Habitations

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Mathis
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Re: Habitations

Message par Mathis » sam. 3 sept. 2022 22:30

Un tourbillon de feu m'enveloppa et fit de même pour mes compagnons. J'eus à peine le temps de prendre Praline dans mes bras que nous nous élevâmes dans le ciel à une incroyable vitesse, nous n’étions, ni plus ni moins sur le dos du Phénix. Je ne pris pas le temps d'admirer le paysage, après une si longue absence de mon chez-moi, je ne pensais qu'à y retourner.

Afin de ne pas attirer trop d'attention sur lui, le Phénix nous déposa à quelques kilomètres de Kendra Kâr. Plus averti que les humains, il avait découvert que ma beauté s'avérait complète, d'âme et de corps. Il me précisa qu'une petite ménestrel m'attendait à l'auberge de la tortue guerrière, je m'y rendis et passa la soirée entière en sa compagnie, lui racontant avec verve et charisme toutes mes péripéties.

****


Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis. Semaines essentiellement de repos, si on peut appeler ainsi prendre soin de son corps (par une alimentation saine et un entrainement régulier et quotidien) ainsi que de son esprit (par de longues périodes passées à la bibliothèque à lire des ouvrages sur des sujets variés). Bref, des semaines à rester dans la maison familiale, sans affronter monstres et bandits, sans être sous les ordres d’un général ou bien parcourir du pays. Du temps rien que pour moi, pour me ressourcer.

Je venais tout juste de refermer la porte de ma demeure lorsque je vis une petite boule de feu se précipiter dans ma direction. Croyant une attaque, je fis agilement un pas de côté pour l’éviter et m’éloigner de sa trajectoire. Mais ce fut inutile, car lorsqu’elle arriva à moins de trente centimètres de moi, elle éclata pour prendre la forme d’un court texte. À la fois surpris et ébahi, je lus le message rapidement craignant qu’il ne s’éteigne avant la fin de ma lecture. Puis je restai là, songeur quelques minutes. Certes, la forme du message m’avait grandement surpris, mais c’était surtout son contenu qui me rendait pensif. Il s’agissait d’une missive envoyée par Atsuhiko, capitaine de la milice Oranienne. Il demandait de le retrouver à la milice d’Oranan, ou ce qui en restait. Il avait eu un souci avec le fluide et requérait l’aide d’aventurier qui avait connu le monde d’Aliaénon. Ma mission dans ce monde datait déjà de plusieurs années, j’étais surpris qu’on fasse appel à mes services. Mais une chose était certaine, c’est que j’allais accepter cette mission sans hésitation.

Je me remis en marche. Mais au lieu de me rendre à l'arêne comme prévu, je me dirigeai vers la forge d’Argaïe.

---> Forge d'Argaïe

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Adeliade
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Re: Habitations

Message par Adeliade » dim. 30 juil. 2023 01:52

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Je rentrais chez moi, dans le quartier proche des portes de la cité, mi-courant mi-sautillant, simplement heureuse d’avoir enfin réussi un exercice qui était resté impossible pour moi jusqu’à lors. Cette victoire personnelle inattendue avait repoussé aux oubliettes tous les soucis et les questions qui avaient jalonné cette longue journée. Je n’avais qu’une envie: relire les notes que je savais avoir prises dans mon grimoire pour les confronter enfin avec mes observations. Rien que cette impatience me donna l’impression que le trajet s’éternisait et j’accélérai autant que je le pouvais mon pas.

J’arrivai enfin devant ma maison pour y découvrir ma mère qui guettait mon retour depuis le pas de la porte. Ma “punition”... Non, il m’était difficile de voir ce que j’avais vécu aujourd’hui comme telle… Mais je ne pouvais pas non plus dire l’inverse… Rentrer si tard était bien la conséquence de mon retard ce midi. Et je compris à l’attitude de ma mère qu’elle connaissait la raison pour laquelle je n’étais pas à la maison avant la tombée de la nuit. Instinctivement, je ralentis et me calmai. Je n’aurais surement pas le temps de dire un mot avant que la déferlante des “Je te l’avais bien dit!...”, “J’aurais dû t’accompagner et m’assurer de…” et toute la rengaine dont j’avais l’habitude dans ces moments-là. Parfaitement consciente qu’il valait mieux encaisser l’orage plutôt que de tenter de l’arrêter ou l’éviter, je me rapprochai d’elle d’un pas décidé. Sans un mot, elle me laissa entrer avant de fermer la porte, après tout cela ne concernait en rien nos voisins.

Mais rien ne vint, pas un mot, pas une inquiétude, ni un reproche. Lentement, je me retournai pour faire face à ma mère qui attendait patiemment… Mais quoi?... Le regard plein d’interrogations, je la fixai sans trop savoir si c’était de bon augure ou non. Au bout d’un temps qui m’a paru être infini, je vis un sourire naître sur ses lèvres.

“Respire…” me conseilla-t-elle sur un ton un peu moqueur face à ma réaction. Surprise, je ne m’étais pas rendu compte que je retenais mon souffle dans l’expectative de ce qui allait suivre. Répondant à son sourire, je pris une bonne bouffée d’air et me détendis quelque peu.

“Je suis au courant que tu étais en retard pour les enseignements de l’après-midi. Mais un jeune acolyte est venue me prévenir que tu serais retenue car tu avais aidé un enfant en chemin. Que pourrais-je bien dire contre ça, hein?”

Un sentiment profond de soulagement m’envahit à ses mots. Heureuse de l’approbation de ma mère sur l’enchaînement d’évènements, les mots me manquaient. Alors je la pris dans mes bras pour le lui faire comprendre. Étreinte qu’elle me rendit sincèrement. Dans notre famille, on n’exprimait pas les sentiments, on les montrait. Ce moment de complicité partagé, je revins à ce qui remplissait mon esprit.

“Il t’a dit ce que j’ai réussi à faire?”

“C’est toi qui l’as soigné?” me demanda-t-elle hésitante quant à la bonne réponse que j’attendais à ma question.

“Hum… Non… Pas ça…” répondis-je, dans une moue de déception. “Je n’ai pas encore compris comment faire… MAIS!... J’ai enfin réussi à entrer en communion avec les fluides qui sont en moi!”

J’irradiais de fierté en prononçant ses mots. A me voir, on aurait pu croire que j’avais sauvé le monde d’une catastrophe imminente.

“Voilà bien ma fille! Je savais que tu pouvais le faire quoiqu’en disaient ses soutanes!”

“Papa! Tu es de retour aussi?”

“Quoi? Tu crois que c’est un fantôme devant toi?” répliqua-t-il en rigolant. “Ma patrouille a été rappelée, donc me voilà plus tôt que prévu. Qui d'autre est revenu?”

“Vin!”

Mon père se tendit en entendant la nouvelle mais la joie de le savoir de nouveau parmi nous l’emporta rapidement. Sur mon petit nuage personnel, je ne remarquai pas cette demi-seconde d’inquiétude paternelle.

“Et où est-il ce lascar? Ça fait des mois qu’on ne l’a pas vu et il ne vient pas nous saluer?”

“Il a encore des affaires à régler au temple. Maman m’a déjà dit de l’inviter à dîner quand je le verrai.”

Prenant note de mes dires, mon père hocha la tête avant de me relancer sur mes aventures. Il était mon meilleur public. J’enchaînais donc avec le récit complet de l’incident avec le cheval jusqu’à ma séance de méditation, passant sous silence mon échec cuisant pour ne m’attarder que sur mon acte “héroïque” et mon avancée “majeure”. Tandis que je parlais, j’accompagnais mes parents dans un repas convivial comme nous les partagions dès que nous en avions l’occasion. Malgré tout, à peine la dernière bouchée avalée, je pris mon assiette et commençais à faire la vaisselle. Bien que j’avais grandement apprécié cette parenthèse familiale, je n’avais pas oublié mon objectif de la soirée: me plonger dans mes notes et retenter le sort sur moi-même.

