibelle maniant son arme face à l’être divin, puis l’apparition du dragon noir et la transformation de Naral Shaam ainsi que de Simaya en dragon. Là je prends mon temps pour détailler au mieux la tour qui s’écrase sur nous, le combat entre les trois dragons, et les explosions de magie incontrôlable.
Lorsque je termine mon récit, l’elfe grise reste sans voix. Clouée sur sa chaise, je la laisse pour ne pas être en retard pour mon rendez-vous. Je range ma table puis retrouve Saëthil qui m’attend à l’entrée du réfectoire.
"Cela devait être un combat titanesque !" S’exclame-t-elle.
"Pas vraiment non." Dis-je en enlevant nonchalamment du doigt un morceau de pain coincé entre les dents.
"J’ai eu le déplaisir de rencontrer un véritable Titan et je ne compte pas réitérer la chose. Même les murs de Nessima dont vous êtes si fier, seraient simplement écrasés par la marche d’un Titan ! C’est littéralement une montagne elle-même qui se met en marche et ce jour-là, la montagne n’était pas très contente."
Je quitte le réfectoire en compagnie de l’elfe grise qui n’a de cesse de me poser encore des questions.
"Ce genre d’aventures est récurent en dehors du Naora ?"
Tandis que nous continuons de marcher, derrière cette question je sens qu’il y a une véritable curiosité pour le monde extérieur.
"Non. Comme je l’ai mentionné, tout cela s’est déroulé dans un autre monde. Pourtant, il y a suffisamment de choses à découvrir pour remplir une vie d’elfe. Libre à vous de l’explorer pour vous en faire un avis !"
"Je ne peux pas vraiment partir, il …il faut…" Commence-t-elle sans parvenir à trouver ses mots.
"Il faut surtout vivre pour soi-même ! Nous n’avons qu’une vie, alors autant en profiter non ?" Nous finissons par atteindre notre destination, enfin pour moi surtout.
"Merci de m’avoir accompagné jusqu’ici. Il est temps pour moi d’affronter la bête !"
A ma dernière remarque elle lâche un léger rire, qu’elle enferme rapidement.
"Tout le plaisir était pour moi et c’est moi qui vous remercie de m’avoir comptée vos histoires ! Que pensez-vous que vous aurez à faire ?"
Je scrute la porte en plissant les yeux de concentrations avant de répondre.
"Aucune idée. J’espère qu’il s’agit d’une mission digne de moi comme vider le garde-manger avant qu’il ne pourrisse !"
Cette fois-ci Saëthil ris de bon cœur. Elle finit par partir lentement après un bref salut. Moi je prends une grande inspiration et frappe à la porte du bureau de Llyann'tar Thelwë.
VII.11 L'épreuve.