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Mon état s'empire chaque jour. Au départ ce n'était que des picotements, des rougeurs, une douleur lancinante avec des moments plus supportables que d'autres. J'avais pourtant nettoyé les plaies et fait un bandage correct. Il y a ensuite eu la fièvre, légère au départ mais maintenant je dégouline de sueur, je tremble et ma vision est trouble. La douleur à mon bras a disparue, d'ailleurs toute sensation a disparue, je ne peux même plus le bouger. Il est toujours rouge, gonflé et j'ai beau nettoyer les lacérations, du pue jaunâtre et fétide apparaît toujours. Mes jambes tremblent, elles ont du mal à me porter. Je n'arrive plus à suivre le reste de groupe et même là, sur le point de m'écrouler, je suis trop fier pour admettre que je suis à bout de force. Seul William reste à côté de moi en m'observant d'un regard inquiet.
Pour ne rien arranger, me voilà sujet à une hallucination. Une étrange sphère s'approche de moi. J'aimerais la chasser d'un mouvement de main mais je suis incapable de lever le bras. Elle se pose sur mon épaule avant de se dissiper pour libérer une voix, d'abord lointaine, elle se présente sous le nom de la conseillère Shimi. C'est un message d'Oranan, du conseiller Gale pour être plus précis. La voix devient ensuite plus nette, plus forte, résonne désagréablement dans mon crâne douloureux. C'est un avertissement, le groupe Tonnerre d'Omyre serait à notre poursuite. Si j'ignore de qui il parle il ne tarde pas à préciser qu'il s'agit de dangereux fulguromanciens et psychomanciens. Il ne manquait plus que ça, le voyage s'était montré suffisamment difficile, pas besoin d'un groupe de mage d'Omyre sur le dos. La voix me rappelle la difficulté de ma tâche, protéger le forgeron. Je lève mon regard trouble vers Kazuto quelques mètres devant moi. Une mission qui n'est pas de tout repos et qui, si mon état continue de s'aggraver, va me mener tout droit dans une tombe. Avant de nous demander d'être prudent, le message annonce que par mesure de sécurité la date limite pour la fin du concours est repoussée d'un mois. Une courte rallonge mais qui pourrait suffire à rentrer à temps.
La voix disparaît comme elle est apparue. Je pousse un râle en essayant d'appeler Kazuto, ma vision se voile et mes jambes se dérobent. Je m'écroule, m'étale dans les hautes herbes des plaines, à bout de force. Mes yeux se ferment. Je perçois encore les bruits de pas rapide après le cri d'alerte de William, les voix paniqués, les jurons du forgeron, les mains qui se posent sur moi pour me secouer. Puis plus rien, l'inconscience.
Je reprends conscience allongé dans un lit aux draps de lin. D'autres, semblables, sont disposés dans la pièce, tous inoccupés. Je suis seul dans la grande salle qui, à part les lits, les tables de chevets et une petite cantine de bois noir à leurs pieds n'est meublé de rien d'autre. De grandes fenêtres éclairent l'endroit et la baignent d'une lumière du jour claire et apaisante. Vu la luminosité, je dirais que c'est le début d'après-midi et qu'il fait très beau sans faire trop chaud. Je remarque alors que ma fièvre est passée, je me sens mieux, presque bien. Une odeur particulière atteint mes narines et vient troubler ce bref moment de bien-être. Je baisse les yeux vers mon bras gauche et le saisit doucement de ma main droite, comme par reflex, pour m'assurer qu'il soit encore là. Un léger pic d'angoisse vite éclipsé par la sensation de toucher. Mon bras est toujours présent, enroulé dans un bandage propre qui produit cette étrange odeur. Une douleur est toujours présente mais elle est bien plus supportable que dans mon souvenir. En fait elle est à peine dérangeante, elle ne me cause qu'un léger gêne quand je commence à articuler mon bras pour m'assurer qu'il est toujours fonctionnel. Je repousse ensuite mes couvertures, dévoilant la tenue de lin blanc qui m'habille. Doucement, sans me précipiter, je m'assois sur le lit et laisse mes jambes engourdies pendouiller dans le vide le temps pour elles de m'assurer qu'elles fonctionnent pleinement. Je passe de longues minutes ainsi, à mouvoir chaque phalange de chaque doigt de pied avant tourner les chevilles et plier et déplier les genoux.
