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Me voilà encore à déambuler dans les rues sales d’Omyre. Je n’aurais fait quasiment que ça au final, marcher dans les rues boueuses d’une cité puante. Sauf qu’à présent je suis bien chargé et que cela commence à peser sur mes épaules.
Je suis témoin de la fouille des habitations par les soldats de Lorener, épaulés des machines infatigables du Modifié. Ils se placent devant les maisons, les unes après les autres et détruisent aisément les portes si elles ne sont pas ouvertes. Je vois, extraient des maisons, des Sektegs, des Shaakts, des Garzoks peu coopératif ainsi que d’autres humains. Ils sont jetés au sol, roués de coups voir purement et simplement exécutés. J’ai la bonne surprise de croiser le cadavre de la gobeline de hier soir, sa fichue pipe rangée dans la gorge. Voilà qui lui apprendra à m’observer échapper à la mort. Je n’ai même pas eu besoin de m’en occuper moi même, il m’a suffit de m’asseoir pour voir passer son cadavre. Un rictus déforme ma lèvre, voilà qui pourrait faire un bon adage.
On m’observe marcher d’un pas sûr vers les portes noires visibles au bout de la rue, sans être inquiété. Mon projet est en marche et je le montre de toutes les façons possible, par ma posture, la façon dont mon menton flatte le ciel, mon dos droit, mon torse bombé et ma démarche impérieuse. J’atteins les portes de la cité qui grouille de monde et qui est fortement surveillée entre ceux qui quittent la cité et les derniers arrivés de Kôchii retardés par le pillage qu’ils ont menés sur le charnier.
A l’ombre des remparts se tient l’élevage de montures où j’aperçois déjà Uthurg. Je m’approche du bâtiment, simples poteaux de bois au toit de paille, une partie abritant les loups de guerre et l’autre les chevaux. A l’extérieur, des clôtures séparés où sont dressés à la trique et au fouet les bêtes. Je conçois que ces sauvages ne pourraient s’y prendre autrement pourtant, pour l’avoir vu à l’hippodrome de la cité blanche, il est plus efficace de convaincre un cheval que de le contraindre. Je constate également que certaines bêtes sont mal nourries, faméliques, sans doutes incapables de porter des espèces trop lourdes.
« D’autres devraient nous rejoindre. »
Dit l’orc las quand je suis à côté de lui. J’observe attentivement les Garzoks qu’il désigne d’un mouvement de tête. Une quinzaine d’entre eux sont pour l’instant en attente, m’observant d’un air curieux. Tous sont costauds, évidemment, même les quelques femelles qui sont présentes. Certains sont équipés plus ou moins lourdement, d’autres possèdent en plus de leurs armes, des marteaux, des haches, des casseroles ou autres bric-à-brac.
« Que peux tu me dire sur eux ? »
« Pas grand chose. La plupart sont les derniers survivants de clans décimés lors de la bataille. D’autres d’anciens soldats des Treize tombés ou déchus. D’autres encore de simples artisans qui ont cru à vos promesses. En revanche, je dois vous prévenir qu’ils ne sont pas voués à vous ou votre cause, n’espérez pas d’eux une loyauté sans failles. »
« Chaque chose en son temps. »
Rétorquais-je. Ces animaux sont l’inverse des chevaux et je trouverais un moyen de les mater pour me les rendre utiles. Néanmoins je suis forcé de reconnaître qu’Uthurg Bal-grel est différent des autres. Moins enragé, plus réfléchi, moins enclin à grogner au moindre signe de réflexion. J’irais jusqu’à avouer qu’il montre des signes d’intelligence. Voilà peut être un « homme » sur lequel je peux un peu me reposer.
« Je te remercie Uthurg. Tu m’as bien aidé. Tu es bien différent des autres Garzoks que j’ai rencontré. »
Son regard las se pose sur moi et sa bouche difforme se marque d’un léger sourire.
« Vous avez sans doute croisé les mauvais Garzoks. »
Je hausse un sourcil alors que son sourire s’efface pour reprendre un air dépité à peine sa phrase terminée. Je laisse planer un instant de silence et de réflexion avant de reprendre :
« Allons chercher de quoi transporter tout le monde. Ensuite nous discuterons de l’itinéraire. »
Il acquiesce et c’est ensemble que nous interpellons l’orc qui s’occupe des écuries. Je compte les Garzoks qui sont présents, évaluant ce qu’ils amènent avec eux avant de négocier les prix et les bêtes que je lui prends. Je lui demande douze chevaux avec en prime cinq grandes charrettes. De quoi transporter la vingtaine de Garzoks qui s’amassent maintenant autour de nous avec le matériel. Un des Garzok se montre utile en prévenant de la mauvaise santé d’une monture que le palefrenier tente de me vendre. Il s’excuse platement quand tous les yeux se braquent sur lui et c’est sous leurs regards attentifs qu’il ramène les autres montures plus fraîches.
