Un havre sans paix
Plutôt qu’un vieux sénile, le magicien s’avère être un sacré ronchon qui refuse carrément de lui répondre et lui pointe plutôt un objet qui ferait la traduction pour lui. Si Marcy se fiche pas mal de son caractère merdique – elle a vu bien pire – la voilà toutefois sacrément dubitative en voyant la table de traduction. Elle fixe l’objet quelques instants, puis son regard revient vers le vieil homme qui lui tourne ostensiblement le dos. Un léger tic d’énervement fait bouger sa lèvre supérieure. Elle ne sait pas lire, alors il peut bien se carrer sa table là où elle pense. Enervée, Marcy retourne vers le comptoir et commence à tapoter du doigt de manière agaçante. Un soupir échappe au vieil homme. Puis un second. Et, enfin, il répond. Le caillou est une rune, un genre de caillou divin qui s’appelle foudre et qui peut être incrusté ou utilisé de manière ponctuel. Tout cela passe complètement au-dessus de la tête de Marcy qui n’en comprend pas la moitié mais qui hoche la tête en récupérant sa rune. Elle ne va pas perdre plus de temps ici et s’éloigne du comptoir. La rouquine se fend tout de même d’un petit commentaire avant de sortir.
- Vous donnez pas envie d’acheter chez vous, le vieux !
Sans attendre, elle claque la porte et sort, ignorant l’éventuelle réponse du vieux magicien. Elle est certaine de ne plus jamais être la bienvenue ici, mais elle ne compte pas y retourner de sitôt. Pour l’heure, elle doit, hélas, se rendre au Refuge. Elle en connaît l’emplacement et le chemin pour s’y rendre, mais cela fait longtemps qu’elle n’y a pas mis les pieds. Volontairement. Elle a évité les alentours comme la peste, mais le destin aime visiblement bien lui jouer des tours, ces derniers temps. A croire que quelqu’un tire les ficelles spécifiquement pour lui mettre des bâtons dans les roues. Malgré son peu d’entrain de retourner là-bas, elle a passé un marché avec jean et elle fera ce qu’il faut pour le respecter. Et si elle doit retourner au Refuge, tant pis. Rien ne l’oblige à y dormir, après tout. Elle a toujours sa cachette aménagée. Elle saura se débrouiller.
C’est donc un peu à reculons que Marcy se rend au Refuge. L’endroit, une immense bâtisse autrefois abandonnée, a été réhabilitée par une noble qui souhaitait offrir un refuge aux plus démunis. Du moins c’est l’histoire qu’on a servi à Marcy la première fois qu’elle s’y est rendue. Et il est vrai qu’elle a eu un repas chaud et un endroit où dormir. Mais la réalité est bien différente de l’histoire qu’on essaie de raconter et n’en garde pas un souvenir suffisamment positif. Une fois devant l’immense bâtisse, son regard se porte immédiatement vers l’aile des dortoirs où elle n’a pas pu fermer l’œil, cette nuit-là. Elle aperçoit quelques silhouettes, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Sans doute d’autres sans-toits comme elle. Ou bien les serviteurs de la propriétaire qui vit à l’étage. Peu importe, en vérité. Marcy compte bien se faire discrète et se contenter d’observer pour trouver sa cible, sans trop se soucier du reste.
Elle pénètre dans le bâtiment par la grande porte, entrant dans un grand salon servant de pièce d’accueil. Personne ne semble trop faire attention à elle, pour son plus grand bonheur. Elle furette un temps dans els couloirs, cherchant à repérer la fameuse Eleanore. Ce qui s’avère compliqué, parce qu’il y a plus d’une petite brune dans les parages. Généralement, elle peut deviner les prénoms en écoutant les conversations e aucun ne correspond à celui qu’elle recherche. A défaut de trouver la bonne personne, elle peut au moins éliminer les mauvaises comme ça. Pas plus avancée par ses recherches, elle a tout de même la chance de rester suffisamment longtemps pour que la porte des bains s’ouvre. Quelques petits groupes de femmes s’y rendent et Marcy, après son séjour dans el quartier des tanneurs et son passage sous l’averse, n’est pas contre l’idée d’un bain chaud. Elle hésite un bref instant, puis décide, avec un hochement d’épaule, que ça ne lui fera pas de mal. Bien au contraire.
