Précédemment
C’est le pas assuré que je me rendis à la bibliothèque de la ville. J’y avais été invité par l’ami érudit de Xander de Maisonneuve au lever du jour. Eder, que ses connaissances nommaient Eder le sage. J’étais intrigué, je me demandais ce que cette entrevue cachait. Le rendez-vous était peu commun dans sa temporalité et dans sa spatialité. Jusqu’à présent, j’avais été convié chez Xander de Maisonneuve, en soirée, et je commençais manifestement à faire partie de son entourage. Je trouvais que les conversations y étaient souvent inutiles, mais je me faisais à ce mode de vie.
Mais ici, venir si tôt, dans une bibliothèque était assez étrange. Lorsque je pénétrai dans les lieux, je fus marqué par son silence. L’endroit était plutôt vide, et silencieux à cette heure de la journée, mais je doutais qu’il soit bien plus bruyant à d’autres moments; tant l'homme qui veillait sur l'endroit semblait à cheval sur le silence. J'avais à peine racler ma gorge qu'il m'avait jeté un regard mauvais.
J’avais retrouvé l’ami de Xander dans une salle à l’écart doté de tables et de chaises. Il m’attendait, lisant avec attention un énorme grimoire aux pages jaunies. Son crâne chauve luisait à la lumière des chandeliers et il était si absorbé qu’il ne me vit pas arriver, si bien que lorsque je tirai une chaise pour me positionner en face de lui, il sursauta presque.
« Ah vous voilà, Ser d’Arkasse. »
« Comme convenu. Alors vous vouliez me voir ?»
Il s’appuya contre sa chaise.
« Oui, j’avais à vous parler de choses importantes. »
J’écartai les mains pour laisser entendre que j’étais disposé à l’écouter. Il inclina la tête comme si il m’étudiait longuement.
« Je me demande pour quelle raison vous lui êtes si fidèle ? »
Je fronçais les sourcils, légèrement déstabilisé par ces mots dénués de toutes contextualisation.
« Je peux savoir de quoi vous parlez ? »
« De qui plutôt... Je parle de la Princesse Satina. »
Je me figeai un instant, ne m’attendant certainement pas à ce coup-là.
« Je suis Chevalier du Royaume monsieur, j’ai juré fidélité à mes seigneurs. »
« Mais ce ne sont pas tant vos seigneurs qui m’importent, mais plutôt votre seigneuresse, si vous m'autorisez l'expression. Pourquoi l’estimez-vous plus que l’ex-duc Perussac et le Comte Ybelinor au point de la vouloir sur le trône ? »
Je n’aimais pas la tournure que prenait cette conversation et je tentais de m’en dégager promptement.
« À vrai dire, je ne sais pas pourquoi vous vous inventez cette allégeance-là, ce n’est au plus qu’une littérature que vous avez ardemment conçu dans je ne sais quels recoins troublés de votre esprit. Il me semble que vous étiez présent chez Xander lorsque j’ai dit qu'une femme ne devait pas diriger le pays. »
« Oui, je m’en rappelle très bien de ce que vous avez dit, et manifestement, vous mentiez. »
« Bon allez, ça devient ridicule. La prochaine fois évitez de me faire perdre mon temps. » Affirmai-je en me levant pour amorcer mon départ.
Un léger sourire s’étira sur les lèvres fines et presque inexistantes de l’érudit.
« Vous l’ignorez peut-être Ser d’Arkasse mais je ne suis pas seulement un savant. Je suis doué de magie. Dans mon milieu, je suis ce que l’on appelle un psychomancien et je peux lire en vous comme un livre ouvert, vous ne pouvez pas me mentir. Là, vous vous sentez acculé et vous tenter un mouvement de fuite pour éviter cette conversation que vous ne voulez pas avoir. »
Je levais un sourcil. Si c’était vrai, et vu la manière dont il était sûr de lui, ça devait sûrement l’être, cela ne servait donc à rien de continuer ce petit jeu.
« Et alors ? C’est quoi le but ? Vous voulez me nuire ? Vous m’avez fait venir ici pour me faire chanter ? Peu importe. Si vous croyez que vous allez obtenir quoi que ce soit de moi, vous vous trompez. Mis à part cacher ce que je pense reellement de la situation, je n'ai rien fait de répréhensible. »
Il eut un petit rire. La situation semblait vraiment l’amuser.
« Détrompez-vous Ser d’Arkasse. Je ne cherche pas à vous nuire et c’est justement parce que vous avez eu l’intelligence de cacher vos véritables sentiments dans ce milieu de vautours que j’ai décidé de vous contacter. Rasseyez-vous, je vous en prie. » finit-il en m’indiquant la chaise face à lui.
Ce ne coutait rien de l’écouter. Au reste, il commençait à m’intriguer. Alors je pris place, mais cette fois, en croisant les bras.
« Expliquez-vous et vite, je n’ai pas toute la journée. »
« Je vais être clair. Je suis de votre avis Ser d’Arkasse. La Princesse Satina mérite d’être sur le trône. Le peuple est en droit de choisir qui le gouvernera et il me semble que dans son intérêt elle est le meilleur choix. La noblesse oublie un peu que leur but est de servir et certains veulent peser sur le choix du dirigeant par cupidité et en tirer plus de pouvoir. J’ai bien peur que si on laisse cela se faire, notre Royaume déjà en crise s’enfoncera dans une autre . »
Je comprenais mieux, mais cela ne m’éclairait pas sur ce que je faisais ici.
