Rues et Habitations

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Yuimen
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Rues et Habitations

Message par Yuimen » ven. 29 déc. 2017 13:02

La ville de Pont-d'Orian
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Bien placée sur la rivière Orian, qui permet de rejoindre l'un des fleuves des montagnes jusqu'à la mer, Pont-d'Orian est une petite ville calme et relativement aisée. Les cultures de blé sont en général très bonnes, le climat étant clément et l'irrigation généralisée.

De plus, les marchandises peuvent partir aussi bien par route que par barge, ce qui limite beaucoup les attaques de brigands, relativement rares de toute façon. Ainsi, le commerce a su se développer et Pont-d'Orian accueille nombre de marchands bourgeois qui font fleurir l'économie.

Aujourd'hui cependant, la hausse des impôts imposée pour financer l'armement de Valorian a réduit la profitabilité des marchands, certains ayant tout simplement décidé de quitter les terres pour rentrer sur Kendra Kâr.

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Haple Mitrium
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Re: Rues et Habitations

Message par Haple Mitrium » sam. 24 août 2024 23:01

Sur le Pont, Pont d'Orian - Espionnons, espionnons

- Haple, ne remet pas ça !

L’adolescente se réveilla en sursaut. Elle avait sombré dans une transe profonde – la fatigue résiduelle d’une mauvaise nuit probablement, et l’ennui – jusqu’à ce qu’un soubresaut ne saisisse la charrette et ne la ramène au présent.

- …ai rien fait… protesta faiblement Haple.
- Ce n’est pas la petite, confirma la géomancienne aguerrie. Mieux vaut ramener les chevaux au pas : nous approchons de Pont d’Orian. La route y est mal entretenue depuis l’arrivée au pouvoir de la nouvelle famille ducale.

Haple songea que ce n’était pas que la route qui avait connu de meilleurs jours. Elle se frotta les yeux pour mieux observer les alentours. Des commerces parsemaient la route mais ils étaient aussi fermés que le visage de ces paysans et gens d’armes qui semblaient se diriger sans espoir vers un avenir peu reluisant.

Plus loin devant elles, se dessinaient les contours d’une ville de plusieurs milliers d’âmes située au croisement de routes qui rejoignaient les quatre points cardinaux et d’un fleuve qui contournait un immense piton rocheux la surplombant. Autant de voies de navigation qui avaient dû favoriser l’essor de la ville et en faire un véritable carrefour commercial.

(Pont d’Orian !)

Haple était électrisée par cette vue. Elle n’avait jamais été aussi loin de son Anorfain natal et elle, que ses parents laissaient seule en province lors de leurs visites protocolaires à Cuilnen, n’avait jamais connu de ville si grande. De fait, plus l’expédition se rapprochait et plus les signes de déprise disparaissaient. Dans la ville même, Haple découvrit des maisons aux toitures entretenues et aux façades propres, en torchis blanc cru et colombages vernis.

Mais c’est aux abords du fleuve que les marques d’une bourgeoisie commerçante étaient les plus visibles. Des boutiques raffinées, forges rutilantes et habitations cossues se serraient les unes contre les autres le long du fleuve qui remontait jusqu’au centre névralgique de la ville : le château du Val d’Orian et le pont fortifié qu’il gardait.

A la déception de la ménestrelle, Hermance arrêta leur véhicule avant qu’elles ne parviennent à l’imposant édifice de pierre. Il semblait qu’elles ne dormiraient pas parmi les notables de Valorian cette nuit… Cela étant, Haple se fit rapidement une raison lorsque Hermance leur indiqua une maison d’hôte dans laquelle une chambre les attendait chacune.

- Tout le monde descend ! Nous sommes arrivées à destination.

Haple sauta gaiement à bas de la charrette. Elle ne s’imaginait pas que leurs chambres seraient palatiales mais la simple perspective de nettoyer sa peau de la poussière soulevée par les chevaux pendant le voyage et de s’allonger dans un lit propre… (Hmmm) Cela lui paraissait le summum du luxe.

- Halte là, jeune ingénue ! l’interpella la cheffe de mission.

L’elfe sentit ses épaules s’affaisser sous le poids de la désillusion.

- Les chevaux d’abord ; les humains et les elfes ensuite… oui, oui…

***

Forte de son expérience de la veille, la jeune collecteuse plia l’affaire en une dizaine de minutes. Le joug avant le timon… elle avait retenu la leçon. Une fois leur harnais défait, leur poil brossé et leur soif étanchée, Haple laissa les chevaux gueule baissée dans leur mangeoire et récupéra son sac de voyage resté à l’arrière de la charrette.

Au moment où elle ressortait sur la rue un sourire aux lèvres à l’idée du confort qui l’attendait, la porte de leur maison d’hôte s’ouvrit. D’instinct, la ménestrelle recula dans l’ombre du box à chevaux et observa la Sœur Nétone sortir. Celle-ci était seule et prit soin de refermer silencieusement la porte derrière elle avant de remonter la rue en direction du château. Allait-elle rencontrer quelqu’un ? Un contact en lien avec leurs plans ? Une seule manière d’en avoir le cœur net : Haple décida de la suivre.

La journée de travail n’était pas tout à fait terminée pour les artisans et commerçants du Pont d’Orian. Tant et si bien que les passants y étaient encore nombreux et que Haple perdit de vue sa cible à plusieurs reprises avant d’en retrouver la trace au détour d’un croisement. Elle ne semblait pas se diriger vers le château tout compte fait mais s’enfonçait dans un centre-ville toujours plus dense. Ce fut presque par miracle qu’elle remarqua le bout de sa cape de velours brune virevolter dans l’embrasure d’une porte avant que celle-ci ne se referme derrière elle dans un tintement de cloche.