Une fois terminée, je pris congé de mes parents et montai sur la mezzanine qui me servait de chambre. J’ouvris enfin mon grimoire et le feuilletais rapidement, cherchant des notes relatives au sort de guérison. Quelques minutes passèrent ainsi et je trouvai celui que je voulais, appelé “souffle de Gaïa” par les fidèles. A la relecture de mes notes, sous l’éclairage de ce que j’avais observé à l’hospice, une nouvelle compréhension s’offrit à moi. Et je me demandais maintenant pourquoi je n’avais pas fait les liens avant. Une fois de plus, c’était une preuve pour moi que l’enseignement du temple ne me convenait pas. Je saisissais parfaitement ce qui était écrit, là n’était pas le problème. Le souci reposait dans le fait que, sans mise en pratique, mon cerveau semblait se refuser purement et simplement à retenir ce que je lisais, oubliant au fur et à mesure que d’autres connaissances lui étaient présentées.

Forte de ce savoir pleinement assimilé, je me concentrais sur mes fluides… Recherchant les mêmes sensations que lors de ma méditation… Une source de pouvoir qui pulsait, comme un cœur battant, lumineuse et bienveillante… Quand on savait ce que l’on voulait, il était bien plus facile de le trouver. Une fois cet état atteint, je guidai petit à petit cette force en moi à se conformer à ce que ma volonté lui demandait… La contrainte ne semblait pas être la réponse… Non… Surtout pas… Établir un “lien” de confiance… Oui… Une coopération… Et je sentis comme une douce chaleur entourait ma main droite, celle que je tenais au-dessus de mon bras gauche “blessé”. Alors j’ouvris les yeux et vis le halo lumineux, plus intense que celui que j’avais déjà observé quand j’utilisais le sort contre les poisons. Sur mon bras, la sensation était la même. Mais cela voulait-il dire que j’avais réussi? Je m'engueulai intérieurement de ne pas m’être au moins éraflée pour constater si, oui ou non, j’étais parvenue au résultat espéré.

Dans un soupir exaspéré envers moi-même, je cherchais autour de moi un objet qui pourrait me servir dans ce but. J’avisai alors une épingle à cheveux, la pris sans réfléchir plus longtemps avant de m’égratigner le poignet. Et je recommençai… La plongée en moi, vers cette pulsation… La coopération… Puis tout s’arrêta… Le lien s’était rompu. En voulant aller trop vite, l’aide mutuelle était devenue contrainte… Je pris le temps d’inspirer et d’expirer plusieurs fois, pour me calmer avant de réessayer. La plongée… Le cœur lumineux… Et un voisin choisit cet instant pour pousser la chansonnette dans la rue, visiblement ivre. Déconcentrée, les fluides m’échappèrent.

(Peut pas se taire oui?!...)

Enervée, je coulais un regard mauvais vers la fenêtre comme si le bougre pouvait en avoir conscience. Sans attendre, je retentais une nouvelle fois mais ce ne fut guère payant. L’énervement ressenti et non apaisé avait peut-être interféré, qu’est-ce que j’en savais… Comment faisaient les guérisseurs comme mon père? En plein combat, il parvenait bien à soutenir ses compagnons d'armes. Je supposais que dans de tels moments, demeurer calme et serein n’était pas possible. Ce ne devait donc pas être requis dans la réussite du sort. Jetant un œil au rez-de-chaussée, je vis qu’il était encore là, le nez dans un rapport a priori. Nulle trace de ma mère, qui devait déjà être allée se coucher. J’en profitai et redescendis pour aller poser cette question à mon père.

“Tu ne dors toujours pas?”

“Non… Je relisais mes notes et j’essayais de lancer le “souffle de Gaïa”…”

“Ca t’a marqué ce qu’il s’est passé avec cet enfant hein?”

D’un simple hochement de tête, j'acquiesçais.

“Tu veux en parler?”

“Hum… Non… Mais ce soir j’ai remarqué que je ne dois pas être déconcentrée si je veux entrer en communion avec mes fluides… Je me demandais… Comment tu fais pour réussir à lancer des sorts en plein combat?”

Il me regarda sérieusement, comme pesant le pour et le contre quant à la réponse qu’il devait me donner. Finalement, il sembla se décider en parlant de sa propre expérience et de ce qu’il avait pu observer par rapport aux autres guérisseurs qu’il avait croisés sur les champs de bataille. Il m’expliqua qu’il s’était simplement entraîné et que la vie l’y avait obligé mais que d’une manière cela dépendait aussi de celui qui lançait le sort. Certains, comme lui, pouvaient se battre et y parvenir, tandis que d’autres paraissaient avoir un blocage et avaient besoin d’être en sécurité plutôt qu’au calme. Mais une chose était sûre, ils étaient souvent les plus jeunes ou les derniers arrivés. Il ajouta qu’il n’avait pas fait exception au début, il n’exerçait que dans les lignes arrières. C’était juste que le temps passant, certains se défaisaient de cette entrave, d’autres pas.

“Qu’en penses-tu?”

“L’expérience… Et l’habitude… J’ai compris, il faut savoir marcher avant d’essayer d’apprendre à courir. Merci papa.”

Je lui souhaitai de nouveau une bonne nuit et retournai vers ma chambre pour m’installer et continuer à m’entraîner. Avec un dernier regard vers mon père avant de monter, je le vis me regarder m’éloigner en souriant, visiblement plus confiant en mes capacités que je ne l’étais moi-même. Une fois sur mon lit, je me remis en position, calme et déterminée. La plongée dans la lumière pulsatile… L’entente… Une volonté commune… Et enfin la douce chaleur revint entourer ma main… Caresser mon bras… Apaiser le tiraillement au niveau de mon éraflure. En ouvrant les yeux, je pus constater que je n’avais plus aucune marque sur mon poignet. Mais avant même que je ne pus vraiment savourer la joie d’avoir réussi, je ressentis une fatigue étrange, impérative. C’était comme si j’étais sommée de me reposer sans plus attendre. Mon but atteint, rien ne m’empêchait de répondre à ce besoin impérieux. Je m’allongeai directement sur le lit et me laissai doucement glisser dans le sommeil. Je ne me rendis pas compte que mon père avait assisté à ma réussite, m’observant de la table où il était encore assis. Il monta à son tour, silencieusement, pour étendre une couverture sur moi avant d’aller lui aussi se coucher. Il arborait un sourire empli de fierté que je ne pus voir.

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Shilann
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Re: Habitations

Message par Shilann » mer. 29 janv. 2025 22:36

L'AVANT (dans les rues de la ville)


Je suis finalement rentrée à « La Tortue Guerrière », auberge où je loge habituellement, avant que la nuit ne submerge la ville. J’avais auparavant laissé Pablo en bordure du marché en lui promettant de venir le voir rapidement chez Tonio, son nouveau lieu de travail, si bien sûr, il était d’accord. Il s’était contenté d’un « Mmh, Mmh ! » suffisamment éloquent pour que je suppose que c’était bien le cas. Le pauvre devait se demander ce que j’attendais de lui…
Après une toilette et un bon plat chaud que Tina avait accepté d’apporter dans ma chambre, je me suis écroulée comme une masse pour me réveiller en excellente forme, ce matin.
J’ai ouvert les yeux en sachant déjà que la journée allait être particulière.
Inutile de mettre en doute ce sentiment, l’expérience m’avait appris que cela ne servait à rien. Notez que ce qui fera la « particularité », bonne ou mauvaise, de la journée pourra être totalement insignifiant en lui-même, au point de ne pas être perceptible, contrairement aux évènements qui en découleront. C’est bien là toute la subtilité du phénomène, et son inutilité… J’en suis quitte pour ouvrir l’œil.


Mais, j’ai vite chassé ces pensées pour me consacrer entièrement aux soins à apporter à ma toilette, puisqu’il me fallait, en effet, retourner dans le centre bourgeois où m’attendait, dans sa très jolie maison et comme à chacune de mes visites dans la capitale, Annaliesa de Bosques.

Annaliesa — très jolie kendranne issue de la noblesse — est, sans conteste, la plus fantasque, la plus libre, la plus chère et la plus ancienne de mes amies. Il faut dire qu’elle m’a connue alors que je n’avais que trois ans. À cette époque, j’étais pour elle une sorte de petite poupée à déguiser avec laquelle elle aimait jouer… Il est vrai qu’elle-même avait tout juste douze ans.
Nos mères se sont fréquentées jusqu’au décès de la mienne et en conséquence, nous avons fait de même. Lorsque j’ai dû aller vivre chez mon oncle, nous ne nous sommes plus vues. De son côté, elle s’était mariée avec un diplomate qui venait d’être nommé ambassadeur dans je ne sais plus quelle contrée ; et du mien, l’épouse de mon oncle — que je refuse obstinément d’appeler ma tante — n’avait de cesse de me couper de mes relations passées.
Nous avons renoué nos liens par hasard, en nous recroisant quelques semaines avant que je fugue et que je me fasse « adopter » par la troupe de saltimbanques. Je sais que, durant toute ma période « artistique », elle a gardé un œil sur moi par un truchement à sa façon. Je ne sais lequel.
Jamais en manque d’excentricité, cette aristocrate nous rendait visite parfois, à moi et la troupe. Elle semblait fascinée par ce monde et en particulier par l’un de ses habitants, le fameux Samuel... Elle a été également bien présente lorsque je les ai quittée et m’a aidée à m’installer à Nyr’Eylïem de plus d’une façon.
Davantage qu’une amie, elle est pour moi une sœur.


