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Kurgoth et Krel'Ka marchèrent sur l'ancienne route elfique, reliant à son port fluvial, jusqu'au crépuscule. Cette partie du voyage fut, de loin, la plus simple. Il n'y avait plus, ni de mousses se dérobant sous leurs pas, ni de racines menaçant de crocheter leurs pieds, ni de créatures rôdant dans les ombres des fourrés, ni même, d'ailleurs, d'étrange humain parcourant les airs dans un attelage volant. Les deux voyageurs purent donc presser le pas et profiter de l'endurance naturelle de leur race pour avancer parmi le flux de passant se rendant au port depuis la ville ou, comme eux, à Omyre depuis le port. Ils croisèrent sur ce trajet la même foule que Kurgoth avait pris l'habitude de voir aux portes de la cité noire; on y trouvait des mercenaires, solitaires ou en clans, venant chercher ou allant s’acquitter d'une mission, des marchands venus vendre leur marchandise, qu'il s'agisse d'objets "trouvés", de butin de guerre, ou d'esclaves, épiant sans cesse à leur droite et à leur gauche pour éloigner les potentiels voleurs, des tire-laines furetant pour dérober ces mêmes marchands hors de la ville, là où nulle milice ne les observerait pour récupérer leur prise quelques mètres plus loin, et, bien sûr, quelques soldats en patrouille envoyés pour la garde de nuit au port ou revenant de leur garde de jour.
Alors qu'ils se rapprochaient des hauts remparts d'Olath, la foule se concentra, comme à son habitude, autour des points de contrôle d'entrée. Toujours devant sa compagne de voyage, Kurgoth usa de sa carrure pour fendre la foule, jouant tantôt des coudes, tantôt de son regard sanglant, pour finalement s'en extirper, tout en ayant soigneusement gardé Krel'Ka derrière lui, et arriver devant les gardes. Alors que ceux-ci se mirent en position devant le prêtre pour lui bloquer le passage, la femelle le contourna d'un pas agile pour se planter devant les soldats, tenant dans sa main une sorte d'insigne, et déclarer:
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Je suis Krel'Ka, officier sous les ordres de Khynt, lieutenante de la reine noire Oaxaca."
Les deux gardes échangèrent un regard, puis se rapprochèrent pour échanger à voix basse sur ce qu'ils devaient faire. Tandis que la lieutenante de Khynt semblait confiante, je sentis une certaine colère poindre chez mon maître.
(
Ton amie semble confiante qu'est-ce qui ne va pas?)
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Ces deux-là, je les sens pas. Le simple fait de nommer Romthaars’t me permet de rentrer sans contrôle et ils hésitent alors qu'elle se présente comme officier de Khynt... Tu as vu, tout comme moi, à quel point Khynt lui fait confiance, Krel'Ka est forcément connue de la plupart des soldats d'Omyre.)
Les deux soldats se tournèrent alors vers les voyageurs et invitèrent la militaire à entrer en ville d'un ton mielleux. Mais dès qu'elle fut passée, ils bloquèrent le chemin au barbare, prétextant que, s'il n'avait pas d'insigne à présenter, il devrait d'abord être fouillé, ce qui ici signifiait "dépouillé", ignorant le fait qu'il accompagne l'officier de Khynt. N'ayant aucune envie de se plier à cette mascarade, et sans laisser à Krel'Ka le temps d'intervenir, Kurgoth saisit à la gorge les deux gardes de ses épaisses mains brunes. Mais, avant qu'il n'eût le temps de les menacer de tout ce qu'un prêtre de Thimoros pourrait leur faire, une voix rocailleuse tonna sur la gauche du religieux.
"
Qu'est-ce qui se passe ici?"
Un vieux garzok en armes, semblant étonnement âgé pour un soldat, venait de se lever et se dirigeait dans leur direction. Aussitôt Krel'Ka bondit à sa rencontre et ils commencèrent une discussion qui sembla plutôt correspondre à celle que deux amis auraient , vu depuis la position du barbare qui, bien qu'il n'entendait rien, passait son impatience sur les gardes en resserrant inexorablement son étreinte au fil des secondes. Lorsque l'un des gardes parut sur le point de vaciller, Krel'Ka qui jetait des regards dans leur direction, pris congé du vieux garde avec un sourire avant de se précipiter vers Kurgoth, sourcils froncés.
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C'est bon, lâche-les! Le vieux Granok est un ami, tu peux passer. On est à Omyre ici, pas au fond des bois. Laisse-moi gérer la prochaine fois."
Le barbare relâcha son emprise et voulu hausser les épaules, mais l'officier avait déjà fait volte-face et avançait à grands pas en direction du palais. Laissant derrière lui les gardes à genoux en train de tousser, il s'élança à sa suite, un peu penaud.
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