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Mon propre grognement me tire de ma torpeur. Mes yeux s’ouvrent difficilement, éblouis par la clarté du jour qui se lève. En essayant de me redresser je pousse un gémissement de douleur, mon épaule est douloureuse, recouverte d’un bandage, de même que tout mon torse. Mon esprit se remet en ordre, me rappelant chaque blessure que j’ai subi. Le carreau d’arbalète, mon combat contre l’orc au sommet du rempart, la scie du cafard mécanique. Des souvenirs terrifiants, j’ai de la chance d’être encore en vie.
Je me montre plus prudent et plus doux dans mes prochains mouvements, ce qui me permet de me mettre assis au bord du lit. Je suis dans une chambre spacieuse, au pied de mon lit se trouve ma tunique d’Esseroth dans un piteux état. Calcinée, déchirée, tâchée de sang, de boue et de poussière. A côté se trouve un plastron qui semble à ma taille, je me met doucement sur mes pieds pour m’en approcher. Malgré son apparence d’armure lourde, je me rend compte qu’il est facile à soulever. En la touchant je peux ressentir une puissante magie du vent en émaner, attirant bien plus mon attention que son poids inattendu. A qui est cette armure ? Que fait elle là ? Un éclair dans mon esprit me surprend dans ma contemplation. Une vision du général ennemi paré de son armure sombre, sa masse frôlant mon crâne, sa capacité à absorber mes sorts sans ciller. Un frisson parcours mon dos et me fait perdre l’équilibre, m’obligeant à reposer mes fesses sur le lit.
Je reconnais cette obsession pour une personne, cette colère tenace, cette haine incontrôlable qui me tord le bide et me serre les poings et les mâchoires. Il ne pouvait pas être un homme ordinaire, il dégageait la même aura de puissance et de danger que Vallel. J’inspire et expire, chassant de mon esprit sa vision effrayante et de mon corps la douleur des blessures subis. J’enfile ensuite une chemise mise à ma disposition dans un placard de bois avant de quitter la pièce. Je parcours les couloirs austères et modestes pour rejoindre les appartements du Duc qu’on m’indique être en haut d’un solide donjon carré. Je dois le remercier de m’avoir pris en charge pour me soigner et l’interroger sur la présence de l’armure au pied de mon lit.
Deux gardes en poste devant sa porte me laisse passer dès que j’annonce la raison de ma présence et je peux alors pénétrer les appartements du Duc de Luminion qui se trouve assis près d'une fenêtre. Il m'adresse à peine un regard avant de détourner la tête pour regarder l’extérieur. Je commence par le remercier, provoquant chez lui un hochement de tête.
« Il y a... cette armure qui traîne dans ma chambre. A qui est-elle ? »
Il se tourne vers moi, plantant son regard dur dans le mien. Sans son casque, je constate qu'il s'agit d'un homme moins âgé que je l'aurais pensé. Portant des cheveux courts et une barbe strictement taillée. Sa mine est fermée et il semble se contrôler pour ne pas céder à la colère. Il me répond que l'armure ne traîne pas. Il m'en fait cadeau pour mes actions lors de la bataille. Je hausse les sourcils et écarquille les yeux, incapable de contrôler ma surprise. Je bégaye un remerciement avec hésitation, je ne m'attendais pas à recevoir un tel cadeau. Une récompense bienvenue pour remplacer ma tunique mise en morceaux. Une armure, voilà qui me sera utile dans les batailles à venir, sans compter que je n'oublie pas la puissante magie que dégageait le plastron. Je me surprend à penser aux futurs batailles. Je ne suis pas un soldat et pourtant je peux sentir que la guerre est en marche. Je ne peux pas me résoudre à ne pas y participer.
« J’ai cru comprendre, avant de m’évanouir, que votre Duché ne serait bientôt plus le votre, enfin peut être ... »
Je ressens la colère du Duc. Il était prêt à tout sacrifier pour défendre ses terres. Il regrette l'opportunisme des nains mais il ne peut pas nier que sans eux, Luminion serait aux mains des Orcs, ouvrant un chemin droit vers Kendra Kâr. J'incline la tête et m'approche à mon tour de la fenêtre pour contempler la vue. Situé sur une éminence rocheuse, nous avons une vue dégagée sur Luminion et sur la rivière coulant au pied du château. Un paysage idyllique mais qui me paraît terne, encore hanté par les souvenirs de la bataille. La vision de corps humains flottant à la surface de l'eau et de flammes embrasant les toits de la ville perturbent mon esprit, me rappelant ce qui aurait pu se passer. Je me souviens de mon discours sur le plateau, coincé au-dessus de la porte d'Ynorie. Il est temps qu'Oaxaca craigne à son tour une invasion et je compte bien participer à sa chute. Pour Yuimen mais aussi pour Aliaénon. Cependant je ne suis pas un militaire, je manque cruellement de formation et de connaissance pour évoluer au sein d'une armée et même d'une bataille. Ma magie est un danger pour mes ennemis mais elle a aussi causé des dommages dans nos propres rangs. Je dois apprendre à l'harmoniser avec la force des autres combattants. Je songe au Roi de Kendra Kâr, au don généreux que je lui ai offert, peut être acceptera t-il de me rendre un service en me présentant un de ses mage de bataille.
"J'aimerais rencontrer le Roi de Kendra Kâr. J'ai quelque chose à lui demander. Comme il devrait se rendre à Mertar je compte m'y rendre. Je me suis dis que vous aimeriez venir avec moi. Les décisions concernant le Duché ne devraient pas se faire sans son Duc."
