L'Apothicairerie du Vieux Dôme

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Yuimen
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L'Apothicairerie du Vieux Dôme

Message par Yuimen » mer. 27 déc. 2017 15:53

L'apothicairerie du vieux Dôme



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Située non loin de la taverne du paladin, cette petite boutique ne paie pas de mine. Plus haute que large sous un toit abîmé, elle est presque constamment sombre et il est bien rare de voir le maître des lieux faire une sortie, toujours discret et bien peu loquace à l'extérieur de son antre. Sans ce vieil écriteau où l'on parvient encore à lire le nom de la boutique, elle passerait presque inaperçue.

À l'intérieur, de multiples fioles, flacons et pots reposent, ordonnés, sur des étagères qui couvrent les quatre murs. On ne discerne pas bien le fond, qui donne sur les autres pièces de la maison : mais il est de notoriété commune que l'homme qui tient cette enseigne, un certain Rann Dome, a une bibliothèque plutôt fournie et cultive des plantes étranges chez lui. Ses contacts avec la garde l'ont toujours protégé des voleurs, apparemment.

L'apothicaire en question est un homme plutôt petit, ramassé avec l'âge, si bien qu'on se demande s'il n'a pas des ancêtres Sinari. Il se déplace avec agilité dans ce qu'il nomme son “domaine”, trouvant rapidement tout ce qu'un client pourrait vouloir, négociant ensuite âprement les prix (il faut bien vivre). D'un caractère presque méfiant, il tentera toujours de comprendre ce que souhaite faire l'acheteur avec ses produits, au risque de paraître indiscret.

Mais, même s'il n'est pas très agréable au premier abord, Rann Dome a su s'établir une clientèle fidèle au cours des années. On ne compte plus le temps qu'il a passé là à tenir sa boutique, mettant à disposition ingrédients rares pour les cuisiniers et composants nombreux pour les alchimistes, qu'ils soient d'origine animale, végétale ou minérale, ainsi que tous les remèdes, médications et autres. Son plus grand succès reste le fameux antidote à la gueule de bois, mais si beaucoup le connaissent, peu savent qu'il en est à l'origine : Peter Rhel de la taverne à côté a presque le monopole sur ce produit, qu'il revend ensuite un peu plus cher à ses propres clients.

Ce lieu est donc un paradis sur terre pour tous ceux qui souhaitent préparer mixtures, potions ou onguents, toutefois Rann sait aussi se montrer vigilant et il refuse depuis quelques années de vendre ce qui pourrait servir de poison. Certains disent qu'il garde tout pour lui - ou pour la garde - des stocks de toxines dangereuses, mais à moins d'être son ami intime, il y a peu de chances de connaître la vérité là-dessus.

Humbert Helboldt
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Re: L'Apothicairerie du Vieux Dôme

Message par Humbert Helboldt » jeu. 3 janv. 2019 11:22

...

Deux adultes qui prenaient un thé ensemble, ce n'était pas si extraordinaire que ça, d'autant plus s'ils se connaissaient depuis belle lurette. Mais peut-être le lieu était-il quelque peu incongru : assis autour d'une petite table de bois, certes, mais entourés d'une multitude de fioles et flacons représentant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et une petite infinité de variations supplémentaires. Dans tous les coins et recoins de l'apothicairerie, on trouvait des pots aux odeurs étranges, des herbes mystérieuses et des produits aux pouvoirs enchanteurs. Évidemment, dès lors qu'on s'y connaissait un peu en alchimie, tout cela faisait beaucoup moins peur : mais comme dans la plupart des corps de métier, l'essentiel était dans la mise en scène. Il fallait être un bon apothicaire, certes, mais par-dessus tout il fallait avoir l'air d'un enchanteur puissant dominant l'ensemble des merveilles alchimiques de l'univers.

