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L'immense palais d'Olath surmonté par la tour encore plus titanesque dominait à présent Kurgoth alors que la nuit tombante ne rendait le bâtiment que plus impressionnant et menaçant. Semblant reconnaître Krel'Ka, les gardes la saluèrent et lui ouvrirent les lourdes portes de l'entrée plutôt que de la faire passer par les portes adjacentes plus petites. Le barbare remarqua que certains des garzoks présent semblaient, eux aussi, en partie "améliorés", possédant des plaques de métal incrustées dans la peau, visibles dans les interstices de leurs tenues. Cela l'intrigua, au point qu'il me posa mentalement la question à laquelle seule Khynt elle-même pouvait répondre:
(
Tu crois que tous les serviteurs de Khynt sont "améliorés"?)
(
C'est ma première venue à Omyre, je ne suis la mieux placée pour te répondre, mais cela me semble plausible. Toi qui craint la magie, n'as-tu donc pas peur de cette "technologie"?)
Le garzok fit alors la moue, mais avant qu'il ne puisse me répondre, les portes furent enfin ouvertes et sa compagne de voyage s'engouffra dans le palais. Mais dès son premier pas pour la suivre, celle-ci frappa deux fois des mains et les gardes barrèrent le chemin du prêtre en s'interposant. D'abord surpris, il remarqua ensuite la femelle qui, dans les ombres de l'édifice, l'observait avec un rictus. Kurgoth dévisagea alors l'un après l'autre les soldats devant lui avec un regard mauvais avant de planter son regard sanglant dans celui de Krel'Ka, qui semblait à la fois le moquer et le défier. Dominant de sa carrure imposante les garde, il roula des épaules en tentant d'effacer de son visage brûlé la grimace de contrariété qui s'y était installée. Immobile, il attendait en fixant la lieutenante de Khynt. Elle jouait avec lui et il le savait. Elle voulait lui donner une leçon après leur entrée en ville et testait à présent sa patience. Le garzok tentait de rester impassible tout en fulminant intérieurement, les jointures de ses poings serrés étaient blanches et ses phalanges le démangeaient tant il désirait les écraser sur les visages des gardes.
Les secondes s’égrenèrent une à une, la vie autour d'eux continuait, mais ils restaient immobiles, prisonniers du bon vouloir de Krel'Ka. Au bout de quelques trop longues minutes, cette dernière tourna les talons puis, reprenant son chemin, frappa à nouveau dans ses mains afin que les gardes se décalent et referment les portes, ne laissant pas le temps à Kurgoth de se faire désirer s'il ne voulait pas passer la nuit hors du palais. Le chevalier franchit rapidement le seuil du bâtiment et découvrit, avec un étonnement inquiet, tout un ensemble de pièces mécaniques servant à refermer et verrouiller la grande porte sans faire appel à un seul garde. Ici un sifflement dû à un jet de vapeur, là des roues dentées s'entraînant les unes les autres et là-bas des sortes de tubes métalliques glissant les uns hors des autres. Sa contemplation du mécanisme fut brusquement interrompue par une voix féminine.
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Oui, ça fait bizarre au début. Mais ne reste pas ici inutilement. Si on veut repartir dès demain matin, il faut donner les consignes au plus vite afin que les troupes se préparent... Et puis si tu t'arrêtes à chaque détail insolite de ce palais, tu mourras de vieillesse bien avant d'avoir exploré ne serait-ce qu'une seule de ses ailes."
Kurgoth se détourna alors de la grande porte mécanique et suivit l'officière dans des couloirs aux murs recouverts de divers tubes, soupapes et manivelles. Arrivée dans une grande salle remplie de garzoks, Krel'Ka glissa ses doigts fins entre ses lèvres puis émit un sifflement suraiguë.
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Allez, on s'active, tas de fainéants ! Vous allez me préparer assez de charriots pour transporter une vingtaine d'oeufs, chacun de la taille d'un Sturb ! Prenez aussi des kitranches, des cordes et des pelles, y'a deux jours de marche en forêt à déboiser pour faire passer les chariots !"
Elle se tourna ensuite vers le barbare et dit, cette fois-ci sans crier :
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Quelque chose à rajouter ?"