Apprêtée comme il se doit, je me hâte de prendre la route pour les beaux quartiers et j’arrive rapidement devant la demeure de mon amie, si semblable à celle, jadis, de mes parents. La façade à l’élégante sobriété brille sous les rayons d’un jeune soleil. L'uniformité du marbre blanc est brisée par une porte d’entrée en bois lisse d’une chaude couleur brune, ornée de délicates ferronneries. Il y a même un heurtoir, bel ouvrage représentant… tiens, c’est nouveau… euh, une boule de Kubi, semble-t-il. Si message il y a, il est par trop clair… Je suis hilare en me servant de l’objet.

On vient m’ouvrir sur le champ et, selon une habitude bien établie, on me fait entrer sans transition dans le petit salon particulier de la maîtresse de maison. À peine deux minutes plus tard, une tornade blonde, nichée dans de la soie vert pâle arrive, ou plutôt jaillit, dans la pièce et se dirige droit sur moi.

Lyzabell, enfin ! Comme j’étais impatiente de vous voir ! Croyez-vous que quelqu’un se soit hâté de me dire que vous étiez finalement arrivée ? Non, bien sûr ! Et vous qui patientiez dans cet horrible salon… Comment allez-vous, ma chérie ? *elle me prend par les deux mains et les écarte* Regardez-vous, vous êtes resplendissante ! Quand donc êtes-vous venue pour la dernière fois déjà… Non, non, ne me dites rien… C’était il y a bien trop longtemps de toute façon ! *Elle me serre contre elle pour me saluer.* Le temps passe à une allure folle, ne trouvez-vous pas ?… Mais asseyons-nous, asseyons-nous !

Notre installation sur les confortables sièges de ce petit boudoir m’offre la brève accalmie qui me permet de placer quelques paroles.
Oui, il existe bien une personne qui débite plus de mots que moi, entre deux respirations.

C’est un réel plaisir de vous revoir, Annaliesa. Je suis heureuse de constater que votre penchant pour l’exagération est intact, ainsi que votre sens de l’humour. Quelle est donc cette chose extravagante qui vous sert de heurtoir ?

Elle rit.

Je laisse le soin à chacun de comprendre sa signification, il a déjà été suffisamment compliqué d’en trouver le maître d’œuvre… Et le plus important est que cela ne vous a aucunement empêchée d’entrer !*elle se tourne vers la porte* Mais que fait donc ce thé ! Il devrait déjà être servi. *puis revient vers moi* Vous allez bien en prendre une tasse, n’est-ce pas ? Vous verrez, c’est un mélange ynorien réalisé spécialement pour moi ! Vous vous souvenez de Ryung, j’imagine ? *Faute de pouvoir parler, j’incline du chef et souris au nom évoqué* Bien sûr, suis-je bête… personne ne peut oublier Ryung et vous encore moins qu’une autre… Eh bien, figurez-vous que c’est lui qui me fait parvenir cette petite merveille. N’est-il pas charmant ? Mais je parle, je vous accapare alors que…

Et voici qu’elle s'interrompt à l’arrivée sur un plateau, dudit thé. Et du charmant éphèbe à la beauté spectaculaire chargé de nous l’apporter.

» Ah ! Enfin, Dimitri. Posez donc cela ici, je vous prie.

Pendant qu’il dépose son fardeau sur la table basse qu’elle lui désigne, je remarque qu’Annaliesa le couve du regard, un demi-sourire aux lèvres et qu’elle le suit des yeux jusqu’à ce qu’il s’en retourne à la porte. L’œillade qu’ils échangent avant qu’il quitte la pièce vaut toutes les explications du monde. Elle se tourne alors vers moi la mine des plus satisfaites avant que son front se plisse sous la contrariété.

» Oh ! non Lyzzie, pas vous ! Quel est donc cet air pincé que vous prenez et qui ne vous sied pas du tout ? Vous me connaissez suffisamment, je crois, alors pourquoi semblez-vous être choquée ? Parce que mon « passe-temps » est à demeure ? *Elle se penche vers la table pour saisir la théière* J’aime mon époux, mais Kaspar et moi avons un arrangement, vous le savez bien.

Kaspar, de toujours le mari très complaisant de mon amie.

Vous savez pertinemment que je ne suis pas choquée. En revanche, je suis surprise, *je réponds en la regardant emplir nos deux tasses* car en général, vous préférez « passer le temps » ailleurs que dans votre maison.

Ah, mais c’est toujours le cas ! *elle repose la théière* Disons que là, j’ai joint l’utile à l’agréable… je n’ai pas pu m’empêcher cette petite privauté. Et si cela peut vous rassurer, sachez que dès le retour de mon époux, une nouvelle place des plus confortables attend ce bon Dimitri chez des amis chers ! *avec un sourire, elle se penche vers moi et poursuit sur le ton de la confidence* Avouez tout de même que vous n’y auriez pas résisté non plus, pas vrai ?

Je ris, ce qui m’évite de répondre et je change de sujet.

À ce propos, comment se porte-t-il, ce brave Kaspar ?

Oh ! *elle fait un petit geste désinvolte de la main* Toujours égal à lui-même. Il est en voyage actuellement avec toute une clique de diplomates et de conseillers… des soucis à régler avec un duché voisin. Vous n’êtes pas sans savoir que les choses sont un peu délicates en ce moment dans le Royaume… Mais laissons cela ! Vous savez combien la politique et tous ses méandres m’ennuient et à quel point, je n’y entends rien…

Son œil espiègle et le sourire qui l’accompagne soulignent, bien sûr, le gros mensonge qu’elle vient de proférer.
Je ne connais personne de plus au fait de tout ce qui se trame dans les sphères les plus hautes et même, dans celles qui le sont bien moins... Elle a l’art et la manière d’attirer les confidences et de se mêler à tous les milieux, comme j’ai pu le constater. Je la soupçonne depuis longtemps de faire partie de quelque organisation confidentielle liée au Pouvoir, même si je ne suis pas sûre de savoir de quel pouvoir il s’agit, ni même de vouloir le savoir.


» Allons, buvons ce thé ! Vous me direz ce que vous en pensez. Et puis nous parlerons, nous déjeunerons et nous parlerons encore, car.. Je dois vous soumettre une proposition. »
Tiens donc…

Modifié en dernier par Shilann le jeu. 6 mars 2025 15:32, modifié 3 fois.
Lyzabell Hartuel dite Shilann ✯ Magie ✯ Humaine Hafiz/Kendrane

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Shilann
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Re: Habitations

Message par Shilann » mer. 29 janv. 2025 23:35

L'AVANT

Ce qui fut dit fut fait.
Nous sommes revenues dans son petit salon après un délicieux repas — extrêmement copieux — auquel, l’une comme l’autre, avons fait grand honneur. Au diable, raffinement et délicatesse !
Ce faisant, nous avons échangé les dernières nouvelles, avons évoqué les choses plaisantes du passé et même les autres qui l’étaient moins. Nous avons souvent eu les yeux humides, de rire ou d’émotion. Bref, nous avons bavardé entre amies.


L’heure était, à présent, au plaisir de déguster une merveilleuse liqueur de lait qui avait acquis son arôme dans je ne sais quelle cuve de Lúinwë, et aux discussions plus sérieuses. Sauf qu’à nous voir ainsi affalées chacune dans un fauteuil, sous l’emprise d’une digestion bien amorcée et un verre à la main, le doute avait sa place…
Annaliesa avait, depuis longtemps, laissé tomber le rôle de l’insouciante évaporée jabotant à l’envi qu’elle jouait à mon arrivée. Un personnage de façade qu’elle incarne la plupart du temps, autant par amusement que pour l’avantage qu’il procure à passer pour une écervelée. J’ai devant moi la femme intelligente, posée et très informée qu’elle est et que je connais.