Ce genre d'artifices n'était plus trop d'actualité entre Rann Dôme et Humbert Helboldt qui échangeaient enfin, pour la première fois depuis l'entrée de ce dernier au service du Baron. Et ils en avaient, des choses à se dire.

- [color=#1FA055Et voilà, c'est comme ça que la petite a cru qu'elle pourrait se cacher indéfiniment chez Jules pour lui permettre de reprendre ses études de magie...[/color]

Soudain, un client entra et les deux visages se tournèrent un instant vers lui avant de reprendre leur conversation comme si de rien n'était : car il s'agissait d'un pauvre hère du petit peuple qui entrait en se tenant aussi éloigné que possible de tous ces produits mystérieux.

- La camomille donne donc des réflexions absurdes, prise avec de la poudre de cornaline, reprit donc le professeur en faisant référence à la couleur rousse des cheveux de Jules : la cornaline étant d'une couleur orangée caractéristique, il était certain que son ami comprendrait l'allusion. Si j'avais eu le temps de faire décanter l'ensemble... Oui, la poudre de fer est arrivée trop vite, se solidifiant autour de la cornaline, l'emprisonnant dans un cocon. J'ai bien essayé de la libérer avec des épines de papillon de sang broyées...

Il laissa un instant un silence planer : le paysan, à côté, n'osait pas les interrompre dans leurs échanges codés. Le vieux Dôme, après s'être un instant lissé la barbe, demanda :

- Broyées, comme celles qu'on utilise dans certains somnifères ?
- Exactement, répondit Helboldt en souriant. J'y ai ajouté d'autres composants, mais une fois la cornaline libérée, le restant de fer l'a aussitôt attaqué à nouveau et, cette fois-ci, la réaction a été trop importante et a engendré une petite explosion. Pouf ! Plus de cornaline du tout, fit-il en mimant une détonation avec les mains.
- C'est navrant, fit Rann Dôme. Permettez.

Il se releva et se dirigea vers le paysan qui lui bafouilla quelques indications à propos de façons d'être plus efficace sous la couette avec sa bien-aimée, puisque cela faisait maintenant quelques six mois depuis la naissance de leur dernier-né qu'elle n'engrossait plus malgré ses efforts. Il suffit à Rann de sélectionner quelques petites herbes, de les lui donner et de lui indiquer de les faire fumer pour que l'odeur favorise leur ébats. Le paysan, soulagé comme tout, le remercia (par trois fois), le paya, le remercia à nouveau et fut repoussé au-dehors où il repartit en toute gaieté, satisfait de n'avoir pas été happé dans l'antre de l'apothicaire, transformé en crapaud ou réduit en poussière.

- Tu aurais dû ajouter des épices. Ça marche toujours, les épices, pour ce genre de cas, indiqua Humbert.
- C'est trop cher pour lui. Et puis, je suis presque certain qu'il s'agit d'un problème avec ses fluides à lui, qui doivent être un peu trop...
- Oui, bon, le coupa le précepteur.

Rann Dôme sourit de toutes ses vieilles dents.

- Au fait, j'ai trouvé le parchemin que tu cherchais il y a quelques temps. Je l'avais effectivement dans l'arrière-boutique, mais je crains que tu ne sois déçu...

L'apothicaire tira d'un tiroir une feuille couverte de motifs ésotériques et de dessins qui relevaient d'une forme d'art des plus simplistes.

- Ça explique ce sortilège, là, la frappe du Golem, comme ils l'appellent. Mais je ne saurais que trop te conseiller de demander plutôt les conseils d'un véritable professeur... Il y en a à foisons, à Kendra Kâr !

Humbert avait récupéré le parchemin avec précaution : il parcourait des yeux, la mine légèrement attristée, les explications confuses qui y étaient données. Il y avait ces dessins, fort peu explicites : on y croyait voir des mouvements, les mouvements d'un homme, si tant est qu'un rond et cinq traits figurent une tête et un corps. Il y avait quelques mots, qui étaient souvent effacés ou ne signifiaient rien. Que voulait dire celui-ci, “abruptéructanpouvpuissance” ? Si le parchemin semblait expliciter une démarche pour lancer le sort, Helboldt hésitait à le prendre au sérieux, ou non. La frappe du golem était un sort plutôt connu, et ce bout de papier ressemblait à une farce...