Un sourire carnassier de satisfaction commença à poindre sur le visage du prêtre, avant qu'il hurlât à pleins poumons :
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On ne sait pas ce qui nous attends dans les Bois Sombres ! Créatures ou Ynoriens, qu'importe, Khynt nous attend ! Alors je veux que les charriots soient remplis de soldats à l'aller ! Ils aideront à déboiser !"
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Vous avez entendus ? Départ à l'aube !"
Ayant ainsi conclu, Krel'Ka invita ensuite Kurgoth à la suivre. Après quelques minutes à monter des escaliers et traverser des couloirs, toujours autant recouverts de cette technologie étrange à base de tubes de métal, la femelle dans une pièce pour allumer un chandelier avant de déclarer :
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C'est la chambre d'Erkra, alors ne touche à rien et évite de t'en vanter ou il pourrait vouloir te le faire payer. J'imagine que t'auras du mal à dormir parmi les soldats s'ils préparent les charriots toute la nuit et je n'ai pas envie de te faire chercher en ville demain. Prends quand même une douche avant de dormir, histoire de ne pas trop laisser de traces, mais sinon, ne touche à rien."
Après l'avoir remerciée, le prêtre vit l'officière entrer dans une pièce un peu plus loin et refermer la porte derrière elle. Il comprit qu'il était logé dans le quartier des officiers de Khynt et pénétra dans la chambre qui lui était prêtée. Dans la lueur vacillante des bougies, il aperçut, comme partout ailleurs, un tas d'objets bizarres dont il ne pouvait même pas deviner la fonction, mais aussi un bureau avec de nombreux parchemins.
(
Va plutôt trouver cette "douche", je suppose que ça doit être pour te laver, alors cherche de l'eau.)
Opinant du chef, il fit le tour de la pièce jusqu'à trouver un tuyau d'où quelques gouttes d'eau tombaient régulièrement au sol. Suivant le tuyau de son gros doigt brun, il arriva à deux petites croix de métal aux coins arrondis. Curieux, il essaya de tourner celle de gauche d'abord dans un sens, qui semblait bloqué, puis dans l'autre. Cela fit jaillir du tuyau une cascade d'eau glacée. Kurgoth en hurla de surprise et d'effroi tout en glissant sur le sol d'un bruit sourd. Quelques secondes après que son hurlement ait résonné à travers les couloirs, Krel'Ka fit irruption dans la chambre de son collègue, un air affolé sur son visage. Lorsqu'elle vit la brute se débattre sous le flot glacial, elle éclata d'un rire cristallin avant de se précipiter à sa rescousse et tourner la croix de métal dans sa position initiale.
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J'avais oublié que seul le palais de Khynt dispose de douches, excuse-moi. Je vais régler ça."
Alors que Kurgoth s'extirpa de la douche, elle entreprit de tourner les deux croix à la fois, attendit un peu en laissant sa main sous le flot aqueux puis modifia leur position jusqu'à faire sortir du tuyau une eau chaude mais non-brûlante. Enfin, elle attrapa une pièce de tissu qu'elle tendit à Kurgoth en déclarant:
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Quand t'as fini, tu tournes à gauche les deux robinets pour les arrêter. Enlève quand même ton armure pour ne pas qu'elle rouille et, surtout tu t'essuieras avec ça. Tu devrais pouvoir te débrouiller seul maintenant."
Il l'observa quitter et refermer la pièce derrière elle, puis se tourna d'un air suspicieux vers le flux d'eau qui dépassait sa compréhension. Jaugeant qu'elle en savait largement plus que lui, il laissa ses affaires au sol puis pénétra à nouveau sous la douche. La chaleur de l'eau était bien plus agréable que le jet glacé, mais il n'y resta guère, car l'eau arrivant directement sur son crâne raviva les brûlures subies lors de son combat contre son mentor. En coupant d'abord le flux de la vanne de gauche, afin d'éviter une nouvelle douche froide, il fut aspergé d'une eau bouillante et, retenant douloureusement un cri, referma prestement le second robinet. Il s'essuya enfin avec le tissu que lui avait tendu Krel'Ka avant de s'allonger sur le lit tandis que je commençai a purifier son sang, comme je me l'étais promise en le voyant avaler son poisson cru.
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