<<<
Après avoir dormi comme une souche au milieu d’une scierie je décide, contrairement aux autres recrues, de visiter la ville plutôt que d’inspecter l’académie. Je commence par sortir du bâtiment pour le longer en prenant la route du port. Je constate que l’académie est vraiment immense car elle ne s’arrête qu’à la frontière avec les docks. De l’autre côté de la rue se trouvent des maisons de bonnes tailles. Je suis probablement dans le quartier le plus riche et le moins mal famé grâce â la proximité de la commanderie. En m’approchant de la limite entre le port et les beaux quartiers je me rends compte que la cité est un mélange entre des soldats et des marins; marchands, portefaix ou simples pêcheurs. D’ailleurs une odeur de poisson envahi soudain mes narines quand je passe le coin du bâtiment militaire. Je traverse d’abord une petite place appartenant sans doute encore à l’académie. Des artilleurs inspectent l’arsenal qui sera, j’imagine, prochainement installé sur un navire de guerre. Je croise des ateliers de charpenterie, de couture, tous le nécessaire pour bâtir et armer les vaisseaux du royaume. Ce n’est qu’en dépassant cette place que je peux enfin distinguer l’océan, le port et la crique qui l’abrite. Celui-ci n’a rien à envier à celui de Kendra Kâr. Il est immense et les petites barques de pêcheurs côtoient les bâtiments de frète et les frégates de guerre. Cette partie de la ville est bien plus animée que la précédente. Un bon nombre de marchandises transitent vers le sud du port et je suis ce flux jusqu’à quitter la partie d’avantage consacré au militaire, quittant les soldats en uniformes pour me fondre dans la foule de plus en plus dense de voyageurs, vendeurs, acheteurs et travailleurs. Plus je me dirige vers le bout du port plus les bateaux deviennent petit et je distingue au fond les derniers petits voiliers qui préparent leurs filets. Je bifurque avant d’atteindre ce qui doit être un comptoir commercial où les négociants crient l’offre et la demande.
Je vagabonde dans une rue assez large pour accueillir les chariots de marchandises qui s’enfoncent dans la cité. Je suis étonné par l’état du passage qui semble pourtant être un artère important de la ville. A nouveau, je n’ose pas imaginer comment sont les ruelles étroites et obscures que j’ai aperçu hier soir. Les pavés sont sales, jonchés de déchets en tout genre. Les mendiants sont rares, chassés par les patrouilles de gardes mais je remarque, par expérience, les attitudes des voleurs à la tire et autres brigands. Je presse le pas et passe devant un panneau indiquant un chemin vers la Taverne du Chat Enroué juste avant de longer un manoir immense dominant les bâtiments aux alentours et possédant une porte massive. Je poursuis ma route sans m’attarder et atteins une place bien plus animée que le port. Je me trouve sur la place du marché s’étalant autour d’une belle fontaine où s’y répandent de nombreux stands de manière anarchique. Faire le tour de la ville m’a prit la matinée et mon estomac commence à réclamer quelque chose à digérer. Je m’approche d’un homme qui s’est installé une petite cuisine sous une toile à côté de son chariot avec quelques tables et tabourets. Une petite taverne improvisée entourant une marmite qui laisse échapper un fumet agréable de soupe aux trois poissons. Je m’installe à une table et lui commande un bol de soupe accompagné d’un gobelet de bière. D’ici je peux voir la large avenue dans laquelle nous sommes passés hier soir et justement, pendant que je déguste mon repas, un autre convoi s’avance vers la commanderie. Moins nombreux, ils semblent avoir fait un voyage moins turbulent. Aucun signe de blessés ou de morts, pas de visages attristés ou déformés par le désir de vengeance. D’ailleurs toutes les recrues ont un aspect moins guerrier que ceux que j’ai pu voir dans le convoi que j’occupais. Aucun n’est équipé de sa propre armure fourni par une famille riche. Ils ont des corps sculptés par l’effort physique mais pas le regard déterminé que possède Thonas ou Trieli pour ne citer qu’eux.
« Salut Xël. Tu ne devrais pas être à la caserne ? »
J’ai un léger sursaut quand Camille vient s’installer à côté de moi. Il fait signe au tavernier ambulant qu’il désire lui aussi un bol de soupe avant de poursuivre.
« Il vaudrait mieux que tu sois présent quand les nouvelles recrues vont arriver. Christo risque de ne pas apprécier. »
« Je pensais que nous étions libres de circuler dans la cité le temps que toutes les recrues arrivent. »
Amusé, il désigne la queue du convoi qui avance maintenant, à mes yeux, comme une aiguille sur une horloge.
« Ils viennent d’arriver. Tout droit des Duchés de Blanchefort et de Valorian, on peut pas faire plus éloigné dans le royaume. »
« Merde ! »
L’idée de me faire remarquer par le capitaine m’angoisse et c’est à grande gorgées que je termine ma soupe encore trop chaude, je rafraîchis ensuite mon gosier par longues rasades de bière. Le mélange si rapide de poisson et de houblon me tire une grimace de dégoût qui ne manque pas de faire rire le lieutenant. Je secoue la tête et me concentre mais Camille m’interromps.
« Tt-tt-tt. Le Général a dit plus de magie. »
Je le regarde atterré avant de me souvenir qu’en effet Bogast m’avait interdit d’utiliser ma magie une fois à Bouhen. Sans dire un mot de plus je me met à courir pour rejoindre le convoi. Je montre mon insigne aux gardes méfiants en me voyant venir aussi rapidement. Ils me scrutent avec des sourcils froncés mais me laissent passer. Je remonte la ligne de charrettes et de chevaux sous les regards amusées des recrues avant de finalement atteindre la porte où patiente le Capitaine Christo qui semble à la fois en colère de m’apercevoir ici et ravi à l’idée de me faire subir une punition.
>>>