Haple fit une pause pour réfléchir. Elle ne pouvait pas l’y suivre sans se faire repérer… En se rapprochant, elle remarqua que la boutique était dotée d’une splendide vitrine aux gravures élaborées… une vitrine à travers elle pouvait discrètement observer la Sœur Nétone en train de parler avec un homme un peu plus vieux qu’elle, humain, élégamment vêtu mais affublé de verres de vision particulièrement épais qui lui donnaient un drôle d’air.

L’espace d’un instant, elle craignit qu’il ne l’ait remarquée par-dessus l’épaule de son interlocutrice. L’homme marqua une pause et, sans attendre de découvrir s’il allait révéler sa présence à la géomancienne, Haple se plaqua contre le mur de la boutique voisine. Une librairie… Pour la première fois de sa vie, l’elfe enfouit sa tête dans un livre – le premier qu’elle trouva sur un présentoir de rue.

- Psssst

Haple baissa le livre et parcouru la rue à la recherche de la source du bruit.

- Pssssssst, l'appela de nouveau un bonhomme addossé au coin d'une ruelle ombragée.

L'espionne incognito lui intima de se taire d'un geste péremptoire de la main et se réfugia ostentatoirement derrière la couverture de "Vignes, vaches et vacanciers : une économie des Duchés". Il ne lui restait plus qu’à attendre que l’autre sorte. Ce qui arriva peu après. Sa visite au boutiquier n’avait pas duré longtemps. Guère plus que le temps de recevoir un message, d’échanger un secret important…ou tout simplement d’acheter une bricole. (A voir)

Plutôt que de continuer sa filature, Haple décida de laisser partir l’objet de sa suspicion, laquelle retournait de toute manière en direction de leur gîte, et rentra dans la boutique une fois que la voie fut libre.
Modifié en dernier par Haple Mitrium le mer. 18 sept. 2024 19:40, modifié 1 fois.

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Haple Mitrium
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Re: Rues et Habitations

Message par Haple Mitrium » mar. 27 août 2024 18:43

Potions et Poisons


L’esprit encore échaudé par sa mésaventure avec l’apothicaire, Haple traversa la chaussée à grande enjambée, manquant de bousculer un couple amoureux qui remontait allègrement la grand-rue bras dessus, bras dessous. (Au diable les gens heureux !) De mauvais poil, elle s’arrêta sur le trottoir d’en face et rangea ses achats dans son sac de voyage sans y mettre les précautions d’usage.

- Pssst…

Haple tourna un regard irrité en direction du bruit désormais familier.

- Alors, petite, on n’est pas satisfaite de ce que le méchant apothicaire nous a vendu ? provoqua le bonhomme drapé dans l’ombre de la ruelle voisine.
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde, répondit l’adolescente courroucé au quart de tour.
- Bien sûr, bien sûr… alors, je vous laisse à vos potions et je retourne aux miennes.

La tournure de phrase était intrigante. Haple ne put s’empêcher de glisser un coup d’œil vers le manteau de l’étranger. Celui-ci l’avait entrouvert comme pour lui montrer quelque chose. Là, accrochés à des anneaux de cuir à peine discernables dans la pénombre, des dizaines de tubes en verre réfléchissaient en un noir éclat la lumière déclinante du soir. Il y en avait des dizaines. Le bonhomme devait être un vendeur. Et vu son lieu de commerce, probablement pas l’un des plus scrupuleux. Haple suspendit son courroux un instant pour déterminer si elle pouvait tirer parti de ce nouveau venu.

- Attendez… sont-elles à vendre ?
- Tout et tout le monde est à vendre, ma petite.

Haple n’avait qu’une envie : laisser sur le carreau cet imbécile qui s’obstinait à l’appeler “ma petite”. Mais elle se raisonna et poursuivi :

- Je cherche des potions spéciales... Des potions qu’on ne trouve pas forcément dans les boutiques qui ont pignon sur rue…

Haple ne pouvait pas lire la réaction de l’homme sur son visage caché dans les ombres. Le silence qui répondit à son annonce l’informa qu’elle avait fait mouche. En bien ou en mal, elle ne le savait pas encore. Alors, elle décida de montrer ses cartes et sortit une nouvelle fois son sachet d’ortie Vêlevite pour le présenter à son interlocuteur :

- Des potions produites à partir de ce genre d’herbes, par exemple.
- Hum, des « potions » comme celles-ci je n’en transporte pas sur moi, répondit l’autre d’une voix basse et tendue dont toute condescendance avait disparu. Par contre, il se peut que je sache où en trouver.
- Où ?
- Suivez-moi… l’invita-t-il en se retirant dans la ruelle.

Après une seconde d’incertitude, Haple fourra le sachet d’herbe dans une poche et lui emboita le pas. Ce n’était pas l’option la plus prudente, mais le cas échéant elle savait se défendre. Son hésitation venait surtout du fait que son absence prolongée finirait par paraître suspecte à ses compagnes de voyage si elles s’en apercevaient. Heureusement, après avoir longé les murs de quelques ruelles inhabitées, son guide s’arrêta devant une trappe ouverte à même le sol. Elle avait dû servir à approvisionner ce qui semblait être un commerce abandonné…

- Par ici, lui indiqua le vendeur ambulant en soulevant le pan de bois vermoulu.
- Passez devant, rétorqua sagement l’adolescente.

Avec un rictus amusé, l’homme obtempéra et descendit la pente douce d’une rampe qui s’enfonçait dans une ombre impénétrable. Afin de ne pas le perdre de vue, Haple le succéda sans attendre.