« Honnêtement, vous m’étonnez, j’aurais cru que vous seriez de l’avis général de la noblesse, et de Xander. »
« Ah… Xander est un homme pragmatique. Contrairement à Heinart qui a des convictions profondes sur l’ordre de la société. Il ne voit que son intérêt. Il suffirait que voir la Princesse sur le trône soit dans le sien pour qu’il l’appuie…. Mais vous dîtes moi, quel intérêt y trouvez-vous ? »
« Je n’ai pas autant d’avis que vous sur la question. Je méconnais ce monde encore et je commence à peine à l’apprivoiser. Je sais juste ce que j’ai vu. Un Comte couard et Satina qui a tout ce qu’il faut pour diriger. Elle est courageuse et n’a pas peur de bousculer l’ordre établi. Elle était sur le champs de bataille alors qu’elle aurait très bien pu rester ici, au chaud derrière les murailles, elle a pris des risques, allant contre les décisions de son frère, qu’elle a remplacé au pied levé au-devant de l’armée. Elle a cherché à combattre contre le fléau de ce monde Oaxaca. Par ailleurs, elle a un talent certain pour lire dans le cœur des gens. Contrairement à son frère, elle a su voir la vérité sur ma personne et m’a fait confiance sans autre forme de cérémonie. Je pourrais aussi dire qu’elle est à l’écoute de ceux qu’elle dirige. Elle a su m’écouter au même titre que n’importe lequel de ses conseillers, car elle a su voir mon mérite. Au final, c’est comme si elle m’avait servie avant même que je rentre à son service. Alors honnêtement, oui, c’est pour quelqu’un de cette trempe que je suis prêt à donner ma vie»
Je me tus un instant avant de reprendre.
« Je ne cache pas non plus que j’ai de l’ambition, et que si elle s’élève, j’espère également en tirer parti. Affirmer le contraire ce serait mentir. Mais honnêtement, ce n’est pas ma priorité, je le fais avant tout pour elle, pour son dû. C’est d’ailleurs pourquoi je pense aussi qu’elle a un talent certain pour extirper le meilleur dans le cœur des gens, car j’en suis la preuve vivante. Elle m'a sauvé de moi-même. »
Cette fois, plongé profondément dans mes errements intérieurs, j’avouai.
« A mes yeux elle est parfaite. Je l’admire et je lui dois tout. »
Le silence s’installa, l’homme me regarda longuement avant qu’un sourire ne se dessine sur ses lèvres.
« Enfin, vous parlez avec sincérité sur vos désirs Ser d’Arkasse. »
Je levai les épaules.
« Peu importe. Je ne suis qu’un Chevalier, un héros de guerre et mes désirs ne font pas loi. » dis-je en reprenant les mots de Satina.
« Et si je vous disais que c’était possible. Que ce que vous souhaitez puisse s’imposer à tous au point de rallier les plus récalcitrants à votre cause. »
Je fronçais les sourcils, un peu perdu.
« Je vous dirais que pour un érudit, vous aimez un peu trop les contes de fées ! »
« Laissez-moi vous en conter un. »
Il se leva de sa chaise aussi prestement que son embonpoint le permettait et il commença à marcher dans la pièce.
Il y a de cela bien longtemps, avant qu’Oaxaca ne soit vaincue une première fois, un homme lui a tenu tête, à elle et à son armée en Omyrhie. Les forces de la Reine Noire pensaient que détruire son village aurait été une formalité et pourtant il lui opposa une résistance farouche. Ces hommes et ces femmes, de simples bûcherons tinrent dix jours. Ils étaient menés par leur chef, un jeune guerrier dont le nom a nourrit les plus belles légendes. Aaron le Martyr. À la fin, il ne restait plus que lui et il mourut debout, non sans emporter quelques-uns dans sa chute. Sa volonté était telle que certaines des armes et armures qu’il portait sont animés d’un pouvoir puissant consacré par le sang. »
Il revint vers la table et retourna le grimoire qu’il lisait juste avant mon arrivé face à moi et le fit glisser pour que je puisse le lire. Sur la page, plusieurs objet étaient dessinés. Il y avait là, un casque, un bouclier et une hache. Sur l’autre page, un petit note accompagnait le dessin, titrée « Les reliques d’Aaron le Martyr. »
« Les objets qu’il portait ont gardé sa puissance, notamment son casque. Son pouvoir est gigantesque ! Si un homme puissant le porte, il permet de rallier à sa cause ceux qui lui sont plus faible. Vous êtes un héros, Ezak d’Arkasse le Sanguinaire, Chevalier du Royaume, Survivant du Charnier des Âmes, Si vous aviez ce casque en votre possession, je ne doute pas que vous pourriez pousser le monde à vous suivre. »
Je restai un instant béat ne sachant que dire. Si Eder le Sage disait vrai… Il y aurait tant de choses qui deviendraient soudainement réalisable.
« Vous êtes sûr de ce que vous avancez ? »
Il leva un menton fier, me jetant un regard dédaigneux. Je l'avais touché.
« Ser d’Arkasse, je ne doute pas que vous soyez maître dans votre domaine, ne doutez pas de moi. »
« Bon d’accord, et on à une idée d’où se trouve ce casque de légende ? »
"C’est justement là où ça devient intéressant Ser d’Arkasse… Je sais de source sûr qu'un Nosverien érudit en visite à Kendra-Kâr il y a quelques semaines de cela, a affirmer qu'il avait des pistes lui indiquant que ce casque se trouvait sur son continent. Malheureusement j'ai perdu la piste de cet homme. "
« C’est une opportunité que l’on ne doit pas rater… Mais comment faire sans piste ? »
« J’en ai peut-être une, mais ce sera à vous de jouer... »
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