Je conclue la vente et confie une petite bourses de Yus à Obei et Nàkhzog en leur demandant d’aller chercher des arbalètes et des carreaux.
« Une dizaine au moins et pas de la camelote du marché. »
Ils hochent la tête et retournent dans le dédale de rues boueuses. Je garde une monture pour Uthurg et pour moi puis le charge de trouver cinq Garzoks qui sont bons cavaliers. Les cinq derniers chevaux, les plus costauds, seront attelés à des charrettes. Je m’occupe de seller mon cheval et de répartir mes affaires sur les flancs pendant que les autres Orcs préparent le convoi.
Uthurg revient vers moi avec sa monture et je scrute du coin de l’oeil les cavaliers qu’il a choisi. Légèrement plus fins que leurs congénères mais non moins musclés, ils ont entre eux une certaine ressemblance me laissant penser qu’ils viennent du même clan, voir de la même famille. Un cuir brun foncé, des cheveux longs et noirs coiffés en tresses épaisses. A noter qu’il y a parmi eux une femelle morphologiquement semblable aux mâles. Je n’aurais pas fait la différence si sa poitrine n’était pas recouverte d’un gilet de fourrure de loup. D’ailleurs leurs accoutrements tournent autour de cet animal, fourrures, os, griffes et crânes en guise de breloques.
« Ils viennent d’un Clan de dresseurs de loups de guerre. Tous décimés par le Dragon, ce sont les derniers survivants. Ils seront utiles, j’ai eu du mal à les convaincre. »
Je remarque que celui qui a signalé la mauvaise monture se trouve parmi eux. J’incline la tête, satisfait avant de reporter mon attention sur Uthurg.
« Parlons itinéraire. »
Il acquiesce avant de me faire part des informations qu’il a pu glaner auprès des habitants d’Omyre. Comme il l’avait prédit, bon nombres de Clans reprennent leur indépendance et vont se disperser dans les plaines et les montagnes. Il y aurait aussi de nombreux Garzoks ayant en tête de créer une grande communauté dans des ruines dans les montagnes portant le nom d’Asterök.
« Evitons les montagnes dans ce cas là. »
Il acquiesce tandis que je poursuis en laissant glisser mon doigt sur la carte qu’il a déroulé.
« Nous prendrons par les plaines, le chemin sera plus praticable pour les chevaux. Nous longerons les montagnes jusqu’à retomber sur la route. »
« Nous serons en terrain découvert. »
« Ainsi nous pourrons voir venir les menaces de loin. »
Nous tombons d’accord sur ce chemin, éviter les montagnes grouillantes de possibilités d’embuscades nous satisfait. Nous prévoyons de quoi faire boire les montures et il m’en apprend plus sur les plaines damnées que nous allons traverser. Nous discutons un peu avant d’être dérangé par un Sekteg et une femme à l’air coriace, au nez brisé et à l’air froide. Je vois dans son regard une certaine brutalité qui m’interpelle bien que je n’en montre pas un signe. Je remarque qu’elle observe attentivement ce qu’il se passe autour d’elle avec une certaine attention pour les armes que portent les Garzoks autour. C’est le gobelin qui prend la parole, me confirmant une intuition, la fille est une garde du corps. Quant au gobelin, je n’ai pas longtemps à l’observer pour remarquer son opulence. Propre sur lui, bien habillé, quelques bijoux. D’une certaine manière il me fait penser à mon père et ce souvenir de lui le fait immédiatement haïr ce Sekteg. Evidemment je n’en montre rien et me contente de répondre qu’il peut nous accompagner si il désire ce rendre à Darhàm. Il frappe dans ses mains avant de les frotter d’un air satisfait. Signe de reconnaissance entre les marchands crapuleux exécuté insupportablement comme il le faut. Pour être encore en un seul morceau j’imagine que sa garde du corps doit être compétente en plus d’avoir l’impolitesse de me dévisager.