- Fermez la trappe derrière vous, lui ordonna machinalement la voix désormais familière.
- Allumez d’abord une torche ! s’exclama l’adolescente, ne souhaitant pas se retrouver seule dans l’ombre avec cet homme dont elle ne savait rien si ce n’est qu’il trempait dans un louche commerce.
- Pas tant que la lumière serait perceptible de l’extérieur, lui expliqua pragmatiquement celui-ci, et parlez moins fort.

Haple prit sur elle et referma l’issue en observant disparaître la ruelle derrière elle. Par précaution, elle posa tout de même une main sur son tambour de mendiant et se connecta à ses fluides. Mais, alors qu’elle restait immobile à guetter les bruits de pas qui résonnaient contre les murs et dans ses oreilles nerveuses, une lumière s’alluma à quelques mètres.

Ce fut d’abord l’homme au centre du halo qui attira son attention. L’éclat de la torche le forçait à plisser les yeux et ses pupilles à se rétracter au profit d’iris bleu acier. Des ombres projetées dessinaient ses pommettes hautes et son menton cisaillé, l’identifiant comme un montagnard pur souche. A ceci près qu’il n’en avait ni la stature ni la corpulence : plutôt maigre et guère plus haut que l’adolescente Hinïonne, il ne pratiquait de toute évidence pas beaucoup d’activité physique. En cela, son apparence collait parfaitement avec les lieux.

Alors que l’humain se déplaçait aux quatre coins de la salle pour allumer un à un des flambeaux accrochés aux murs, Haple découvrit qu’elle avait pénétré dans un laboratoire improvisé. Ici, un vieil alambic connectait un brasero à un récipient vide. Là, une table couverte de tâches sombres et de brulures accueillait pêle-mêle bocaux épars, mortiers fissurés et grimoires poussiéreux. L’antre du discret apothicaire n’avait pour ainsi dire rien en commun avec celui qu’elle avait visité quelques minutes auparavant.

- Bien, l’interrompit le propriétaire des lieux avant de l’inviter à le rejoindre devant un coffre en bois. J’ai quelques options qui pourraient vous intéresser.

Haple se rapprocha à la fois curieuse et dubitative. En soulevant le toit du coffre, l’apothicaire révéla une dizaine de flacons rangés méticuleusement et protégés dans du papier de soie. Le contraste avec le reste de la pièce était saisissant et Haple en déduisit la valeur de ces marchandises. Comme pour confirmer son analyse, l’apothicaire sortit l’un deux et en fit délicatement tournoyer le liquide incarnat devant ses yeux amourachés.

- Papillon de sang et nays : pour les ennemis… expliqua-t-il à l’attention de sa cliente.

Cependant, celle-ci secoua la tête, mal à l’aise. Non pas que les ingrédients aux noms explicites ne lui fissent froid dans le dos, mais le flacon n’était pas étiqueté et Haple ne put s’empêcher de suspecter le vendeur de mentir sur la composition du liquide. Si bien que lorsqu’il lui présenta ensuite un flacon au contenu bleu électrique en l’accompagnant de la précision « pour les ennemis aussi », la ménestrelle l’arrêta net.

- Pourquoi ces flacons ne portent-ils pas d’étiquette ? lui demanda-t-elle de but en blanc en espérant le prendre au dépourvu.

L’homme ferma la bouche et inclina la tête sur le côté en regardant l’elfe devant lui avec incrédulité.

- Pour la même raison que je n’indique pas le chemin de mon laboratoire avec un signe lumineux « Potions et poisons » accroché sur la grand-rue… Petite, les autorités ne voient pas d’un bon œil le commerce de marchandises telles que celles-ci. Bien que ça ne les empêche pas d’en utiliser pour régler leur différents… diplomatiquement, conclut-il en replaçant précautionneusement le poison bleu dans le coffre.

Haple entendit la vérité dans son propos. Néanmoins, elle resta fidèle à son premier instinct : ne pas faire confiance à un homme qui vit de secrets et de malice. Elle lui rappela donc le but de sa visite :

- Je comprends… et donc, pourriez-vous créer un poison avec l’ortie Vêlevite que j’ai sur moi ?
- Non, impossible, trancha sèchement l’apothicaire avant d’ajouter devant la mine déconfite de sa cliente : c’est juste que mon alambic est cassé.

Haple jeta un regard en arrière pour regarder l’objet incriminé tandis que l’autre poursuivait :

- Tant que je n’aurai pas vendu au moins un flacon, je ne pourrai pas financer la réparation…

Une idée germa dans l’esprit de la géomancienne en herbe.

- Faites-moi voir, lui demanda-t-elle en se dirigeant devant la structure cuivrée aux allures de vieille marmite.

L’apothicaire la suivit et attira son attention sur une jointure qui avait lâchée là où le bec de l’alambic rejoignait le ballon de chauffe. Haple sourit, confiante, et se tourna vers l’humain :

- Je vous propose un marché : je répare votre alambic et en échange vous me préparez gratuitement un distillat d’ortie Vêlevite.
- Vous n’y pensez pas ! Je ferai bientôt banqueroute si je travaille pro bono.

Haple songea intérieurement qu’il n’y avait rien de bono dans son œuvre et que, de toute façon, son affaire n’avait pas l’air de prospérer… mais elle se retînt, préférant avancer un argument plus constructif :

- Vous l’avez dit vous-même : la réparation de l’alambic vous couterait le prix d’au moins un flacon... Allons, c’est un échange équitable que je propose.

L’apothicaire réfléchit un instant puis céda à la ménestrelle d’un hochement de tête résigné.