Il est temps que vous me racontiez tout sur cette fameuse proposition, Anna ! Elle m’intrigue, car habituellement vous ne faites preuve d’aucun mystère et n’auriez pas même attendu le dessert pour tout dévoiler.

Elle a un petit sourire pas forcément joyeux.

J’y viens, j’y viens… simplement, je lutte avec mes scrupules, car dès lors que je vous aurai parlé, vous aurez le pied dans une trame de laquelle vous aurez du mal à sortir, je le crains. En plus du danger que cela pourrait comporter.

Vous ne pensez tout de même pas endiguer ma curiosité avec ce genre de propos ? De quoi s’agit-il cette fois ? Est-ce si différent de ce que vous m’avez déjà demandé par le passé ?

Eh bien… pas vraiment par la forme j’imagine, mais définitivement par le fond.

Son visage arbore un sérieux inhabituel et elle semble chercher ses mots. Avant de poursuivre, elle se redresse dans son fauteuil. Sûrement par mimétisme, ou parce que l’ambiance me semble prendre un tour moins léger, je fais de même.

» Jusqu’ici, toutes les petites missions que je vous ai confiées ne servaient que mes seuls profit et commerce. Que vous réussissiez ou pas à recueillir les informations demandées n’avait au fond que peu d’importance. En cas d’échec, je me serais simplement débrouillée autrement.
De votre côté, soutirer ces informations à des personnes que je vous désignais et qui vous consultaient pour que vous leur dévoiliez leur avenir vous amusait. Vous preniez cela comme un défi et, par la même occasion, vous me rendiez service, ce qui — ne niez pas — vous donnait l’opportunité de me rembourser la dette imaginaire que vous croyez avoir envers moi.


Je nie tout de même, ou du moins je tente car elle m’arrête d’un geste de la main.
Mais au fond, a-t-elle tort ? Évidemment que je me sens redevable ! Elle a tant fait pour moi.

» Cette fois, la proposition que je dois vous soumettre n’est pas de mon initiative et c’est tout le problème car je n’en connais pas le dessein ni même les conséquences.

Ce qui n’augure rien de bon.

» Il y a quelques jours au cours d’une réception, et à ma grande surprise, j’ai été approchée par une personne qui me connaît à l’évidence bien mieux que je ne croyais la connaître.

Chose qu’elle n’a pas du tout appréciée, si j’en crois le ton durci de sa voix et son sourire désabusé.

» Au bout des quelques amabilités et platitudes que l’on échange généralement durant ces diners, elle a finalement abordé le sujet qui lui tenait à cœur, à savoir, vous. Elle semble vous connaitre également très bien. J’entends par là que, non seulement elle sait tout de vos activités, mais qu’elle sait également qui sont vos parents, votre famille, et quels sont nos liens, évidemment.

À mon tour de ne pas aimer… mais alors, pas du tout.
Pour garder une contenance, je me lève et me dirige vers la desserte voisine pour y poser mon verre vide.

» Vous n’avez pas à vous inquiéter, c’est uniquement Shilann et son travail qui l’intéressent, pas Lyzabell, ni la famille Hartuell et croyez-moi, nous allons faire en sorte que cela ne change pas.

Oui, ce serait fort judicieux, j’annonce simplement.

Au diable, les longs discours. Elle me connaît mieux que personne, elle sait ce que je ressens à cet instant.
Je récupère son verre et le pose à côté du mien. Lorsque je suis nerveuse, je préfère m’occuper.

» Eh bien ? Quelle proposition soumet-elle à Shilann ?

Je me fais bêtement la réflexion que pour quelqu’un d’intérieurement aussi agité, ma voix est bougrement égale… et ma main, en remplissant les deux verres de liqueur, fichtrement stable. Et moi, foutrement vulgaire… Lorsque je suis nerveuse, je suis également grossière.

J’y arrive… Mais avant d’aller plus loin, sachez que cette personne n’est qu’un émissaire qui agit pour le compte d’une sorte de mystérieuse coterie — ce qui ne doit pas vous impressionner car, actuellement, il en nait autant qu’il en disparait… —, coterie dont je ne connais ni les intérêts ni les membres. Du moins, pas encore.

Je lui fais toute confiance sur ce dernier point.

» En m’informant de cela, elle a clairement insisté sur le grand pouvoir de nuisance de ceux qu’elle représente, en vue, je présume, de parer à toute tentative de dérobade de ma part, comme de la votre. Je ne sais à quel point il faut croire à ses dires, mais si je dois en juger par certains détails précis qu’ils savent de moi, leur pouvoir n’est pas négligeable. Et il est essentiel que vous en ayez conscience.

Je vois… il ne s’agit pas vraiment d’une proposition dont je pourrais disposer à ma guise.

Je le crains. Quoi qu’il en soit, après ce préambule, j’ai finalement pu connaître leurs desiderata.

Je suis tout ouïe tandis que je ramène les verres, lui tends le sien et retourne à mon fauteuil.

» Dans un premier temps — car bien d’autres suivront, de toute évidence — ils veulent que vous preniez un nouveau client et que vous en fassiez le plus fidèle d’ entre tous.

Je suis étrangement déçue.

Ah… après tant de mises en garde, je m’attendais à quelque chose de plus… ambitieux, pas vous ? Même si ce n’est pas simple. Savent-ils au moins comment les choses se passent ? Que je ne prends pas de client, que ce sont eux qui viennent à moi ?

Oui, je crois qu’ils s’en doutent… Comme rien ne doit paraitre calculé, ils suggèrent que vous vous serviez d’une dame qui l’est déjà, cliente j’entends, pour qu’elle incite un certain monsieur de sa connaissance à vous consulter. Que vous, je cite, « instilliez » cette idée dans son esprit de manière à ce qu’elle pense que c’est la sienne et pour qu’elle n’ait de cesse qu’il vienne vous voir.

Elle sourit en récitant cette dernière phrase, anticipant certainement ma réaction. J’éclate de rire.

« Instiller » une idée… Sont-ils conscients que je n’ai aucun pouvoir véritable ? J’agis par instinct et par simple connaissance de la nature humaine. Je vous rappelle avoir fait mes classes dans la troupe de Bruno !

Je ne le sais que trop et eux aussi. Mais vous n’avez pas votre pareil pour faire passer des vessies pour des lanternes, je me trompe ?

Il est toujours plaisant d’être reconnue à sa juste valeur… Pour la peine, je lui adresse une grimace.
Mais je redeviens vite sérieuse, car la situation ne se prête pas vraiment à la plaisanterie.

Je ne comprends pas… est-ce cette « aptitude » qui les intéresse chez moi ? Je demande sérieusement car, avec tous les filous et gredins qui courtisent le grand monde, je me dis qu’ils avaient un étal bien fourni et sans scrupule à leur disposition.

Pour ma part, j’ai beau être une cartomancienne de foire et fabriquer des talismans improbables, j’aime penser que j’aide réellement les gens, que je leur prodigue de bons conseils qui relèvent essentiellement du bon sens. J’ai tout de même des principes, bon sang !


Seulement en partie… Il semble qu’ils aient été impressionnés par le sérieux avec lequel vous exercez et par l’adaptabilité de vos prédictions qui ne peuvent que tomber juste… — ne me regardez pas ainsi ! j’imagine qu’ils ont mandaté un comédien à vos dépens pour qu'il les renseigne.

Je m’esclaffe à demi en pensant qu’ils avaient dû être encore plus impressionnés par ma faculté à flairer les supercheries…

» Il y a également votre clientèle… Depuis deux ans, le bouche-à-oreille a fait merveille, vous vous êtes forgé une belle réputation auprès des « croyants ».
Si je vous ai envoyé certaines personnes pour hâter vos débuts et d’autres pour mon propre intérêt, l’affaire a pris cette ampleur bien imprévue uniquement grâce à vous. Certains de ceux qui vous consultent sont des gens haut placés, je puis vous l’assurer, plus que vous n’en avez conscience. Et je pense que cela a été remarqué.
Ces personnes qui viennent à vous de leur plein gré et qui vous parlent sans y être forcées, voilà un grand atout qu’ils veulent certainement exploiter.


Merveilleux... Me voici donc transformée en quelque informatrice, pour le compte d’on ne sait quelle clique et dans le but de fomenter on ne sait quel complot… Ai-je bien résumé la situation ?