Il va me regarder à nouveau alors que je parviens à effacer de mon visage l'expression de frayeur et de colère que ma vision troublé de l’extérieur m'a causé. Il répond qu'il sera bien entendu à Mertar pour participer à la discussion entre les deux Rois. Il ne doute pas que Solennel acceptera la discussion et qu'il pourra m'accorder une courte entrevue avant le Conseil.
"Ce serait sympa. Quand aura lieu la réunion ?"
Il va hausser les épaules. Maintenant que j'ai la capacité de me déplacer d'un bout d'un continent à l'autre, j'en oublie qu'un trajet entre les différentes cités de Nirtim peut prendre plusieurs jours.
"J'ai quelques jours pour me reposer alors."
Il opine du chef et m'explique qu'il faut le temps que Kendra Kâr soit mise au courant et que le Roi se déplace jusqu'à la capitale naine. Je hausse les épaules et ignorant la durée et la distance entre les deux cité je lui demande combien de jours il faut. Il me répond simplement que je serais mis au courant. J'incline la tête et le remercie encore pour l'armure avant de me détourner de la fenêtre vers laquelle le Duc s'est à nouveau tourné pour inspecter le paysage d'un air maussade.
« J'en ferais bon usage. »
Poursuivais-je en m'approchant de la porte. Je me fige en la touchant, soudainement traversé par une question dont je crains la réponse.
« Le type qui était à la tête de l’armée d’Oaxaca. Vous savez qui c’était ? »
Je tourne la tête vers lui alors qu'il me regarde d'un air surpris. Il semble étonné que je ne le sache pas. Il le décrit comme le Fléau des hommes, Crean Lorener, le premier des Treize d'Oaxaca et certainement le plus puissant d'entre eux. Je ferme les yeux, plongeant dans une courte méditation. Je comprend maintenant pourquoi cela m’obsédait autant, la sensation que j'avais en le voyant. Un trou du cul de Treize.
« Non. Je ne savais pas. Encore un Treize... »
Il opine encore du chef avant de déclarer que nous allions encore en entendre parler.
« Je ne connaissais que Vallel. Vous connaissez les onze restant ? »
Il réfléchit un instant avant de citer ceux qu'il connaît. J'écoute avec attention, répétant dans un souffle les noms qu'il me donne pour les retenir. Sisstar, Karsinar, Khynt; le créateur des cafards mécaniques si difficile à vaincre. Il me parle de trois nécromanciens dont les noms lui échappent mais le souvenir du mage noir dans l'arène suffit à me glacer le sang.
« Douze trouduc’ à faire disparaître... »
L'air défait, Robert de Perussac m'explique qu'il n'y a pas leur pareil chez les hommes, les elfes ou les nains pour leur tenir tête.
« Peut être mais ils ne sont pas invincibles... »
Il grimace, peu enclin à y croire visiblement, il raconte que des rumeurs disent qu'ils reviennent d'entre les morts. Il précise qu'il ignore la part de vérité dans ces rumeurs.
« Je l’ignore encore plus que vous. Mais je sais qu’on peut les tuer. »
Vallel a manqué de revenir, tout cela pourrait bien être vrai mais ça ne change rien. Ils peuvent saigner, ils peuvent mourir, ils peuvent disparaître.
C'est à mon tour d'être surpris quand le Duc me demande si c'est bien moi qui est connu pour avoir défait Vallel. Je reste interdit un moment, je ne pensais pas que cela s'ébruiterait jusqu'à Yuimen. Est-ce que ce sont ses archers présent sur le plateau qui sont venus le lui raconter. C'est vrai que je j'avais crié haut et fort l'avoir enseveli sous son laboratoire. J'ouvre finalement la bouche pour lui donner plus de précisions.
« J’ai empêché son esprit de prendre le contrôle du corps d’un autre. Ce jour là j’ai tué une personne pour éviter qu’il revienne. »
Je repense à l'Archisorcier d'Elscar'Olth, Elurien d'Assamoth. Je ne suis pas prêt de l'oublier. Je me sens encore coupable d'avoir dû prendre sa vie pour éviter que Vallel ne revienne à la vie. Je reste cependant persuadé que c'était nécessaire. Je regarde le Duc qui paraît troublé et je feins un sourire pour ne pas qu'il s'inquiète d'avantage.
« En tout cas on m’a confirmé qu’il ne reviendra pas. Et si il revient, je lui botterais le cul. J’ai juré d’être toujours sur son chemin. Il semblerait que je vais devoir être sur le chemin de son collègue maintenant. »
Précisais-je avec un mince sourire. Il incline à nouveau la tête avant de me demander de partir pour qu'il puisse se reposer, expliquant qu'un long voyage jusqu'à la capitale l'attend demain. Je cligne des yeux avant de déclarer, l'air un peu penaud.
« Kendra Kâr ? Je peux vous y emmener si vous voulez. »
Il lève un sourcil.
« Avec un portail. On pourra être à Kendra Kâr en un claquement de doigts. » Dis-je en produisant le geste.
Il toussote et semble avoir du mal à croire ce que je raconte, me demandant comment cela se pourrait.
« Vous n’avez pas remarqué pendant la bataille ? Je peux créer un portail reliant un endroit à un autre. Je peux en ouvrir un entre ici et la cité blanche. Il suffira de le traverser. »
Il fronce son visage en entier lui donnant une expression qui me fait sourire avant de me demander si c'est sûr.
« Ca l’est. » affirmais-je avec assurance.
« Bien plus que de traverser les montagnes. »
Il accepte finalement et me donne rendez vous au lendemain ce qui me laisse le temps de me reposer encore un peu. J'incline la tête avant de quitter la pièce pour retourner dans les couloirs.
Je prends ensuite le chemin de la ville, peut être trouverais-je une manière de m'y rendre utile malgré mon état.
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