Il haussa des épaules et répondit :

- Bah, je le prends quand même. On verra si ça peut me servir, et les professeurs de magie sont bien trop chers ici.

Rann Dôme leva les deux mains devant lui en refusant les pièces que lui tendaient le professeur.

- Je te le laisse. De toute façon, je ne saurais pas m'en servir moi-même et je doute que quiconque en veuille. Et puis... Si tu viens, tu me prendras bien quelques petites choses, n'est-ce pas ? continua-t-il alors qu'une lueur d'intérêt s'éveillait dans son regard.
- Malheureusement non. On m'a demandé de leur préparer des colorants, mais le Baron m'autorise à piocher dans sa réserve personnelle pour ce coup-ci. Navré, mon ami.

L'apothicaire haussa un sourcil en fronçant l'autre, autant d'étonnement que de mécontentement.

- Le Baron de Cappique ? Pourtant, l'alchimie est bien l'un des seuls domaines où il ne vient pas fourrer son nez pour acheter et vendre, celui-là. De tous les fournisseurs que j'ai, ça se saurait si l'un d'entre eux procurait quoi que ce soit à ce noble-là.
- Oh, il se fournit lui-même, apparemment. Il doit avoir, quelque part, des hommes à son compte qui cherchent ces produits.
- Quand bien même, à qui les vendrait-il ? Je te le dis, c'est louche cette histoire. S'il en a et qu'il ne les vend pas, c'est qu'il est un bien mauvais marchand. Tu penses qu'il fournirait mes concurrents sans me le proposer à moi ? Mmmh...

Le précepteur haussa les épaules, peu intéressé par ces questions mercantiles.

- Bah, tu sais... Il doit se rattraper sur d'autres domaines. Ne fais pas cette tête : au moins, pour le moment, il ne te fait pas trop de concurrence. Et puis, il possède une flotte marchande : je dirais qu'il exporte, surtout.
- Mouais. Qui sait ?

Ils reprirent chacun une gorgée de thé.

- Et toi, qu'as-tu à m'apprendre ? Reprit Humbert. Je parle, je parle, mais j'en oublie de préciser qu'avec tout cela, j'ai l'impression de vivre hors du monde. Aucune nouvelle d'en-dehors : Luminion aurait pu tomber aux mains des Garzoks que je n'en saurais rien.
- Bah, pas grand-chose de ce côté-là, tu sais, la guerre semble figée et on nous demande toujours plus de taxes... La chose la plus pétillante qui soit arrivé ces dernières semaines, c'est le vol d'un tableau précieux à Oranan. Il aurait été remplacé par un faux... Tu te rends compte, une œuvre d'art qui appartenait à leur famille depuis des générations !
- Et c'était quoi exactement, ce tableau ?
- C'est ›Le pêcheur dans la tempête‹ : on y voit un homme, minuscule au milieu des flots tumultueux au visage de Moura et des vents violents portant celui de Rana. Une allégorie de l'homme pris entre des puissances divines contre lesquelles il est incapable de lutter...

Helboldt leva les yeux au ciel.

- Ouais, ouais. Des Dieux qui n'interviennent plus trop dans notre vie, puisqu'Oaxaca avance de jour en jour, mais passons.

Le vieux Dôme reposa sa tasse de thé, vide, en rigolant.

- Allez, va-t'en, hérétique ! Fit-il avec humour. Tu vas être en retard pour servir tes dieux à toi, ceux de chair et de sang qui obtiennent ta foi avec leur or...

Le précepteur secoua la tête en se levant.

- À plus tard, vieux brigand.
- Rentre-toi bien, jeune voleur.

...

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