Sa moue pincée est éloquente.

» Mais pourquoi se servir de vous ? N’était-ce pas moins risqué de me faire cette proposition en personne, à Nyr'Eylïem ?

J’y ai réfléchi et je penche pour plusieurs raisons. La discrétion en est une, car d’un point de vue extérieur aucune habitude n’a été changée, cet émissaire m’a fait passer son message au cours d’une simple conversation comme nous en avons eu tant d’autres au cours de diverses réceptions passées. Et le chantage en est une autre, puisqu’en faisant de moi leur messagère, je me trouve impliquée. Et de fait, si vous n’obéissez pas, vous ne seriez plus la seule à subir lesdites nuisances. Je deviens un moyen de pression.

Bien vu… Jamais je ne me risquerais à lui causer des ennuis.

Je suis désolée, Anna…

Ah non, Lyzzie, ne le soyez pas ! S’il y a une fautive, c’est moi. Et eux, surtout eux.
Et puis, ne vous mettez pas martel en tête, ce qu’ils détiennent sur moi n’est pas grand-chose par rapport à ce qu’ils auraient pu réellement savoir. J’ai donc encore quelques atouts dans ma manche.
Soyons discrètes à notre tour et faisons leur jeu. De votre côté, vous allez accéder à leur demande, puisque cela n’a pas encore grande conséquence et pour ma part, je vais lâcher les chiens et essayer de débusquer ces fâcheux.


Un plan simple qui me convient.
Le silence qui suit est plein de réflexion et me permet de prendre davantage la mesure de la situation.

De quelle cliente s’agit-il ? Je demande au bout de quelques instants, puisqu’il faut bien revenir à nos moutons…

Dame Bannion, à laquelle vous devez rendre visite demain matin, si je ne m’abuse.

Elle me surprendra toujours.
Je ne perds pas de temps à demander d’où elle tient cette information, car il m’en reste bien peu pour me préparer à ce qui m’attend.

» Oui, je sais… l’échéance est brève. Aussi, vais-je m’empresser de vous donner les autres détails dont on m’a informée. »

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Message par Shilann » dim. 9 févr. 2025 14:41

L'AVANT


Une échéance bien courte, en effet.
À peine le temps d’assimiler les nouvelles informations confiées par Annaliesa et d’imaginer une manière plus ou moins subtile d’amener cette pauvre femme, qui ne demandait rien, là où je voulais.
Heureusement pour moi, apprendre la nature du lien entre ce mystérieux homme que convoite la coterie et elle, m’a permis d’envisager diverses approches presque vraisemblables… presque, car le lien en question est plutôt ténu.

J’ai très mal dormi cette nuit. Je me suis réveillée des tas de fois, car mon cerveau ne cessait de concocter des stratagèmes loufoques qui, dans mes rêves, semblaient d’une logique imparable. Sans oublier cette colère… Quoi de pire que de devoir agir sur ordre et d’être ainsi contrainte par des gens qui se permettent de s'ingérer dans ma vie ? Cela me ramène beaucoup trop à une période du passé que je préfère oublier. En me levant, si elle est toujours présente, je la tiens sagement en laisse, car elle pourrait me faire faire des bêtises.

Et ainsi, me voici comme prévu en ce milieu de matinée, à officier dans le boudoir de Dame Kalys Bannion.
À mon intention, elle avait fait tirer les lourds rideaux de la pièce et disséminer des bougies dans tous les coins. On avait dû également faire bruler quelques encens, car il y flottait une forte odeur de bois de santal. Je reconnais là une tentative et une louable attention, de rendre l’atmosphère semblable à celle qui règne dans mon officine de Nyr’Eylïem qu’elle connait bien.


Depuis un petit moment, je brasse trente-neuf cartes faces cachées à plat sur la table.
Dame Bannion, assise en face de moi, regarde attentivement mes gestes, en tenant la quarantième contre son cœur.
« À présent, reposez-la parmi les autres. » dis-je à voix basse, en retirant mes mains du jeu.
Elle s’exécute en glissant prudemment sa carte entre deux autres et récupère rapidement ses doigts certainement de peur de les voir happés par quelque force inconnue. Ce genre d’attitude n’est pas rare parmi mes clients, elle est même assez fréquente chez les vrais croyants qui, s’ils respectent mon art, le craignent d’autant plus.

Je reprends brièvement mon brassage, avant de réunir le tout en un paquet. Puis j’étale les cartes devant moi en cinq colonnes de huit rangées. Je repère celle qu’elle tenait et qui la représente dans le jeu. Elle se trouve au beau milieu de la troisième colonne.
Seules m’intéressent celles qui l’entourent ainsi que celles qui leur sont adjacentes, je retire donc toutes les autres. Il en reste vingt-cinq à interpréter, c’est-à-dire le maximum.


Ma cliente, qui n’en est pas à sa première consultation, est ravie.

«  Oh ! Vous allez pouvoir m’en dire des choses ! » elle chuchote, excitée, avant de plaquer précipitamment le bout de ses doigts sur ses lèvres, se souvenant trop tard qu’il ne fallait pas perturber la réception du fluide spirite

Suivant que l’on est assis d’un côté ou de l’autre du jeu de cartes, le fluide spirite est perçu différemment. Il est, soit une force provenant d’un autre plan qui sensibilise à l’interprétation des cartes, soit une justification bien commode qui permet d’avoir le temps d’inventer une prédiction adaptée… Alors que mon attitude, elle, est définitivement la même : je fixe les dessins peints sur les cartons et j’attends que quelque chose vienne…

Magnanime, je passe outre cette interruption en lui adressant une ébauche de sourire.

Mains posées bien à plat devant moi, j’observe le jeu… un bon petit moment.
Je me concentre sur la Danseuse des Clefs, censée figurer ma cliente, et sur chacune des cartes qui, de près ou de loin, l’entourent… les choses se mettent en place en douceur… ceci sur sa gauche… et cette autre Danseuse, juste au-dessus d’ « elle »… et là en dessous…
C’est assez simple, en réalité. Aidée par les significations que je donne à chacune de ces illustrations depuis presque une décennie, par les figures, les décorations toujours inspirantes et leur position, j’entrevois un fil conducteur. D'autant plus que je connais son principal sujet de préoccupation, puisqu’il s’agit essentiellement du même depuis que je la côtoie.

Dame Bannion est une grande femme brune d’une trentaine d’années, plutôt jolie, qui n’a qu’un seul principal souci dans la vie : son sentiment d’infériorité vis-à-vis de la sœur de son époux. Depuis son mariage, il y a quelques années, elle est en constante rivalité avec cette dernière. Rivalité qu’elle n’affiche pas, bien sûr, mais qui la mine à chacune de leurs rencontres. Son besoin régulier de faire appel à mon « don » n’a, en général, pour but que de se rassurer par rapport à celle-ci.

Je perçois sa fébrile impatience, tandis que son regard passe du jeu à ma personne de plus en plus fréquemment. Je sens qu’elle se retient de pousser des « Alors ? » incitatifs, mais — merci, le fluide…— elle n’ose plus rien perturber, de peur de retarder davantage mes révélations.
Car oui, je tarde… Je réfléchis trop.
Je me lance enfin, en désignant au fur et à mesure de l’index, chacune des choses que j’annonce.


«  Voici votre carte, comme vous le savez… et ici, ce qui occupe votre esprit, *la Danseuse des Lames qui se trouve juste au-dessus* une femme plutôt libre qui aime parader.*elle a un petit reniflement sec qui en dit long sur ce que cela lui inspire* Vous allez vous retrouver très prochainement ensemble en compagnie de plusieurs autres personnes, une fête peut-être… *le Sept et le Six des Lames à la gauche des deux Danseuses*, Mais vous craignez un obstacle ou un échec… *le Quatre des Masques inversé, juste sous ma consultante*, un échec en rapport avec une tâche qui s’accomplit *Cinq des Clés, à droite du Quatre* et ce sentiment va croissant *Cinq des Masques, sous le Quatre*. Êtes-vous en train de préparer vous-même cette… fête qui vous pose souci ?