Il se présente sous le nom de Virek avant de présenter Eteslë, son associée. Elle semble aussi surprise que lui de l’utilisation de ce terme mais je ne m’en préoccupe pas, il pourrait s’en servir pour ses vicelardises que je m’en moquerais. Il poursuit en confirmant son souhait de se joindre à moi pour la route, ajoutant que seul Phaïtos sait ce qu’il adviendra. J’acquiesce, masquant ma surprise de le voir ainsi citer le nom de mon divin maître. Est-ce un signe ? Un allié que m’envoie Phaïtos ? Comme toujours, c’est à moi de déchiffrer les messages qu’il veut bien m’accorder.
« Eldros Rougine. Et voici monsieur Bal-grel. Trouvez vous des provisions pour le voyage et une place à bord d’une charrette. Nous partons bientôt. J’espère que vous savez vous défendre, je doute que la route soit de tout repos. »
Le Sekteg m’assure qu’ils sont déjà prêts pour le départ et que sa fameuse Eteslë est tout à fait capable de se défendre.
« Bien. Nous verrons. Mon but est d’apporter des nouveaux bras et talents à la cité portuaire. Plus j’y amène de gens capables plus vite elle pourra se reconstruire. Peut être serez vous de ceux là. »
Et plus j’aurais de contact pour assurer mon contrôle sur la cité. Les deux se dirigent vers un chariot après un signe de tête et je m’en désintéresse pour poursuivre les préparatifs avec monsieur Bal-grel, reprenant les habitudes courtoises de La Baliste. Peut être qu’avec suffisamment de bonnes manières ces barbares deviendront civilisés.
Je grimpe sur ma monture et invite le Garzok las à faire de même pour faire le tour du convoi avant de partir. Mais nous n’avons pas le temps de commencer que les premiers signes de sauvagerie commencent et je suis surpris de voir que c’est cette Eteslë qui en est la cause. Je suis encore plus surpris quand la jeune femme étale un Orc en quelques coups. Une prestation impressionnante bien qu’inacceptable au sein de mon convoi. Je m’approche et déclare d’une voix calme après un court silence en articulant soigneusement chaque mots pour être certain d’être compris :
« Si vous avez encore de petits conflits à régler entre vous faites le maintenant car je ne tolérerais ni l’anarchie ni les petites querelles claniques lors du voyage. Vous suivrez mes consignes et celles de monsieur Bal-grel que vous connaissez tous. Si cela vous semble trop difficile je vous invite dors et déjà à rendre la monture que je vous ai généreusement confié et de tenter votre chance autrement. Je vous assures un avenir brillant si vous nous suivez mais je vous assures également une fin tragique si vous tentez de me manquer de respect d’une quelconque manière. »
Mes paroles sont accueillis avec quelques grognements et regards de défi auxquelles je réponds avec un air impassible et froid. Je remarque cette façon qu’ont les Garzoks d’interroger Bal-grel du regard comme pour confirmer mes paroles avant de gagner les charrettes. D’une manière ou d’une autre j’aurai leur obéissance ou alors j’aurai leurs vies. Je darde un regard sévère sur Uthurg qui rétorque après un haussement d’épaule qu’il m’avait prévenu.
« Passons. »
Dis-je avant de lui faire signe de m’accompagner. Préparer un voyage de cette envergure avec des inconnus est un projet de taille et c’est pour ça que je fais encore une fois le tour de chaque chariot, demande plus de précisions sur ce qu’ils transportent; les armes, les provisions, le matériel de campement et autres affaires qui pourraient servir. Ainsi je dresse une liste mentale de ce que nous possédons tout en expliquant à Uthurg que le but est d’être certain de ne manquer de rien en cas de coup dur, les bonnes habitudes de Quartier-Maître. Je rencontre également quelques Garzoks qui semblent sortir de l’ordinaire, des artisans et même un capable de se servir de la magie. Quand les compagnons d’Uthurg reviennent je les charges de déposer au minimum deux arbalètes par charrettes tout en expliquant la raison à mon acolyte, pouvoir tirer pendant que l’autre est rechargée de la même manière que sur La Baliste. Il me fait également part de son savoir sur la manière de former un campement de fortune le plus efficacement possible que j’accueille d’un hochement de tête, de plus en plus surpris par la vivacité d’esprit de ce spécimen. Nous terminons le tour de chaque chariot avant d’en regagner la tête et de donner le signe du départ. En route vers Darhàm.
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