- Et comment comptez-vous vous y prendre ? demanda-t-il circonspect.

Haple ne s’embarrassa pas de réponse et posa ses mains sur le métal froid pour l’interroger. Que lui était-il arrivé ? Où la trame métallique avait-elle été rompue ? (Là). Sous ses doigts, elle détecta un renfoncement qui précédait la faille indiquée par son propriétaire. (Un choc à chaud…) La surface métallique rendue malléable par la chaleur avait dû se déformer à l’occasion d’un coup avant que l’alambic n’ait eu le temps de refroidir. C’était bienheureux pour l’aspirante empoisonneuse car si un morceau de matière avait été détaché du tout, elle n’aurait rien pu faire. Remanier la matrice minérale, remodeler une forme métallique… oui. Mais pas créer de la matière.

Alors, confiante, la géomancienne caressa la bosse métallique sous ses doigts, invitant les atomes de cuivre à reprendre leur place, un à un, entrainés dans une danse paisible par les grains de sa peau d’albâtre. La procédure se montra efficace : au bout de quelques minutes seulement, une membrane diaphane recouvrait la fissure, et bientôt le matériau y retrouva sa consistance d’antan.

Haple se recula pour mieux observer le résultat. Un murmure appréciatif derrière elle l’informa que l’apothicaire partageait sa satisfaction : le trou était réparé. (Mais… peut mieux faire)

- Un instant, lâcha-t-elle distraitement en plaçant cette fois ses paumes à plat sur l’instrument d’alchimie cabossé.

Sans y avoir été invitée, la religieuse en parcouru la circonférence à geste très lents. Comme dans un exercice de médiation par le mouvement. Elle laissait derrière ses mains un métal rajeuni, rutilant, sur lequel aucune rayure ni bosse ne diminuait plus les reflets cuivrés que la lumière des flambeaux en tirait. Lorsque, après une spirale ascendante, elle parvint au bec, Haple joignit ses mains autour du cylindre et entrecroisa ses doigts pour mieux imposer une pression uniforme, descendant le long son axe avec un geste presque sensuel. Lorsqu’elle en eu enfin fini, une perle de sueur tomba de ses sourcils dans le récipient au-dessus duquel le bec déverserait bientôt le précieux liquide qui avait motivé son effort magique.

- Pas mal ! Ça lui donné un coup de jeune. La chaleur en sera d’autant mieux répartie, analysa le spécialiste avant de s’esclaffer : Je crois même qu’il n’aura jamais aussi bien fonctionné !

Haple, ne souhaitant pas perdre de temps, lui tendit son sac d’ortie l’air de dire (A ton tour maintenant). Un sourire au lèvre, l’apothicaire s’en saisit en lui promettant un bon rendement et versa les feuilles séchées dans le ballon. Ensuite, l’homme se dirigea vers un bassin en pierre accolé à un mur et en ramena une pleine louche d’eau claire pour approvisionner l’alambic. L’instant suivant, il allumait le brasero sous le ballon au moyen d’une longue allumette en bois. De toute évidence, ce n’était pas la première fois qu’il effectuait cette routine.

- Combien de temps ça va prendre, demanda Haple en songeant que son absence prolongée du gîte allait commencer à paraître suspecte…
- Pas longtemps, lui répondit l’apothicaire en s’asseyant sur un tabouret bancal et en invitant l’adolescente à faire de même. Si vous aviez voulu combiner l’ortie avec d’autres composés, ç’aurait été une autre histoire, mais là… ça ne prendra guère plus de temps que si on prenait le thé.

Et en effet, au bout de quelques minutes, l’eau se mit à frémir et peu après le bec pleurait les premières gouttes d’essence d’ortie. Sans pour autant perdre des yeux le précieux goutte à goutte, Haple rompit finalement le silence :

- Ça fait longtemps que vous êtes installé dans cette cave ?
- Un peu moins d’un an, lui répondit l’intéressé d’un ton léger, lui aussi contemplant l’œuvre au noir. Avec l’arrivée des Magide sur le siège ducal, mes talents sont devenus plus recherchés à Pont d’Orian. Et comme les commerçants quittaient le bourg les uns après les autres, je n’ai pas eu grand mal à trouver où m’installer à l’abri des regards.

Haple se remémora les ruelles par lesquelles il les avait conduits à son laboratoire. En effet, les boutiques qu’ils avaient passées – laveries, quincailleries ou encore une auberge – semblaient avoir mis la clé sous la porte.

L’humain se leva pour aller chercher deux flacons de petite taille et repris :

- Dans un premier temps, je préparais surtout des remèdes contre les maladies vénériennes et la gueule de bois. Parce qu’ils font la fête là-haut au château depuis que ce cher Eustache a pris les rênes de la cour.

(Eustache ?) Le nom lui disait quelque chose.

- Puis, on m’a commandé des antidotes contre différents poisons. Et pas des plus gentils. Alors je me suis dit qu’il y avait un marché… pour les deux.

L’apothicaire revint. Son visage n’exprimait ni malice, ni remord. Un pragmatisme marchand, tout simplement. Ce qui lui gagna la sympathie de l’elfe qui l’observa respectueusement éteindre la flamme sous le ballon au moyen d’une soucoupe en pierre. Et tout deux attendirent en silence que la dernière goutte ne s’extirpe du long bec cuivré et ne tombe dans le récipient sous-jacent.