Comme elle n’attendait que cette invitation de ma part pour pouvoir enfin parler, les mots se précipitent :

Mais oui ! Absolument ! Dans cinq jours précisément, nous recevons une vingtaine de convives. Oh ! Cela ne sera pas une fête à proprement parler… juste un grand dîner décidé par mon époux, qui se voudrait informel. Mais ce ne sera pas vraiment le cas, car il y aura deux ou trois dignitaires du Château Royal… des gens importants pour ses affaires… Il faudrait plus ou moins les impressionner, alors chaque détail doit être parfait vous comprenez ?
Incroyable, vous êtes toujours aussi stupéfiante ! Comment faites-vous ?!


D’enthousiasme, elle bat des mains comme une petite fille.

Serait-il charitable de ma part de faucher cet élan d’admiration en avouant avoir entendu, dès mon arrivée, une conversation entre serviteurs sur la somme de travail que représentait cette réception et la nervosité de leur maitresse ? Non, bien sûr que non.
Alors, au lieu de cela, je lui adresse un sourire énigmatique, en indiquant d’un gracieux mouvement des mains, quelque chose censé se trouver autour de nous… Le fluide peut-être… ou les domestiques.
Rien n’est mensonge, tout n’est qu’interprétation.


Sans plus m’appesantir, je reprends.
Est-ce que cette femme est l’une de ces dignitaires ? *Je montre une nouvelle fois la Danseuse des Lames* Elle semble être le centre de vos angoisses…
Non, non ! Il n’y a aucune femme parmi eux. Je crois qu’il s’agit plutôt d’une autre invitée… Ornelia, ma belle-sœur… sa présence pourrait être une source de problèmes…

Je feins l’étonnement puis la compréhension

Évidemment… voilà qui explique ce Trois et ce Deux des Clefs inversés *J’indique les cartes à sa droite * qui ensemble symbolisent les conflits latents et passés… Une présence imposée… Mais vous ne m’avez pourtant jamais confié qu’elle vous avait sciemment causé du tort précédemment ? Et, d’ailleurs, rien dans ce que je vois n’indique que cela se produira à cette occasion.

Effectivement, je ne vois rien de tel et pour cause… mais mon instinct est fiable et je pourrais parier ma collection de soie ynorienne que cette redoutée belle-sœur n’a ni la conscience ni la volonté des intentions qu’on lui prête.

Non, bien sûr, elle ne ferait rien de tel, d’autant que cela causerait des soucis à son frère… C’est surtout que… je me sens si nerveuse en sa présence… elle pose sur vous un drôle de regard qui semble vous juger… vous n’avez pas idée ! Et puis, cette manière d’être à l’aise partout, d’avoir un avis sur tout, de se permettre d’intervenir dans n’importe quelle conversation… Pour ma part, je suis incapable d’agir ainsi, je suis bien trop réservée… Imaginer qu’elle puisse se comporter de la sorte dans ma propre maison… lors de cette importante réception… est terrifiant.*Elle inspire profondément* Je sais que c’est puéril, mais… elle sera le centre de l’attention et je vais certainement en perdre mes moyens, faire des erreurs et m’éteindre littéralement. Je ne serai plus que la compagne bien terne et incapable de mon époux… Cela rejaillira sur son prestige et sa dignité, fatalement ! Ce sera une catastrophe !

À mesure qu’elle parle, sa voix effectue un joli crescendo tandis qu’elle tapote le haut de son corsage au rythme des palpitations que semble lui donner ce qu’elle annonce.
La situation parait lui faire frôler le malaise…


Ce ne sera pas le cas !*je lance d’une voix ferme* La réception sera une réussite, croyez-moi ! Regardez, *je désigne les Cinq, Six et Sept d’Étoiles , qui se trouvent sur la gauche et… * les étoiles de la gloire très prochainement, en rapport avec cette assemblée de personnes *…qui entourent le Sept des Lames déjà sollicité*. Vous voyez ? Pas de catastrophe.

Elle me lance un pauvre regard où l’espoir pourtant présent, a peur de dominer.

» Vous ne devriez pas vous inquiéter, votre réputation d’hôtesse accomplie n’est plus à faire. Et vous n’avez nul besoin d’agir comme votre belle-sœur pour briller… La discrétion a aussi son charme, il suffit de savoir en user. Vous savez que je peux vous aider sur bien des points…

Elle se redresse, animée par cette nouvelle perspective.

Mais suis-je bête parfois ! Bien sûr ! L’amulette que vous m’aviez donnée avait fait des merveilles ! Comment ai-je pu l’oublier !? Vous allez m’en préparer une autre, n’est-ce pas ?

Je ferai ce qu’il sera bon de faire une fois que tout sera révélé et la séance achevée.

Évidemment, évidemment ! Pardonnez-moi et poursuivons.

Je consens d’un signe de tête avant de reprendre.

Comme je vous le disais, les augures concernant votre réception sont bons. Il semble même que vous y trouverez un allié *je montre l’Acrobate des Clefs en haut, à l’angle gauche* ; un allié moral, devrais-je dire, un homme que vous avez déjà rencontré, mais qui semble connaitre davantage votre belle-sœur ; quelqu’un qui, d’après ceci, *j’indique le Quatre des Clefs inversé, deux cartes à droite de l’Acrobate* a bien des réticences à son égard.

Un bien joli boniment.
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Message par Shilann » dim. 9 févr. 2025 16:11

L'AVANT


Non. Un beau, gros boniment.

Mais un boniment tout à fait cohérent avec ce que montrent les cartes, puisque c’est en voyant que l’Acrobate était de la même enseigne — les Clefs — que la figure qui représente ma cliente, que l’idée de cette « alliance » a jailli dans mon esprit. Sans compter, ce quatre inversé que j'associe souvent à la dissension.
Et surtout, un boniment qui devrait faire avancer mon affaire… Car je vois deux conséquences à ce que je viens d’annoncer, dont une bonne action ; d’abord, en pensant avoir un tel soutien, même mystérieux, elle se sentira plus solide pour affronter ce diner ; mais, chose plus importante, c’est que la connaissant je suis presque sûre qu’elle va vouloir passer…


Vraiment ? Mais qui donc cela pourrait-il être ? *son visage affiche la surprise la plus totale, avant de montrer une grande concentration* Voyons… certainement pas son époux dont la présence n’est pas confirmée et qui, j’ose l’espérer, l’apprécie… Pas plus que le mien, qui voue une adoration à sa sœur… Il ne peut s’agir d’aucun des dignitaires qui seront présents puisque je ne les connais pas… Est-ce que les Sieurs Keyran, Arvoc ou Aymeric… Non, non, il n’y a qu’à voir comment la regardent les deux premiers… quant au troisième, je crois qu’il ne l’a jamais rencontrée… Peut-être Monsieur du Cless ? Mais j’ai du mal à penser qu’il pourrait m’être d’une quelconque aide… Non, je ne vois décidément pers… Oh… ce n’est quand même pas Egan Desterian…!

… en revue la liste des invités.

Elle se tait un moment, sourcils froncés, réfléchissant de toute évidence au dernier nom cité.
De mon côté, je suis assez satisfaite, car même si je le pressentais depuis un moment, je n’étais pas du tout certaine de la présence de ma cible à une réception dont je ne connaissais pas même l’existence il y a une heure.
J’avais simplement misé, à tort ou à raison, sur le fait que la coterie pouvait être au courant et que c’était pour profiter de cette opportunité qu’ils m’avaient contactée précisément ces jours-ci.

J’ai un petit frisson dérangeant en pensant à tout ce que ces gens savent et voient, si j’ai raison… Ce qui étrangement n’échappe pas à Dame Bannion.

»  Vous avez senti quelque chose ? Vous pensez qu’il s’agit d’Egan Desterian !

Et comment !

Malheureusement, les cartes ne me donnent jamais de nom *petit sourire indulgent devant cette bien improbable possibilité* Mais si vous m’en dites plus sur ce monsieur, je pourrai peut-être vous dire s’il correspond à ce que m’inspire cet… acrobate.

C'est que... je le connais assez peu et je doute vraiment que ce soit envisageable… il s’agit tout de même du demi-frère de l’époux d’Ornelia ! *je feins la surprise et je l’encourage à continuer* Nous ne nous sommes croisés qu’à trois ou quatre reprises chez des connaissances communes… je le sais assez réservé et il donne l’impression d’énormément observer et écouter, plutôt que de pérorer comme beaucoup…

Un lien direct avec votre belle-sœur… de la retenue… jusque-là c’est assez ressemblant.

