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par Tanaëth Ithil » mar. 24 sept. 2019 21:42
Semblable à une imperturbable statue, seul le léger mouvement de sa poitrine et quelques clignements d'yeux trahissant qu'elle est en vie, la Régente écoute l'entièreté de mon discours sans m'interrompre. Son époux en revanche, fronçant à plusieurs reprises les sourcils, parait se faire violence pour ne pas intervenir. Au sein de la foule de courtisans, murmures et chuchotis fusent allègrement, le nom de la sombre déesse et des lieux évoqués surnageant dans le brouhaha ambiant. Mais, pour moi, ce raffut pourrait aussi bien ne pas exister : je ne lâche pas la seule personne qui compte, la rousse Ylyth, des yeux. Cela ne m'empêche pas de ressentir obscurément les émotions qui agitent la volaille colorée : inquiétude, intérêt, impatience... tous se demandent quelle sera la réaction des dirigeants des Enfants de Sithi à mes paroles. Je dissimule pour ma part de mon mieux l'anxiété qui me taraude les entrailles tel un fer vicieux, mais je ne peux totalement cacher ma surprise lorsque, contre toute attente, Baëler prend la parole.
La voix emplie d'un sourd mépris, il me demande si je pense vraiment qu'ils vont confier pareille responsabilité à un Sindel se faisant passer pour le Champion de Sithi puis assène que ce n'est pas parce que je connais quelques barbares que ma demande a la moindre légitimité. Mon regard d'obsidienne, soudain rivé au sien, doit flamboyer en cet instant. Et cela ne s'arrange pas lorsqu'il ajoute, faisant hausser les sourcils de son épouse de manière inquiétante et instaurant un silence de mort dans la salle, que je devrais être envoyé séance tenante à Raynna.
(Silence Tanaëth! Silence par Sithi!)
Brûlante, ma colère est semblable à un volcan sur le point d'entrer en éruption, si proche du point de non-retour que j'en frémis imperceptiblement.
(Pauvre petit con! Tu crois que ton putain de bagne me fait peur? J'en sors, bouffon! Allez! Regarde-moi bien dans les yeux, tu y vois le moindre doute? La moindre trace de mensonge? Non, tu ne vois rien! Rien que ton écrasante stupidité, parodie de Sindel!)
(TANAËTH!)
(Oui! Ça va, je la ferme!)
Jamais cela ne m'a semblé si difficile, jamais je n'ai éprouvé pareil désir de balancer mon poing ganté de mithril dans la face de l'un des mes frères, hormis peut-être lorsque j'ai brisé cet assassin d'Averenn. Mais je me contiens, offrant aux Régents un masque de pierre lisse et impénétrable. Je danse sur une fine cordelette suspendue au-dessus d'un abîme, je le sais, et le moindre faux pas, si infime soit-il, me précipitera dans le vide. Une erreur infinitésimale et je perdrais... tout. Alors que mes pensées défilent à la vitesse de l'éclair, la Régente se met à tapoter l'accoudoir de son trône du bout des doigts en signe d'agacement. Mais il n'est apparemment pas dirigé contre moi car, alors qu'elle lui jette un bref regard, son mariole d'époux trouve soudain que se taire ne serait pas une si mauvaise idée, ce qui m'éclaire passablement sur leur relation. Ylyth pose ensuite brièvement les yeux sur la broche d'argent que j'arbore puis, après m'avoir scruté quelques secondes d'un regard perçant, remarque que l'heure n'est pas à la division, comme son cher et tendre devrait le savoir. A ces mots, ce dernier se tasse sur son siège comme si cela pouvait lui permettre d'échapper au courroux de sa femme, ce qui manque de peu me faire éclater de rire. Mais là encore je me fais violence pour demeurer de marbre, ce qui me vaut un murmure approbateur de ma petite compagne de fluide.
La Régente reprend en affirmant que nous reparlerons de ce titre de Champion de Sithi une fois les troubles apaisés, à quoi je réponds d'une très légère inclinaison du visage. Elle s'étonne que, étant conscient des problèmes internes de notre royaume, je préfère tout de même aller porter assistance à des "barbares humains" sur un autre continent.
(Pchhhhut! Tu te tais), m'intime sévèrement ma Faëra alors qu'à nouveau l'envie d'ouvrir ma grande gueule me taraude. Pas tellement pour relever son racisme, mais pour lui faire comprendre que c'est notre peuple que je tente d'aider, bien plus que les humains auprès de qui je veux aller combattre. Une fois encore les murmures se répandent dans la salle, vite balayés lorsque la Régente reconnaît que la menace d'Oaxaca est effectivement problématique et qu'il est de son devoir, de notre devoir, de protéger le royaume du Crépuscule de ses exactions. Je plisse légèrement les yeux d'attention en voyant son front se marquer de discrètes ridules, signe de profonde réflexion me semble-t-il.