Alors, l’humain s’empara d’un minuscule entonnoir qu’il positionna sur le premier flacon. Avec une précaution qui en disait long sur la dangerosité du produit, il versa d’un geste souple l’équivalent d’un encrier dans le récipient final, puis répéta la procédure avec le second flacon. Enfin, il chauffa sur les braises encore chaudes du braséro une barre de cire de couleur sang de bœuf et scella les précieux flacons hermétiquement. Là. Aucune goutte ne s’en échapperait malencontreusement.
Lorsqu’il les lui tendit, Haple réalisa qu’elle tremblait d’excitation. D’appréhension aussi… Elle examina le liquide en transparence à la lumière d’un flambeau mural s’attendant à découvrir un liquide d’un vert émeraude. Sa déception fut à la hauteur de son emballement : on aurait dit de l’eau. Parfaitement transparente…

- Vous êtes sûr que…
- Sûr. Et je ne te conseille pas de le tester sur toi pour en avoir le cœur net.

Haple le crut. De toute manière, elle ne pouvait rien y faire s’il lui mentait. Et sur cette pensée philosophe, l’adolescente rangea sa nouvelle arme contre les Sœurs Nétone et Nacota dans son sac avec une pensée pour le jour joyeux où elle les regarderait danser de douleur.

- Bon, il faut que j’y aille, annonça-t-elle en se dirigeant vers la trappe.
- Attendez, j’éteint les flambeaux.
- C’est que je suis pressée…
- On avait pas encore compris qu'elle était pressée… marmonna l’apothicaire en s’éloignant d’un pas vif.

En l’espace d’une minute, ils étaient de nouveau plongés dans le noir, Haple suivant les mouvements de l’humain au bruit de ses pas jusqu’à ce qu’elle entende :

- Vous savez où me trouvez si jamais vous changez d’avis pour mes autres marchandises.

(Oui, oui…) Et Haple sortit en courant dans le crépuscule pour rentrer avant la nuit tombée et ainsi éviter les questions gênantes de ses consoeurs.
Modifié en dernier par Haple Mitrium le ven. 20 sept. 2024 00:18, modifié 6 fois.

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Re: Rues et Habitations

Message par Haple Mitrium » mar. 27 août 2024 18:54

Des cris désarticulés tirèrent l’elfe blanche de son repos. (Qu’est-ce que…). On aurait dit que quelqu’un se débattait. Soudain ses cris furent étouffés. Avant de reprendre de plus belle. Haple envoya voler avec inquiétude la couverture qui la couvrait et se précipita à la fenêtre sur ses jambes encore engourdies par l’immobilité nocturne. Elle n’eut pas besoin d’ouvrir la fenêtre ; elle les vit immédiatement et les entendit hurler de nouveau au soleil levant :

- La belle puceeeelllleuh ! MFFFfffff-out d’ma trueeeeeeEEEELLLLE !!!

Le goujat avait beau tituber, il parvenait à échapper à l’emprise de son compagnon qui cherchait tant bien que mal à le bâillonner. De toute évidence, ce genre de scène était fréquent à Pont d’Orian car aucune lumière ne s’alluma derrière les fenêtres des maisons voisines. Attribuant leur comportement à une nuit trop arrosée, la ménestrelle retourna s’asseoir sur son lit en attendant que le tumulte ne cesse : ils descendaient la grand-rue, sans doute après une fête au château, et dépasseraient bientôt la maison d’hôte.

Ce fut donc avec un choc qu’elle entendit tambouriner à leur porte et appeler :

- PUCCELLLEUUS du Livre.… IVRE-hic !

L’ivrogne avait réussi une sortie et ciblé leur gîte par un malheureux tour du sort. Ou bien… ? ( « pucelles du Livre » ) Haple eut un mauvais pressentiment et bondit pour reprendre position à la fenêtre. De sa chambre au premier étage, elle pouvait voir en contrebas la silhouette de deux hommes qui s’étreignaient devant le perron. Alors la porte s’ouvrit et baigna les importuns dans la lumière jaune d’un chandelier aux flammes vacillantes. Quelle ne fut pas sa surprise !

D’abord, ce n’était pas un couple mais bien deux amis, l’un ivre et l’autre tentant de contenir son enthousiasme. De plus, elle les reconnût immédiatement : c’était le charmant courtisan et l’adolescent malingre, lequel de toute évidence ne connaissait pas encore ses limites. Et la personne qui les accueillit ne fut autre que… Sœur Nétone en nuisette. Haple se frotta les yeux : ce tableau était surréel.

La géomancienne s’approcha du trublion et le toisa du haut de son mètre cinquante, se plaçant juste sous ce menton imberbe dont devaient émaner des vapeurs d’alcools à saouler Kubi en personne. Alors, d’un seul regard, sans un mot, elle le réduisit au silence et le regarda se déconfire devant elle. (Respect)

Le courtisan prononça quelques mots. (D’excuse probablement) Et Nétone lui accorda finalement son attention. A l’étonnement de la spectatrice elfique, les deux hommes ne repartirent pas la queue entre les jambes mais au contraire tendirent chacun un parchemin scellé à la religieuse. (Intéressant…)

Les puissants oublient souvent de se sentir vulnérables… ou exposés. Ainsi, la géomancienne ne se donna pas la peine de rentrer se couvrir et ouvra séant les missives sans songer à préserver les apparences. Après tout… ce n’était qu’une nonne recevant la visite au point du jour de deux hommes richement habillés et clairement décadents… (Rien de suspect là-dedans…)

Avec un accès d’excitation, la ménestrelle réalisa que l’angle par lequel elle espionnait la scène (observait la scène…) lui permettait de voir le premier parchemin que Nétone déploya à la lumière du chandelier. Que c’était enrageant d’être cependant trop loin pour pouvoir déchiffrer les caractères qu’elle apercevait apparaître et disparaître parmi les ombres dansantes.