Ah, vous trouvez ? Il y a une chance que ce soit lui ? *elle semble perplexe mais pas que…* Nous n’avons eu qu’une seule réelle conversation… Nos caractères discrets assez similaires nous avaient mis à l’écart des autres convives, cette fois-là… Je me souviens d’une personne cultivée, avec qui communiquer semblait facile… Nous avons échangé nos points de vue sur plusieurs sujets et il a fait preuve de beaucoup d’esprit et de dérision si mes souvenirs sont bons…*elle baisse pudiquement les yeux* C’était une bien agréable soirée.

Oh !… Voilà quelque chose que je n’avais pas vu arriver… La seule lueur des bougies m’empêche d’en avoir la certitude, mais je crois bien qu’elle a rougi… Le monsieur lui a plu, c’est sûr.
Quoi de surprenant à cela ? Quelqu’un qui l’écoute, qui lui parle, qui la fait rire… tout le contraire de son éminent mari, si j’en crois certaines de ses allusions passées. Mais je n’arrive pas encore à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose pour moi…
Quoi qu’il en soit, je ne relève pas et je poursuis comme si de rien n’était.


Je ne suis pas encore tout à fait convaincue… Avez-vous pu noter quelque chose qui vous ferait penser qu’il n’apprécie pas votre belle-sœur commune ?

Sa mine amusée m’indique que c’est la première fois qu’elle a conscience de cet étrange lien familial entre eux.

Non, je ne vois rien de précis… une lueur agacée dans le regard, peut-être… mais non, ce doit être mon imagination… En revanche, je n’ai jamais entendu de propos négatifs, c’est certain.

Dommage, voilà qui aurait pu lever le doute… Savez-vous si…

Oh ! Une chose ! *elle me coupe* Que je ne tiens pas directement de lui, mais d’Ornelia… *pincement de lèvres* Cette femme parle à tort et à travers… croyez-moi, mieux vaut éviter de lui confier quoi que ce soit.
Voyons… je ne me souviens plus vraiment quel était le sujet de la conversation de ce jour-là, mais à un certain moment, il me revient qu’elle vantait la sagesse et surtout la rapidité des décisions de son époux et qu’ensuite, elle a fait une comparaison avec son demi-frère qui lui, à l’inverse, n’en prenait aucune sans avoir au préalable consulté les auspices… Est-ce que cela vous aide ? Notez que je ne sais pas du tout s’il s’agit de la vérité ou d’une simple plaisanterie.


Oh… c’est assurément la vérité… Puisque cela répond à la question : pourquoi la coterie a-t-elle besoin de moi ?

Mais en effet… quelqu’un attiré par l’art occulte… et là, *je montre l’étonnamment bien placé As des Masques, sous l’Acrobate* la carte du secret… Je crois que nous avons effectivement trouvé votre allié !

Perspective qui ne semble plus lui paraître si invraisemblable après tout, bien au contraire.

»  Maintenant, sous cet éclairage, laissez-moi voir ce qu’indiquent les derniers augures… Un entretien… un soutien… de la prudence… une entente… une réussite… *je montre rapidement chacune des cartes* Vous comprenez qu’il n’est pas du tout conscient de cette « alliance  morale» entre vous deux, n’est-ce pas ? Il ne sait rien de vos difficultés. Ce sera donc à vous d’entamer une conversation avec lui — mais après tout, vous serez l’hôtesse — si jamais vous sentez l’attitude de votre belle-sœur trop perturbante pour votre bien…
Vous verrez que cette discussion rendra le comportement de cette femme bien moins pénible *du bon sens, rien que du bon sens*.
Vous avez un avantage en connaissant votre point commun ; vous faites appel tous les deux à la divination… alors, servez-vous-en pour créer une belle connivence.
Pour cela, il ne faudra surtout pas aborder la question bille en tête, mais avec tact, car il ne doit pas savoir que vous savez. Cela l’embarrasserait énormément et vous perdriez sa bienveillance.
*elle opine résolument de la tête, entièrement à ce que je dis.* En revanche, une fois le sujet lancé, n’hésitez pas à expliquer davantage votre propre expérience et, en lui confiant que seules de rares personnes sont au courant, vous devriez instaurer une confiance entre vous.
Vous verrez qu’au bout du compte, il pourra être un soutien — si cela est nécessaire — à chacune des occasions où vous vous trouverez ensemble à l’avenir. Vous pourrez même en arriver à échanger vos opinions sur votre belle-sœur…
*je lui adresse un petit sourire entendu* mais sur ce point, il est préférable d’attendre qu’il prenne les devants.
Et avec ceci, je pense avoir dit tout ce qu’il me fallait vous dire.


Tandis que je brouille définitivement tous messages en mélangeant les cartes, elle se laisse aller contre le dossier de son siège, en soupirant.

Eh bien, je ne m’attendais pas du tout à cela… Dites-moi que j’ai l’autorisation de lui parler de vous ?

Lui parler de moi ? C’est-à-dire ?

Ma foi… de ce que vous m’avez déjà prédit, et de toutes ces choses avérées ! Cela fait partie de ma propre expérience, comme vous le disiez.

De sa seule expérience, donc elle doit forcément lui parler de moi…

Vous pouvez, bien sûr… mais ne détaillez pas trop les séances en elles-mêmes qui doivent rester confidentielles, comme vous le savez.

Cela va de soi ! N’ayez crainte, je n’expliquerai rien de plus que le nécessaire. Après cela, je suis presque certaine qu’il voudra vous consulter !

Oh, non… je ne peux prédire ce genre de chose puisque cela me concerne, mais il est fort probable qu’il ait déjà quelqu’un qui le conseille.

Mais c’est vrai, ça !

Ah, mais certainement pas quelqu’un comme vous ! J’en jurerais !

Certainement pas quelqu’un comme moi, pour sûr.

Mais il devra alors voyager jusqu'à Nyr’Eylïem et cela le dissuadera surement de venir me voir.

Je le fais moi-même régulièrement, vous n'êtes pas si éloignée ! Comptez sur moi pour l’y inciter.

Je ris doucement.

Nous verrons bien… En attendant, ne mettons pas la charrue avant les bœufs, il faut déjà que vous puissiez parler de cela ensemble ! À ce propos, j’ai un charme qui devrait vous aider à éloigner les mauvaises pensées et influences et qui attire les énergies positives.

Est-ce le même que la dernière fois ?

Un peu plus puissant. Pour cette raison, vous ne le porterez qu’à la réception. N’ayez crainte, il sera dans une jolie amulette et de plus, il a une délicieuse fragrance.

La voilà qui bat encore des mains, enchantée.

Maintenant j’en suis certaine ! Tout ira pour le mieux !

Un dernier détail… non essentiel, mais qui ne peut qu’être bénéfique… Soyez vêtue entièrement de blanc ce soir-là, une robe très simple, droite, sans fioriture… sauf l’amulette. Cela créera un fort contraste avec vos cheveux noirs si vous les laissez libres… C’est la vision que j’ai eue, en touchant votre carte tantôt… Et dans celle-ci, vous attiriez bien plus l’attention qu’Ornelia… »

Ce dernier point fait mouche, je le vois.
C’est ma manière de l’aider à se mettre en valeur, ce qu’elle ne semble pas savoir faire alors qu’elle pourrait être éblouissante. Elle gagnera en assurance et cela ne peut que participer à son rapprochement avec Egan Desterian.

Du moins je l’espère, car à partir de là, plus rien n’est de mon ressort. Tout est entre les mains, que je souhaite discrètes, de Dame Bannion.
Je croise les doigts en me demandant si j’ai suffisamment « instillé » mon affaire.


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Re: Habitations

Message par Shilann » jeu. 13 févr. 2025 14:01

L'AVANT (dans les rues de la ville)


De retour chez mon amie, les choses ne trainent pas, on m’indique directement la salle à manger où m’attend déjà Annaliesa.
Celle-ci, vêtue d’une robe bleue dont la simplicité de la coupe et l’étoffe me rendent aussitôt vilainement jalouse, se tient debout devant la cheminée de la pièce. Où je la vois distinctement jeter quelque chose dans les flammes qui crépitent. Tandis que ladite chose – à la forte ressemblance avec un rouleau de papier – se transforme en fumée, elle se tourne vers moi un demi-sourire aux lèvres, sans faire d’autres commentaires sur le geste qu’elle vient d’accomplir. Ce qui me dispense d’en faire un, moi-même.


J’ai, d’ailleurs, d’autres chats à fouetter.