C’est donc avec un soupir teinté de soulagement qu’elle s’engouffre dans l’eau chaude après avoir laissé ses habits dans un panier à l’entrée des bains. Elle s’est mise à l’écart afin d’observer les têtes présentes, mais elle ne fait que revoir celles vues précédemment. Elle profite donc du moment pour se laver de la tête aux pieds, en insistant particulièrement sur les zones sensibles et sur ses cheveux. Ces derniers, dans un état de plus en plus douteux jusque-là, acceptent avec plaisir le passage d’un savon peu odorant mais bienvenue. La jeune fille a tout le loisir d’observer son corps, d’en noter la maigreur mais aussi les transformations qui ont commencé récemment. Elle a perdu son ventre plus rond de l’enfance pour un plus plat. Ses hanches ont commencé à s’élargir un peu et une poitrine naissante commence peu à peu à prendre de l’ampleur, lui tirant une moue dubitative. Elle aurait préféré grandir davantage plutôt que de voir une poitrine se dessiner de la sorte, mais elle n’y peut hélas pas grand-chose. Une enfant attire moins l’attention qu’une femme, elle en a parfaitement conscience. Une femme peut jouer sur d’autres tableaux, par contre, mais Marcy n’a aucune envie de se lancer là-dedans. Même si elle n’a qu’une vision très vague des choses. Elle sait, en revanche, que les filles de la rue finissent souvent comme prostitués. Mais elle ne finira pas ainsi. Elle est différente. Elle a prouvé ses compétences à Jean, il lui filera du boulot autrement plus valorisant que de faire ce que font les prostitués, quoi que cela puisse être. Elle a des doutes à ce sujet.
En tout cas, une fois propre, elle récupère ses vêtements et, n’ayant pas trouvé celle qu’elle cherchait, prend la direction de la sortie. L’obscurité commence lentement à tomber lorsqu’elle quitte le bâtiment et elle laisse échapper un bâillement avant de s’étirer. Elle a passé une plutôt bonne journée, entre le boulot donné par Jean, le repas de Hugues et, maintenant, le bain gratuit et bienvenue. Il ne manquerait plus qu’un toit au-dessus de sa tête et un lit décent pour qu’elle soit la plus heureuse du monde. Cela lui fait immédiatement penser à l’orphelinat et sa bonne humeur s’éteint. Un sourire et deux petites claques sur ses joues plus tard, elle se reprend. Y penser ne servira à rien. Elle doit rester focalisée sur son objectif du moment. Hélas, le destin ne lui set pas la réponse sur un plateau. Elle est pressée, pourtant et n’a pas envie de décevoir Jean.
Déçue, mais pas démoralisée pour autant, elle quitte le Refuge pour retourner dans sa planque. Mais à peine une rue plus loin, elle entend un bruit de course soudain. Sans avoir le temps d’en comprendre l’origine ou la provenance, on la heurte brutalement. La rouquine choit au sol avec la personne qui l’a percuté, dans un enchevêtrement de bras et de jambes, le tout ponctué par deux cris de surprise teintés de douleur. Le choc au sol est rude, mais, au moins, sa tête ne heurte pas les pavés et Marcy se redresse rapidement. Elle découvre une jeune fille pas plus vieille qu’elle qui essaie tant bien que mal de se relever alors que deux silhouettes plus grandes et clairement masculines, arrivent vers elles à toute vitesse.
- Tu t’échapperas pas, sale peste !
Prise au dépourvue, Marcy comprends pourtant tout de suite que la situation est dangereuse lorsqu’elle perçoit l’éclat d’une lame dans la main d’un des deux hommes qui s’approchent très vite. Celle qui l’a percuté peine à se relever et, bien trop vite à son goût, els deux types les rejoignent. L’un des deux, un balafré aux cheveux longs, empoignent la jeune fille brune par les cheveux et la tire, lui arrachant un cri de douleur alors qu’elle essaie de s’enfuir, en vain.
- Tu nous as donné du fil à retordre, saleté, mais le vent a tourné…
Puis il se tourne vers Marcy qui se relève. Il fronce les sourcils et crache.
- Une autre ? Putain, marre de ces gamines… Hieros, tu t’en occupes.
Le fameux Hieros, un brun aux cheveux coupés en bol et au teint sombre, a un sourire mauvais aux lèvres et tend une grosse main vers Marcy. Il la retire pourtant vivement en sifflant de douleur. La rouquine, sa fidèle dague à la main, lui a entaillé la paume et se tient sur ses deux jambes. La voleuse n’a aucune idée de ce qu’il se passe, mais une chose est sûre, elle ne va pas se laisser faire.
- Me touche pas, sale porc !