Alors un éclair de génie la frappa ! La potion d’aquilopie, bien sûr ! C’était pour ce genre d’occasions qu’elle l’avait achetée. Se précipitant à pas silencieux vers la chaise sur laquelle ses achats reposaient encore, elle saisit le flacon au contenu tombé du ciel et repris position en toute hâte. Sans quitter les protagonistes de cette étrange rencontre, Haple déboucha la bouteille et… (Attends…) Avant d’en verser le contenu dans sa gorge, l’adolescente au réveil vérifia l’étiquette pour dissiper le doute qui l’avait saisi… (Non, c’est bon !) Et elle bascula la tête en arrière pour la boire cul sec.

Une sensation comme elle n’en avait jamais connu la saisit. Un vertige qui faillit lui arracher un cri de surprise la plongea en avant et ce fut avec le plus grand étonnement qu’elle ne sentit, ni n’entendit son corps percuter la fenêtre et s’écraser au sol dans un millier d’éclats de verre. Quelques secondes nauséeuses plus tard, Haple reprit ses repères et se concentra sur ce qu’elle voyait, repoussant à plus tard l’analyse du miracle pharmabiologique par lequel elle était en mesure de lire des pattes de mouches à dix mètres sans que ses pieds n’aient bougé d’un pouce.

La lectrice avait déjà replié la première partie de la lettre si bien que Haple ne put lire que la suite. Dans une encre turquoise et une calligraphie soignée, l’auteur, ou l’autrice comme le soupçonna rapidement Haple, de la missive apportée par l’adolescent concluait en ces termes :

… votre sœur. Je vous accueillerai avec grand plaisir au manoir et vous envoie, porteur de la présente, mon frère pour vous y conduire et avec qui j’espère vous aurez l’opportunité de faire connaissance en cours de route.
En espérant qu’il se montrera à la hauteur de vos attentes.
Votre obligée,
Oryanne Désirelle


Haple ne parvenait pas à y croire. Cette raclure de jeune premier dévergondé… le frère de la vicomtesse ? L’élu ?! Elle avait beau ne pas accorder le moindre crédit aux superstitions criminelles des deux magiciennes, il fallait admettre que l’idée faisait sourire. Honnêtement, l’existence de cet imbécile était déjà une offense à la nature humaine, alors s’il était doublé d’une erreur de casting sacrilège envers Zewen… ! Haple voulut le réexaminer pour confirmer son diagnostic péjoratif mais s’abstint dès qu’elle sentit son cœur prêt à se déverser sur la fenêtre translucide au moindre mouvement de tête. La vision lointaine avait ses désavantages…

Et heureusement, car le geste suivant de la Sœur Nétone aurait pu sortir de son champ de vision : elle déplia le second parchemin :

J’adresse cette lette au chambellan en espérant qu’elle te parvienne à temps. Notre illustre amie m’a répondu : son frère doit te retrouver à l’est du pont avant que tu n’en repartes. Ce sera l’occasion de le guider de ta lumière en espérant qu’il ne s’égare pas en chemin. Garde à l’esprit si tu as le moindre doute sur l’issue de son voyage, que notre amie préfèrerait le voir rentrer bredouille que d’apprendre sa disparition.

Je te quitte avec mon entière confiance et te rappelle que la terre sera toujours sous tes pieds le cas échéant.

La main qui avait écrit ses mots cryptiques à l’encre violette, bien qu’anonyme, ne laissait pas de doute sur sa propriétaire. (Nacota) Elle savait déjà qui cette « illustre amie » faisait allusion et déchiffra instinctivement le lieu de rendez-vous codé : « l’est du pont » (le pont d’Orient … ou autrement : Pont d’Orian). La suite la laissait plus perplexe et Nétone aussi demeura pensive car elle prit le temps de le relire à plusieurs reprises.

Le lexique du « voyage » et du « chemin » était probablement à prendre littéralement comme la route jusqu’à Haenian mais les dangers de perdition qui menaçaient l’adolescent évoquait quelque chose de plus sombre… (le protocole). Cette expérience mystérieuse dont Pulchinel lui avait dit que nombre d’enfants étaient sortis brûlés, noyés, écrasés… morts en tous cas.

Assurément, la vicomtesse ne souhaitait pas cela pour son frère aussi rustre soit-il… d’où l’injonction de Nacota de faire marche arrière au besoin s’il ne suffisait pas de (… le « guider de ta lumière »). Cette lumière pouvait simplement faire référence à un savoir, une sagesse quelconque à impartir au jeune humain mais peut-être aussi… elle l’avait sur le bout de la langue.

La vérité cherchait encore à émerger de son esprit déductif lorsque, soudain, elle s’imposa à son esprit par une fulgurante association d’idées. Ô épiphanie jouissive ! Les bribes d’informations glanées ces derniers mois comme autant de pages déchirées du Livre de Zewen s’assemblèrent sous son souffle divin : « l’Elu saura réunir les fluides », « guider de ta lumière », « ses fluides d’ombre », « 100 yus pour la fiole de fluide de lumière », « brûlés, noyés, écrasés »
(Non…)

Elles expérimentaient avec les fluides ! Les folles croyaient en l’existence d’un enfant qui pourrait contenir des fluides opposés ! Malgré ses connaissances fragmentaires sur la mythologie zewenite, elle savait que le père des dieux avait séparé les fluides deux par deux et que leur coexistence était fatale à la personne qui s’y essayait. Leurs recherches transgressaient les fondamentaux de leur communauté spirituelle et étaient voués à l’échec. Des échecs qui avaient coûté leur vie à de nombreux innocents ! Et demain peut-être serait-ce le tour de …

Haple fut soudainement interrompue dans ses pensées par un œil colossal qui apparut dans son champ de vision et la fit tomber à la renverse ! Le cœur battant et les fesses endolories, l’espionne ferma les yeux pour éviter de perdre ses esprits à la vue de la pièce qui tournait dans son cristallin magiquement augmenté. Elle ne pouvait cependant pas l’effacer de l’écran noir de ses paupières : cet œil, pur et bleu comme l’azur. Cet œil, qui la fixait posément et qui la reconnut comme la gueuse aux apparences trompeuses.