« Me faites-vous surveiller, par hasard ? je lance en m’installant à table, à la place qui m’est destinée.
Vous surveiller ?
Oui, avez-vous mis quelqu’un à mes basques ?
Je ne sais pas trop à quoi vous faites allusion, Lyzzie,*elle s’assoit à son tour* mais non, je ne vous fais pas surveiller. En revanche, et je ne m’en cache pas, je vous pro-tè-ge, *elle articule comme si elle s’adressait à une simple d’esprit.* Vous êtes sous ma protection depuis vos seize ans, et vous l’auriez d’ailleurs été bien avant, si cela avait été possible. Je regrette tous les jours de n’avoir pu agir avant que la garce que votre oncle a épousée ait pu mettre les mains sur vous…

Je ne m’attendais pas à ce que ce sujet dérangeant soit évoqué aussi, ai-je un vif mouvement des mains et de la tête pour signifier d’en changer immédiatement.

» Pardonnez-moi, c’est juste que… enfin, passons. Pourquoi cette question, au juste ?

Un homme, grand, dans une cape grise, à proximité de chez Dame Bannion. Il m’a suivie un moment, avant que je m’en aperçoive et qu’il disparaisse. Cela ne vous dit rien ?

Rien du tout. Les « protecteurs » à qui je vous confie sont parfaitement invisibles et, par ailleurs, ne vous suivent pas dans la rue. Même si, à vous entendre, je vais peut-être devoir réviser cette option…

Ah non, surtout pas ! Je suis tout de même en mesure de me défendre, si nécessaire. S’il y a une chose que vous apprend la vie nomade, c’est bien celle-là. Enfin, si on oublie *je compte sur mes doigts* : se passer de confort, se contenter de l’essentiel, être autonome…

Et j’imagine que c’est pour rester fidèle à ces principes que vous refusez obstinément de séjourner chez moi, lors de vos venues en ville ? À ce propos, l’auberge n’est-elle pas encore un peu trop douillette, à votre goût ?

Je passe outre son sarcasme.

Je ne vais tout de même pas vous déranger, votre époux et vous, à chacune de mes visites !

Cessez vos idioties, je vous prie ! Vous ne dérangez personne. D’ailleurs, nous allons faire chercher vos affaires et vous dormirez ici, dès ce soir, et ce, jusqu’à votre départ pour Nyr’Eylïem ; cette mouche à vos basques ne me plait pas du tout.

Je ne proteste même pas.

Il s’agit certainement de cette coterie, ou tout du moins, de l’un de leurs sbires venu s’assurer que, comme prévu, j’ai effectivement rendu visite à ma cliente.

C’est probable, mais non certain… N’avez-vous jamais envisagé que… ce soit votre oncle qui vous fait chercher ?

Encore, au bout de douze ans ? Non.
Et même si, par un miraculeux hasard, c'était le cas, je ne suis plus une enfant impressionnable. Ne m’aviez-vous pas dit qu’il vivait près de Bouhen, à présent ? De toute manière, sachez que je nierais absolument être qui je suis – et peu importe, ce que peuvent raconter nos nouveaux amis – je sais avoir suffisamment changée pour être crédible, même sans être attifée des jupes de Shilann.


J’admets que vous n’êtes plus la même que cette petite fille sage que j’ai connue auprès de ses parents.

Elle a un drôle de sourire en disant cela, que je n’espère pas être de la nostalgie… Pour parer à cette éventualité et tenter de dévier la conversation, je joue les pitres et la théâtralité de la saltimbanque d’autrefois.

Pour sûr, ma bonne dame ! Car ici et maintenant se tient, devant vos yeux émerveillés, la divine diseuse de bonne aventure ! *je me désigne d’un geste majestueux.* Celle qui vous ouvre la porte vers un avenir encore insoupçonné… Quelle est la magie qui éclaire ses cartes ? Quels sont ces murmures d’un autre monde qu’elle écoute pour vous indiquer la voie de la chance, de l’amour ou de la fortune ? Elle seule le sait… Mais ne les craignez surtout pas, laissez-les simplement vous montrer votre destinée ! Puisque, ainsi, la diseuse vous dévoilera le chemin vers une existence plus éclairée…

Elle se met à rire.

Eh bien soit, cartomancienne, éclairez-moi donc sur votre séance avec Dame Bannion. Vous a-t-il été simple de parler de ce monsieur Desterian ?

J’ai eu de la chance ! Figurez-vous que les choses ont été grandement facilitées par les préparatifs d’une réception… À mon arrivée…

Sans me faire davantage prier, je raconte, par le menu, mon entrevue de ce matin.
Mon récit dure un moment et n’est interrompu que par le beau Dimitri, chargé de nous apporter les plats de notre repas et par les questions d’Annaliesa, en quête de certaines précisions.


Si vous voulez mon avis, cette graine va germer. Vous avez réussi la première étape de la mission, commente-t-elle à la fin.

Oui ? Je le souhaite, car dans le cas contraire, je ne pourrais rien faire pour y remédier avant une prochaine séance, autant dire des semaines. Et encore… en espérant ne pas avoir perdu la confiance de cette femme, entre temps.

Puisqu’elle pense réellement avoir besoin de cette aide morale, elle voudra coute que coute réaliser ce que vous lui avez annoncé ; elle fera en sorte de se faire un allié, voire un ami, de cet homme. Lui présenter « la meilleure parmi les augures » *elle me désigne de la main* est, non seulement, un bon moyen d’attirer son attention, mais également de la conserver, puisque partager un même secret rapproche, comme vous le savez. Oh ! elle n’hésitera pas.
Et, ne vous souciez pas de sa subtilité pour aborder ce sujet, quand une femme veut quelque chose – et croyez-moi, au moment où nous parlons, elle veut vraiment cette chose – elle sait comment faire pour y parvenir sans dévoiler ses intentions.
Mais je cherche à vous rassurer, alors que vous savez pertinemment tout cela !


Avoir un avis extérieur qui conforte ce que l’on pense ne fait pas de mal, pas vrai ? En revanche, je ne voudrais pas l’avoir poussée dans une quelconque affaire romantique… si cet homme s’avère un parfait gredin et qu’elle s’en amourache, je m’en voudrais énormément… Et peut-être même davantage, si c’est un homme bien…

Nous n’en sommes pas encore là. Je sais que vous avez eu l’impression qu’il ne lui était pas indifférent mais, nous ne savons pas si la réciproque est vraie. De plus, je gage que songer à son mariage — car, n’oublions pas qu’elle est mariée — sera un excellent garde-fou qui l’empêchera d’agir sottement. Et puis, vos cartes pourront l’en prévenir d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ?… Enfin… *elle poursuit à voix basse en se concentrant sur l’assiette devant elle* sauf, si elle en tombe follement amoureuse… là, aucune de vos prédictions ne pourra lui faire entendre raison… Une femme amoureuse ne v…

Merci beaucoup, Anna ! Me voilà entièrement rassurée, à présent !

Je coupe court à ses commentaires, tandis que l’impudente se met à rire… Comme si je ne m’en voulais pas déjà assez comme ça ! Je décide de changer de sujet.

» Il ne me reste donc plus qu’à attendre une éventuelle visite de ce monsieur, dans mon officine, pour que je le subjugue par mon art… mais sans même savoir quand cela se produira, ni même si...
À son tour de me couper.

S’il est féru d’affaires occultes, sa curiosité sera éveillée et il vous rendra rapidement visite. Quoi qu'il en soit, vous avez fait tout ce que vous pouviez faire, et en pas même une journée, ce qui est extraordinaire ! Pour la suite, vous aviserez.
Si cette coterie n'est pas contente des résultats, elle n’a qu’à tenter une autre approche, après tout. Mais, dans la mesure où une extrême discrétion semble lui être essentielle et qu’elle a décidé elle-même, de cette manière de procéder, elle laissera les choses évoluer à leur façon en sachant que cela pourrait ne pas fonctionner. Ne croyez-vous pas ?
»


Si. Je le crois.
Et, au diable, cette coterie ! Qui, depuis la veille, a trop pris le pas sur ma vie…
Je préfère me consacrer au délicieux dessert que le non moins délicieux domestique vient de nous apporter.
Aussi d’un commun accord, nous abordons des sujets bien plus joyeux et ceci, jusqu’au moment où je quitte la maison pour rendre visite à une autre amie.


Lyzabell Hartuel dite Shilann ✯ Magie ✯ Humaine Hafiz/Kendrane

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