(Bon, c'est maintenant que ça se joue) songé-je en retenant mon souffle.
A ma plus grande surprise, elle ordonne alors à sa cour de sortir, ce qui déclenche un vaste exode joliment accéléré par sa garde, qui ne fait cependant pas mine de s'approcher de moi ou de mes chaperons. Une fois la nef désertée, me fixant d'un regard d'une rare intensité, elle suppose que je sais que, non seulement les troupes d'Oaxaca ont percé nos défenses et tués nos souverains mais, qu'en plus, cela constitue une véritable humiliation pour notre nation. Elle ajoute, à mon plus grand soulagement, qu'il serait peut-être effectivement temps d'agir plutôt que de laisser périr les nôtres sans lever le petit doigt. Comme précédemment, je me garde soigneusement de l'interrompre et opine simplement d'un petit signe de tête pour indiquer que je partage totalement cette pensée. Elle poursuit en disant que ma demande, quoique imprévue, n'est pas dénuée d'intérêt et que, puisque je semble si confiant dans mes relations avec les peuples que j'ai mentionnés, ils peuvent m'accorder le privilège demandé!
(Non Bien-Aimé, sauter de joie ça ne se fait pas, dans ce contexte) ironise Sindylawë alors qu'en effet, je prends durement sur moi pour ne pas montrer à quel point j'exulte. Je m'étais interdit de trop espérer, jusqu'à cet instant, mais j'ai réussi! Cependant le Régent, bien loin de partager mon excitation, se lève d'un air ébahi et s'offusque de cette décision :
"Vous n’y pensez pas ?! C’est un…"
Sa rousse épouse le coupe aussitôt, d'une manière qui me fait imperceptiblement grimacer :
"...Imbécile, à n’en point douter, à venir ainsi en se présentant comme Première Lame de Sithi, je l’ai fort bien compris. Contrôlez-vous, mon époux, ou souhaitez-vous sortir comme le reste des courtisans ? L’heure est grave, nos armées dispersées, nos forces amoindries et nos colonies ravagées. Faites taire votre rancœur et agissez pour notre peuple !"
Je jette un discret regard, aussi noir que les entrailles du Rock Armath, à ma cousine, la maudissant intérieurement d'avoir évoqué ce titre qui pourrait me valoir les pires ennuis. Loin d'en être perturbée, la petite garce me retourne un petit sourire narquois, auquel je ne peux répondre car il me faut aussitôt reposer toute mon attention sur la Régente qui achève :
"Je vous laisse une chance, Tanaëth’tar Ithil, une unique chance, de redorer votre blason, de prouver votre loyauté et d’agir pour le bien du Royaume. Vous n’en répondrez qu’à moi et à Sithi, mais, à la moindre erreur, à la moindre suspicion de trahison ou d’échec, votre retour se fera dans une cage et votre seul foyer sera le trou puant de Raynna, et ce pour le restant de vos jours, suis-je claire ? Quant à cette histoire de cynore... j'attendrai votre premier rapport pour me décider, rendez-le donc fort convaincant, Seigneur Ithil."
A ces mots qui signifient sans conteste la fin de l'entrevue, je m'incline dans les formes puis accroche fermement son regard pour lui répondre :
"Jamais depuis les temps anciens d'Eden le blason de ma Lignée n'a été terni, Excellence. Votre confiance m'honore, je ne vous décevrai pas."
Suivi par ma garde, je me retire alors protocolairement et retrouve aux portes de la salle le serviteur qui m'a annoncé. Une fois les lourdes portes refermée, il m'informe qu'une lettre de marque me sera confiée afin d'attester du rôle officiel qui vient de m'être attribué, à quoi je rétorque :
"Très bien. Apportez-le moi au plus tôt dans mes appartements, je vous prie."
De retour dans ces derniers, je laisse enfin libre cours à ma satisfaction, à la plus grande surprise de mes chaperons qui ne m'ont jamais vu me lâcher ainsi, tel un jeune elfe venant de recevoir son cadeau d'anniversaire bien plus que comme un austère seigneur du Royaume de Sarindel. Ladite lettre de marque m'est remise le lendemain, porteuse du prestigieux sceau de cire argentée de la Royauté Sindel, que j'observe avec une étrange incrédulité. Voilà quelques mois à peine je n'étais qu'un banni sans nom errant sur les routes et voilà que je suis désormais envoyé officiel de mon pays...
(Oui, enfin souviens-toi de ce qu'elle t'a dit, hein, garde la tête froide.)
(Hey, j'ai tout de même le droit d'être fier du chemin accompli, non?)
(Pense plutôt à celui qu'il te reste à faire!)
(Tsss, quelle rabat-joie tu fais, des fois!)
(C'est pour ton bien!)
Renonçant à argumenter plus avant, je prépare sans plus tarder mes affaires et invite ma garde à faire de même, si bien que, quelques minutes plus tard, nous reprenons la route de l'aire d'embarcation d'Air-Gris.