***



Haple avait le cœur qui battait la chamade. Elle avait été repérée ! Elle en était sûre… Les yeux fermés pour limiter le tournis que sa vision hypermétrope provoquait, l’indiscrète tendait son ouïe elfique à la recherche d’un signal d’alerte. Elle avait les nerfs à vifs. Elle était prête à bondir et à… rien. Elle ne pouvait rien faire tant que la potion d’aquilopie ferait effet.

Très vite, elle entendit la porte du bas se refermer. Suivi de bruits de pas. (Plus d’une personne). Nétone avait donc invité au moins l’un des messagers à entrer. Des voix lui parvinrent à travers le plancher vermoulu… Ils continuaient donc leurs échanges à l’abri des regards et oreilles indiscrètes. () Haple était partagée : elle était encore sous le choc mais d’un autre côté elle ne voulait pas manquer cette occasion d’obtenir des informations qui pourraient s’avérer rien de moins que vitales. (Et le courtisan m’aurait déjà dénoncé si c’avait été son intention)

Après de longues minutes d’hésitation, Haple finit par entrouvrir les yeux. Ses cils ! Elle n’avait jamais été aussi soulagée de voir le rideau de ses cils se lever en ouvrant les paupières et le plafond de sa chambre, harmonieusement proportionné et à distance respectable d’elle, ne lui avait pas paru, il y avait seulement quinze minutes de cela, si admirablement… normal. Haple soupira – sa vision était redevenue … normale.

Dans le même souffle, l’adolescente se releva en silence et se dirigea vers la porte de sa chambre. La main sur la poignée, elle marqua une pause, le temps de se remettre dans son personnage. (Bien, je suis prête). Elle ouvrit la porte et descendit les marches pieds nus, flottant dans sa nuisette comme un esprit nocturne et se frottant les yeux avec naturel.

- Qu’est-ce que… marmonna-t-elle à d’une voix où l’irritation semblait pointer derrière l’engourdissement résiduel du sommeil. J’ai entendu des cris.

La géomancienne rangea subrepticement les parchemins dans une poche de la robe de chambre qu’elle avait enfilée entretemps, passa devant le courtisan adossé contre un mur observant curieusement l’elfe et se dirigea finalement vers l’adolescent attablé. Celui-ci, affalé sur la table, peina à redresser la tête pour accepter le gobelet que lui tendit la religieuse. (Non !)

Elle allait lui faire boire le fluide de lumière qu’elle avait dû acheter chez l’apothicaire (Non !!!) Ses fluides obscurs allaient le rejeter : l’imbécile allait y rester ! Comment le courtisan pouvait-il rester spectateur alors que son ami allait à sa perte ? Si elle n’intervenait pas, personne ne le ferait… mais en même temps, elle se démasquerait et s’exposerait elle-même à un grand danger. L’indécision la rongeait. C’était une torture !

()

(……)

Elle n’interviendrait pas. La certitude la gagna soudain, irrévocable : elle laisserait mourir cet adolescent exécrable pour se préserver. Autrement, ils y passeraient tous les deux. Apaisée d’avoir pris cette décision en dépit de son cynisme, elle se réconforta à l’idée qu’en survivant elle pourrait le venger, lui et tous les autres. Qu’elle volerait ces parchemins incriminants, qu’elle raconterait ce qu’elle avait vu et que…

L’adolescent renversa le contenu du gobelet dans sa bouche et se leva brutalement. Sa chaise tomba à la renverse et l’adolescent, comme un navire dans la tempête, fit une embardée brutale qui contrastait avec sa léthargie d’avant. Alors, il tituba maladroitement en direction de son ami (le traître…), une main tendue en avant tandis que, de l’autre, il se couvrait la bouche comme pour retenir le grondement tonitruant qui provenait de ses entrailles suppliciées.

Un air de panique sur le visage, le courtisan saisit prestement l’adolescent sous le bras et le conduisit à toute vitesse vers la porte d’entrée qu’il ouvrit à la volée au moment où… l’autre vomit ses tripes sur le perron ! Une première giclée aussi abondante que bruyante suivie d’une seconde plus modeste mais accompagnée d’une odeur âcre et nauséabonde.

- Plus que puissant ce vomitif ! Vous n’aviez pas exagéré, Sœur Nétone…
- Il faut ce qu’il faut.
- Làaaa, làaa… entonna le courtisan d’une voix grave pour rassurer l’outre à vin sous son bras. Ça va aller, l’ami…

Après une seconde d’incompréhension, bouche bée, Haple réévalua la situation : Elle avait fait erreur. L’émotion avait eu raison de son intelligence. Evidemment que la géomancienne n’allait pas faire son expérience criminelle devant elle : (« Pas d’interférence »). Et le courtisan n’était en toute logique pas un complice sinon il aurait déjà révélé à l’humaine que la petite fouineuse les avait espionnés de la fenêtre de sa chambre un instant plus tôt.

Toutes ces informations, toutes ces émotions et… cette odeur !... C’en était trop :

- Je remonte dans ma chambre.