Enfin, je tente de me lever et dépose doucement mes pieds nus sur le plancher de bois. De ma main droite je m'assure une prise solide au lit pour éviter de tomber. Heureusement, c'est plus facile que je ne l'imaginais. Sans me lâcher, je lève légèrement une jambe et puis l'autre pour marcher sur place, terminant de réveiller mes jambes reposées. Je me diriger alors vers la fenêtre la plus proche, d'un pas calme, toujours en m'assurant d'une prise pour me rattraper en cas de chute. Par la fenêtre je distingue l’endroit où je me trouve. Une ville dont le seul bâtiment imposant est à priori celui où je me trouve. Je dispose d’une vue de haut sur une cité bordant les rives d’un fleuve et d’une forêt qui s’étend à perte de vue. Des maisons en colombages forment une ville traversées de chemins en terre battue à l’exception de celles juste en dessous de moi faites de pierres. D’ici, proche du fleuve, je peux voir quelque chose qui ressemble à un port. J’interromps ma contemplation quand un rire derrière moi me fait sursauter.
"On admire la vue ? Tu aurais au moins pu mettre un pantalon."
Je reconnais la voix du forgeron et son commentaire me fait remarquer un courant d'air qui me caresse le derrière. Ma tenue de lin est une robe de chambre ouverte à l'arrière ou plutôt mal fermée par les ficelles qui servent d'attache, laissant mon dos et mes fesses à l'air libre. Je souris, plusieurs minutes à observer mes jambes et trop obsédé par leur fonctionnement pour remarquer que je suis à moitié à poil. Le forgeron n'est pas seul, il est accompagné d'un autre homme, grand, au nez aquilin, cheveux bruns, beau garçon qui semble s'amuser de la situation. Il y a également une jeune femme, mignonne, des cheveux longs, châtain, coiffée en queue de cheval. Gênée, elle détourne le regard alors que le rose lui monte aux joues.
"Content de te voir sur pied."
Ajoute-il, sincère. J'incline la tête alors que le beau garçon prend la parole pendant que la jeune femme, elle, porte du linge propre jusqu'à mon lit pour le changer.
"Vous avez eu de la chance que l'infirmerie du fort est encore en fonction. Mon frère m'a raconté ce que vous avez fait, j'ai immédiatement demandé à un ami de venir. Il a fait ce qu'il a pu avec vos blessures mais vous allez en garder de belles cicatrices."
J'incline la tête à nouveau.
"Je vous remercie. Sans vous je serais sans doute..."
"Mort. Oui. Sans aucun doute." Finit-il à ma place.
"Reposez-vous encore un peu avant de partir. Nous vous prêterons des chevaux pour rentrer à Oranan."
"Oranan ?"
Demandais-je surpris en regardant le forgeron. L'air à la fois navré et déçu il me répond que je suis alité depuis plus d'une semaine et que nous n'avons plus aucune chance de rentrer à Oranan à temps avec le minerai.
"Ce n'est pas grave ne t'en fait pas pour ça."
J'ai probablement l'air coupable. Coupable de m'être mit dans cette état qui m'a empêché de l'accompagner plus loin. J'ai manqué de prudence, de force, de patience.
"Je..."
Je suis sur le point de m'excuser quand le souvenir de la sphère d'air flottante me revient à l'esprit. Nous avons encore du temps.
"Non. Attends... J'ai reçu un message du conseiller Gale avant de m'effondrer. Il reste assez de temps pour y arriver."
Je souris alors que Kazuto m'observe en haussant un sourcil, un sourire sur le point de dresser sa moustache.