La géomancienne ne montra aucun intérêt à cette annonce. Le courtisan en revanche manqua de laisser son fardeau se débrouiller avec ses montées biliaires pour la retenir et lui parler. Il s’en abstint cependant et l’accompagna dans sa montée des marches d’un regard inquisiteur.
Modifié en dernier par Haple Mitrium le mer. 18 sept. 2024 12:01, modifié 1 fois.

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Re: Rues et Habitations

Message par Haple Mitrium » mer. 18 sept. 2024 11:59

Deux heures plus tard, lorsque le soleil avait non seulement franchi la ligne d’horizon mais aussi les toits de la grand-rue, Haple rassembla ses affaires et s’habilla pour la nouvelle journée de voyage qui les attendait. Elle avait épousseté ses vêtements mais ceux-ci portaient toujours les marques des combats et accidents qu’ils avaient endurés ainsi que cette odeur aigre dont son corps en irrévocable mutation semblait vouloir imprégner tous les tissus qui entrait en son contact.

Au rez-de-chaussée, elle retrouva les autres occupants de la maison déjà attablés, pour beaucoup inconnus. Certains conversaient à voix basse, d’autres remuaient distraitement le contenu de leur écuelle ou contemplaient rêveusement les volutes de fumée s’étirer au-dessus de leur tasse. Ses compagnes de voyage, ainsi que les deux humains de la veille, étaient là eux aussi. Elle les rejoignit et Hermance l’accueillit parmi eux avec énergie :

- Alors comme ça y a eut du grabuge cette nuit !
- CHHhhhuuut… protesta l’épave prophétique. Moins fort.
- Va falloir vous reprendre, Grégoire. On a une longue route devant nous aujourd’hui. D’ailleurs, le plus tôt on l’entamera, le mieux ce sera. Haple, prends ce que tu veux à déjeuner mais rapidement… et rejoins-nous dehors. Avec notre invité… ajouta-t-elle avec un sourire amusé que la Sœur Nétone réprima d’un regard foudroyant.

Haple se demanda l’adjectif que la jeune femme avait retenu… (« notre invité » … de marque, à la fraîche mine…) Oui, quelque chose comme ça, assurément. L’adolescente se surprit à s’amuser de l’état pitoyable de son voisin de table tandis qu’elle attirait à elle le beurrier et se coupait une tranche de pain.

- Comment tu t’appelles ? lui demanda-t-elle machinalement en étalant le beurre. Grégoire, c’est ça ?
- La gueuse me parle…

Haple s’arrêta dans son geste, les dents plongées dans sa tartine. Puis, avec un haussement d’épaule, elle avala le commentaire amer en même temps que la douceur du beurre frais sur une mie de pain délicatement sucrée-salée. Elle se servit ensuite une tasse de thé qu’elle avala au plus vite sans se bruler la langue car (d’une part) on les attendait et (d’autre part) la compagnie laissait à désirer puis se releva dans un raclement de chaise.

- Allez, pas la peine de s’éterniser. Les autres seront prêtes d’un instant à l’autre.

Le déchet humain ne fit pas mine de bouger et vu ce qui était sortit de sa bouche quelques heures auparavant, l’elfe préférait ne pas mettre la main sur lui…

- Tu pourras t’allonger à l’arrière de la… du carrosse, le tenta-t-elle.

La licence artistique de la ménestrelle paya : le prénommé Grégoire se releva, certes avec une pénibilité ostentatoire, et la suivit dehors, certes en traînant des pieds... Là, comme elle s’y attendait, la petite troupe s’était assemblée : Hermance et Nétone à l’avant, les sacs à l’arrière avec juste assez de place pour les deux jeunes gens … (on serra serrés… chic).

Le courtisan, lui ne serait de toute évidence pas du convoi. Il se tenait sur le bas-côté et s’approcha pour assister son « ami » dans son ascension de la charrette par la face Nord. Aussitôt hissé à bord, l’adolescent s’effondra sur le dos et croisa les bras sur ses yeux. Lorsque Haple, après avoir chargé ses affaires s’apprêta à sauter à bord, une main galante s’offrit à elle. Douce et ferme (et propre), elle ne songea pas à repousser le geste du courtisan. A sa surprise, elle sentit contre sa paume un bout de papier (un billet secret ?) qui l’incita à prêter une attention toute particulière aux mots d’adieu qu’il lui dit ensuite :

- Sœur Haple, ça a été un plaisir de faire votre rencontre. Vous êtes une personne remarquable que j’aurais fort plaisir à introduire dans mon cercle d’ami.

C’est alors que l’autre énergumène décida d’y mettre son grain :

- Une autre recrue pour le bordel du Duc ? Ha !

Cette fois Haple réagit d’instinct. Avec le plus grand naturel au monde, elle balança son poing dans la tronche de son voisin et l’envoya vider son fiel dans le monde des songes. Le courtisan lui sourit aimablement.

- Pardon, mais ça fait du bien, s’excusa-t-elle bien qu’elle n’éprouvât en réalité aucune gêne à frapper un homme à terre et sans défense.
- Je n’en doute pas… La cour du Val d’Oriant accueille toute sorte de gens. Tous n’ont pas vos… qualités insoupçonnées, la complimenta-t-il avec un sourire sibyllin.

La charrette s’ébranla. Hermance avait visiblement décidé de couper court à ces ronds de jambes inutiles.

- Au revoir alors, lui lança-t-il d’un air entendu.

Pour toute réponse, Haple baissa les yeux sur le bout de papier froissé dans sa main :

Eustache de Valeblan,
Conseiller du Duc.

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